Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 26



Chappitre XXVIe
De celles qui ne veullent vestir leurs bonnes robes aux festes


Un autre exemple vous diray de celles qui ne veulent vestir leurs bonnes robes aux festes et aux dymenches pour l’onneur de Nostre Seigneur. Dont je vouldroye que vous sceussiez l’exemple de la dame que sa demoiselle reprist. Une dame estoit qui avoit de bonnes robes et de riches ; mais elle ne les vouloit vestir aux dimenches ne aux festes, se elle ne cuidast trouver nobles gens d’estat. Et advint à une feste de Nostre-Dame, qui fut à un dimanche, si luy va dire sa damoyselle : « Ma dame, que ne vestés-vous une bonne robe pour l’onneur de la feste ? car il est feste de Nostre-Dame et dymenche. — Quoy ! dist-elle, nous ne verrons nulles gens d’estat. — Ha ! ma dame, ce dist la damoyselle, Dieu et sa mère sont plus grans et les doist l’en plus honnourer que nulle chose mondaine, car il puet donner ou tollir de toutes choses à son plaisir, car tout le bien et honneur vient de lui, et pour ce doit l’en porter honneur à la feste de luy et de sa benoyte chière mère et à leurs sains jours. — Taisiez-vous, dist la dame, Dieu et le prestre et les ens d’esglise me voyent chascun jour ; mais les gens d’estat ne me voyent pas, et pour ce m’est plus grant honneur de moy parer et cointoier contre eulx. — Ma dame, dist la damoiselle, c’est mal dit. — Non est, dist la dame, layssiez advenir ce que advenir pourra. » Et tantost, à ce mot, un vent, chault comme feu, la ferit par telle guise qu’elle ne se pot bouger ne remuer, ne plus que une pierre, et dès là en avant la convenoit porter entre les bras, et devint grosse et enflée comme une pipe. Si recognut sa follour et se voua en plusieurs pelerinages et s’i fist porter en une litière, et à toutes gens d’onneur elle disoit la cause comment le mal lui estoit prins, et que c’estoit la vengence de Dieu, et que bien estoit employé le mal qu’elle souffroit ; car toute sa vie elle avoit porté plus d’onneur au monde que à Dieu, et avoit plus grant joye et plus grant plaisir à soy cointoier quant gens d’estat venoient en lieu où elle fust, pour leur plaire et pour avoir sa part des regards, qu’elle ne faisoit par devocion ès festes de Dieu ne de ses sains. Et puis disoit aux gentilz et aux juennes femmes : « Mes amies, veez cy la vengeance de Dieu » et comptoit tout le fait et leur disoit : « Je souloye avoir beau corps bel et gent, se me disoit chascun pour moy plaire, et, pour la louange et le bobant den la gloire que je y prenoye, je me vestoie de fines robes et de bonnes pennes bien parées, et les faisoie faire bien justes et estroites ; et aucunesfoiz le fruit qui estoit en moy en avoit ahan et peril, et tout ce faisoie pour en avoir la gloire et le loz du monde. Car quant je ouoye dire aux compaignons qui me disoient pour moy plaire : « Veez cy un bel corps de femme qui est bien tailié d’estre amé d’un bon chevalier », lors tout le cuer me resjouissoit ; mais or povez veoir quelle je suis, car je suy plus grosse et plus constrainte que une pipe, ne je ne semble point celle qui fut ; ne mes belles robes, que je avoye si chières que je ne vouloye vestir aux dymenches ne aux bonnes festes pour l’honneur de Dieu, ne me auront jamais mestier. Mes belles filles et amies, amez Dieu, car il m’a monstré ma folie, qui espargnoye mes bonnes robes aux festes pour moy cointoier devant les gens d’estat pour avoir le los et le regart des gens. Sy vous prye,,es amies, que vous prengniez icy bon exemple. » Ainsy se complaignoit la dame malade, et fut bien malade et enflée par l’espace de VII ans. Et après, quant Dieu eut veu sa contricion et sa repentance, si luy envoya santé et la gary toute saine, et fut dès lors en avant moult humble envers Dieu et donna le plus de ses bonnes robes pour Dieu, et se tint simplement et ne eut pas le cuer au monde comme elle souloit. Et pour ce, belles filles, a cy bon exemple comment l’on doit plus parer et vestir sa bonne robe aux dimenches et aux festes, pour honneur et amour de Dieu, qui tout donne, et pour l’amour de sa doulce mère et de ses sains, que l’on ne doit faire pour les gens terriens, qui ne sont que boue et terre, pour avoir leur grâce et leur los ne les regards d’eulx ; car celles qui le font par telz plaisances, je pense qu’il desplaise à Dieu, et que il en prendra sa vengeance en cest siècle ou en l’autre, sy comme il fist de la dame, comme vous avez ouy, et pour ce y a bon exemple à toutes bonnes femmes et bonnes dames.