Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 63



Chappitre LXIIIe
Cy parle sur le fait d’orgueil


Or vueil touchier sur le fait d’aucunes femmes qui se orguillirent des honneurs et des biens que Dieu leur avoit donné et ne povoient souffrir à aise, si comme il est contenu en la Bible. Il recompte de Apamena, fille d’un chevalier simple qui avoit nom Béjart. Celle Apemena fust belle et juenne, et tant que le Roy de Surye, qui estoit moult puissant roy, la prist en amour, tellement que par sa sotize il la prinst à femme, et fust royne, et quant elle se vit en sy grant puissance et sy honnourée elle ne prisa riens ses parens, et avoit honte et desdaing de les veoir ne encontrer, et devint fole et orgueilleuse sur toute riens, mesmement ne daingnoit-elle porter au Roy si grant honneur comme elle devoit, pour ce qu’elle le veoit simple homme et debonnaire, et ne daignoit honnourer les parens du roy, tant fust orguilleuse et fière. Et tant fist que toutes manières de gens la prindrent en hayne et tant qu’elle fust courroucée vers le roy, fust à tort ou à droit, par telle manière qu’elle fust chassée et envoyée par l’endictement des parens du roy. Et ainsy par son desespoir et par son orgueil elle perdit le grant honneur où elle estoit ; car maintes gens et maintes femmes ne pevent souffrir honnour ne aise ensemble, et ne finent d’acquerre buchetes et langaiges d’orgueil et d’envie, et tant qu’elles se mettent du hault en bas comme fist ceste fole reyne, qui estoit venue de petit lieu à grant honneur, et ne le povoit souffrir ; car toute femme qui voit son seigneur doulz et simple, sans grant malice, de tant lui doit-elle porter plustost honneur ; car elle s’en honneure luy mesmes et en a plus de louenge et de honneur de ceulx qui la voient, et se doit plus tenir close et plus simplement, et soy efforcier de garder et de tenir s’amour et sa paix, car les cuers ne sont pas tousjours en un estat ; pierre vire et cheval chiet. L’on cuide par foiz que tel soit bien simple et sot, qui a malicieux cuer et dangereux, et pour ce ne puet femme trop honnorer ne obeir à son seigneur quel qu’il soit, puis que Dieu le lui a donné. Je vous vueil dire l’exemple de la femme du roy Herodes le grant. Il avoit une femme que il amoit moult merveilleusement. Sy ala à Rome, et advint que les gens de son ostel luy firent nuysance par devers son seigneur ; car ilz ne l’amoient point, pource que elle estoit trop fière, et luy rapportèrent qu’elle avoit un privé amy. Sy la deshonnourèrent, dont Herodes fut moult courroucié et le luy reprocha, et elle luy respondit trop fièrement et orgueilleusement, et ne prist pas son seigneur par bel ne par courtoisie ne si humblement comme elle devoit. Et son seigneur fust fol et despiteux de la ouïr parler ainsi orguilleusement ; sy prist un coustel et la feryt. Sy en morut, dont il fust depuis moult courroucié, car il ne trouva pas la chose vraye ; et ainsi par son haultain langaige se fist occire. Et pour ce est bon exemple à toute bonne femme de estre humble et courtoyse et de respondre humblement et doulcement encontre l’ire et corroux de son seigneur. Et pour ce le saige Salemon dit que par courtoisie et doulces paroles doivent les bonnes femmes abatre l’ire et corroz de leurs seigneurs. Car le seigneur de son droit doit avoir sur sa femme le hault parler, soit tort ou droit, et especialment en son yre devant les gens, et, son yre passée, elle luy puet bien monstrer qu’il avoit tort, et ainsi tendra la paix et l’amour de son seigneur et de son hostel, ne ne se fera pas blasmer, ne bastre, ne occire, comme fist la première femme au roy Herodes.