Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 12

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Cy parle de celle qui perdit le roy d’Angleterre par sa fole contenance
Chappitre XIIe


Dont je vourroye que vous eussiez bien retenu l’exemple des filles du roy de Dannemarche. Si vous en compteray.

Ilz sont quatre roys de çà la mer qui anciennement se marièrent par honnour, sans convoitise de terre, comme des filles de roys ou de haulx lieux, qui soient bien nées ou qui aient renommée de bonnes meurs, de bel maintien, et fermes, et de bonnes manières, et les convient veoir se elles ont ce que femmes doivent avoir et se elles sont tailliées de porter ligniée. Ces IIII sont li roys de France, qui est le plus grans et le plus nobles ; l’autre est le roy d’Espaigne ; le tiers le roys d’Angleterre ; le quart est le roy de Hongrie, qui est de son droict mareschal des crestiens ès guerres contre les mescréans.

Si avint que le roy d’Engleterre estoit à marier, et oyt dire que le roy de Dannemarche avoit IIII moult belles filles et moult bien nées, et, pour ce que icellui roy estoit preude et la royne moult preude femme et de bonne vie, il envoya certains chevaliers et dames des plus souffisans du royaume à son pouvoir, pour veoir icelles filles ; si passèrent la mer et vindrent à Dannemarche.

Et, quant le roy et la royne vient les messagiers, si en eurent moult grant joye, et les honnourèrent et festoyèrent iiij jours, et nulz ne savoit la vérité, laquelle ilz esliroient. Si ce cointirent les filles et s’affaitèrent au mieulx qu’elles porent. Si avoit en la compaignie un chevalier et une dame, moult congnoissant et moult soubtilz, et qui bien mectoient l’eueil et l’entente de veoir leurs manières et contenances, et aucunez foiz les mettoient en parolles. Si leur sembla que, combien que l’ainsnée feust bien la plus belle, elle n’avoit mis le plus seur estat, car elle regardoit menu et souvent çà et là et tournoit la teste sur l’espaule et avoit le resgart bien vertilleux. Et la IIe fille avoit à merveilles de plait et de parolles, et respondoit souvent et menu avant qu’elle peust tout entendre ce dont on luy parloit ; la tierce n’estoit pas la plus belle à deviser, mais elle estoit bien la plus agréable et si avoit la manière et le maintien seur et ferme, et paroloit assez pou et bien meurement, et son resgart estoit humble et ferme, plus que de nulle des IIII. Si eurent conseil et avis les ambassadeurs et messagiers que ilz retourneroient au roy leur seigneur pour dire ce que trouvé avoyent, et lors il prendroit laquelle qui lui plairoit. Et lors vindrent au roy et à la royne pour congié prandre de eulx et les mercièrent de leur bonne compaignie et de l’onnour que ilz leur avoient faite, et qu’ilz raporteroient à leur seigneur ce qu’il leur sembloit de leurs filles, et sur ce il feroit à son plaisir. Li rois leur donna de beaux dons.

Si s’en partirent et vindrent en Angleterre, et racontèrent à leur seigneur l’onneur que le roy et la royne leur avoient faite. Après rapportèrent les beautez des filles et leurs manières et leurs maintiens, et y fut assez parlé de chascune d’elles, et y eut assés qui soustenoient à prandre l’ainsné ou la seconde par honneur, et que ce seroit plus belle chose d’avoir l’ainsnée, et, quant ilz eurent débatu assez, li roys, qui estoit sages homs et de bon sens naturel, parla derrenier, et dit ainsi : « Mes ancesseurs ne se marièrent oncques par convoitise, fors à honnour et à bonté de femme, ou par plaisance. Mais j’ay ouy plus souvent et menu mésavenir de prendre femme par beauté et plaisance, que de celle qui est de meure manière et de ferme estat, et qui a bel maintieng ; car nulle beauté ne noblesce ne s’apareille, ne passe bonnes meurs, et n’est ou monde grant aaise comme de avoir femme seure et ferme d’estat et de bonne manière, ne n’est plus belle noblesce. Et pour ce je esliz la tierce fille, ne n’auray jà autre. » Lors si l’envoya querre, dont les deux ainsnées furent en grant despit et grant desdaing.

Et ainsi celle qui avoit la meilleure et la plus seure manière, fut royne d’Angleterre, et l’ainsnée fut refusée pour le vertillement et legiereté de son visaige et pour son resgard qui estoit un peu vertilleux, et l’autre seur après le perdit pour ce qu’elle avoit trop à faire et estoit trop emparlée ; si prenés, belles filles, bons exemples en ces filles du roy de Dannemarche, et n’aiés pas trop l’ueil au veoir ne vertillous, ne ne tournés le visaige ne çà ne là ; quant vous vouldrez resgarder quelle part que ce soit, virés visaige et corps ensemble, et ne soiés pas trop emparliers, car qui parle trop ne puet tousjours dire que saige. Et doit-on bien à loisir entendre avant que respondre ; mais, si vous y faictes un peu de pause entre deulx, vous en respondrez mieulx et plus saigement ; car que le proverbe dit : autant vault cellui qui oit et riens n’entant comme cellui qui chasse et riens ne prent, comme dessus est dit.