Livre des faits du bon messire Jean le Maingre, dit Bouciquaut/Partie II/Chapitre VIII
CHAPITRE VIII.
Si fit tantost le saige gouverneur ses establissemens ; et ordonna que sur la place de la ville, laquelle est grande et belle devant le palais, auroit jour et nuict soubs diverses bannières et capitaines gens d’armes en suffisante quantité pour la garde du palais et de la ville. Après ce fut bien informé quels estoyent tenus les plus saiges et plus preud’hommes de la ville, et iceulx establit sur le fait de la justice. Et bien leur enchargea, que sans espargner homme quel qu’il fust, grand ou petit, justice gardassent, par telle règle de droict qu’il n’y pust appercevoir nulle fraude, ne que plainte en ouïst. Et si en aulcun d’eux pouvoit appercevoir faveur nulle à une partie plus que à l’autre, fussent tous seurs que il les en puniroit, que les autres y prendroient exemple. Et avec ce, afin que fraude n’y pust avoir, ordonna que on pust appeller du juge devant luy. Jà avoit estably ceulx qui seroient de son conseil, où il print des plus saiges anciens et des plus authorisés ; et par iceulx se conseilloit, selon leurs statuts et anciennes manières de gouverner le fait de la police à leurs coustumes. Item fit crier par toute la ville, et faire deffence sur peine de mort, que nul ne fust si hardy de courir sus l’un à l’autre, ne mouvoir sédition pour cause des parts de Guelphes et de Guibelins : mais fist chascun sa marchandise et son mestier, vescussent en paix, et n’eussent autre soing. Et que si nul leur faisoit tort, s’en plaignissent à la justice, et si justice ne leur faisoit droict, vinssent à luy, et droict leur seroit fait. Adoncques véissiez les bons marchans et hommes de bonne volonté, qui souloient musser le leur de peur d’estre robés de mauvaise gent, mener grand joye, et mettre hors leurs marchandises à plain, et par mer et par terre. Et les changeurs qui leur argent souloient tenir musse, et leur change clos (car s’ils les eussent ouverts, tantost eussent esté robés), prirent à ouvrir changes, et Leurs finances mettre dehors, et le fait des monnoyes tenir, comme il est de raison, apertement et à plain, sans peur ne crainte d’estre desrobés, et leurs riches joyaulx mettre en public sur celle belle place, où ces belles haultes tours et maisons toutes de pierres de marbre sont à l’environ. Et véissiez ouvrir de tous costés boutiques de toutes marchandises, et mettre dehors les trésors qui avoient esté mussés par grande pièce. Et ceulx de mestier, dont les plusieurs souloient estre robeurs, convint, s’ils vouloient vivre, eulx prendre à leurs labeurs et mestiers. Et ainsi se print chascun à faire ce qu’il sçavoit. Et par celles voyes et ces règles, la justice bien gardée, et le tout bien ordonné par le sens et prudhommie du bon gouverneur, se print tantost la police à bien amender.