Lischen et Fritzchen



LISCHEN ET FRITZCHEN

SAYNÈTE EN UN ACTE

PAR

M. PAUL BOISSELOT

MUSIQUE DE

M. J. OFFENBACH

Représenté pour la première fois à Paris, sur le théâtre des Bouffes-
Parisiens, le 5 janvier 1864



PARIS
MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES ÉDITEURS
RUE VIVIENNE, 2 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15
À LA LIBRAIRIE NOUVELLE
1864
Tous droits réservés


Distribution de la pièce




LISCHEN, alsacienne, marchande de balais Mlle Zulma-Bouffar.
FRITZCHEN, alsacien, domestique M. Désiré.




Les deux acteurs doivent jouer toute cette pièce avec un accent alsacien très-prononcé.




La musique de cet ouvrage se trouve chez G. Brandus et S. Dufour, éditeurs, 103, rue de Richelieu, au premier.

Pour la mise en scène s’adresser à M. Desmonts, régisseur général au théâtre des Bouffes-Parisiens.



Un carrefour de route, à gauche la maison d’un marchand de vin, une table en dehors, à droite un petit banc de pierre.




Scène PREMIÈRE

FRITZCHEN.

Il entre du fond à droite en pleurnichant, il tient un bâton avec le petit paquet traditionnel. — Accent alsacien.

Air.
–––––––––––Me chasser,
–––––––––––Me forcer
–––––––––––À laisser
–––––––––––Mon service,
––––––––––Dieu quel caprice
–––––––––––Que voici
–––––––––––Quel merci
–––––––––––Paye ici
–––––––––––Mon office.
––––––––––Quelle injustice,
––––––––––Qu’ai-je donc fait ?
––––––––––Oui par quel trait
––––––––––Par quel méfait
–––––––––––Sanguinaire
––––––––Ai-je du vieux bourru
–––––––––––Encouru
–––––––––––La colère ?
––––––Tout ce qu’un maître nous demande,
––––––Devient sujet à contredit,
––––––C’est toujours bien quand il commande,
––––––Toujours mal quand on obéit.
––––––Ah ! nous sommes de pauvres êtres
––––––Quand ils nous ont dans leurs filets !
––––––Ce n’est qu’en n’ayant plus de maîtres
––––––Que seraient heureux les valets !

Savez-vous le prétexte qu’il prend pour me renvoyer, il prétend que je ne parle pas bien français. Pas bien français moi ! Je vous en fais juges. Il dit que je fais mal les commissions ; vous allez voir… Ah ! il faut vous dire que mon maître, il va se marier à une jeunesse… L’autre jour, il donnait un repas à sa future et à son père… c’était le deuxième… pas le deuxième père… non, le deuxième repas. « Fritzchen qu’il me dit… Fritzchen, au dernier dîner, j’ai remarqué que ma future adorait les bijoux ; elle s’extasiait sur la pierre que j’avais devant moi, je veux lui faire une surprise… Quand on sera à table, tu apporteras la pierre, et tu la mettras devant elle… » C’est bon ! que je dis. Certainement je m’étonnais de ce qu’il voulait de la bière pour sa future quand il a de si bon vin dans sa cave ; c’est mon seul regret de quitter la maison, mais un maître commande, il faut l’obéir. Je vas donc chez le brasseur, et quand le dîner est servi, je place devant la demoiselle ein sohoen klein glas de bière : tout le monde part d’un grand éclat de rire, excepté mon maître, qui se lève furieux, qui me fait une scène terrible et m’appelle imbécile et s’oublie jusqu’à me frapper devant tout le monde… mais pas devant moi.

REPRISE.
–––––––––––Me chasser,
–––––––––––Me forcer, etc, etc.

