Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 70



Cy parle de convoitise
Chappitre LXXe


Je vous diray un autre exemple sus le fait d’une faulce femme qui eust nom Dalida, qui fut femme Samson fortin, lequel l’amoit à merveilles, et tant qu’il ne feist pas aucune chose que elle ne sceust. Et pour le grant amour que il avoit en elle, il fust sy fol que il li descouvrit que toute sa force estoit en ses cheveulx. Et quant la faulce femme le sceust elle fist dire aux paiens, qui estoient ennemis de son seigneur, que, se ilz luy vouloient donner bon loyer, elle le leur feroit prendre. Et les paiens luy promistrent que, se elle le povoit faire, ilz luy donroient certaine somme d’or et de robes. Et celle, qui fust deceue par convoitise, fist endormir son seigneur en son giron et puis lui tondit ses cheveulx, et envoya querre les paiens qui estaient embuschez et le fist prendre, et, quant il fu esveillié, il trouva sa force perdue, qui se combatoit bien à iij. mille personnes, et, quant ils le tindrent, ilz le lièrent et puis lui crevèrent les yeulx, et le faisoient tourner à un moulin comme à ung cheval aveugle. Or regardés comment convoitise deceust celle folle femme, qui, pour un pou d’or, traïst son seigneur, qui estoit le plus fort et le plus doubté homme qui oncques feust ne jamais sera. Et pour certain cuer convoiteux oze bien faire et entreprendre tout mal : car il fait les nobles rapineux et tirans sur leurs gens, et les clers et les religieux symoniaulx en tirant l’autry par faulces semonces, et fait les bourgeois et autres usuriers, les povres larrons et murtriers, les pucelles et les mariées putains, les enffans desirans la mort de leur père et de leur mère pour avoir le leur seulement. Judas, par convoitise d’argent, trahy nostre Seigneur, et aussi par convoitise le font aujourd’uy les advocads et plaideurs, qui vendent et bestournent verité, car ilz alongent le bon droit du bon homme pour tirer à avoir plus de l’argent, et y a plusieurs qui prennent de ij. costés, et aussy vendent par convoitise leur parole que Dieu leur a donné pour prouffiter au bien commun. Et pour ce est convoitise moult decevable, qui fist foloier et perir la femme Samson, qui tant estoit bel et fort et puissant. Et pour ce a cy bon exemple pour soy garder de cest vice. Et depuis Dieu rendit à celle femme son guerredon : car elle espousa un des payens, et firent une nopce. Si le sceul Samson, à qui ses cheveux estoient revenus et sa force revenue. Si se fist mener en la maison où ilz estoient au disner, près du maistre pillier de la sale, et, quant il fut au pillier, il le prist à ses ij. mains et le escoust si très fort que il abatit la maison sur eux, et là fut mort le mary et la mariée et le plus de gens qui estoient aux nopces. Et ainsi se venga de sa faulce femme, laquelle morut mauvaisement, car Dieu voulst qu’elle fust pugnie de sa mauvaistié, et cestoit bien raison que de mal faire ly vensist mal.