Livre des faits du bon messire Jean le Maingre, dit Bouciquaut/Partie II/Chapitre II

Chap. III.  ►
PARTIE II.

CHAPITRE II.

Cy dit de la cité de Jennes, et de la tribulation où elle estoit avant que le maréchal en fust gouverneur.

Pour descendre au propos pour lequel j’ay faict ceste narration, et à quoy principalement veux tendre, est à sçavoir que, comme entre les autres cités d’Italie soit la riche, noble et ancienne cité de Jennes, fondée jadis par Janus, descendu des haultes lignées troyennes, icelle entre les flammes et feu maudict et maling dessus dict, ardoit comme les autres cités d’icelle pestilence, et tellement estoit jà consumée que en la ville n’y avoit plus bon homme, personne d’estat, ne qui aimast vie honnorable. Car n’est mie à entendre, quoy que je die de ceste douloureuse coustume qui court entre les Italiens, qu’il n’y ait de très vaillans gentils hommes, et de bons et honnestes prud’hommes qui ne voudroient fors bien, et qui dolens sont de ceste persécution ; car sans faillir, si a maint et grand foison, et qui volontiers y remédieroient s’ils pouvoient ; mais l’arrogance et l’orgueil que là a pris le commun peuple, en qui communément n’a grand’raison, ne laisse aux bons et saiges user de leurs vertus. Si n’avoit mais en ladite cité demeuré fors robeurs, mauvaises gens et sans honneur. Et adonc estoit la puissance de Jennes toute anéantie. Mais comme Dieu pourvoit estrangement aux choses quand il luy plaist, par le regard de pitié, par advanture pour le bien faict d’aucun de leurs prédécesseurs, ou peult estre à la prière ou pour le mérite de quelque bonne personne du pays qui dévotement en pria, ou peult estre pource que ne voult pas Dieu, pour le bien de la chrestienté, que telle noble cité fust destruicte, ou en luy rendant le mérite de ce que plusieurs fois les ennemis de la foy ont esté par elle guerroyés, l’a voulut Dieu relever et traire hors de l’arsure de sus dictes périlleuses flammes, et luy administrer remède et restauration de mort à vie.