Ah ! mais v’là assez de pleurnicheries… Après tout c’est pas la mort d’un homme qu’une place perdue, je sais où aller, moi ! Faut pas croire que je suis venu au monde comme un champignon. J’ai un père, moi ! et une petite sœur. Et un père est toujours heureux de revoir l’enfant qu’il a porté dans son sein maternel. Je vas retourner au pays ; aussi bien ça me tenait au cœur, voilà dix ans que je ne l’ai vu, mon père, dix ans aussi que je n’ai pas vu ma petite sœur ; ça fait vingt ans ! et autant qu’ils ont été de leur côté sans me voir, ça fait quarante ans ! c’est trop ! Je vas casser une croûte et m’embarquer sur la terre ferme jusqu’à Brumath… Je me suis ménagé des provisions ; avec une bouteille de superflu que je vais prendre au compte de mon maître ; il me doit bien ça, je ne lui ai rien répondu ; mais je tiens à me venger comme il m’a outragé, outragé !… postérieurement. (Il entre chez le marchand de vin.)


Scène II

LISCHEN, avec des petits balais.
Air.
–––––––––––P’tits balais,
–––––––Je vends des petits balais.
––––––––––Qu’ils sont bien faits,
––––––––––Qu’ils sont proprets,
––––––––––––Coquets !
–––––Achetez-moi des petits balais.
––––––Voulez-vous, bonnes ménagères,
––––––Que tout soit bien propre chez vous,
––––––Chaises, buffets, table, étagères.
––––––Prenez mes balais pour deux sous.
––––––Voulez-vous, mères de famille,
––––––Eviter le fouet trop brutal,
––––––Tout en frappant garçon et fille ?
––––––Mes balais ne font pas grand mal.
––––––Enfin, sur vos paisibles couches,
––––––Voulez-vous un sommeil charmant ?
––––––Vous n’avez, pour chasser les mouches,
––––––Qu’à faire ainsi tout en dormant.

(Elle s’évente avec un balai.)

–––––––––––P’tits balais,
–––––––Je vends, etc.
––––––Mais, je ne vois venir personne
––––––Qui se dispose à m’acheter.
––––––Ah ! mon commerce s’enguignonne,
––––––Je ferai mieux de le quitter.
––––––J’ai fait Paris et les provinces,
––––––Les provinces ne m’ont donné
––––––Qu’un bénéfice des plus minces,
––––––Sans qu’à Paris j’aie étrenné.
––––––Je ne m’explique pas les causes
––––––Qui de là m’ont pu renvoyer,
––––––Il m’a semblé voir tant de choses,
––––––Qu’on eût bien fait de balayer.
–––––––––––P’tits balais,
–––––––Je vends, etc.
C’est égal, ça n’est pas encore ici que je me rattraperai. Décidément les acheteurs ne sont pas gentils ; c’est qu’ils ne se contentent pas toujours de passer sans vous regarder ; ils viennent à vous comme s’ils allaient faire du commerce, et ils se gaussent tout bonnement de votre mise et de votre accent, quoi ! D’ailleurs mon accent ! est-ce que c’est ma faute ? je parle comme on parle chez nous. Pour ma mise, eh bien, qu’est-ce qui veulent donc ? Il n’est pas joli ce petit déshabillé-là ? Ça fait pitié… Bah !… j’ai presque de quoi retourner jusqu’au pays, moitié en patache et moitié à pied… avec quelques gros sous de plus. Voyons, je vais faire comme les hannetons, compter mes écus… dans ma poche, quatre gros sous… et neuf petits : dix-sept, et, dans mon portefeuille… voyons… (La lettre tombe.) Ma lettre, ma pauvre lettre ! Oh ! j’enrage-t’y de ne pas savoir lire… Mais depuis qu’un malin m’a joué un vilain tour en me lisant un jour tout le contraire de ce qu’on m’avait écrit, j’ose pus me confier à personne. C’est que c’est de mon bon papa, ça, et je veux pas que l’on me trompe sur ce qu’il me dit, le cher homme ; le premier garde champêtre que je rencontre… (Elle s’assied.) Voyons mes pièces blanches.

Scène III

LISCHEN, FRITZCHEN.
FRITZCHEN, sortant de chez le marchand de vin avec une bouteille qu’il pose sur la table avec son paquet.

V’là un petit vin qui ne me coûtera pas plus que l’eau de notre réservoir. Mon maitre le trouvera peut-être un peu cher puisque j’ai pas marchandé, mais à c’t’heure je serai loin.

