Lettres de saint Augustin quatrième série


LETTRES DE SAINT AUGUSTIN.



QUATRIÈME SÉRIE.


LETTRES SANS DATE.

LETTRE CCXXXII[1].


Dans cette belle et éloquente lettre adressée aux païens de Madaure, saint Augustin ramasse ce qu’il y avait de plus capable de frapper leur esprit : on n’a jamais mieux parlé de l’établissement du christianisme. Il nous semble impossible qu’au temps où nous sommes, un homme du monde qui n’est pas chrétien, lise sans profit ces pages écrites il y a tant de siècles.

AUGUSTIN À SES HONORABLES SEIGNEURS ET BIEN-AIMÉS FRÈRES LES CITOYENS DE MADRURE, DONT IL À REÇU UNE LETTRE PAR SON FRÈRE FLORENTIN[2].

1. Si la lettre que j’ai reçue m’est adressée par les chrétiens catholiques qui se trouvent dans votre ville, je m’étonne qu’elle ne le soit point en leur nom, mais qu’elle le soit au nom de vous tous. Si au contraire c’est vous tous, hommes de la cité, ou presque tous, qui avez bien voulu m’écrire, je suis surpris que vous m’appeliez « votre père, » et qu’en tête de votre lettre vous ayez tracé ces mots : « Salut dans le Seigneur. » Car votre attachement au culte des idoles m’est connu, et c’est pour moi une grande douleur : il est plus aisé de fermer vos temples que de fermer vos cœurs aux idoles, ou plutôt vos idoles sont bien plus dans vos cœurs que dans vos temples. Songeriez-vous enfin, par une considération prudente, à ce salut dans le Seigneur par lequel vous avez voulu me saluer ? S’il n’en est pas ainsi, comment ai-je blessé, comment ai-je offensé votre bienveillance, pour mériter que vous m’ayiez donné, en commençant votre lettre, un titre qui serait plutôt une raillerie qu’une marque de respect, ô mes honorables seigneurs et bien-aimés frères ?

2. En lisant ces mots : « À notre père Augustin, salut éternel dans le Seigneur, » j’ai tout à coup senti dans mon cœur une grande espérance ; je vous croyais convertis au Seigneur et au salut éternel, ou désireux de l’être par mon ministère. Mais en lisant le reste de la lettre, j’ai senti d’autres pensées entrer dans mon cœur. J’ai pourtant demandé au porteur si vous étiez chrétiens ou si vous souhaitiez de l’être. Ayant appris par sa réponse que vous n’étiez pas changés, je me suis affligé de votre persistance à repousser le nom du Christ, à l’empire duquel le monde entier est soumis, vous le voyez ; et je me suis affligé aussi que vous l’ayez raillé dans ma personne. Car je ne connais pas d’autre Seigneur que le Christ, en qui vous puissiez appeler un évêque votre « père ; » et si un doute était possible à cet égard, il disparaîtrait par ces mots de la fin de votre lettre : « Nous souhaitons que vous jouissiez, en Dieu et en son Christ, d’une longue vie au milieu de votre clergé. » Après avoir tout lu et tout examiné, j’ai dû voir là, et tout homme y verra, un langage sincère ou un mensonge. Si vous pensez ce que vous écrivez, qui donc vous empêche d’arriver à la vérité ? Quel ennemi oppose à vos efforts des ronces et des précipices ? Enfin, qui ferme à vos désirs l’entrée de l’Église, pour que vous n’ayez pas avec nous le salut dans le même Seigneur, par lequel vous me saluez ? Mais si vous m’avez écrit de cette manière par un mensonge et une moquerie, pourquoi venir me charger du poids de vos affaires et oser refuser, au nom de Celui par qui je puis quelque chose, le respect qu’il mérite et lui adresser même d’insultantes flatteries ?

3. Sachez, mes frères bien-aimés, que je vous dis ceci avec un ineffable tremblement de cœur pour vous ; car je sais combien votre situation deviendra plus grave et plus mauvaise auprès de Dieu, si je vous le dis en vain. Tout ce qui s’est passé dans le monde, et que nos pères nous ont transmis ; tout ce que nous voyons et nous transmettons à la postérité, en ce qui concerne la recherche et la pratique de la vraie religion ; tout cela est renfermé dans les divines Écritures : tout se passe pour le genre humain comme les Livres saints l’ont prédit. Vous voyez le peuple juif chassé de son pays et dispersé dans presque toutes les contrées de l’univers : l’origine de ce peuple, son accroissement, la perte de sa souveraineté, sa dispersion sur la terre se sont accomplis comme les Écritures les ont annoncés. Vous voyez que la parole et la loi de Dieu, sorties du milieu des Juifs par le Christ, né miraculeusement parmi eux, sont devenues la foi de toutes les nations ; nous lisons la prédiction de toutes ces choses comme nous en voyons l’accomplissement. Vous voyez des portions retranchées du tronc de la société chrétienne, qui se répand dans le monde par les siéges apostoliques et la succession des évêques ; nous les appelons des hérésies et des schismes ; elles se couvrent du nom chrétien, parce que leur origine fait toute leur gloire ; elles se vantent d’être du bois de la vigne, mais c’est du bois coupé. Tout cela a été prévu, écrit et prédit. Vous voyez les temples païens tomber en ruine sans qu’on tes répare, ou bien renversés, ou fermés, ou servant à d’autres usages ; les idoles brisées, brûlées, cachées ou détruites. Les puissances de ce monde, qui jadis persécutaient le peuple chrétien à cause de ces idoles, sont vaincues et domptées, non point par la résistance, mais par la mort des chrétiens ; ces puissances tournent leurs lois et les coups de leur autorité contre ces mêmes idoles, pour lesquelles auparavant elles égorgeaient les chrétiens : vous voyez les chefs du plus illustre empire, après s’être dépouillés du diadème, s’agenouiller et prier au tombeau du pêcheur Pierre.

4. Les Écritures divines, qui sont déjà entre les mains de tout le monde, ont depuis très-longtemps prédit toutes ces choses. Leur accomplissement nous donne d’autant plus de joie et fortifie d’autant plus notre foi, que nous les voyons prédites dans nos saints livres avec une autorité plus grande. Lorsque toutes les prophéties s’accomplissent, devons-nous penser, je vous le demande, devons-nous penser que le jugement de Dieu, qui d’après ces mêmes livres doit séparer les fidèles des infidèles, soit la seule chose qui n’arrivera pas, viendra sûrement comme tout le reste est venu ? Pas un homme de notre temps ne pourra, au jour de ce jugement, se justifier de n’avoir pas cru ; car le nom du Christ remplit le monde entier l’honnête homme l’invoque comme garantie de l’équité de ses œuvres, le parjure pour couvrir son mensonge ; le roi pour gouverner, le soldat pour combattre ; le mari pour promettre de se bien conduire, et l’épouse, pour promettre la soumission ; le père pour ordonner, et le fils pour obéir ; le maître pour commander doucement, et le serviteur pour bien servir ; l’humble pour s’exciter à la piété, et l’orgueilleux pour s’exciter à faire, lui aussi, de grandes choses ; le riche pour donner, et le pauvre pour recevoir ; l’intempérant, autour de la coupe qui lui verse l’ivresse, et le mendiant à la porte ; le bon pour garder sa parole, et le méchant pour tromper ; le chrétien dans la piété de son culte, le païen dans ses flatteries ; tous célèbrent le Christ, et ils rendront compte un jour de la manière dont ils auront invoqué son nom.

5. Il est un Être invisible, principe, créateur de toutes choses, souverain, éternel, immuable, connu de nul autre que de lui-même. Il y a un Verbe par lequel cette suprême majesté se raconte et s’annonce ; il est égal à Celui qui l’engendre et qui se révèle par lui. Il y a une Sainteté qui sanctifie tout ce qui devient saint ; elle forme l’union indestructible et indivisible du Verbe immuable par lequel le Principe se révèle, et du Principe lui-même qui se raconte au Verbe son égal. Qui pourrait atteindre, avec le regard de l’esprit, à ce que je viens de m’efforcer inutilement de dire ? Qui pourrait pénétrer dans ces profondeurs infinies, arriver ainsi à la béatitude, s’y oublier soi-même dans une sorte de défaillance à force de ravissement. Et se plonger de plus en plus dans ce qui est invisible ? Ce serait se revêtir de l’immortalité et obtenir le salut éternel par lequel vous avez bien voulu me saluer. Qui pourrait cela, si ce n’est celui qui, par l’aveu de ses péchés, aurait abattu son orgueil et se serait fait doux et humble pour mériter que Dieu l’instruise ?

6. Donc, comme il faut d’abord descendre de l’orgueil à l’humilité afin de monter ensuite à une grandeur solide, il n’y avait pas de manière plus magnifique et plus douce de nous y convier, pour réprimer notre arrogance non point par la force, mais par la persuasion, que l’exemple de ce Verbe par lequel Dieu le Père se montre aux anges, qui est la vertu et la sagesse de Dieu, qui ne pouvait pas être vu du cœur humain aveuglé par l’amour des choses visibles : ce Verbe a daigné se faire homme et se montrer sous une forme semblable à la nôtre, afin que l’homme craigne bien plus de s’élever par l’orgueil de l’homme que de s’abaisser par l’exemple d’un Dieu. Aussi le Christ prêché dans le monde entier n’est pas le Christ revêtu de la splendeur royale, ni le Christ riche des biens humains, ni le Christ tout éclatant des félicités de ce monde, c’est le Christ crucifié. C’est ce qui a été d’abord le sujet des railleries des superbes et l’est encore des restes de ces orgueilleux du monde ; il n’y a eu d’abord qu’un petit nombre de croyants, ce sont les peuples en masse qui maintenant embrassent la foi. Pendant qu’aux premiers jours on prêchait le Christ crucifié, les boiteux marchaient, les muets parlaient, les sourds entendaient, les aveugles, voyaient, les morts ressuscitaient c’était une réponse aux moqueries des peuples, et la foi s’établissait. L’orgueil de la terre s’est enfin aperçu qu’il n’y a rien de plus puissant ici-bas que l’humilité d’un Dieu[3], et dès lors les hommes, soutenus par un exemple divin, ont pu livrer d’utiles combats contre leur orgueil.

7. Réveillez-vous donc, mes frères de Madaure, vous qui avez été aussi mes pères[4] ; c’est Dieu qui m’offre cette occasion de vous écrire. Avec la volonté de Dieu j’ai fait ce que j’ai pu pour l’affaire de mon frère Florentin qui m’a remis votre lettre ; mais l’affaire aurait pu aisément s’arranger sans moi. Presque tous les habitants d’Hippone sont de la famille de Florentin ; ils le connaissent et le plaignent beaucoup de son veuvage. Mais la lettre que vous m’avez écrite fait que la mienne ne paraît pas trop osée lorsque, profitant de l’occasion que vous me donnez, elle parle du Christ à des idolâtres. Je vous en conjure, si ce n’est pas pour rien que vous avez prononcé son nom dans votre lettre, que ce ne soit pas pour rien que la mienne vous arrive. Si vous avez voulu vous moquer de moi, craignez Celui dont le monde superbe s’est d’abord moqué. Il l’a jugé à sa manière, et, aujourd’hui soumis à son empire, il l’attend pour juge. L’affection de mon cœur pour vous, que j’exprime comme je le puis dans cette page, vous servira de témoin devant le tribunal de Celui qui confirmera ceux qui auront cru en lui, et confondra les incrédules. Que le Dieu unique et véritable vous délivre de toute vanité du siècle et vous convertisse à lui, ô mes bien-aimés frères et honorables seigneurs !

LETTRE CCXXXIII.


