Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 74



Cy parle de descouvrir le conseil de son seigneur
Chappitre LXXIIIIe


Je vueil que vous oyez l’exemple de la femme Samson fortin, qui descouvry son seigneur. Il advint que Samson fortin avoit fait une fermaille à xxx. robes de saye avecques certains gens qu’ilz ne pourroient pas deviner certaine devinaille. Sy advint que sa femme ne li fina tant de parler qu’elle sceut que c’estoit et tant qu’il lui descouvry le fait de la devinaille, et, quant elle le sceut, elle en descouvrit son seigneur, et lui fist perdre la fermaille de xxx. robes de saye ; et quant son seigneur sceust qu’elle l’eust decouvert, sy la commença à hair et la mist hors de avecques lui, et ala aux payens qui avoient gaingnée la fermaille, sy en prist xxx, lesquelz il despouilla pour despit de sa femme. Et pour ce a cy bonne exemple conment femme ne doit descouvrir pour nulle chose le secret ne le conseil de son seigneur, affin qu’elle ne chiée en l’ire et en corroux de luy ne en sa hayne, comme fist la femme Samson fortin, qui en perdy l’amour de son seigneur. Car c’est trayson quant l’en se fie en sa femme et elle descueuvre ce qu’elle doit celer.

Je vouldroie que vous sceussiez le compte de l’escuier qui essaya sa femme, que il vit juenne. Sy ly va dire : « M’amie, je vous diray un grant conseil, mais que vous ne m’en descouvriés pas pour riens. Je vous dy que j’ay pont ij. oeufz, mais pour Dieu ne le dictes mie. » Et elle respondit que par sa foy non feroit-elle. Sy li fust bien tart que le jour ne venoit pour l’aler dire à sa commère, et, quant vint qu’elle peut trouver sa voisine, elle lui dist : « Ha, ma très doulce amie, je vous deisse un grant conseil, mais que vous ne le deistes pas », et elle lui promist que non feroit-elle, « Se Dieu m’aist, il est advenu une grant merveille à mon seigneur, car pour certain, ma doulce amie, il a pont iij. oeufz. » — Saincte Marie, fist l’autre, comment puet ce estre ? c’est grant chose. » Si s’en party celle à qui le conseil avoit esté dit, et ne se peut tenir de l’aler dire à une autre, et lui dist que tel escuier si avoit pont iiij. eufz. Et puis celle le dit à un autre, qui dit que il en avoit pont v, et ainsi creust la chose d’une en autre, que les ij. eufz vindrent à cent, et tant que tout le pays en fust plain de renomée, et que l’escuier le sceust par plusieurs gens. Et lors il appella sa femme et plusieurs de ses parens, et lui dist : « Dame, vous m’avez moult bien creu la chose que je vous avoie dit en conseil, car je vous avoye dit que je avoye pont ij. eufz ; mais, Dieu mercy, le conte est creu, car l’en dit que il y en a cent. Sy avez descouvert mon conseil. » Et ainsi celle se tint pour honteuse et pour nice, et ne sceust que respondre. Et par ceste exemple se doit garder toute bonne femme de descouvrir le secret de son seigneur.