LISCHEN.

Vingt-deux francs. (Elle serre son portefeuille.)

FRITZCHEN.

Hein !

LISCHEN.

Vingt-deux francs… dix-sept sous.

FRITZCHEN.

Tiens un femme !

LISCHEN.

Tiens ! un homme.

FRITZCHEN.

Et bigrement gentille !

LISCHEN.

Il n’est pas joli, joli.., mais il a quelque chose entre les deux yeux… et puis il a un joli chapeau.

FRITZCHEN.

Si je lui parlais ?

LISCHEN.

S’il pouvait me renseigner sur une patache.

FRITZCHEN.

Mam’zelle ?

LISCHEN.

Monsieur !

FRITZCHEN.

Mam’zelle, savez-vous que vos joues ils sont fraîches comme une pomme d’api.

LISCHEN, à part.

Oh ! le malhonnête, il m’a entendu compter mon argent et il contrefait mon parler.

FRITZCHEN.
Hein ! le savez-vous ?
LISCHEN.

Vous feriez bien mieux de me dire si la patache passe de ce côté-ci, le savez-vous ?

FRITZCHEN.

La patache ! la patache ! Oh ! voyez-vous l’impertinente avec son air narquois… elle a saisi mon petit accent, et elle me caricature… Vous devriez rougir ! tenez !

LISCHEN.

De quoi ? de ce que vous vous moquez de moi.

FRITZCHEN.

Eh ! oui, allez toujours.

LISCHEN.

C’est vous, qui me faites pas grâce : tenez, vous êtes un malotru.

FRITZCHEN.

Et vous, une péronnelle.

LISCHEN.

Et vous, un butor !

FRITZCHEN.

Et vous, une gredine !

LISCHEN.

Et vous, un… pas grand’chose.

FRITZCHEN.

Se moquer d’un pauvre garçon !… qui ne dit rien à personne.

LISCHEN.

C’est vous qui attaquez une jeunesse tranquille.

FRITZCHEN.

Moi ? et en quoi donc, s’il vous plait ?

LISCHEN.

En imitant l’accent que j’ai, mauvais plaisant.

FRITZCHEN.

Que vous avez ? que vous avez ? je connais cette farce ; que vous prenez…. pour gouailler le mien.

LISCHEN.

Comment ? votre langage serait…

FRITZCHEN.

Vot’ jargon ne serait pas… une plaisanterie ?

LISCHEN.
Vous seriez… ?
FRITZCHEN.

De l’Alsace… et vous ?

LISCHEN.

Moi !

DUO.
LISCHEN.
–––––––––Je suis Alsacienne.
FRITZCHEN.
–––––––––Je suis Alsacien.
LISCHEN.
–––––––––Quand une Alsacienne
–––––––––Trouve un Alsacien.
FRITZCHEN.
–––––––––La main dans la sienne,
–––––––––Chantant leur lien.
LISCHEN.
–––––––––Top ! dit l’Alsacienne,
FRITZCHEN.
–––––––––Top ! dit l’Alsacien.
ENSEMBLE.
–––––––––Oh ! hé ! etc,
––––Jucche ! das Leben ist doch eine Freude
––––Jucche ! das Leben ist doch ein plaisir[1].
FRITZCHEN.
–––––––––Vive nos ballades,
–––––––––Nos vieilles chansons !
LISCHEN.
–––––––––Nos folles gambades
–––––––––Sur nos frais gazons.
FRITZCHEN.
–––––––––C’est dans nos familles
–––––––––Qu’on voit, Dieu merci,
LISCHEN.
–––––––––Les plus belles filles,
–––––––––Je dois croire ainsi
–––––––––C’est dans nos villages
–––––––––Qu’on voit de tout temps
FRITZCHEN.
–––––––––Des heureux ménages
–––––––––De nombreux enfants.
–––––––––Qui comme père et mère
–––––––––Chantent d’une voix fière :
REPRISE ENSEMBLE.
––––Jucche das Leben, etc.
LISCHEN.
––––––––Rien ne vaut nos campagnes
––––––––Nos vallons, nos torrents !
FRITZCHEN.
––––––––Rien ne vaut nos montagnes,
––––––––Et nos prés odorants !
LISCHEN.
––––––––Rien ne vaut nos gambades
––––––––Sur nos riants gazons.
FRITZCHEN.
––––––––Au pays d’où nous sommes
––––––––Je sais qu’on dit aussi
––––––––N’avoir que de beaux hommes…
––––––––Et je dois croire ainsi.
ENSEMBLE.
––––––––Bref, pas un mortel, fut-ce
––––––––Un Anglais, un Danois
––––––––Ou Grec, ou Turc, ou Russe,
––––––––Suisse, Italien, Hongrois,
––––––––Ne peut à ma manière
––––––––Chanter d’une voix fière
–––––––––––––Ah !
–––––––––Je suis Alsacienne, etc.
LISCHEN[2].