Charmante et curieuse lettre de saint Augustin adressée à un philosophe païen. Rien n’est plus attachant que cette façon pacifique et bienveillante de questionner un homme éclairé, encore retenu dans les ombres du polythéisme.

AUGUSTIN À LONGINIEN.

On dit qu’un ancien répétait souvent qu’il est aisé de tout apprendre à ceux qui déjà ne trouvent rien de meilleur que d’être hommes de bien. Longtemps avant ce mot, qui est de Socrate, autant que je puisse m’en souvenir, un prophète avait brièvement et tout ensemble enseigné à l’homme à n’aimer rien tant que d’être bon et par où il pouvait le devenir. « Tu aimeras, dit-il, le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme, et de tout ton esprit[5], et tu aimeras ton prochain comme toi-même[6]. » On ne peut pas dire que celui qui comprendrait ceci apprendrait facilement le reste, parce que ces commandements renferment tout ce qu’il est utile et salutaire de savoir : car il y a beaucoup de doctrines, si toutefois on peut leur donner ce nom, qui sont ou inutiles ou dangereuses. Le Christ rend témoignage à ces livres anciens : « Ces deux commandements, dit-il, comprennent toute la loi et les prophètes[7]. »

Je crois avoir vu dans vos entretiens avec moi, comme dans un miroir, que par-dessus tout vous désirez être homme de bien ; j’ose donc vous demander comment vous croyez qu’on doive adorer le Dieu qui est meilleur que tout, et d’où découle ce qui rend bonne l’âme humaine : quant à l’obligation d’adorer Dieu, je sais que vous n’en doutez pas. Je vous demande aussi ce que vous pensez du Christ. Je me suis aperçu que vous n’en faisiez pas peu de cas ; mais croyez-vous qu’on puisse arriver à la vie heureuse par la voie qu’il a tracée et que cette voie soit la seule ? Refusez-vous ou différez-vous pour quelque motif d’entrer dans cette voie ? Y a-t-il, selon vous, un autre chemin ou d’autres chemins pour arriver à cette vie excellente qui doit être le principal objet de nos vœux ? Voilà ce que je désire savoir, sans mériter, j’espère, un reproche d’indiscrétion. Car je vous aime à cause du précepte que j’ai rappelé plus haut, et j’ai sujet de croire que vous m’aimez : entre gens qui se témoignent d’affectueux sentiments, quoi de plus profitable que de se demander et de chercher ensemble par où on peut devenir bon et heureux !

LETTRE CCXXXIV.


Longinien répond avec une tendre vénération et une crainte respectueuse : sa doctrine, un peu vague, est un néo-platonisme qui pense se donner de l’autorité en invoquant les noms d’Orphée, d’Agèse et de Trismégiste.

LONGINIEN À SON VÉNÉRABLE SEIGNEUR, À SON HONORABLE ET TRÈS-SAINT PÈRE AUGUSTIN.

1. Vous ne m’avez pas trouvé indigne de l’honneur d’un de vos divins entretiens ; j’en suis heureux, et je me sens comme illuminé par la pure lumière de votre vertu. Niais, en me demandant de répondre à vos questions, en ce temps-ci et sur de telles matières, vous imposez un pesant fardeau et une charge difficile à un homme de mon opinion, à un païen comme moi. Depuis longtemps, il est en partie convenu entre nous (et il le serait chaque jour davantage dans nos lettres), qu’il y a beaucoup de questions à examiner : je ne parle pas seulement de ce qu’on trouve dans Socrate, dans vos prophètes — et dans quelques-uns de vos Hébreux, ô véritablement le meilleur des Romains[8] ! mais je parle aussi d’Orphée, d’Agèse et de Trismégiste, beaucoup plus anciens que tous ceux-là : ils naquirent des dieux aux premiers temps, et les dieux se servirent d’eux pour révéler la vérité aux trois parties du monde, avant que l’Europe eût un nom, que l’Asie en reçut un, et que la Libye possédât un homme de bien comme vous l’avez été et le serez toujours. Car, de mémoire d’homme, à moins que la fiction de Xénophon ne vous paraisse une réalité, je n’ai trouvé dans ce que j’ai entendu, lu ou vu, (j’en prends Dieu à témoin et sans danger pour moi), je n’ai trouvé, je le jure, personne, ou s’il en est un, personne après lui, qui, autant que vous, s’efforce de connaître Dieu et puisse aussi facilement y atteindre, par la pureté de l’âme et le renoncement aux choses du corps, par l’espoir d’une belle conscience et par une ferme croyance.

2. Quant à la voie qui peut y conduire, ce n’est point à moi à répondre, ô mon honorable seigneur ! C’est bien plus à vous à le savoir et à me l’apprendre à moi-même, sans aucune assistance du dehors. Je n’ai pas encore, je l’avoue, et pourrai-je avoir jamais tout ce qu’il faut pour aller jusqu’au siège de ce bien, comme le voudrait mon sacerdoce[9]? Je fais toutefois mes provisions pour le voyage.

Cependant, je vous dirai en peu de mots quelle est la sainte et antique tradition que je garde. La meilleure voie vers Dieu est celle par laquelle un homme de bien, pieux ; pur, équitable, chaste, véridique dans ses paroles et ses actions, reste ferme et inébranlable à travers les changements des temps, escorte par les dieux, soutenu par les puissances de Dieu, c’est-à-dire rempli des vertus de l’unique, de l’universel, de l’incompréhensible, de l’ineffable, de l’infatigable Créateur, se dirige vers Dieu par les efforts du cœur et de l’esprit ces vertus de Dieu sont, comme vous les appelez, des anges ou toute autre nature qui vient après Dieu, ou qui est avec Dieu, ou qui vient de Dieu. Telle est, dis-je, la voie par laquelle les hommes, purifiés d’après les prescriptions pieuses et les expiations des anciens mystères, hâtent leur course, sans jamais s’arrêter.

3. Quant au Christ, ce Dieu formé de chair et d’esprit, et qui est le Dieu de votre croyance, par lequel vous vous croyez sûr, ###mou honorable seigneur et père, d’arriver au Créateur suprême, bienheureux, véritable, et père de tous, je n’ose ni ne puis vous dire ce que j’en pense : je trouve fort difficile de définir ce que je ne sais pas. Mais vous m’aimez, moi si plein de respect pour vos vertus ; je le savais depuis longtemps et vous avez daigné me le dire ; le soin que j’ai de ne pas vous déplaire, à vous toujours si près de Dieu, suffit pour le bon témoignage de ma vie ; vous comprenez sans doute que moi aussi je vous aime, puisque je tiens à régler ma conduite d’après votre jugement sur moi. Avant tout, je vous en prie, pardonnez à mon opinion de si peu d’importance, à mon discours peu convenable peut-être ; c’est vous qui m’avez forcé de parler. Daignez me faire part, si je le mérite, de ce que vous pensez vous-même sur ces choses ; instruisez-moi par vos saints écrits, « plus doux que le miel et le nectar, » comme dit le poète[10]. Jouissez de l’amour de Dieu, seigneur mon père, et ne cessez jamais de lui plaire par la sainteté ; ce qui est nécessaire.

LETTRE CCXXXV.


Saint Augustin se félicite de voir le débat engagé ; il pose des questions précises ; Longinien y répond sans doute, mais nous n’avons pas la suite de cette correspondance d’un intérêt si attachant.

AUGUSTIN À LONGINIEN.

1. J’ai recueilli le fruit de ma lettre : une réponse de votre bienveillance. J’y vois commencer entre nous une grande discussion sur une grande chose : c’est ce que je voulais d’abord ; Dieu m’aidera à obtenir ce qui me reste à vouloir, l’issue salutaire d’un tel débat. Quant au sentiment qui vous porte à ne rien nier, à ne rien affirmer témérairement sur le Christ, c’est là un tempérament que j’accepte volontiers dans un païen. Je ne refuse pas de satisfaire au désir que vous me témoignez de vous instruire auprès de moi sur ces matières ; c’est un désir louable et qui plaît à mon cœur. Mais il importe auparavant d’éclaircir ce que vous entendez par les anciens mystères et de dire avec netteté votre pensée à cet égard. « La meilleure voie vers Dieu (ce sont les expressions de votre lettre) est celle par laquelle un homme de bien, pieux, équitable, chaste, véridique dans ses paroles et ses actions, resté ferme et inébranlable à travers les changements des temps, escorté par les dieux, soutenu par les puissances de Dieu, c’est-à-dire rempli des vertus de l’unique, de l’universel, de l’incompréhensible, de l’ineffable, « de l’infatigable Créateur, se dirige vers Dieu par les efforts du cœur et de l’esprit : ces vertus de Dieu sont, comme vous les appelez, des anges, ou toute autre nature qui vient après Dieu, ou qui est avec Dieu, ou qui vient de Dieu. » Et vous ajoutez : « C’est la voie par laquelle les hommes, purifiés d’après a les prescriptions pieuses et les expiations des anciens mystères, hâtent leur course, sans jamais s’arrêter. »

2. D’après ces paroles, je vois, si je ne me trompe, qu’il ne vous semble pas suffisant, pour aller à Dieu, qu’un homme de bien se rende les dieux favorables par des paroles et des actions pieuses, équitables, pures, chastes, véridiques, et que, sous la protection d’un tel cortége, il marche vers le Créateur de toutes choses, s’il ne se purifie aussi d’après les prescriptions pieuses et les expiations des saints mystères. C’est pourquoi je voudrais savoir ce qui vous paraît devoir être purifié par les cérémonies expiatoires en celui qui, pieux, équitable, pur, véridique dans sa vie, se rend les dieux favorables, et par eux le Dieu unique, le Dieu des dieux ; car, s’il a besoin encore de ces expiations, il n’est pas pur ; et s’il n’est pas pur, il n’est pas pieux, équitable, pur et chaste dans sa vie. Et s’il vit ainsi, il est déjà pur : or, quel besoin peut avoir de cérémonies expiatoires ce qui est sans souillure ? C’est là le nœud de la question entre nous ; une fois cela résolu, nous verrons ces conséquences L’homme doit-il bien vivre pour mériter d’être purifié par les cérémonies expiatoires, ou bien a-t-il besoin de ces expiations pour bien vivre ? Quelque vertueux que soit un homme, lui faut-il le secours des cérémonies pour arriver à la vie éternelle, qui a sa source en Dieu ? La pratique des cérémonies est-elle comme une partie du bien vivre, de sorte que les deux choses n’en fassent qu’une, et que l’une soit comprise dans l’autre. Prenez la peine, je vous en prie, de me marquer dans une lettre quel est votre sentiment sur chacune de ces quatre questions. Il est important de s’entendre d’abord là-dessus, avant d’aller plus loin : il ne faut pas que je travaille à réfuter beaucoup de choses que vous ne pensez pas peut-être, et que je perde inutilement un temps précieux. Je ne prolongerai pas davantage cette lettre, afin qu’une prompte réponse de vous me permette de passer à une autre chose.

LETTRE CCXXXVI.


Deutérius était évêque de Césarée ; saint Augustin lui dénonce et lui renvoie un sous-diacre convaincu du manichéisme. Il expose en peu de mots la doctrine des manichéens, en expliquant ce qu’on appelait parmi eux les auditeurs et les élus.

AUGUSTIN À SON BIENHEUREUX SEIGNEUR DEUTÉRIUS, SON VÉNÉRABLE, TRÈS-CHER FRÈRE ET COLLÈGUE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. J’ai pensé que je ne pouvais rien faire de mieux que d’écrire à votre sainteté, de peur que, par la négligence des pasteurs, l’ennemi ne ravage le troupeau de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans votre province ; car l’ennemi ne cesse de tendre des piéges pour perdre les âmes rachetées à un si grand prix. Il a été prouvé auprès de nous, qu’un sous-diacre de Malliana, appelé Victorin, est manichéen, et que, depuis longtemps, il cache sous le voile de l’état ecclésiastique de sacrilèges erreurs ; car c’est un homme qui touche déjà à la vieillesse. Il est si bien découvert que, interrogé par moi-même, il a tout avoué sans qu’il ait fallu des témoins pour le convaincre. Ceux à qui il avait fait d’imprudentes confidences étaient du reste si nombreux, qu’il y aurait eu de sa part, je ne dis pas impudence, mais folie, à essayer des dénégations. Il a avoué qu’il était auditeur parmi les Manichéens, et non point élu.

