Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 15



Cy parle de celles qui estrivent les unes aux autres
Chappitre XVe


Belles filles, gardez que vous ne prengniez estrif à fol, ne à folle, ne à gens folz qui ayent male teste : car c’est grant peril. Je vous en dirai un exemple que j’en vi.

Il avint en un chastel, où plusieurs dames et damoiselles demeuroient. Si y avoit une damoiselle, fille d’un chevalier bien gentilz ; si se va courrouscier à jeu de tables, elle et un gentil homme, qui bien avoit male teste et rioteuse, et n’estoit pas trop saige. Si fut le debat sur un dit qu’elle disoit qu’il n’estoit pas droit ; tant avint que les parolles se haulcèrent et qu’elle dit qu’il estoit cornart et sot. Ilz laissèrent le jeu par tenson. Si dis à la damoiselle : « Ma chière cousine, ne vous marrissiez de riens qu’il die, car vous savez qu’il est de haultes paroles et de sottes responces. Si vous prie pour vostre honneur que vous ne preignez point de debat avecques luy, et le dis féablement, comme je voulsisse dire à ma suer. » Maiz elle ne m’en voult croire, ains tença encore plus fort que devant, et lui dist qu’il ne valoit riens, et moult d’autres parolles. Et il respondist, comme fol, qu’il valoit mieux pour homme qu’elle ne faisoit pour femme. Et elle lui dist qu’il ne disoit mie voir, et creurent leurs paroles et surmontèrent tant que il deist que, s’elle feust saige, elle ne venist pas par nuit ès chambres aux hommes les baisier et accoler en leurs liz sans chandoille, et elle s’en cuida bien venger, et lui dist qu’il mentoit, et il luy dist que non faisoit et que tel et tel lui avoient veue. Si avoit là moult de genz, qui furent esmerveillez, qui riens ne sçavoient de ce, et si y ot pluisseurs qui dirent que ung bon taire lui vaulsist mieulx, et qu’elle s’estoit batue par son baston mesmes c’est-à-dire par sa langue et par son hatif parler. Et après celles parolles, elle ploura et dist qu’il l’avoit diffamée, et il ne demoura pas ainsi, car il l’assaillit arrière devant tous et estriva et tença tant que il luy dist encores qu’il y avoit veu pis, et dist paroles encores plus ordes et plus honteuses au deshonnour d’elle, que jamais ne luy chierroit pour secourre qu’elle face, et ainsy se ahontaga par son fol couraige et par sa haultesce de cuer.

Et pour ce ainsy a cy bon exemple comment nulle femme ne doit tencier ne estriver à fol, ne à folle, ne avecques gens qu’elle sache qui aient haultain couraige ; ainsi les doit l’en eschever, et, se l’en voit qu’ilz vueillent parler haultement ou grossement, l’en les doit laissier tous piquiés, leur dire : « Beaulx amis, je vois bien que vous voulés parler hault ou rioter ; je vous lairay le champ et m’en yray », et puis soy en aler et departir, si come fist un chevalier que je congnoys bien, à une dame qui avoit male teste et envyeuse, et disoit moult d’oultraiges au chevallier devant tous. Si dist le chevallier : « Dame, il vous plaist à dire tant de merveilles ; se je vous escoute, je ne vous fais nul tort. Je voy bien que vous estes marrie, dont me desplaist. » Mais pour tant celle ne se voult oncques taire, maiz tença plus fort, et quant le chevallier vit qu’elle ne se vouloit souffrie ne taire pour riens, si prist un petit bouchon de paille que il trouva et le mist devant elle, et lui dist : « Dame se vous voulez plus tencier, si tencez à ceste paille, car je la laisse pour moy et m’en iray. » Et il s’en ala et la laissa. Si fut tenu pour bien fait au chevallier qui ainsi l’escheva, et elle fut fole et seulle et ne trouva à qui plus tencer, et s’enffrenaisist se elle voult.

Et ainsi le doit l’en faire, car l’en ne doit mie estriver à fol, ne à gens tenseurs, ne qui ayent male teste. Ains les doit-en eschever, comme fist le chevallier à la dame, comme oy avez.