Ach ! was ist das doch ein Glück so ein Landsmann zu finden.

FRITZCHEN.

Ja, ja !

LISCHEN.

Was ist das ein plaisir !

FRITZCHEN.

Ja, ja !

LISCHEN.
Und noch ein gross’res Glück, wenn man so eine Landsmannin findet !
FRITZCHEN.

Ja, ja ! (Après la conversation allemande Fritschen veut l’embrasser ; elle refuse.) Gub mir ein Schmatz ?

LISCHEN.

Nur nicht so hilzig[3].

FRITZCHEN.

Vous êtes si gentille.

LISCHEN.

Je le sais bien.

FRITZCHEN.

Et moi je suis aussi un beau garçon.

LISCHEN.

Oh ! pour ça !…

FRITZCHEN, à part.

Elle en doute. (Il l’embrasse.)

LISCHEN.

Non, non, non, assez.

FRITZCHEN.

Et comme ça vous étiez en service de ce côté ?

LISCHEN.

Du tout, monsieur, je suis commerçante.

FRITZCHEN.

Ah !… commerçante ! et de quoi ?

LISCHEN.

Comment ? de quoi ? vous voyez bien. (Elle montre ses balais.) Je vends des palais.

FRITZCHEN.

Ah ! comme vous dites mal, on ne dit pas palais : on dit palais, et, vous dites palais.

LISCHEN.

Eh bien, et vous ?

FRITZCHEN.

Je dis palais.

LISCHEN.
Eh bien, c’est vous qui dites mal, on entend palais, moi je dis des palais. Lassen sie mich doch gehen ![4]
FRITZCHEN.

À la bonne heure, j’accepte vos excuses ; maintenant vous dites comme moi !… et c’est y bon le petit commerce ?

LISCHEN.

Mauvais comme tout, mon pauvre pays ! ils traitent mes palais de superflus.

FRITZCHEN.

Oh ! les malhonnêtes ! Attendez, je vas faire remonter l’article, moi ; donnez-m’en un pour deux sous.

LISCHEN.

En v’là deux, mais qu’est-ce que vous en ferez ?

FRITCHEN.

J’ai oublié mon démêloir et ma brosse à dents ; ça les supplémentera.

LISCHEN.

Il est bien loustic mon pays, et puis il a un bien joli chapeau. Ah ! vous êtes bien aimable.

FRITZCHEN.

Et vous bigrement gentille, et j’ajouterais bien un baiser au payement de la marchande.

LISCHEN.

Oh ! je n’aurais pas de quoi vous rendre.

FRITZCHEN.

Oh ! en cherchant bien… (A part.) Mein Gott ! comme elle me va, la payse !… ça ferait une jolie petite femme tout d’même, si on était sûr que… mais on n’est jamais sûr que… la jeunesse est si fragile… Et vous retournez au pays ?

LISCHEN.

Oui !

FRITZCHEN.

Eh bien, puisque nous allons tous les deux en Alsace, nous allons toujours faire un brin de route ensemble.

LISCHEN.

Mais je veux bien.

FRITZCHEN.

Et nous allons auparavant nous donner des forces dans les jambes en les faisant passer par nos estomacs… Avez-vous faim ?