2. Ceux qu’on appelle auditeurs parmi eux se nourrissent de viande, cultivent les champs, et, s’ils le veulent, se marient ; les élus ne font rien de tout cela. Les auditeurs s’agenouillent devant les élus en les suppliant de leur imposer les mains ; ce n’est pas seulement aux prêtres, aux évêques, aux diacres qu’ils le demandent, c’est à tous les élus, quels qu’ils soient. Ils adorent et prient avec eux le soleil et la lune jeûnent avec eux le dimanche, et croient avec eux tous les blasphèmes qui rendent si détestable la secte des manichéens. Ils nient que la Christ soit né d’une vierge ; ils disent que la chair dont il était revêtu n’était pas véritable, que la Passion n’a donc pas été véritable et que par conséquent il n’y a pas eu de résurrection. Ils blasphèment les patriarches et les prophètes ; ils prétendent que la loi donnée par Moïse le serviteur de Dieu, Devient pas du vrai Dieu, mais du prince des ténèbres. Ils croient que non-seulement les âmes des hommes, mais encore les âmes des bêtes sont la substance de Dieu et qu’elles sont véritablement des portions de Dieu. Ils disent que le Dieu bon et véritable a eu à combattre avec la nation des ténèbres, qu’il a mêlé une partie de lui-même avec le prince des ténèbres, que ses élus dans leur nourriture, ainsi que le soleil et la lune, purifient et dégagent, en l’absorbant, cette partie souillée et captive ; ils ajoutent que ce qui ne sera pas purifié, lorsque viendra la fin du monde, sera enchaîné et soumis à une peine éternelle. Ainsi donc, selon la doctrine des manichéens, non-seulement Dieu est susceptible d’altération, de corruption et de souillure, puisqu’une portion de lui même a pu être réduite à une situation pareille, mais Dieu est impuissant, d’ici à la fin des siècles, à s’arracher à ce poids d’impureté et de misère.

3. Voilà les blasphèmes intolérables que cet homme, déguisé en sous-diacre catholique, croyait et même enseignait autant qu’il le pouvait, car c’est en enseignant qu’il s’est découvert : il s’est confié à des gens qu’il croyait disposés à se laisser instruire. Après être convenu qu’il était auditeur manichéen, il m’a prié de le ramener dans la voie de la vérité catholique ; mais, je l’avoue, sa dissimulation sous le voile de la cléricature m’a fait horreur, et j’ai cru devoir le chasser de la ville après l’avoir puni. Je n’aurais pas assez fait si je ne vous avais averti moi-même ; il faut qu’on sache que cet homme a été dégradé comme il le méritait et que tous doivent se défier de lui. Qu’on ne le croie, quand il demande la pénitence, que s’il vous fait connaître les manichéens qui seraient cachés soit à Malliana, soit dans toute la province.


LETTRE CCXXXVII.


On trouvera dans cette lettre des détails sur les manichéens et surtout sur les priscillianistes ; ceux-ci avaient érigé le mensonge en précepte pour mieux cacher leur véritable doctrine ; saint Augustin parle d’un hymne faussement attribué à Jésus-Christ, et que l’Église a rejeté. Nous croyons que Cérétius était un évêque des Gaules.

AUGUSTIN À SON BIENHEUREUX SEIGNEUR CÉRÉTIUS, SON VÉNÉRABLE FRÈRE ET COLLÈGUE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Après avoir lu ce que votre sainteté m’a envoyé, il me paraît qu’Argirius s’est jeté dans le priscillianisme sans le savoir, et comme s’il eût ignoré que le priscillianisme existât, ou bien qu’il est tout à fait engagé dans les liens de cette hérésie. Car je ne doute pas que ces écrits ne viennent des priscillianistes. Mais au milieu de tant d’occupations diverses qui m’accablent sans relâche, je n’ai pu qu’avec peine me faire lire tout entier un seul de ces deux écrits. Je ne sais comment l’autre s’est égaré et n’a pu être retrouvé malgré de soigneuses recherches parmi nos frères, ô mon bienheureux seigneur et vénérable père !

2. L’hymne qu’on dit être de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et dont votre Révérence s’est fort émue, se trouve ordinairement dans les écritures apocryphes. Ces écritures n’appartiennent point particulièrement aux priscillianistes ; d’autres hérétiques en font usage pour autoriser leurs erreurs. Dans la diversité de leurs doctrines, représentée par la diversité des hérésies, les sectes puisent ensemble dans ces écritures, surtout les sectes qui ne reçoivent ni l’ancienne loi ni les prophètes canoniques, car elles nient que ces livres concernent le Dieu bon et le Christ son Fils : tels sont les manichéens, les marcionites et d’autres, à qui ce damnable blasphème a convenu. Et même dans les Écritures canoniques du Nouveau Testament, c’est-à-dire dans les véritables écrits Evangéliques et Apostoliques, ils ne reçoivent pas tout, ruais ils prennent ce qu’ils veulent : ils choisissent et rejettent les livres à leur gré. Ils marquent même dans ces livres ce qui leur paraît favorable à leurs erreurs, et tiennent pour faux tout le reste. Certains manichéens rejettent le livre canonique intitulé les Actes des Apôtres. Ils craignent d’y rencontrer la vérité avec trop d’évidence, lorsqu’il y est parlé de l’envoi du Saint-Esprit promis par Notre-Seigneur Jésus-Christ dans les évangiles véritables[11]. Ils trompent les hommes ignorants avec le nom de ce divin Esprit dont ils sont complètement éloignés ; dans leur aveuglement prodigieux, ils prétendent que cette promesse du Seigneur s’est accomplie dans Manichée leur hérésiarque. C’est ce que font aussi les hérétiques appelés cathaphyrges ; ils disent que le Saint-Esprit que le Seigneur a promis est venu par je ne sais quels insensés, Montan et Priscille, dont ils font leurs prophètes.

3. Quant aux priscillianistes, ils acceptent tous les livres, les canoniques comme les apocryphes : mais ils détournent le sens de tout ce qui les condamne, et leurs explications [12] menteuses sont tantôt d’une habileté rusée, et tantôt ridicules et niaise. Lorsqu’ils se trouvent en présence de gens qui ne sont point de leur secte, ils donnent des interprétations auxquelles ils ne croient pas du tout ; autrement ils seraient catholiques ou du moins peu éloignés de la vérité, parce qu’en pareil cas c’est le sens catholique qu’ils cherchent ou qu’ils paraissent vouloir chercher, même dans les écritures apocryphes. Mais, entre eux, les priscillianistes ont d’autres sentiments ; ils n’osent les produire en public parce qu’ils sont réellement criminels et détestables : c’est sous le voile de la foi catholique qu’ils se cachent, et c’est la foi catholique qu’ils ont l’air de professer devant ceux qu’ils redoutent. Il pourrait se rencontrer des hérétiques plus immondes peut-être, ruais il n’en est pas de comparables pour la tromperie. D’autres mentent par un fonds de vice humain, par habitude ou infirmité morale ; mais ceux-là mentent, dit-on, par précepte ; il est commandé de mentir avec serment pour cacher leur vraie et abominable doctrine. Ceux qui ont appartenu à leur secte et que la miséricorde de Dieu en a délivrés, citent les termes mêmes de ce précepte des priscillianistes. Jure, parjure-toi, ne révèle pas le secret[13].

Pour mieux reconnaître que leurs interprétations des écritures apocryphes sont fort différentes de celles dont ils font parade devant les catholiques, on n’a qu’à. voir par quelle raison ils leur attribuent une autorité divine, et, ce qui est plus coupable encore, les mettent même au-dessus des livres canoniques. Voici leurs propres paroles dans l’écrit que j’ai sous les yeux : « Hymne du Seigneur, qu’il dit en secret aux saints apôtres ses disciples, parce qu’il est écrit dans l’Évangile : Après avoir dit un hymne, il s’en alla sur la montagne[14]. Cet hymne n’a pas trouvé place dans le Canon à cause de ceux qui jugent selon eux-mêmes et non point selon l’esprit et la vérité de Dieu ; c’est pourquoi il est écrit : Il est bon de cacher le secret du roi, mais il est glorieux de révéler les œuvres de Dieu[15]. » Leur grande raison pour expliquer que cet hymne ne soit pas dans le canon, c’est qu’il faut cacher le secret du roi à ceux qui jugent selon la chair et non selon l’Esprit et la vérité de Dieu. Les Écritures canoniques ne se rapportent donc pas au secret du roi qui doit être caché à ceux-ci ; elles sont donc réservées pour ceux qui jugent selon la chair et non point selon l’Esprit et la vérité de Dieu. Cela veut-il dire autre chose, sinon que les saintes Écritures canoniques ne sont pas conformes à l’Esprit de Dieu et n’appartiennent pas à la vérité de Dieu ? Qui peut entendre de tels blasphèmes ? qui peut supporter l’horreur d’une si grande impiété ? Et si les Écritures canoniques sont comprises spirituellement par les spirituels, charnellement par les charnels, pourquoi cet hymne n’est-il pas dans le Canon ? Les spirituels et les charnels l’entendent aussi chacun à leur manière.

5. Ensuite pourquoi les priscillianistes s’efforcent-ils d’interpréter le même hymne selon les Écritures canoniques ? S’il n’est pas dans les Écritures canoniques, parce que ces Écritures sont pour les charnels, et cet hymne pour les spirituels ; alors comment un hymne qui ne regarde pas les charnels est-il expliqué d’après des Écritures qui ne regardent que les charnels ? Ainsi, par exemple, on chante et on dit dans cet hymne : « Je veux délier et veux être délié ; » d’après le sens des priscillianistes, Notre-Seigneur Jésus-Christ nous a dégagés des liens du monde pour que nous ne retombions plus sous leur poids : mais nous n’avons pas appris autre chose dans les Écritures canoniques. C’est ce que nous trouvons dans ces mots du Psalmiste : « Vous avez rompu mes liens[16], » et dans ces autres mots : « Le Seigneur délie les captifs[17]. » L’Apôtre dit à ceux qui sont délivrés de leurs chaînes « Soyez donc fermes, et ne retombez pas sous le joug de la servitude[18]. » Et l’apôtre Pierre « Si après avoir été retirés de la corruption du monde par la connaissance de Jésus-Christ Notre-Seigneur et notre Sauveur, ils se laissent vaincre en s’y engageant de nouveau, leur dernier état devient pire que le premier[19] ; » par là saint Pierre nous montre qu’une fois affranchis des liens du monde, nous ne devons plus nous y laisser reprendre. Comme donc tout cela se trouve dans le Canon, soit d’après les passages qu’on vient de lire, soit d’après beaucoup d’autres, et qu’on ne cesse de le lire et de le prêcher, pourquoi les priscillianistes prétendent-ils que cet hymne, dont les paroles sont très-obscures, comme ils disent, n’est pas dans le Canon ; de peur que le sens n’en soit caché aux charnels ? Au contraire, ce qui est voilé dans cette hymne, comme ils le reconnaissent eux-mêmes, est tout à fait mis à découvert dans le Canon. Il est bien plus à croire que ce n’est pas ce sens-là qui exprime leur sentiment véritable, mais qu’il en est un autre que j’ignore et qu’ils craindraient bien plus de révéler devant nous.

