Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 51

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Chappitre LIe
De la seconde femme du chevalier


Après le chevalier se remaria, et furent bien V ans ensemble, et puis elle morust ; et le chevallier, se il fut dolent de la première, il fut bien autant ou plus de la seconde, et vint à son oncle plourant et menant grant dueil, et luy pria, comment il avoit autrefois fait, qu’il sceult où estoit sa femme, et pour la pitié de luy le preudomme se mist en oroyson. Si vist et lui fut revellé et demonstré qu’elle seroit sauvée ; maiz elle seroit C. ans ou feu de purgatoire pour certaines faultes qu’elle avoyt faittes en son mariaige, ce fu que un escuier s’estoit couchié avecques elle, et pour autres petitz pechiez, et toutesfois si s’en estoit-elle confessée plusieurs fois ; car, s’elle ne s’en feust bien confessée, elle eust esté dampnée. Si dist le saint homme au chevalier que sa femme estoit sauvée, dont il eut grant joye. Si regardez que pour un pechié celle fut tant en feu ; mais bien puet estre, si comme dit le saint homs, que ilz avoient commis ce delit environ X ou XII foiz ; car pour chascun fait et delit l’en est VII ans ou feu de purgatoire, non obstant la confession, car le feu de VII ans n’est que pour espurgier et purifier l’ame de chascun faulx delit. Si ne l’avoit-elle pas fait à homme marié, ne à prestre, ne à moine, ne engendré enffant ; mais pour cellui pechié mortel, pour chacune foiz que l’en le fait, l’en est VII ans ou feu et en flambe en purgatoire, non obstant la confession. Sy prenez icy, belles filles, exemple comment celluy faulx delit est chier acheté, et comment il convient une foiz le comparoir, et aussy de celles qui ont tant de robes et qui mestent tant du leur pour elles parer pour avoir les regars du monde et la plaisance des gens. C’est un grant alumail, dont l’en chiet voulentiers au pechié d’orgueil, et de cellui d’orgueil en cellui de luxure, qui sont les deux pires pechiés qui soient, et que Dieux plus het. Et or regardez comment il en prist à la première femme du chevalier, qui en fut dampnée et perdue, et toutesfois en a-il maintes par le monde, qui ont bien le cuer à faire acheter une robe de LX ou de IIIIxx francs ; mais elles tendroient à grant chose se elles avoient donné pour Dieu un seul franc ou une cote d’un franc à un povre homme ; or regardez comment celles qui ont plusieurs corsès et robes, dont elles se passeroient bien de moins, comment elles en respondront estroietement une fois. Et pour ce, toute bonne femme, selon ce qu’elle est et selon sa puissance, s’en doit passer au mains qu’elle puet, et donner pour Dieu le seurplus pour estre vestue en l’autre siècle, si comme firent les saintes dames et les saintes vierges, comme racontent leurs legendes, comme de sainte Elisabeth, de sainte Katherine et de sainte Agathe et de plusieurs, qui donnèrent leurs robes et leurs biens aus povres pour l’amour de Dieu. Et a cestes exemple le doivent faire toutes bonnes femmes. Or vous ay parlé des deux premières femmes du chevalier ; si vous parleray de la tierce femme.