LISCHEN.

Oh ! oui. (Elle s’assied sur le banc et tire de son sac du pain noir et du fromage.)

FRITZCHEN, à la table.
Eh bien, venez par ici.
LISCHEN.

Je vous remercie, j’ai tout ce qu’il me faut.

FRITZCHEN.

Comment ! du pain noir et du fromage ? Du fromage, c’est bon pour le dessert ; mais regardez donc par ici. (Vidant sa valise.) Une cuisse de canard, du pâté, du bœuf piqué, de l’oie, une tranche de veau, une saucisse fumée, un morceau de gâteau de riz, il faut toujours avoir une poire pour la soif ; un petit doigt de vin, du fameux, allez.

LISCHEN.

Oh ! c’est très-appétissant, mais je mange ça de bon cœur.

FRITZCHEN.

Mais venez donc, venez.

LISCHEN.

Ah ! dame, vous insistez tant.

FRITZCHEN.

Quand j’ai du chagrin, il y a une chose qui me console, toujours c’est que j’ai de l’appétit. (Lischen s’approche, quand elle est près de la table, on entend un bruit de cor. Fritzchen bondit sur son siège.)

LISCHEN.

Qu’est-ce qui vous prend donc ?

FRITZCHEN.

C’est que mon maître chasse dans les environs et je croyais avoir entendu le son du cor.

LISCHEN.

Ah ! vous voyez bien que j’avais raison de rester dans mon coin et de me contenter… de mon pain et de mon fromage.

FRITZCHEN.

C’était une fausse alerte, je m’étais trompé. Venez, venez, mais venez donc.

LISCHEN.

Non, non… et tenez votre peur me rappelle une petite fable que je chantais et qui m’a fait gagner bien des sous quand les balais étaient en baisse.

FRITCZHEN.

Une fable ?

LISCHEN.

Le rat de ville et le rat des champs.

FRITZCHEN.
Ça doit être gentil ! Eh bien, je vous donne deux sous pour la chanter… De qui est-elle ?
LISCHEN.

C’est de la Fontaine.

FRITZCHEN.

La musique doit être fraiche, puisqu’elle vient de la fontaine… Ah ! ah ! ah ! ah ! la fable ! la fable !

LISCHEN.
Air.
–––––––Un jour un rat de ville
–––––––Invita le rat des champs,
–––––––D’une manière fort civile,
–––––––À manger des plats friands,
–––––––Sur un cachemir des Indes,
–––––––Le couvert se trouva mis,
–––––––Restants de gigots, de dindes
–––––––Quell’ noc’ pour les deux amis,
–––––––Le régal fut fort honnête,
–––––––Mais les médaill’s ont des revers ;
–––––––Or quelqu’un troublant la fête,
–––––––Les fit avaler de travers.
–––––––C’est du côté de l’alcôve
–––––––Qu’ils entendirent du bruit ;
–––––––Le rat de ville se sauve,
–––––––Le rat des champs le suit.
–––––––Le bruit cesse, on se hasarde,
–––––––Le citadin veut revenir,
–––––––Et dit à la campagnarde
–––––––Y a le croupion zà finir.
–––––––Non ! dit l’autr’ je reprends ma route,
–––––––Demain vous viendrez chez moi
–––––––De vrai, j’ n’ai que d’la choucroute,
–––––––Au lieu de vos morceaux de roi ;
–––––––Mais mes joies ne sont pas fausses
–––––––Je mang’ sans tribulations,
–––––––Et je m’ fiche de bonnes sauces
–––––––Qui donnent des indigestions.
FRITZCHEN.

Bravo, la chanteuse, bravo ! vous chantez comme un petit rossignol ! c’est vrai, ça, mais ce qui est plus vrai encore, c’est que vous êtes un petite rate à croquer. (À part.) Oh ! je suis dans le ravissement de l’amour, jusqu’à la pointe des cheveux… je vous ai pas assez payée, il faut que je vous embrasse encore.

LISCHEN.

Du tout, du tout, vous me payez trop de cette monnaie-là.

FRITZCHEN.