6. Si ces paroles signifiaient due le Seigneur nous a dégagés des liens du monde pour que nous ne retombions plus sous leur poids, il ne dirait pas : « Je veux délier et veux être délié, » mais je veux délier et je ne veux pas que ceux que j’aurai déliés soient de nouveaux captifs ; Ou bien, si le Seigneur représentait ici dans sa personne ses membres, c’est-à-dire ses fidèles comme dans ces paroles : « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger[20], » il dirait plutôt ; je veux être délié et ne veux plus être lié. Prétendra-t-on que le Seigneur délie et qu’il est délié, parce que le chef délie et que les membres sont déliés, comme quand il criait à Saul du haut du ciel : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu[21] ? » D’abord cela n’a pas été dit par celui dont j’examine le sentiment ; mais l’eût-il dit, nous lui répondrions comme tout à l’heure : nous lisons, nous comprenons ces mêmes choses dans les Écritures canoniques ; c’est par là que nous les appuyons ; c’est par là que chaque jour nous les prêchons. Pourquoi donc prétendre que cet hymne n’a pas été mis dans le Canon pour le dérober aux charnels, puisque ce qui s’y rencontre obscurément, se trouve dans le Canon avec toute la clarté possible ? Leur démence ira-t-elle jusqu’à dire que dans cet hymne le secret du roi est caché aux spirituels, mais que dans le Canon il se révèle aux charnels ?

7. La même chose peut se dire de ces autres paroles du même hymne : « Je veux sauver et veux être sauvé. » Si, d’après l’interprétation des priscillianistes, ces paroles signifient que le Seigneur nous sauve par le baptême, et que nous sauvons, c’est-à-dire que nous gardons en nous l’Esprit qui nous a été donné par le baptême, ne trouvons-nous pas le même sens dans ce passage de l’Écriture canonique : « Il nous a sauvés par l’eau de la régénération[22], » et dans cet autre : « N’éteignez point l’Esprit[23]? » Comment donc peut-on dire que cet hymne n’est pas dans le Canon, de peur que les charnels ne le connaissent, puisque ce qui se trouve obscurément dans l’hymne brille d’une vive clarté dans le Canon ? Mais en voici la raison : c’est que les priscillianistes cachent leur propre sentiment à l’aide de l’interprétation qu’ils produisent devant ceux qui ne sont pas de leur secte. Tel est leur aveuglement, qu’en expliquant cet hymne qui, selon eux, n’est pas dans le Canon de peur que le secret du roi ne soit révélé aux charnels, ils se servent de paroles tirées du Canon lui-même. Pourquoi donc le canon renferme-t-il clairement exprimé ce qui sert à expliquer les obscurités de cet hymne ?

8. Si, comme ils le disent, ces paroles de l’hymne : « Je veux être engendré, » ont le même sens que ce passage de l’épître canonique de l’apôtre Paul : « Vous que j’enfante une seconde fois, jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous[24] ; » si ces paroles de l’hymne « Je veux chanter, » ont le même sens que ce passage d’un psaume canonique : « Chantez au Seigneur un cantique nouveau[25]; » si ces paroles de l’hymne : « Dansez tous, » ont le même sens que ce passage d’un cantique évangélique : « Nous avons chanté pour vous et vous n’avez pas dansé[26] ; » si ces paroles de l’hymne : « Je veux gémir, frappez tous votre poitrine, » ont le même sens que ce passage d’un cantique évangélique : « Nous avons gémi devant vous et vous n’avez point pleuré[27]; » si ces paroles de l’hymne : « Je veux payer et être payé, » ont le même sens que ces passages des épîtres canoniques : « Que le Christ habite dans vos cœurs par la foi[28]. Vous êtes le temple de Dieu, et l’Esprit de Dieu habite en vous[29]; » si ces paroles de l’hymne : « Je suis une lampe pour vous qui me voyez, » ont le même sens que ce passage d’un psaume canonique : « Nous verrons la lumière dans votre lumière[30]; » si ces paroles de l’hymne. « Je suis la porte pour quiconque veut y frapper, » ont le même sens que ce passage d’un autre psaume canonique : « Ouvrez-moi les portes de la justice ; quand je serai entré, je louerai le Seigneur[31]; » et ce passage d’un autre encore : « Portes, ouvrez-vous ; ouvrez-vous, portes éternelles, et le Roi de gloire entrera[32]; » si ces paroles de l’hymne : « Vous qui voyez ce que je fais, ne parlez pas de mes œuvres, » ont le même sens que ce passage du livre de Tobie : « Il est bon de cacher le secret du roi[33], » pourquoi dit-on que cet hymne n’est pas dans le Canon, afin que le secret du roi demeure caché aux charnels, puisque ce qui est marqué obscurément dans l’hymne l’est si clairement dans le Canon et que le Canon sert à interpréter l’hymne même ? Je réponds encore que ces interprétations publiques ne sont pour les priscillianistes qu’une manière de cacher leur véritable sentiment ; et les paroles de cet hymne, qu’ils feignent d’entendre dans un sens catholique, renferment ce qu’ils craindraient de montrer à d’autres que leurs partisans.

9. Ce serait trop long de tout suivre ainsi jusqu’à la fin. D’après ce que je viens de dire, il est très-aisé d’examiner le reste, et de voir que ce qu’il y a de bon dans l’explication de cet hymne se trouve aussi dans le Canon. En soutenant que l’hymne est séparé du Canon, pour dérober aux charnels le secret du roi, ces hérétiques n’ont pas donné une raison, mais ils ont usé de subterfuges. Ce n’est donc pas à tort que nous croyons que le but de leurs interprétations n’est pas d’expliquer ce qu’ils lisent, mais plutôt de couvrir ce qu’ils pensent. Cela n’a rien d’étonnant, puisqu’ils disent que le Seigneur Jésus lui-même parlant, non-seulement par la bouche des prophètes, des apôtres et des anges, mais encore par la sienne propre, a plutôt trompé les hommes qu’il ne leur a enseigné la vérité. Ils attribuent une autorité divine à cet hymne, dont l’auteur fait dire à Jésus-Christ : « J’ai trompé en toutes choses « par la parole, et ne me suis trompé en rien. » Mais répondez-moi, si vous le pouvez, éminents spirituels, répondez-moi : où irons-nous, qui écouterons-nous, qui croirons-nous, dans les promesses de qui mettrons-nous notre espérance, si le Christ, le maître tout-puissant, le Fils unique et le Verbe de Dieu le Père, a trompé en toutes choses par la parole ? — Qu’ai-je à parler plus longtemps de ces misérables dont les discours ne sont que vanité et mensonge ? Ils se sont d’abord séduits eux-mêmes ; puis ils ont cherché à en séduire d’autres, prédestinés comme eux à la mort éternelle, et ils les ont associés à leur œuvre de perdition. J’ai répondu à votre sainteté beaucoup plus tard que je n’aurais voulu, et plus longuement que je ne croyais. Vous faites très-bien de prendre garde aux loups ; mais, avec le secours du Seigneur des pasteurs, mettez votre soin et votre vigilance pastorale à guérir les brebis qui déjà auraient pu recevoir les atteintes de l’ennemi.

LETTRE CCXXXVIII.


Un arien, d’un rang élevé, appelé Pascence, avait demandé à saint Augustin de conférer avec lui sur la sainte Trinité ; il y eut à Carthage, entre ce personnage et l’évêque d’Hippone une discussion qui n’eut pas de suite, parce que, contrairement à ce qui était convenu, Pascence ne voulut point consentir que des greffiers recueillissent les paroles de la conférence. Pascence, malgré sa haute dignité, n’était probablement pas un homme fort sérieux, et, de plus, n’était pas très-sincère ; il ne craignit pas de dire qu’il avait vaincu Augustin, et que l’évêque d’Hippone n’avait point osé exposer sa foi devant lui : Saint Augustin l' écrivit la lettre qu’on va lire ; on admirera la douce habileté de ses formes envers un homme qui méritait peu de ménagements ; et d’ailleurs il ne lui fait grâce de rien. Il expose sa foi, qui est celle de l’Église, sur le mystère de Dieu en trois personnes.

1. D’après votre demande et vos instances, comme vous voulez bien vous en souvenir, et aussi par considération pour votre âge et votre rang, j’avais voulu conférer de vive voix avec vous, Dieu aidant, sur la foi chrétienne. Mais, après dîner, revenant sur ce qui avait été convenu entre nous le matin, vous refusâtes de permettre que des greffiers recueillissent nos paroles. J’apprends que vous dites que je n’ai pas osé vous exposer ma foi ; il ne faut pas que je vous laisse continuer à parler de la sorte. Voici une lettre que vous lirez et que vous ferez lire à qui vous voudrez : vous y répondrez comme vous l’entendrez ; car il n’est pas juste de vouloir juger d’un autre et de ne pas vouloir soi-même être jugé.

2. Il suffit de se rappeler les conventions que vous n’avez pas voulu exécuter après midi, pour savoir qui de nous deux manquait de confiance dans la vérité de sa foi ; si c’est celui qui voulait parler, mais craignait que sa parole ne restât ; ou celui qui voulait que la conférence fût recueillie par écrit, afin de mettre les lecteurs en mesure de porter leur jugement, et d’empêcher que, par oubli ou irritation, on contestât rien de ce qui aurait été dit. C’est par là, en effet, que les disputeurs, plus épris de la contradiction que de la vérité, ont coutume de couvrir leur mauvaise défense. C’est ce qui n’aurait pu être dit ni par vous ni par moi, ni de vous ni de moi, si, fidèle à nos précédentes conventions, vous aviez permis que nos paroles fussent recueillies et consignées : cette précaution était d’autant plus nécessaire que vous avez varié dans votre croyance chaque fois que vous l’avez énoncée : vous ne l’avez pas fait assurément par tromperie, mais par pur oubli.

3. Vous avez commencé par dire que vous croyez « en Dieu le Père, tout-puissant, invisible, non engendré, que rien ne peut contenir, et en Jésus-Christ son fils, Dieu comme lui, né avant les siècles, par lequel tout a été tait, et au Saint-Esprit. » Je vous répondis que rien de tout cela n’était contraire à ma foi, et que si vous l’écriviez, je pouvais y souscrire ; il arriva alors, je ne sais comment, que cous prîtes du papier pour consigner de votre propre main ce que vous veniez de dire. Vous me le donnâtes à lire, mais je m’aperçus que vous aviez supprimé le mot « Père » dans cette phrase : « le Dieu tout-puissant, invisible, non engendré, et qui n’est pas né. » Je vous le fis remarquer, et vous remîtes le mot « Père » assez promptement. Ces mots « que rien ne peut contenir » avaient été aussi omis sur le papier, mais je ne m’arrêtai pas là-dessus.

4. Je vous dis que j’étais prêt à souscrire encore à ces mots, comme faisant partie de l’expression même de ma foi ; mais auparavant, pour ne pas oublier ce qui m’était venu à l’esprit, je vous demandai si on lisait quelque part, dans les divines Écritures, ces mots « Le Père non engendré. » Je fis cela, parce que, au commencement de notre conférence, mon frère Alype, et non pas moi, ayant prononcé les noms d’Arius et d’Eunome, et vous ayant demandé auquel des deux s’attachait Auxentius, qui avait reçu de vous de grandes louanges, vous vous écriâtes que vous anathématisiez Arius et Etmome ; et aussitôt vous nous demandâtes d’anathématiser de notre côté omousion, comme s’il y avait eu un homme de ce nom, de la même manière qu’on s’est appelé Arius et Eunome. Vous nous pressiez vivement de nous montrer ce mot dans les Écritures ; et, ce mot une fois trouvé, vous communiqueriez aussitôt avec nous. Nous vous répondions que nous parlions latin, que ce mot était grec, et qu’avant de vouloir qu’on le montrât dans les Livres saints, il fallait d’abord en chercher l’exacte signification. Vous, au contraire, répétant toujours le même mot, comme si vous eussiez agité une arme contre nous, vous nous disiez que nos pères s’en étaient servis dans leurs conciles, et vous nous pressiez de plus en plus de vous montrer omousion dans les Livres saints, quoique nous vous répétassions que notre langue n’étant pas la langue grecque, il importait d’abord de se fixer sur le sens de ce mot ; car la chose, et non pas le mot même, pouvait peut-être se trouver dans les divines Écritures. Il faudrait avoir un bien grand penchant à la contradiction, pour disputer sur le mot quand on convient de la chose.

