Livre des faits du bon messire Jean le Maingre, dit Bouciquaut/Partie I/Chapitre XXIX

Chap. XXX.  ►
PARTIE I.

CHAPITRE XXIX.

Cy dict comment l’empereur de Constantinoble envoya requerir secours au roy contre les Turcs, et il y envoya le mareschal à belle compagnie (1399).

En celluy temps, lors que le mareschal estoit en Guyenne comme dict est, l’empereur de Constantinoble qui est appelle Karmanoli, envoya devers le roy un sien ambassadeur nommé Catocuseno, luy supplier que il le voulsist secourir et ayder contre les Turcs, car il ne pouvoit plus résister à leur force ; si luy plust estre en aide, à celle fin que luy et la noble cité de Constantinoble ne chussent ès mains des mescréans, car plus n’y savoit remède. Aultressi pour celle chose mesme, les Genevois et les Vénitiens qui de ce savoient la pure vérité, envoyèrent pareillement leurs ambassadeurs au roy, le supplier que il voulsist secourir le dict empereur, et que eulx aussi l’ayderoient, c’est à savoir chascune seigneurie de huit galées ; et se faisoient forts de ceulx de Rhodes. Lors si comme le roy se conseilloit que il estoit bon à faire de ceste chose, arriva le mareschal devers luy. Si fut regardé en conseil que, pour le bien de la chrestienté, et pour ayder à l’empereur qui au roy requéroit secours, bon seroit qu’il envoyast le dict mareschal ; car capitaine plus propice n’y pouvoit envoyer. Si en fut le roy d’accord, et luy ordonna quatre cens hommes d’armes et quatre cens varlets armés, et une quantité d’archers. De ceste commission fut joyeux le mareschal ; et fit telle diligence, que luy et ses gens, et son navire, et toutes choses nécessaires pour iceluy voyage furent prestes à la Sainct-Jean d’esté, à monter sur mer à Aiguesmortes, où le dict mareschal arriva deux jours après. Et là chargea quatre naves et deux galées, et de là se partit, et s’en allèrent avec luy le seigneur de Linières et messire Jean de Linières son fils. Le seigneur de Chasteaumorant, l’Ermite de la Faye, le seigneur de Montenay, messire François d’Aubrecicourt, messire Robin de Braquemont, messire Jean de Torsay, messire Louys de Culan, messire Robert de Milly, Messire Louys de Cervillon, messire Renault de Barbasan, messire Louys de Lugny, messire Pierre de Grassay qui puis porta la bannière de Nostre-Dame, et autres plusieurs bons chevaliers et escuyers de grand renom allèrent avec eulx, desquels je passe les noms pour cause de briefveté. Ainsi alla par mer le mareschal, tant qu’il vint prendre port à Savonne, et là fist toutes ses ordonnances ; et ordonna ses capitaines, et bailla à chascun telle charge que bon luy sembla, puis se partit de là pour aller à son voyage. Et ainsi comme il alloit, luy fut rapporté comment cinq galées des gens de messire Lancelas tenoient le siége devant une ville et bel chastel qui sied en une petite isle près de Naples, appellée Capri, laquelle dicte ville et chastel se tenoient pour le roy Louys. Si tost qu’il sceut ceste chose, il dist à ses gens qu’il vouloit aller secourir le chastel du roy Louys, et que chascun se mist en ordonnance. Si tira celle part : mais quant il y fut arrivé il trouva que ceulx du dict chastel s’estoient jà rendus ; toutesfois leur offrit-il son ayde contre les autres, et que ils se retournassent devers leur partie : mais le capitaine le refusa, comme traistre que il estoit au roy Louys. Et bien le monstra : car il jetta hors certains François qui léans estoyent, et le mareschal les recueillit et emmena avec luy. Mais il ne se tint mie à tant, ains alla pour escarmoucher les dictes galées, et icelles fuirent devant luy. Et comme il s’en retournoit et estoit remis en son chemin, il rencontra le comte de Peraude, lequel tenoit le party de Lancelas, auquel il donna la chasse, tant que par force les fit férir en terre, et saillir hors et s’enfuir ; et nos gens gaignèrent le navire et tout ce qui estoit dedans. Et ce fait se remit en son chemin et tira au royaume de Cecile, et alla descendre en une cité appellée Messine.