Lieds Bretons
Revue des Deux Mondes, période initialetome 14 (p. 141-142).
X.
DANS LES BOIS


Il est au fond des bois, il est une peuplade
Où, loin de ce siècle malade,
Souvent je viens errer, moi, poète nomade.

Là, tout m’attire et me sourit,
La sève de mon cœur s’épanche, et mon esprit,
Comme un arbuste, refleurit.


Sous ces bois primitifs que le vent seul ravage,
    Je sens éclore à chaque ombrage
Un vers franc imprégné d’une senteur sauvage.

    Devant mon regard enchanté,
Jeunes filles, enfans empourprés de santé,
    Passent dans leur virginité.

J’aide dans les sillons le soc opiniâtre ;
    Pasteur, je chante avec le pâtre ;
La fileuse m’endort, le soir, au coin de l’âtre.

    Puis, dès l’aube, je vois les jeux
De l’oiseau qui sautille entre les pieds des bœufs
    Et près des sources pond ses œufs.

Ô chère solitude ! — Et pourtant, je le jure,
    Arts élégans, bronze, peinture,
Je vous aime, rivaux de cette âpre nature !

    Me préservent les justes dieux
De vous nier jamais, symboles radieux,
    Charmes de l’esprit et des yeux !

Et si, vivant d’oubli dans cette humble Cornouaille,
    J’entends vos clameurs de bataille,
Saints martyrs de Pologne ou d’Eir-Inn, je tressaille !


A. Brizeux.