5. Nous avions donc discuté ces choses entre nous, et puis il arriva que vous mîtes par écrit votre profession de foi, et je me montrai tout prêt à souscrire, car je n’y trouvais rien de contraire à la mienne ; je vous demandai si, dans les divines Écritures, il était dit que « le Père ne fût pas engendré ; » vous me répondîtes que cela se trouvait dans les Livres saints, et je vous priai instamment de me le faire voir. Alors, un de ceux qui étaient présents, et qui, autant que je peux le comprendre, partageait vos sentiments, me dit : « Quoi donc ? vous prétendez que le Père a été engendré ? » — « Non, » lui répondis-je. — « Si donc, reprit-il, le Père n’a pas été engendré, il est sûrement non engendré. » — « Vous voyez donc, lui répondis-je, qu’il peut se faire qu’on rende parfaitement raison d’une chose dont le mot même ne se rencontrerait pas dans les divines Écritures. Lors donc que nous ne trouverions pas dans les divins Livres le mot qu’on veut nous obliger d’y trouver, il pourrait se faire qu’on y découvrit la chose qu’on aurait eu raison d’exprimer par ce mot. »

6. Je demeurai attentif à ce que vous alliez juger à propos de me répondre, et vous dites que c’était bien que le Père ne fût point appelé « non engendré » dans les saintes Écritures, et qu’on avait voulu lui épargner l’injure de ce mot. — « Donc, repris-je, il vient d’être fait injure à Dieu, et cela de votre propre main. » Et vous convîntes que vous n’auriez pas dû dire cela. Je vous prévins que si ce mot vous paraissait une injure à Dieu, vous deviez l’effacer sur le papier où vous l’aviez écrit ; vous fîtes réflexion que cela pouvait se dire et se défendre, et vous voulûtes maintenir ce qui était écrit. Je répétai que quand même le mot omousion ne se trouverait pas dans les Livres saints, il pourrait se faire qu’il eût été justement employé dans l’affirmation d’un point de doctrine ; de même qu’il faut soutenir que le Père est « non engendré, » quoique le mot ne se rencontre point dans nos Écritures. Vous m’enlevâtes alors le papier que vous m’aviez donné et vous le déchirâtes. Nous convînmes qu’après midi, il y aurait des greffiers pour recueillir nos paroles, et que nous traiterions ensemble ces questions, le mieux que nous pourrions.

7. Nous vînmes, comme vous savez, à l’heure dite, et nous amenâmes des greffiers ; nous attendîmes que les vôtres fussent présents. Vous nous exposâtes de nouveau votre foi, et dans vos paroles je n’entendis pas les mots de « Père non engendré. » Je crois que vous pensiez à ce qui avait été dit le matin, et que vous vouliez vous mettre sur vos gardes. Vous me demandâtes ensuite que, de mon côté, je vous exposasse ma foi. Rappelant alors ce qui avait été convenu le matin, je vous priai de laisser écrire ce que vous aviez dit ; vous vous écriâtes que je cherchais à vous surprendre, et que c’était pour cela que je voulais garder vos paroles par écrit. Je n’aimerais pas à me souvenir de ce que je vous répondis, et plût à Dieu que vous ne vous en souvinssiez pas vous-même ! Je n’ai pas manqué toutefois au respect que je dois à votre rang, et je n’ai pas pris pour une injure une chose que vous m’avez dite, non pas qu’elle fût vraie, mais parce que vous aviez le pouvoir de me parler ainsi. Cependant, quoique je me sois borné à dire tout bas : « Est-ce ainsi que nous cherchons à vous a surprendre ? » je vous prie de me le pardonner.

8. Vous répétâtes de nouveau votre profession de foi d’une voix plus haute, et, dans vos paroles, je n’entendis pas les mots de « Dieu le Fils », ce que vous n’aviez jamais omis précédemment. Je redemandai encore, mais modestement, que nos paroles fussent recueillies selon nos premières conventions, et je m’appuyai sur ce qui se passait en ce moment même : je vous fis observer que vous ne pouviez pas retenir dans votre mémoire les mots auxquels vous étiez le plus accoutumé, ni les répéter sans omettre quelque chose de nécessaire, et qu’à plus forte raison, ceux qui nous entendaient ne pourraient pas se souvenir de nos paroles, de façon à les rappeler quand vous ou moi nous voudrions revenir sur ce que nous aurions dit : en pareil cas, les greffiers n’auraient qu’à lire pour trancher la question. Ce fut alors que vous dîtes avec dépit « qu’il eût mieux valu que vous ne m’eussiez jamais connu que de réputation, parce que vous me trouviez bien inférieur à ce que la renommée vous avait dit de moi. » Je vous fis souvenir qu’étant allé vous saluer avant le dîner, je vous avais répondu au sujet de cette renommée dont vous me parliez tant, qu’elle mentait sur mon compte, et vous me dites que là-dessus je disais vrai. Ainsi donc, comme il vous a été parlé diversement de moi de deux côtés différents, et que ma renommée vous a tenu un langage, et moi un autre langage, je dois me réjouir que ce ne soit pas elle, mais moi que vous ayez trouvé véridique. Toutefois, il est écrit « que Dieu seul est véritable, et que tout homme est menteur[34], » et je crains ici d’avoir parlé témérairement de moi-même, car lorsque nous sommes véridiques, nous ne le sommes point en nous et par nous-mêmes : la vérité est sur nos lèvres, quand le Dieu qui seul est véritable parle dans ses serviteurs.

9. Si vous reconnaissez que les choses se sont passées comme je viens de les raconter, vous voyez que vous ne devriez pas publier partout que je n’ai pas osé vous exposer ma foi ; c’est vous qui n’avez pas voulu exécuter nos conventions ; et comment vous, un si grand personnage, vous qui, par fidélité à la république, ne craignez pas les outrages des intendants, craignez-vous, pour la foi que vous devez au Christ, les surprises des évêques ? Vous avez désiré que des hommes en dignité assistassent à notre conférence ; je m’étonne que vous ayez refusé de laisser écrire par des greffiers ce que vous n’avez pas craint de dire devant d’illustres témoins. Ne pensez-vous pas que les hommes se persuaderont difficilement que ce soit par l’appréhension de nos surprises que vous n’ayez pas consenti à laisser recueillir vos paroles ? Ne dira-t-on pas que vous vous êtes souvenu du mot écrit de votre main avant le dîner, et par lequel vous avez été arrêté, et que vous avez réfléchi qu’il est plus aisé de déchirer un papier que d’effacer ce que des greffiers ont écrit ? Si vous prétendiez que les choses se fussent passées autrement que je les ai racontées, ou bien vous seriez trompé par votre mémoire, car je n’ose pas dire que vous mentiriez, ou bien ce serait moi qui me tromperais ou qui mentirais. Vous voyez combien j’avais raison de dire qu’il fallait recueillir et consigner ce qui touche surtout à d’aussi importantes choses, et combien vous aviez eu raison vous-même d’accepter cela : mais les terreurs de l’après-midi ont rompu les conventions du matin.

10. Ecoutez maintenant ce qui fait ma foi plaise à la puissante miséricorde de Dieu que je dise ce que je crois, de façon à ne blesser ni la vérité ni vous-même ! Je déclare tout haut que je crois en Dieu le Père tout-puissant, et je dis qu’il est éternel de cette éternité, de cette immortalité qui appartient à Dieu seul ; je crois cela de son Fils unique dans la forme de Dieu, et du Saint-Esprit, qui est l’Esprit de Dieu le Père et de son Fils unique. Mais parce que, dans la plénitude des temps, le Fils unique de Dieu le Père, Jésus-Christ Notre-Seigneur et notre Dieu, a pris heureusement la forme de serviteur pour notre salut, il est parlé de lui dans les Écritures, tantôt selon la forme de serviteur, tantôt selon la forme de Dieu. Ainsi, par exemple, chacun des deux passages suivants offre un sens particulier : en parlant de lui selon la forme de Dieu, Jésus-Christ a dit : « Mon Père et moi nous ne sommes qu’un[35]; » en parlant de lui selon la forme de serviteur, il a dit : « Mon Père est plus grand que moi[36]. »

11. Ce n’est pas seulement au Père, c’est aussi au Fils, comme participant à la nature divine, et au Saint-Esprit, que nous appliquons ces paroles de l’Apôtre sur Dieu : « Il a seul « l’immortalité[37], » — « à l’invisible, à Dieu seul honneur et gloire[38], » et d’autres passages dans ce sens. Car le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont qu’un seul Dieu, un seul et véritable Dieu, le seul immortel par sa substance tout à fait immuable. S’il est écrit des deux sexes que leur union ne fait qu’un même corps, et s’il est écrit de l’esprit de l’homme, qui n’est pas comme celui du Seigneur, que celui qui s’unit au Seigneur est un même esprit avec lui[39] ; combien plus encore dirons-nous que Dieu le Père étant dans le Fils, Dieu le Fils étant dans le Père, et Dieu l’Esprit-Saint étant l’Esprit du Père et du Fils, ils ne sont qu’un même Dieu. Il n’y a aucune diversité dans leur nature ; au lieu qu’il y a nature différente dans les êtres dont il est dit qu’ils sont un même esprit ou un même corps, parce qu’ils sont unis d’une manière quelconque.

12. L’union d’une âme et d’un corps ne fait qu’un seul homme ; pourquoi l’union du Père et du Fils ne ferait-elle pas un seul Dieu, puisqu’ils sont inséparables, et que l’âme et le corps ne le sont pas ? Le corps et l’âme ne sont qu’un seul homme, quoique le corps et l’âme soient bien distincts ; pourquoi le Père et le Fils ne feraient-ils pas qu’un seul Dieu, puisque le Père et le Fils ne sont qu’un, d’après le mot de celui qui est la Vérité elle-même : « Mon « Père et moi nous ne sommes qu’un ? » L’homme intérieur et l’homme extérieur ne sont pas une même chose ; l’extérieur n’est pas de la même nature que l’intérieur, parce que l’homme extérieur c’est le corps, et l’intérieur s’entend uniquement de l’âme raisonnable ; les deux cependant ne font pas deux hommes mais un seul : combien plus encore le Père et le Fils ne sont qu’un seul Dieu, puisque le Père et le Fils ne sont qu’un, parce qu’ils sont de même nature ou substance, s’il n’est pas de termes plus convenables pour désigner ce qu’est Dieu ; c’est pourquoi il est dit : « Mon Père et moi nous ne sommes qu’un ? » L’Esprit du Seigneur est un, l’esprit de l’homme est un ; mais ils ne sont pas un ; néanmoins, quand l’un s’unit à l’autre, ils sont un. L’homme intérieur est un, l’homme extérieur est un, mais ils ne sont pas un ; néanmoins leur union naturelle ne fait qu’un seul et même homme. À plus forte raison, lorsque le Fils de Dieu a dit : « Mon Père et moi nous ne sommes qu’un, » faut-il croire que Dieu le Père est un, que Dieu le Fils est un ; et néanmoins que considérés ensemble ils ne sont pas deux dieux, mais un seul et même Dieu.

