Livre des faits du bon messire Jean le Maingre, dit Bouciquaut/Partie III/Chapitre II
CHAPITRE II.
Environ ce temps advint que le jeune duc de Milan, et son frère le comte de Pavie, après la mort de leur père, qui avoit esté le premier duc de Milan, prirent consens aux Genevois tant que ils les assaillirent de guerre ; et avoient à leur solde et en leur ayde Facin Kan, lequel, comme assez de gens savent a esté long-temps et encore est le plus grand chevetaine de gens d’armes, et le plus renommé et craint qui soit ne ait esté en Italie bonne pièce a, et qui meilleures gens soubs soy communément a. Mais nonobstant sa force et hardiesse, et tout ce que il put faire, ne toute la puissance du duc de Milan, grande grévance ne reçurent mie de eux les Genevois ; car leur bon chevetaine et gouverneur bien les en sçut garder. Car n’avoient mie à faire à enfant ; mais à celuy qui tout duict et maistre estoit de mener telles danses, et qui peu les craignoit. Si fit assemblée contre eulx tantost le mareschal, et n’attendit mie que ils le venissent cercher, ains alla sur leur pays, et par telle vigueur prit à faire ce que à guerre appartient que toute leur terre espouventa, et en peu de temps leur porta grand dommage. Et pour dire en brief comment la chose fut démenée, et puis terminée, car long procés seroit à tout dire, et à raconter toutes les envahies et faicts d’entre eulx, ils se trouvèrent par plusieurs fois main à main ensemble. Mais sans faille oncques n’assemblèrent que ce ne fust tousjours au pire et au grand dommaige du duc de Milan, et qu’il n’y perdist moult de ses gens. Et malgré toute sa deffense le mareschal alla assiéger ses chasteaux et forteresses, et par force et de bel assault en prit plusieurs, quoy que ils se défendissent de toute leur puissance, et que par maintes fois Facin Kan venist sur eulx pour cuider lever le siége : mais tout ce rien ne leur valoit. Pour laquelle chose tant y fit et tant y exploicta le mareschal, que à brief parler le duc de Milan fut tout joyeux de pourchasser la paix, à laquelle moult se peina avant qu’il la pust avoir ; car à son grand tort la guerre avoit commencée. Toutesfois à la parfin le mareschal, qui en nul cas n’est trouvé desraisonnable, s’y condescendit. Et ainsi fut faicte la paix entre le duc de Milan et les Genevois, au profict du roy, et à l’honneur du mareschal, et au bien des Genevois.