Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 117

Comment l’en doit croire les anciens.

Chappitre CXVIIe.



Dont il advenoit que, se ilz veissent à un jeunes homs de lignaige faire chose qui à son honneur ne feust, ilz luy montrassent sa faulte devant touz, et pour ce juennes hommes les craingnoient moult. Dont il avint que j’oy raconter à mon seigneur et père que une foiz il vint à une grant feste où avoit grant foyson de seigneurs et de dames et de damoyselles. Sy arriva comme l’en vouloit aseoir à table, et avoit vestu une cote hardie à la guise d’Alemaigne. Sy vint saluer les dames et les seigneurs, et quant il eust fait ses reverances, cellui Messire Gieffroy le va appeller devant tous et lui demanda où estoit sa vielle ou son instrument, et que il faist de son mestier. « Sire, je ne m’en sauroie mesler. » — « Sire », dit-il, « je ne le pourroye croire ; car vous estes contrefait et vestu comme un ménestrel. Car, en bonne foy, je congnoys bien vos ancesseurs et les preudhommes de la Tour dont vous estes ; mais onques mais je ne vy qui ainsi se contrefist ne vestit telles robes. » Lors il luy repondist : « Sire, puisque ne vous semble bon, il sera amendé. » Sy appella un menestrel et lui donna sa coste et la lui fist vestir, et prist autre robe. Sy revint en la salle, et lors le bon chevalier lui dist : « Vrayement, cestuy-cy ne se forvoye pas, car il croit conseil de plus vieulx que lui. Car touz juennes hommes et jeunes femmes qui croient conseil et ne contrarient mie le dit des anciens ne peuvent faillir de venir à honneur. » Et aussi dit le preudons, qui pour bien et honneur l’avoit dit. Et pour ce a cy bon exemple comment l’en doit croire et avoir honte et vergoingne de l’enseignement des saiges et des plus anciens de lui. Car ce que ilz dient et enseignent, ilz ne le font que pour bien et honneur ; mais noz juennes hommes et noz juennes femmes de aujourd’hui n’y prennent mie garde, ainçois tiennent à grant despit de ce que l’en les reprent de leurs folies, et cuident aujourd’uy estre plus saiges que les anciens et de ceulx qui ont plus veu que eulx. Si est grant pitié et grant folie de telle descongnoissance avoir en eulx; car tout gentil cuer de bonne nature doit avoir grant joye quant l’en le reprent de sa faulte. Et se il est saige et franc il lui merciera, et là voit-on esprouvée la bonne et la franche nature des juennes hommes et des juennes femmes ; car nul villain cuer n’en rendra jà graces ne mercis, ne jà gré ne saura. Or vous ay parlé comment ilz parlèrent et chastièrent les jeunes hommes. Or vous diray-je comment ilz donnoient bon exemple ès bonnes dames et ès bonnes damoiselles en icelui temps.