13. L’unité de la foi, de l’espérance et de la charité dans les saints appelés à l’adoption et à l’héritage du Christ, leur donne une même âme et un même cœur en Dieu ; ainsi et surtout une même nature de divinité, pour ainsi dire, entre le Père et le Fils, nous oblige à reconnaître que le Père et le Fils, qui sont un, inséparablement un, éternellement un, ne sont pas deux dieux mais un seul Dieu. Car tous ces hommes étaient un par la participation à une seule et même nature humaine, quoiqu’ils ne fussent pas un par la diversité des volontés, des sentiments, des opinions et des mœurs, leur unité sera pleine et parfaite alors seulement qu’ils parviendront à cette lin suprême où Dieu sera tout en tous. Mais Dieu le Père et son Fils qui est son Verbe, et qui est Dieu en lui, demeurent toujours dans une ineffable unité d’où il résulte bien mieux que ce ne sont pas deux dieux, mais un seul et même Dieu.

14. Il est des hommes qui, comprenant peu la relation des termes, veulent avoir, pour chaque mot, des témoignages évidents ; faute de scruter assez soigneusement les Écritures, lorsqu’ils s’attachent à la défense d’une opinion, ils ne l’abandonnent jamais ou difficilement ; ils désirent bien moins être savants et sages que de passer pour tels, et ce qui, dans le Christ, se rapporte à la forme de serviteur, ils l’appliquent à sa nature divine ; ce qui est dit de la distinction des personnes, ils l’entendent de la nature et de la substance. Notre foi, c’est de croire et de confesser que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont qu’un seul Dieu ; mais aussi de ne pas appeler Père celui qui est le Fils, ni Fils celui qui est le Père ; ni Père ou Fils celui qui est l’Esprit du Père et du Fils. Ces désignations marquent les rapports entre les personnes, et non pas la substance par laquelle les trois personnes ne font qu’un seul Dieu. Car l’idée de père comprend l’idée de fils, et l’idée de fils celle de père, et quand nous disons esprit, nous avons l’idée de celui qui souffle, et celui qui souffle l’esprit.

15. Mais ces choses ne doivent pas se comprendre dans le sens corporel ; il faut nous dépouiller de nos impressions accoutumées pour les considérer en Dieu « qui a le pouvoir, comme dit l’Apôtre, de faire au-delà de ce que nous demandons et de ce que nous densons[40] ; » or, si les œuvres de Dieu dépassent notre intelligence, à plus forte raison sa nature elle-même. Le mot esprit ne s’emploie pas seulement pour marquer son rapport avec quelque chose, mais il marque aussi une nature, et tout ce qui est incorporel est appelé esprit dans les livres saints. Aussi ce mot ne convient pas seulement au Père, au Fils et au Saint-Esprit, mais à toute créature capable de raison. C’est pourquoi le Seigneur a dit : « Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité[41]; » il est écrit aussi que « les esprits sont ses messagers[42]; » et il est dit des hommes « qu’ils sont de chair ; « un esprit qui passe et ne revient point[43]. » L’Apôtre a dit également : « Nul ne sait ce qui se passe dans l’homme, si ce n’est l’esprit de l’homme qui est en lui-même[44]. » Il est encore écrit : « Qui sait si l’esprit des enfants des hommes monte en haut et si l’esprit de la bête descend en bas dans la terre[45] ? » L’esprit se prend aussi dans les Écritures pour une portion de l’âme humaine : « Que tout votre esprit, dit l’Apôtre, l’âme et le corps, se conserve pour le jour de Notre-Seigneur Jésus-Christ[46]; » et dans un autre endroit : « Si je prie en une langue inconnue, mon esprit prie, mais mon âme demeure sans fruit. Que ferai-je donc ? je prierai en esprit, je prierai aussi avec l’intelligence[47]. » Mais dans le sens propre on dit le Saint-Esprit quand il s’agit du divin Esprit qui est celui du Père et du Fils. Car dans le sens de la substance, comme il a été dit : « Dieu est esprit, » le Père est esprit, le Fils est esprit, le Saint-Esprit l’est aussi ; ils ne sont pas cependant trois esprits, mais un seul ; comme ils ne sont pas trois dieux, mais un seul Dieu.

16. Pourquoi s’étonner ? Voilà ce que fait la paix, non la paix ordinaire, ni celle qui est si louable en cette vie et provient de l’union et de la charité des fidèles ; mais la paix de Dieu qui, selon le mot de l’Apôtre, « surpasse tout entendement[48] ; » cet entendement, c’est le nôtre, c’est celui de toute créature capable de raison. C’est pourquoi, en considérant notre faiblesse et en entendant cet aveu de l’Apôtre : « Mes frères, je ne pense pas avoir atteint où j’aspire[49]; celui qui croit savoir quelque chose ne sait pas encore comment il faut savoir[50] ; » conférons autant qu’il nous est possible sur les divines Écritures sans esprit de contention, sans chercher, par un sentiment de vanité puérile, à nous vaincre les uns les autres, afin que ce soit plutôt la paix du Christ qui triomphe dans nos cœurs[51], autant qu’il nous est donné de pouvoir la goûter en ce monde ; songeant à cette paix fraternelle qui de tant d’âmes et de tant de cœurs différents ne fait qu’une âme et qu’un cœur en Dieu ; croyons bien mieux encore, comme c’est le devoir de la piété, que, dans cette paix de Dieu qui surpasse tout entendement, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas trois dieux, mais un seul Dieu. Cette union des personnes divines est autant au-dessus de l’union des fidèles ne faisant qu’un cœur et qu’une âme, que la paix de Dieu « qui surpasse tout entendement, » est au-dessus de la paix évangélique et fraternelle des chrétiens.

17. Nous appelons le Fils de l’homme le même que nous appelons Fils de Dieu ; ce n’est point à cause de la forme de Dieu dans laquelle il est égal à Dieu le Père, mais à cause de la forme de serviteur, par laquelle son Père est plus grand que lui. C’est pour cela que nous disons que le Fils de Dieu a été crucifié, non point comme Dieu, mais comme homme ; non point en restant dans la puissance de sa nature divine, mais en s’abaissant à la faiblesse de notre nature humaine.

18. Maintenant voyez un peu les passages des Écritures qui nous obligent de ne croire qu’à un seul Dieu, soit qu’on nous interroge séparément sur le Père, le Fils ou le Saint-Esprit, ou bien en même temps sur les trois personnes divines. Il est écrit certainement : « Ecoute Israël : le Seigneur ton Dieu est le seul Seigneur[52]. » De qui croyez-vous que cela ait été dit ? Si c’est seulement du Père, Jésus-Christ n’est pas le Seigneur notre Dieu ; orque deviendra alors la parole de celui qui, après avoir touché de la main, s’écriait : « Vous êtes mon Seigneur et mon Dieu ? » Le Christ ne l’en a point blâmé, il l’a approuvé au contraire puisqu’il lui a dit : « Tu as cru en moi, parce que tu m’as vu[53]. » Or, si le Fils est Dieu et Seigneur, et si le Père est Dieu et Seigneur, et qu’on dise que ce soient deux Seigneurs et deux Dieux, comment sera-t-il vrai de dire : « Le Seigneur ton Dieu est le seul Seigneur ? » Prétendra-t-on que le Père est le seul Seigneur et que le Fils n’est pas le seul Seigneur, mais seulement le Seigneur, comme il y a plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, et non comme ce Seigneur unique dont il a été dit : « Il est le seul Seigneur ? » Que répondrons-nous à ces paroles de l’Apôtre : « Quoiqu’il y en ait qui soient appelés dieux, soit dans le ciel, soit sur la terre, et qu’ainsi il y ait plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, il n’y a pour nous qu’un seul Dieu, qui est le Père, duquel procèdent toutes choses, et qui nous a faits pour lui ; et il n’y a qu’un Seigneur, qui est Jésus-Christ, par qui toutes choses ont été faites, comme c’est par lui que nous sommes[54] ? »

Si dans ce passage, il ne faut pas comprendre le Fils dans ce qui est dit du Père, il faudra, si on l’ose, ne plus croire que le Père est Seigneur, puisqu’il est dit que « Notre-Seigneur Jésus-Christ est l’unique Seigneur. » Car si Jésus-Christ est l’unique Seigneur, il est le seul, et s’il est le seul, comment le Père sera-t-il lui aussi Seigneur, sinon parce que le Fils et le Père ne font qu’un seul Dieu, sans se séparer du SaintEsprit ? Le Père est donc un Dieu unique, et le Fils est un Dieu unique avec lui, quoiqu’il ne soit pas Père comme lui. De même Jésus-Christ est l’unique Seigneur, et le Père est l’unique Seigneur avec lui, quoique le Père ne soit pas Jésus-Christ comme le Fils : car Jésus-Christ n’a pris ce nom qu’en se revêtant de notre humanité par un miracle de miséricorde.

19. Peut-être que, dans ces paroles de l’Apôtre : « Jésus-Christ est le seul Seigneur par qui tout a été fait, » vous ne voulez pas que le mot « seul » se rapporte à « Seigneur, » mais à celui « par qui tout a été fait, » de façon que Jésus-Christ ne soit pas le seul Seigneur, mais le seul par qui tout a été fait, et que ce soit du Père seul que toutes choses procèdent et par le Fils seul qu’elles ont été faites ? S’il en est ainsi, vous avouez enfin que le Père et le Fils ne sont qu’un même Seigneur et un même Dieu. « Qui a connu les desseins de Dieu ? Qui a été son conseiller ? Qui lui a donné le premier pour en être récompensé ? Tout est de lui, tout est par lui, tout est en lui. À lui la gloire[55]. » Saint Paul ne dit pas que tout vient du Père et que tout se fait par le Fils, mais que tout est de lui, par lui et en lui ; et quel est celui-là si ce n’est le Seigneur dont l’Apôtre dit : « Qui a connu les desseins du Seigneur? » Tout est donc du Seigneur, par le Seigneur et dans le Seigneur ; l’un ne fait pas une chose et l’autre une autre chose ; mais tout, vient du même Seigneur ; et saint Paul n’a pas dit : « Gloire à.eux, » mais « gloire à lui. »

20. Si quelqu’un dit que dans ces paroles de l’Apôtre : « Jésus-Christ est le seul Seigneur « par qui tout a été fait, » il ne faut pas entendre que Jésus-Christ est le seul Seigneur ou le seul par qui tout a été fait, mais qu’il y a un seul Jésus-Christ, appelé aussi Seigneur, et non pas seul Seigneur, comme il est seul Jésus-Christ ; on aura à répondre à cet autre passage du même Apôtre : « Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, et un Dieu père de tous[56]. » Comme il parle du Père quand il dit qu’il n’y a qu’un seul Dieu père de tous, de qui parle-t-il quand il dit qu’il n’y a qu’un seul — Seigneur, si ce n’est de Jésus-Christ ? Si cela plaît à nos contradicteurs, que le Père cesse d’être le Seigneur, parce qu’il est dit que Jésus-Christ est le seul Seigneur. Et si un tel sentiment serait absurde et impie, apprenons à connaître l’unité du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et ce qui est dit d’un seul Dieu, ne craignons pas de l’entendre également du Fils et du Saint-Esprit. Il est vrai, le Père n’est pas le Fils, le Fils n’est pas le Père, l’Esprit de l’un et de l’autre n’est ni le Père ni le Fils ; mais cependant le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont qu’un seul et véritable Dieu.

