Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 13



Cy parle de celle que le chevalier de La Tour
laissa pour sa legière manière
Chappitre XIIIe


Encores, mes belles filles, vous diray-je pour exemple d’un fait qui m’en avint sur ceste matière.

Il avint que une foiz que l’en me parloit de me marier avecques une belle noble femme qui avoit père et mère, et si me mena mon seigneur de père la veoir ; et quant nous fumes là, l’en nous fist grant chière et liée. Si resgarday celle dont l’on me parloit, et la mis en parolles de tout plain de choses, pour savoir de son estre. Si cheismes en paroles de prisonniers. Dont je lui dis : « Madamoiselle, il vaudroit mieulx cheoir a estre vostre prisonnier que à tout plain d’autres, et pense que vostre prison ne seroit pas si dure comme celle des Angloys ». Si me respondit qu’elle avoyt veu nagaires cel qu’elle vouldroit bien qu’il feust son prisonnier. Et lors je luy demanday se elle luy feroit male prison, et elle me dit que nennil et qu’elle le tandroit ainsi chier comme son propre corps, et je lui dis que celui estoit bien eureux d’avoir si doulce et si noble prison. Que vous dirai-je ? Elle avoit assez de langaige et lui sambloit bien, selon ses parolles, qu’elle savoit assez, et si avoit l’ueil bien vif et legier. Et moult y ot de paroles, et, toutes voies, quant vint au departir elle fust bien apperte ; car elle me pria II foiz ou III, que je ne demouraisse point à elle venir veoir, comment que ce fust ; si me tins moult acointes d’elle, qui en si pou de heure fu si son acointe que oncques mais ne l’avoye veue, et si savoit bien que l’en parloit de mariage d’elle et de moy. Et quant nous fumes partis, mon seigneur de père me dist : « Que te samble de celle que tu as veue. Dy m’en ton avis ». Si lui dis et respondis : « Mon seigneur, elle me samble belle et bonne, maiz je ne luy seray jà plus de près que je suis, si vous plaist », si luy dis ce qu’il me sambloit d’elle et de son estre. Et ainsi je ne l’eus pas, et pour la très grant legière manière et la trop grant appertise qui me sembloit à veoir en elle ; dont je en merciay depuis Dieu moult de foiz ; car ne demoura pas an et demi qu’elle fust blasmée, mais je ne sçay se ce fut à tort ou à droit ; et depuis mourust.

Et pour tant, mes chières filles et nobles pucelles, toutes gentilz femmes de bon lieu venues doivent estre de doulces manières, humbles et fermes d’estat et de manières, poy emparlées, et respondre courtoisement et n’estre pas trop enresnées, ne surseillies, ne regarder trop legierement. Car, pour en faire moins, n’en vient se bien non ; car maintes en ont perdu leur mariage pour trop grans semblans, dont par maintes foiz l’en esperoit en elles autres choses qu’elles ne pensoient.