Livre des faits du bon messire Jean le Maingre, dit Bouciquaut/Partie III/Chapitre V
CHAPITRE V.
Or estoit venu le mareschal à l’une des conclusions que, long-temps avoit désirée à attaindre, qui estoit de rendre les Genevois obéissans à nostre pape, comme dict est devant. Si voult tendre s’il pouvoit à l’autre conclusion qu’il désiroit. Il est à savoir que il avoit bien en mémoire et estoit informé, comme le dict roy Charles, avant que il trespassast, comme bon et juste roy et très chrestien, qui avoit sur toute chose, à cœur le fait de l’Église, voyant que il ne pouvoit mettre toute chrestienté en l’obéissance d’un seul pape, comme elle doibt estre, et que grand meschef estoit de telle division entre chrestiens, advisa et considéra que bon seroit pour appaiser ce maudit schisme, que concile général fust fait de tous les prélats de chrestienté ou de la plus grand partie assemblés en aucune part, où au mieux seroit regardé ; et que là fust délibéré et ordonné que tous les deux eslus cédassent, et que si par amour ne le vouloient faire, que à tout l’ayde et le port des princes terriens, qui tous en fussent d’accord, on les y contraignist par force. Et que quand ce seroit faict, adonc bien et dignement fust un seul esleu par voye du Sainct-Esprit, comme faire se doibt. Telle estoit l’intention du bon roy, qui l’eust traicté à chef, mais la mort l’en désadvança, au grand dommaige et préjudice de toute la chrestienté, et singulièrement de son royaume. Ceste chose savoit le mareschal, et aussi comment le roy qui à présent règne, fils et succédeur d’iceluy, et nosseigneurs les princes de France, ont toujours depuis prétendu à celle voye, pour venir au fait d’union. Et pour ce que bien luy sembloit que ce chemin tenir estoit juste, ne par autre ne pouvoit estre mise paix en l’Église, à son pouvoir vouloit travailler que ceste chose pust estre terminée et traitée à chef de paix. Et c’estoit la cause principale et singulière qui l’avoit mu à tant désirer travailler que les Genevois se déclarassent pour nostre saint père ; car son intention estoit que, quand il auroit tant faict, à l’aide de Dieu, comme il fit, que les Genevois fussent obéissans au pape, que adonc par l’ayde de eulx qui est moult grande, et par les autres d’Italie, aulcuns se pourroient pareillement convertir. De laquelle chose se voult travailler, comme il fit, après du seigneur de Padoue, et de celuy de Pise, dont cy dessus est parlé, et d’autres, dont mention sera cy après faite, que il iroit courir sus aux Romains, si besoing estoit, au cas qu’ils ne vouldroient souffrir que l’antipape cédast, ou qu’il ne le voulsist faire. Plus fit encore le mareschal ; car comme dict est cy devant, pour sa grande renommée et bonté il attiroit plusieurs nobles hommes à son amour. Dont il advint que mesmement un des plus principaulx cardinaulx qui fust à Rome de la partie de l’antipape, appellé le cardinal du Flasque, l’aima tant et prisa que il désira son accointance, et lui escripvit plusieurs lettres, et le mareschal à luy, dont à la parfin tant bien y ouvra le mareschal, que il se soubstray de l’antipape et s’en partit, et laissa bien la valeur de seize mille francs de bénéfices que il tenoit. Si rendit obéissance à nostre pape. Mais à parler de l’autre conclusion où il tendoit, pour venir par ces deux à une seule fin, c’est à savoir de union, par la première il entra dans l’autre : car nostre saint père luy sceut merveilleusement bon gré de ce qu’il avoit mené les Genevois qui plus luy souloient estre contraires que gens du monde à son obéissance. Si l’en benist moult et pria pour luy. Mais encore fit plus pour luy le mareschal ; car pour tousjours le tirera plus grand amour, luy presta en ses affaires de grands deniers, et lui fit maint secours à ses propres despens. Et tant alla la chose que le pape alla vers luy, et le mareschal lui fut à l’encontre, et le receut à très grande révérence et honneur, comme il debvoit faire. Et lors quand il le tint à séjour avec luy, le prist à enhorter que, pour le bien et la paix de l’Église et de toute chrestienté, il voulsist estre d’accord, comme il avoit autresfois promis à nosseigneurs de France, de céder toutes les fois que on auroit tant fait, ou par force ou par amour (à laquelle chose il travailleroit de toute sa force et puissance), que celuy de Rome cédast, et que requis en seroit. De ceste chose timonna le mareschal tant le pape, que il luy promit et jura que ainsi feroit-il sans faulte. Et ainsi parvint le dict mareschal à ses deux conclusions, dont si grand bien en est ensuivy, que les Romains, qui ont bien vu et sceu son intention, ont si redoubté et redoubtent sa vaillance, force et puissance, que après la mort du dernier leur antipape trespassé, voulrent eulx mesmes et requirent de leur bonne volonté, sans contrainte, c’est à savoir les cardinaulx de delà, par le consentement de ceulx de la cité, que un que ils eslurent céderoit et délaisseroit la chaire toutes les fois que le nostre ainsi le feroit, afin que par saincte et juste voye un seul pasteur fust eslu. Toutesfois ceste saincte volonté de céder et de prétendre à une union, qui est venu à nos adversaires, c’est à savoir aux cardinaulx de Rome, je tiens que ce soit œuvre du Sainct-Esprit, qui a pitié de son espouse la saincte Église, qui tant est désolée ; si la veult mettre en paix. Laquelle chose, si Dieu plaist, briefvement sera, et non par quelconque autre œuvre d’homme mortel ; combien que nous avons couleur de penser que le mareschal, comme dict est en soit cause, par ce que oncques mais, fors que lors que ils sceurent son intention, ne s’y vouldrent consentir. Si peut bien estre que ce y a valu. Si ne sera au plaisir de Dieu nul besoing de mouvoir guerre, et aurons vraye union, que Dieu nous octroye par sa grâce ! Combien que le faulx hypocrite que les cardinaulx de la partie de delà eslurent dernièrement, se monstra au premier bonne et saincte personne ; car il voua et promit de faict devant tous que il céderoit tantost et sans délay toutes les fois que le nostre le feroit, et ainsi le certifia par ses lettres à tous les rois et princes chrestiens : toutesfois ce ne fust fors que hypocrisie et feintise ; car sa volonté estoit toute plaine de fallace, comme à la fin y parut, et comme je diray cy après.