21. Car si le Saint-Esprit n’était pas Dieu et le véritable Dieu, nos corps ne seraient point son temple. « Ne savez-vous pas, dit l’Apôtre, que vos corps sont le temple de l’Esprit-Saint, qui réside en vous, que vous avez reçu de Dieu ? » Et de peur qu’on ne vienne à nier que ce même Esprit soit Dieu, il ajoute : « Et vous n’êtes plus à vous-mêmes : car vous avez été achetés à haut prix. Glorifiez donc et portez Dieu dans votre corps, » Celui, sans doute, dont il vient de dire que nos corps sont le temple. Cela est déjà surprenant, s’il est vrai, comme j’apprends que vous le dites, que l’Esprit-Saint est moins grand que le Fils, de même que, selon vous, le Fils est moins grand que le Père. Car ; puisque d’après les paroles de l’Apôtre, nos corps sont les membres du Christ,- et que, d’après le même Apôtre, nos corps sont le temple de l’Esprit-Saint, j’admire comment ils sont les membres du plus grand et le temple de celui qui l’est moins. Peut-être allez-vous mieux aimer dire que le Saint-Esprit est plus grand que Jésus-Christ ? C’est un sentiment qui a l’air d’être appuyé, même par ces paroles de l’Évangile : « Il sera pardonné à celui qui aura parlé contre le Fils de l’homme ; mais celui qui aura parlé contre le Saint-Esprit n’obtiendra son pardon ni en ce monde ni dans l’autre[57]. » Il est plus dangereux, eu effet, de pécher contre celui qui est le plus grand que contre celui qui l’est moins, et il n’est pas permis de séparer le Fils de l’homme du Fils de Dieu, parce que le Fils de Dieu lui-même s’est fait le Fils de l’homme, non pas en cessant d’être ce qu’il était, mais en s’abaissant à être ce qu’il n’était pas. Mais à Dieu ne plaise que nous tombions dans une impiété tommes celle de croire que le Saint-Esprit est plus grand que le Fils ! tenons-nous en garde contre les passages des Livres divins qui sembleraient montrer l’un plus grand que l’autre.

22. Il est des endroits où, pour des hommes peu clairvoyants, le Fils lui-même paraît plus grand que le Père. Si on demande lequel est le plus grand, de ce qui est vrai ou de la vérité, qui ne répondra que la vérité est plus grande ? Car tout ce qui est vrai rte l’est que par elle. Il n’en est pas de même en Dieu. Nous ne disons pas que le Fils soit plus grand que le Père, et pourtant le Fils est appelé la vérité : « Je suis, dit-il, la voie, la vérité et la vie[58]. » Vous voulez n’entendre que du Père ce qu’il dit dans ce passage : « Afin qu’ils vous connaissent pour le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé[59]; » pour nous, nous sous-entendons ici Jésus-Christ vrai Dieu, comme si nous lisions : afin qu’ils vous connaissent pour le vrai Dieu, vous et Jésus-Christ que vous avez envoyé. Si Jésus-Christ n’est pas le vrai Dieu, parce qu’il dit au Père qu’il est le seul vrai Dieu, il faudra conclure que le Père n’est pas le Seigneur, parce qu’il a été dit du Christ qu’il est « le seul Seigneur. » Ce serait, toutefois, suivre un mauvais sens, ou plutôt ce serait tomber dans une erreur, que de dire le Dieu qui est la Vérité plus grand que le Dieu véritable, par la raison que le vrai vient de la vérité ; et de conclure ainsi que le Fils est plus grand que le Père, puisque le Fils est la « Vérité » et le Père « le Véritable. » On ne garde pas longtemps cette erreur, quand on sait que le Père est le Dieu véritable en engendrant la vérité, et non point en y participant : or, le vrai qui engendre et la vérité qui est engendrée ne peuvent être que de la même substance.

23. Mais l’œil du cœur de l’homme, si faible pour contempler ces choses, se trouble encore par l’opiniâtreté de la dispute. Et quand les découvrira-t-il ? L’Écriture dit que le Fils de Dieu, Jésus-Christ notre Seigneur et notre Sauveur, est le Verbe de Dieu, la Vérité et la Sagesse ; et des hommes disent qu’avant de s’incarner dans le sein de la Vierge Marie et de s’unir à rien de corporel, Jésus-Christ était visible et corruptible par cette nature même et cette substance qui fait qu’il est le Verbe et la Sagesse de Dieu ; ils le disent quand ils veulent n’entendre que du Père ce qui est dit dans ce passage de l’Apôtre : « Au seul Dieu invisible et incorruptible[60]. » Mais si le verbe de l’homme n’est pas visible, le Verbe de Dieu le sera bien moins. Il est cette Sagesse dont il a été dit qu’elle « atteint partout à cause de sa pureté, » que « rien de souillé n’est en elle, » et que « toujours immuable, elle renouvelle toutes choses ; » d’autres témoignages et des témoignages sans nombre de son éternelle pureté se rencontrent dans les Écritures ; et si on répète que cette Sagesse de Dieu est corruptible, je ne sais quoi dire, et je ne puis que gémir sur la présomption humaine et admirer la patience divine.

24. Il est dit de cette sagesse de Dieu qu’elle est « la Splendeur de la Lumière éternelle[61]; » je ne pense pas que les gens de votre sentiment eux-mêmes prétendent que la Lumière du Père (qui ne saurait être que sa substance) puisse avoir jamais été sans la Splendeur engendrée par elle, autant que la foi et l’intelligence nous permettent de pénétrer dans les divines merveilles d’une nature spirituelle et immuable : car j’entends dire qu’ils se sont amendés sur ce point. Et peut-être est-il faux qu’ils aient jamais dit que le Père soit sans le Fils, comme la Lumière éternelle sans la Splendeur qu’elle engendre. Que dirons-nous donc ? Si le Fils de Dieu est né du Père, le Père a cessé d’engendrer ; s’il a cessé, il a donc commencé ; et s’il a commencé à engendrer, il y a donc eu un temps où il était sans le Fils. Mais le Père n’a jamais été sans le Fils, parce que son Fils est sa Sagesse et qu’il est la Splendeur de l’éternelle Lumière. Le Père engendre donc toujours, et la naissance du Fils est éternelle. Il est encore à craindre qu’on ne croie imparfaite cette génération divine, si nous ne disons pas que le Fils est né mais qu’il naît. Compatissons ensemble, je vous en prie, à ces difficultés de la pensée et de la langue humaine, et recourons tous deux à l’Esprit de Dieu qui a dit dans le Prophète : « Qui racontera sa génération[62]? »

25. Je vous demande seulement de chercher soigneusement dans les saintes Écritures s’il est dit de substances différentes qu’elles né forment qu’une même chose. Si vous trouvez que cela ne soit dit que de ce qui est d’une seule et même substance, qu’est-il besoin de se révolter contre la foi véritable et catholique ? Si vous trouvez quelque part que cela soit écrit de substances différentes, il me faudra alors chercher d’autres témoignages qui justifient l’omousion à l’égard du Père et du Fils. Si ceux qui ne connaissent pas nos Écritures ou ne les examinent pas avec assez de soin, sans cependant cesser de croire que le Fils est égal au Père et de la même substance que lui, disaient à ceux d’un sentiment contraire, mais qui croient pourtant à un Fils unique de Dieu le Père : Dieu n’a-t-il pas voulu ou n’a-t-il pas pu avoir un Fils égal à lui ? S’il ne l’a pas voulu, c’est par envie ; s’il ne l’a pas pu, c’est par faiblesse ; or les deux assertions ne peuvent se faire sans sacrilège ; je ne sais pas ce que les contradicteurs pourraient répondre à ceci, sans tomber dans les absurdités et les folies.

26. Voilà l’exposition de ma foi, autant que je l’ai pu. On pourrait y ajouter beaucoup de choses et aller plus à fond ; mais je crains d’en avoir déjà trop dit pour le peu de loisir que vous laisse votre charge. Je ne me suis pas borné à le dicter, j’ai voulu encore le signer de ma main : je l’aurais fait pour notre conférence, si nos conventions eussent été maintenues. Maintenant au moins vous ne direz plus que j’ai craint de vous faire connaître ma foi ; la voilà, non-seulement énoncée de ma bouche, mais encore signée de ma main : cette précaution empêchera qu’on ne me prête autre chose que ce que j’aurai dit. Faites de même, si vous voulez pour juges entre nous, non pas des hommes qu’une crainte respectueuse retienne devant votre personne, mais des hommes qui puissent prononcer avec liberté. Si vous redoutez de la supercherie (ce que je n’aurais jamais osé dire si vous ne l’aviez dit le premier), vous pouvez ne pas signer : c’est pour cela que moi-même je me suis abstenu d’écrire votre nom dans ma lettre, de peur que cela ne vous déplût.

27. Il est aisé à chacun de triompher d’Augustin ; c’est à vous à voir si on en triomphe par la vérité ou à force de crier. La seule chose qu’il m’appartienne de dire, c’est qu’il est facile de vaincre Augustin, et beaucoup plus de paraître l’avoir vaincu, et de le dire. C’est très-aisé ; mais je ne veux pas que vous preniez cela pour une grande chose, non, je ne le veux pas ; je ne veux pas que vous le recherchiez comme quelque chose de grand. Quand les hommes s’apercevront que vous mettez là toute l’ambition de votre cœur, ils se féliciteront d’une occasion de se faire un ami d’un homme aussi puissant que vous, moyennant quelques mots d’admiration qui leur coûteront peu. Je ne dis pas qu’en se taisant ou en exprimant un sentiment contraire, ils pourraient craindre de vous avoir pour ennemi ; ce serait niais et fou, mais que voulez-vous ? la plupart des hommes sont comme cela.

28. Ne vous préoccupez donc pas des moyens de vaincre Augustin, qui n’est qu’un homme ; mais voyez plutôt si on peut vaincre l’omousion. Il ne s’agit point ici du terme grec, dont il est aisé de se moquer quand on ne le comprend pas ; il s’agit du sens même de ce mot que nous retrouvons dans ces passages : « Mon Père et moi nous ne sommes qu’un[63] ; » — « Père saint, conservez en votre nom ceux que vous nous avez donnés, pour qu’ils sachent un comme nous sommes un. » Et ensuite : « Je ne prie pas pour eux seulement, mais encore pour ceux qui doivent croire en moi par leur parole, afin que tous ils soient un, comme vous, mon Père, en moi, et moi en vous ; qu’ils soient de même un en nous, afin que le monde croie que vous m’avez envoyé. Et je leur ai donné la gloire que vous m’avez donnée, afin qu’ils soient un comme nous sommes un. Je suis en eux et vous en moi, afin qu’ils soient consommés dans l’unité[64]. » Vous voyez combien de fois le Seigneur dit : « Afin qu’ils soient un, comme nous sommes un ; » il ne dit jamais : « Pour qu’eux et nous, nous soyons un, » mais de même que vous et moi nous sommes un, « qu’ainsi ils soient un en nous. » Car, de même que ceux qu’il veut faire participer à la vie éternelle sont d’une même substance, de même il est dit du Père et du Fils qu’ils sont un, parce qu’ils sont d’une seule et même substance ; mais ils ne participent point à la vie éternelle, ils sont la vie éternelle elle-même. Jésus-Christ pouvait dire, en tant que revêtu de la forme de serviteur : eux et moi, nous sommes un, ou soyons un ; il n’a pas dit cela, parce qu’il voulait montrer l’unité de substance entre son Père et lui, comme l’unité de substance de ceux qu’il désirait sauver. Mais s’il avait dit : pour que vous et eux vous soyez un, comme vous et moi nous sommes un, ou bien : pour que vous, eux et moi nous soyons un, comme vous et moi nous sommes un ; nul d’entre nous ne pourrait nier que l’unité se fasse, malgré la différence des substances. Vous voyez qu’il n’en est pas ainsi, parce que tel n’a pas été le langage du Sauveur, et c’est en répétant la même chose qu’il nous fait fortement entendre ce qu’il veut nous dire.

