Livre des faits du bon messire Jean le Maingre, dit Bouciquaut/Partie III/Chapitre XII

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PARTIE III.

CHAPITRE XII.

Comment nosseigneurs les ducs d’Orléans et celuy de Bourgongne sceurent mauvais gré au mareschal, pource qu’il n’avoit esté en l’ayde des Pisains contre les Florentins.

De ceste chose ont sceu mauvais gré nos dicts seigneurs d’Orléans et de Bourgongne au mareschal, et eulx et leurs adhérans en ont parlé en le blasmant. Et pour ce plusieurs gens qui ne savent point le faict au long, en parlent et ont parlé à l’adventure, comme on fait de maintes choses sans savoir la vérité ne les causes de la chose, et ont dict que par son défault nos dicts seigneurs ont perdu la seigneurie de Pise, qui seroit une belle chose à avoir pour eulx. Mais vrayement ils veulent tourner à blasme ce de quoy grand honneur luy appartient ; et si aultrement eust faict, reproche seroit à luy. Car homme qui va contre ce que par délibéré sens et bon loyal conseil a une fois accordé, juré et promis, encourt reproche d’inconstance et deffault de foy. Ce que nos dicts seigneurs en ont dict et fait, et le mauvais gré qu’ils luy en ont sceu, je tiens fermement qu’il n’est venu de leur premier mouvement ; mais d’aulcuns flateurs envieux d’entour d’eulx, comme assez de telles gens a en cour communément, qui bien vouldroient trouver manière s’ils pouvoient de désadvancer la bonne fortune et prospérité du mareschal ; mais si Dieu plaist, à ce n’adviendront jà, car Dieu gardera son servant, et iceulx descherront en leur iniquité. Si pouvez voir et noter, vous qui ce livre lisez en ce pas cy, ou oyez, que homme ne peult estre si parfait, ne tant de biens faire et dire, qu’il puisse avoir la grâce d’un chascun. Et tout ce vient par le vice d’envie qui court sur la terre, qui destourne de son pouvoir que vaillance, preud’hommie, loyauté et bonté n’ait le los et la gloire qui luy affiert. Car telle est la nature de l’envieux, que il taschera tousjours de tourner à quelque mauvaise fin ou intention ce que le preud’homme fait pour grand bien et utilité. Mais Jésus-Christ, duquel la benoiste vie a toute esté en ce monde pour nostre enseignement, voult luy mesme, pour donner exemple aux bons d’avoir sur telles choses patience, estre diffamé par les envieux ; comme il appert par l’Évangile, qui dict que les miracles qu’il faisoit par la vertu divine et par la puissance de luy mesme, les faulx envieux ministres de la loy disoient que c’estoit par art du malin esprit et de l’ennemy, et qu’il estoit mauvais, où il estoit tout parfaict. Si seroit toutesfois mal regardé et grande ingratitude de hayr sans cause ce preud’homme cy le mareschal, par le sens duquel se sont ensuivis tant de biens, qu’il a gardé entre les autres biens qu’il a faits de destruire si noble cité et pays comme est celui de Jennes, et non mie seulement gardé de destruction, mais remis en la meilleure convalescence et estat qu’il fust depuis que la dicte cité feut fondée. Et non pourtant n’est mie d’aujourd’huy ne d’hier que la force des envieux ingrats a nui aux bons ; car de ce sont les escriptures toutes plaines.