Eh bien, voyons, rien qu’un petit baiser. (Il veut l’embrasser.)

LISCHEN, saisissant ses balais.
Ah ! vous savez qu’il me reste des balais.
FRITZCHEN.

Bigre ! elle est sage la payse, c’est une vertu. C’est égal, ça ferait une jolie petite femme tout de même. Dites donc, est-ce que vous avez un amoureux ?

LISCHEN.

Non, mon Dieu !

FRITZCHEN.

Non ! eh bien, nous allons faire route ensemble, je vous conduirai dans votre famille, j’ai un projet, et là je verrai à voir ce que j’aurai à faire… Topez-y t’y, vous ?

LISCHEN.

Qué dit, qué fait, topez !

FRITZCHEN.

C’est ça, faisons nos paquets pour nous mettre en route. (Ils font leurs paquets.) Et votre village, c’est ?

LISCHEN.

Brumath.

FRITZCHEN.

Comment que vous dites ça ?

LISCHEN.

Brumath.

FRITZCHEN.

Tarteifle ! c’est aussi le mien.

LISCHEN.

Vraiment ?

FRITZCHEN.

Oui ! et votre père, c’est qui ?

LISCHEN.

Non, le vôtre ?

FRITZCHEN.

Non, vous ?…

LISCHEN.

Mais je m’appelle Lischen Freulisch.

FRITZCHEN.

Et moi Fritzchen Freulisch.

LISCHEN.

Mon frère !

FRITZCHEN, tombant assis.

Ma sœur !…

LISCHEN.

Ah ! comment c’est là la joie de retrouver une petite sœur que tu n’as pas vue depuis dix ans !

FRITZCHEN.
Pardonne-moi, vois-tu, la joie, l’émotion, la fable !… et puis je m’attendais si peu !… Sais-tu que tu es joliment changée ?
LISCHEN.

Et toi donc !

FRITZCHEN.

Et renforcie !

LISCHEN.

Et toi donc !

FRITZCHEN.

Et embellie.

LISCHEN.

Et toi… donc… oh !… c’est-à-dire…

FRITZCHEN.

Comment ? c’est-à-dire…

LISCHEN.

T’as pas changé, sous ce rapport-là.

FRITZCHEN.

Mais comment not’ père t’a-t-il laissé partir ?

LISCHEN.

J’ai voulu gagner un peu d’argent pour l’aider, le pauvre cher homme, je suis partie avec plusieurs petites filles ; elles se plaisent à Paris, les autres, mais moi, je m’ennuyais là-bas, loin de tous ceux que j’aime.

FRITZCHEN, l’embrassant.

Bonne Lischen, bonne sœur… Das is goutt… c’est y contrariant qu’elle soit… au moment où… allons ! allons, je deviens bête à présent.

LISCHEN, à part.

Mais qu’est-ce qu’il a donc ?… Sais-tu bien que tu n’as pas l’air enchanté du tout de m’avoir retrouvée ?

FRITZCHEN.

Je réfléchis… je pense que si on ne savait pas… on pourrait comme ça… au bout de quelque temps… c’est désolant ça.

LISCHEN, lui prenant le bras.

Maintenant quel joli voyage nous allons faire ensemble.

FRITZCHEN.

Oui, quel joli voyage, nous allons faire… tous… les deux… Mais non, je réfléchis, je ne peux pas partir avec toi.

LISCHEN.

Comment, tu me laisserais partir seule ?

FRITZCHEN.
Oui ; il faut que je songe à gagner un peu d’argent, j’ai deux bons bras, je veux être cocher. Not’ père, il n’en a pas plus qu’il faut, et puis ce sera assez de toi dans la maison.
LISCHEN.

Mais tu me proposais tout à l’heure de…

FRITZCHEN.

Oui, mais j’ai réfléchi… ça ne se peut pas.

LISCHEN.

Cependant… voyons… viens donc.

FRITZCHEN.

C’est impossible, ça ne se peut pas… ça ne se peut pas.

LISCHEN.

Et pourquoi ?

FRITZCHEN.

