Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 43



Chappitre XLIIIe
De la VIe folie de Eve


La VIe faulte si fut pour ce que elle menga du fruit deffendu ; ce fut le plus fort du dolereux fait. Car, par celluy fait nous et tout le monde fusmes livrez au peril de la mort d’enfer, et estrangez de la joye pardurable. Si avons cy grant exemple comment par le trespassement d’une petite pomme soyent devenus tant de douleurs et de maulx. Hé, Dieux, comment ne pense l’en assavoir comme Dieux pugnira ceulx qui font telx forfaix de viandes et qui se delittent en bons morseauls de quoy ilz nourrissent leurs ventres et leurs charongnes, qui par celui delit la font esmouvoir en fol delit de luxure et d’autres pechiez. Pourquoy ne regardent-ilz aux povres familleux qui meurent de froit et de faing et de soif, dont Dieux leur demandera compte au grant jour espoventable ? Et saichiez que pechié n’est pas du tout à trop mengier, mais au delit de la saveur de la viande ; dont le saige dit que la mort gist dessoubz les delices, aussi comme le poisson qui prent l’aim par la viande qui y est atachée, et c’est la mort. Et aussi comme les poisons et le venin est mis ou bon morcel, dont l’omme muert, et aussi la saveur du delit, que l’on prent ès delicieuses viandes, occient l’ame et la perissent par le delit du corps, et aussi comme le delist de la pomme occist Eve nostre première mère, laquelle vint au pechié, comme font maintes gens ; car ilz viennent à escouter la folie, et puis aux regars et puis au touchier, et du touchier au baisier, et du baisier au fait du faulx delit, comme fit Eve, qui assavoura la pomme après le regart et le touchier.