Livre des faits du bon messire Jean le Maingre, dit Bouciquaut/Partie IV/Chapitre V

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PARTIE IV.

CHAPITRE V.

Comment le mareschal est hardy et sûr en ses saiges entreprises.

Avec ce que le mareschal est en armes très saige et très advisé, il est très hardy, chevaleureux, diligent, et de grande entreprise, en telle manière que il ne se trouva oncques en lieu que il eust à faire avec ses ennemis, que il n’en saillist à son honneur, et qu’il ne fust de son bien fait très grandes nouvelles. Et toutes ces choses en luy se sont esprouvées par maintesfois où il s’est trouvé en lieu et place que il entreprenoit de telles choses et achevoit, que elles sembloient comme impossibles à venir à bonne fin. Mais par sa grande hardiesse, et par l’ordonnance que il mettoit en ses gens, il faisoit ce qu’il vouioit. Car quand il se trouvoit en aulcune très grande et très difficile et pénible besongne, et qu’il voyoit bien que sans grande force, et sans moult y souffrir n’en viendroit-il mie à chef, adonc faisoit crier en son ost que, soubs peine de mort, nul ne fust si hardy de partir de sa place, ne retourner au logis. Et par ce ses gens qui redoubtoient sa justice et punition qui rien n’espargnoit, aimoient mieulx mourir en la bataille s’il le convenoit, que estre morts et deffaicts honteusement par punition. Si s’exposoient à si grands périls, que il terminoit honorablement tout ce qu’il entreprenoit. Et de ceste notable et très honnorée manière en faits de guerre que il avoit, le puis de réchef comparer aux vaillans anciens, comme Valère récite de eulx et de leurs faicts. Dont, entre les autres exemples, dict que comme l’ost des Romains fut une fois logé sur le fleuve de Lombardie près de Plaisance, advint que par force leurs ennemis les en deslogèrent. Quand leur consul, c’est à dire leur duc le sceut, il commanda au maistre de la chevalerie qui les menoit, et à eux tous ensemble, que ils allassent recouvrer leur place, ou très griefvement les en puniroit. Et ne le fist pas iceluy duc en espérance qu’il eust que ce pussent-ils faire, mais à fin que ils ne demeurassent déshonorés d’avoir gauchy ou fuy. Si fit un édict et un commandement que, si nul estoit vu fuir ne tournant arrière, que tantost fust tué comme ennemy. Par laquelle sévérité, ce dict Valère, encore que ils fussent fatigués de corps et d’esprit, pour le désespoir de leur vie, ils dirent que mieulx vouloient mourir sur leurs ennemis honnorablement, que on les tuast honteusement. Dont il advint que, nonobstant la multitude des ennemis et la force du lieu, ils gaignèrent la place. Si sait bien tenir ces manières le bon mareschal, dont nous parlons. Et suffise atant de ceste matière d’armes, à laquelle j’ay produit exemples pour mieulx prouver l’authorité de sa vaillance. Et aussi l’ai fait, pour ce que ramentevoir les faits des bons doibt donner couraige, aux nobles qui leurs faits oyent, de les suivre, et faire comme eulx.