Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 57



Chappitre LVIIe
De Thamar, qui fust femme Honain


Je vueil que vous oyez l’exemple de Thamar, qui fut femme Honain, qui estoit filz Juda, filz de Jacob et frère de Joseph. Cestui Honain fut trop pervers et felon et de mauvaise vie, laquelle je ne vueil pas toute dire, dont Dieux voulst qu’il en morut soudainement et piteusement. Et quant Thamar se vit sans seigneur, dont elle n’avoit oncques eu lignée ne enfant, se pensa que le père de son seigneur engendroit bien et qu’il n’estoit pas brehaing, et pour ce convoita à avoir sa compaignie folement et contre la loy. Et tant fist qu’elle vint couchier par une nuit avec luy, et le deceut tant qu’il engendra deux enffans, dont l’un ot nom Phares et l’autre Amon, dont moult de mal en vint et mainte tribulacion ; car les enfans qui sont mal engendrez et qui ne sont de loyal mariage, ce sont ceulx par qui sont les guerres et par qui les ancesseurs sont perduz. Parquoy je vouldroye que vous sceussiez l’exemple du roy de Napples. Il est contenu ès croniques de Napples qu’il y ot une fole royne qui ne garda pas son corps nettement ne loyalment à son seigneur, et tant qu’elle conçut un filz d’ung autre que du roy son seigneur. Si advint que icelluy fut roy après la mort du roy, et quant il fust en eage il fut fel et aigres, et n’amoit point ses barons ne ses chevaliers, ainçoys leur fut dur et fel, et prenoit amendes et tailles, et efforçoit femmes et usoit de mauvaise vie, tellement que il encommença guerres à ses voisins et à ses barons, et tant que le royaulme fut en essil et en povreté par moult long temps. Si avoit un baron moult preudhomme et moult bon chevalier, qui ala à un hermitaige où avoit un saint hermite moult religieux et qui moult sçavoit de choses. Si lui demanda le chevalier pourquoy ne comment ilz avoient tant de guerre au païs, et se elle dureroit gaire. Et le saint hermite respondy : « Sire, il convient que le temps ait son cours, c’est assavoir, tant comme cest roy durera et un sien filz, la tribulacion ne cessera, et vous diray pourquoy. Il est ainsi que cest roy n’est pas droit hoir, ains est advoultre et emprunté, et pour ce ne puet-il jouir de son royaume ne de l’amour de son pueple, et convient que lui et son royaume ayent doulour et tribulacion tant comme faulx hoir y soit ; mais son filz n’aura ja hoir, et là fauldra la faulce lignée et reviendra le royaulme aux drois hoirs, et lors fauldra la pestillence et vendra paix et toute habondance de biens ou royaulme. » Et, ainsi comme le preudomme le dist, ainsi avint ; et encore dist-il plus, car il parla de la faulce royne sa mère, laquelle seroit pugnie en ce siècle et en l’autre, c’est assavoir que la femme du roy son filz l’encuseroit vers son seigneur que elle se coucheroit avecques un de ses prebstres, et que son filz le roy les trouveroit ensemble et les feroit tous deux ardoir en une fournaise. Et ainsi comme le saint homme le dist il advint, et pour ce est bel exemple à toutes femmes de soy tenir nettement en son mariage : car pour faire un faulx hoir il advient tant de mal et de tribulacion au païx où il a seignourie ; car par les faulx hoirs se perdent les seigneuries, et les mères en sont dampnées perpetuellement en enfer, tant comme les enfans en tiendront point de la terre de leur parrastre, c’est-à-dire du mary de leur mère.