Parce que, ça ne se peut pas ; tu comprends, ma petite Lischen, la société a ses lois, mon Dieu, c’est, comme ça, elle les a… Vois-tu, on arrive dans le monde, on y trouve une petite femme gentille à en mourir… et puis pas du tout, parce que sans vous en avoir prévenu… il se trouve… qu’elle a ses lois… la société… voilà pourquoi, ça ne se peut pas… Oh mais, c’est égal (pleurant) je suis bien content. Oh ! mais là bien content de t’avoir retrouvée, mais enfin, ça ne se peut pas.

LISCHEN.
FINAL.
–––––––Quoi ! Fritschen, sans qu’il t’en coûte,
–––––––Tu m’isoles sur la route,
–––––––Mais tu ne m’aimes donc pas ?
FRITZCHEN.
–––––––Moi ne pas t’aimer, hélas !
LISCHEN.
–––––––Mais quand on s’aime, il me semble
–––––––Que l’on doit rester ensemble.
FRITZCHEN.
–––––––Dût le cœur se déchirer,
–––––––Il est un moment suprême,
–––––––Lischen, où plus on s’aime,
–––––––Plus il faut se séparer,
–––––––––Mon chemin est là.

(A gauche.)

LISCHEN.
–––––––––Le mien le voilà.

(A droite.)

ENSEMBLE.
–––––––De son côté chacun ira ;
–––––––Mais sur tous deux Dieu veillera.
FRITZCHEN.
–––––––Mais en route pour te mettre,
–––––––L’argent te manque peut-être,
–––––––Donne ta bourse, en voici.
LISCHEN.
–––––––J’accepte, frère, merci.

(Elle ouvre son porte-monnaie et laisse tomber sa lettre.)

FRITZCHEN.
–––––––Une lettre !
LISCHEN.
–––––––Une lettre ! Ma pauvre lettre,
––––Oui c’est le père Schwartz, en passant à Paris,
––––––––Qui me l’a fait remettre.
FRITZCHEN.
–––––––Que vois-je ? ah ! mais vraiment,
–––––––C’est écrit par notre vieux père.
LISCHEN.
––––––––Tu lis donc couramment,
–––––––Quel bonheur ! lis donc vite, mon frère.
ENSEMBLE.
––––––––Voyons vite, lisons
––––––––Commençons, commençons.
FRITZCHEN, lisant.

« Ma chère Lischen, je t’écris à peine relevé d’une maladie qui a failli me tuer ; j’ai compris qu’il fallait que je te dise un secret que je cache depuis longtemps. » (Parlé.) Un secret ! (continuant.) « Une de mes sœurs avait été trompée ; je recueillis l’infortunée pour cacher la honte de la famille, elle allait donner le jour à un petit innocent, presque en même temps que ma femme. Grâce à cette circonstance et à la discrétion du brave médecin qui nous secondait, tout le village me crut père de deux jumeaux. Voilà la vérité, que j’ai cru te devoir, je n’en compte pas moins sur ton amour de fille, comme tu peux compter sur mon amour de père, au logis comme dans mon cœur, tu seras toujours la petite sœur de Fritzchen. »

FRITZCHEN.
–––––––Ah ! bonheur, Lischen, Je tremble
––––––––––Partons ensemble.
–––––––Et de quelle nouvelle ardeur
–––––––Nous pourrons répéter en chœur
ENSEMBLE.
–––––––––Je suis Alsacienne,
–––––––––Je suis Alsacien, etc.


FIN.
  1. Ah ! ah ! la vie est une joie. La vie est un plaisir.
  2. LISCHEN.

    Ah ! quel bonheur de retrouver aussi un compatriote !

    FRITSCHEN.

    Oui, oui !

    LISCHEN.

    Ah ! c’est un grand plaisir !

    FRITSCHEN.

    Oui ! oui !

    LISCHEN.

    Mais c’est encore plus heureux quand on trouve une compatriote comme moi.

  3. FRITSCHEN.

    Oui, oui, donnez-moi un baiser !

    LISCHEN.

    Calmez-vous un peu !

  4. LISCHEN.

    Laissez-moi donc tranquille !