29. Vous trouvez donc dans les Écritures quelque chose qui est un, malgré la différence des natures, comme nous l’avons montré plus haut ; mais on ajoute ou on sous-entend de quelle espèce d’unité il s’agit. C’est ainsi que nous disons d’une âme et d’un corps, qu’ils ne sont qu’un seul animal, une seule personne, un seul homme. Si, dans les Écritures, vous découvrez que ces paroles : Ils sont un, se disent sans aucune addition d’unités qui ne soient pas des unités de substance, vous aurez raison de nous demander de vous prouver d’une autre manière l’exacte vérité de l’omousion. Il resterait beaucoup d’autres choses à dire ; mais bornez-vous à méditer ceci, sans esprit de contention, afin que Dieu vous soit favorable. Car le bien de l’homme n’est pas de vaincre un homme, mais d’être vaincu volontiers par la vérité : c’est un malheur pour l’homme d’être vaincu par la vérité malgré lui. Il faut que la vérité triomphe, qu’on le veuille ou non. Pardonnez-moi si j’ai dit quelque chose avec trop de liberté : je ne l’ai pas fait pour vous outrager, mais pour me défendre. Je vous ai cru trop sérieux et trop équitable pour ne pas reconnaître que c’est vous qui m’avez imposé l’obligation de vous répondre ; mais, si en cela même j’ai mal fait, pardonnez-le-moi.

Moi, Augustin, après avoir dicté et relu cet écrit, je l’ai signé.

LETTRE CCXXXIX.


Saint Augustin, apprenant que Pascence répétait toujours les mêmes faussetés, lui écrit une seconde fois. Il lui demande de s’expliquer et l’engage à lire sa lettre à laquelle cet orgueilleux personnage avait fait un dédaigneux accueil.

AUGUSTIN À PASCENCE.

1. Si, comme je l’entends dire, vous prétendez que vous m’avez exposé votre foi et que je n’ai pas voulu vous exposer la mienne, rappelez-vous, je vous en prie, combien l’un et l’autre est faux. Car vous n’avez pas voulu me dire votre foi, et moi je n’ai pas refusé de vous dire la mienne ; mais j’entendais le faire de manière que nul ne pût rien ajouter ni rien ôter à mes paroles. Vous m’auriez fait connaître votre foi, si vous m’aviez dit en quoi elle diffère de la mienne, si vous aviez dit : « Je crois, en Dieu le Père, dont le Fils est une créature qui a précédé toutes les autres, et je crois au Fils lui-même qui n’est ni égal, ni semblable au Père, ni un Dieu véritable, et au Saint-Esprit, créé par le Fils depuis le Fils ; » car c’est là, assure-t-on, votre profession de foi. S’il n’est pas vrai que vous disiez cela, je voudrais bien le savoir par vous ; si c’est vrai, je veux savoir comment vous l’appuyez du témoignage des saintes Écritures. Mais maintenant vous dites que vous croyez « en Dieu le Père, tout-puissant, invisible, immortel, non engendré, et d’où procèdent toutes choses ; et en Jésus-Christ, son Fils, qui est Dieu et né avant les siècles, par qui tout a été fait, et au Saint-Esprit. » Ce n’est pas là votre foi, c’est celle de nous deux ; comme elle le serait encore si vous ajoutiez que la Vierge Marie a enfanté ce même Jésus-Christ, Fils de Dieu, et les autres choses qui appartiennent à notre commune foi. Si donc vous aviez voulu dire la vôtre, nous n’auriez pas dit celle qui nous est commune, mais plutôt celle par laquelle nous différons.

2. Vous entendriez encore cela de ma bouche, si, conformément à nos conventions, nos paroles étaient recueillies. Mais vous vous y êtes refusé, sous prétexte que vous craigniez de notre part de la supercherie, et, après le dîner, vous repoussâtes les conventions du matin : pourquoi donc me serais-je résigné à ce qu’il vous aurait plu de me faire dire, et pourquoi me serais-je privé du moyen de prouver ce que j’aurais dit ? Cessez donc de répéter que vous avez exposé votre foi et que je ne vous ai pas exposé la mienne : il y a des gens qui penseront que je me défiais moins de ma croyance que vous de la vôtre, puisque je voulais que l’expression en fût mise par écrit, et que vous redoutez cela comme une supercherie. Vous vous teniez donc prêt à nier ce que je vous aurais reproché d’avoir dit contre ma foi. Voyez ce que vous dormez à penser de vous. Si les dénégations n’entraient pas dans votre dessein, pourquoi n’avez-vous pas voulu qu’on écrivît ? Il est d’autant plus permis de s’étonner de ce refus, que vous aviez invité des hommes en dignité à assister à notre entretien. Pourquoi donc, dans votre préoccupation d’éviter des supercheries, craigniez-vous l’écriture des greffiers, et ne craigniez-vous pas le témoignage d’hommes illustres ?

3. Si vous voulez que je vous dise ma foi, comme vous prétendez m’avoir dit la vôtre, la voici en peu de mots : Je crois au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Mais si vous voulez que je marque ce en quoi vous différez de moi, je dirai : Je crois au Père, au Fils et au Saint-Esprit, sans croire que le Fils soit le Père, ni le Père le Fils, ni due le Saint-Esprit de l’un et de l’autre soit le Père ni le Fils ; cependant, le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu ; ces trois personnes forment un seul Dieu éternel et immortel par leur propre substance, comme Dieu seul est éternel et immortel par cette divinité qui est avant les siècles. Si cela vous déplaît et que vous demandiez que, je l’appuie du témoignage des saintes Écritures, lisez la lettre étendue que j’ai adressée à votre bénignité. Si vous n’en avez pas le temps, je n’ai pas le temps, moi non plus, de parler pour rien. Je puis cependant, avec le secours de Dieu, soit en dictant, soit en écrivant, répondre à ce que vous aurez dicté ou écrit pour me questionner.

Moi Augustin, après avoir dicté et relu cette lettre, je l’ai signée.

LETTRE CCXL.


Pascence se décide à répondre, et le malheureux n’a que des injures pour l’homme admirable qui lui avait dit la vérité et aurait voulu le ramener à la vraie foi.

J’avais souhaité, mon cher frère, que vous vous dépouillassiez d’une vieille erreur ; j’admire que vous y persistiez encore, comme on ne le voit que trop par la lettre que vous m’avez adressée. Votre grandeur est semblable à un homme qui, ayant très-chaud et tourmenté par une soif ardente, n’aurait trouvé à s’abreuver que dan, une eau bourbeuse ; il a beau ensuite boire une eau limpide et fraîche qu’il a rencontrée : la pureté de ce breuvage ne lui profite point, parce que la boue qu’il a une fois avalée lui envahit le cœur et l’âme. Enfin, permettez-moi de vous le dire, le conseil de votre excellence est comme un arbre courbé et noueux, qui n’a rien de droit en lui, et trompe l’œil le plus pénétrant. Votre sainteté m’écrit que le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu, mais qu’ils sont un seul Dieu. Mais lequel de ces trois est-il le seul Dieu ? Est-ce par hasard une personne à trois figures que vous appelez de ce nom ? Si vous l’aviez voulu et si vous aviez confiance dans vos croyances, vous viendriez auprès de moi avec, quelques-uns de vos collègues, animés d’un esprit de paix et guidés par la bonne foi ; nous aurions conféré ensemble sur les choses de Dieu, sur ce qui regarde sa gloire et sa grâce. Maintenant, qu’est-il besoin d’écrire et de répondre, lorsqu’il n’est plus possible de nous édifier ?

LETTRE CCXLI.


Saint Augustin répond à la précédente lettre, sans rien perde de son calme et de sa dignité. Il se permet quelques traits pour remettre à sa place le personnage qui s’oublie, et puis il en vient à la question elle-même, parce que l’intérêt de la vérité demeure toujours présent à sa pensée.

AUGUSTIN À PASCENCE.

1. Votre lettre ne pourra ni m’entraîner à rendre injure pour injure, ni m’empêcher de vous répondre. Je me préoccuperais de ce que vous m’avez écrit, si cela partait de la vérité de Dieu et non de la puissance d’un homme. Vous comparez mon conseil à un arbre courbé et noueux qui n’a rien de droit en lui et trompe l’œil le plus pénétrant. Q'auriez-vous dit de moi si j’avais manqué à ce qui a été convenu entre nous, et si, dans une chose très-aisée et qu’on avait bien fait d’accepter, j’avais laissé voir une tortueuse résistance et créé des nœuds de difficultés. Vous jugeriez que je ne m’étais point abreuvé dans une eau bourbeuse, mais, que l’ivresse m’avait fait manquer de foi, ce qui est pis, si, après dîner, je ne m’étais ras montré le même qu’auparavant. Ne venez-vous point de m’écrire ce que vous avez voulu, sans craindre aucune supercherie ? Vous pourriez donc ainsi écrire tout le reste, afin que nous-mêmes et les autres, nous fussions en mesure d’examiner et de juger. Vous me dites que le Dieu en qui je crois a trois figures ; Peut-être parleriez-vous autrement si vous aviez pris la peine de lire la lettre plus étendue que je vous ai adressée auparavant[65] et si vous vous étiez occupé d’y répondre. Mais enfin vous vous êtes décidé à déclarer que mon Dieu est un Dieu à trois figures, vous avez écrit cela, vous me l’avez envoyé, et vous n’avez redouté aucun piège : vous montrez combien j’ai raison de dire que si vous n’avez pas voulu laisser recueillir vos paroles pendant que nous étions ensemble, ce n’est pas que vous craignissiez la supercherie, mais c’est que vous n’aviez pas confiance dans la vérité de vos opinions. À présent il vous plaît de me demander si je crois en un Dieu à trois figures ; je réponds que telle n’est pas ma foi ; la forure de mon Dieu est une parce que la divinité est une, et c’est pourquoi le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ne font qu’un seul Dieu.

2. Mais vous, je vous en prie, dites-moi en peu de mots comment vous entendez ces paroles de l’Apôtre : « Celui qui se joint à une prostituée, devient un même corps avec elle ; mais celui qui s’unit au Seigneur, devient un même esprit avec lui[66]. » L’Apôtre dit que, par le rapprochement des deux sexes, les deux corps n’en font qu’un. L’esprit de l’homme ne peut pas dire : le Seigneur et moi nous sommes un, et cependant quand il s’unit au Seigneur, il devient un même esprit avec lui à plus forte raison celui qui, en toute vérité a pu dire : « Mon Père et moi nous sommes un[67], » parce qu’il est inséparablement uni au Père, Celui-là ne fait avec son Père qu’un seul et même Dieu. C’est à peine si nous osons employer le mot d’union quand il s’agit du Fils de Dieu avec son Père, car entre ces deux personnes divines, la séparation demeure éternellement impossible. Dites-moi, maintenant, si vous appelez un esprit à deux figures celui qui, s’unissant au Seigneur, deviendra un même esprit avec lui. Si vous me répondez que non, je vous répéterai que moi non plus je ne dis pas que le Père, le Fils et le Saint-Esprit, soient un Dieu à trois figures, mais un seul et même Dieu. Si vous voulez que nous conférions ensemble et de vive voix, j’en rends grâce à votre bonté et à votre bienveillance ; mais comme vous avez déjà commencé à m’écrire ce que vous avez voulu, consentez à laisser écrire ce que nous dirons vous et moi, et, Dieu aidant, je ne manquerai pas à vos désirs. Si en écrivant chacun de notre côté, nous ne pouvons pas nous édifier, comment le pourrions-nous avec des paroles dont il ne restera que du bruit et rien de saisissable pour la lecture ?

Moi Augustin, j’ai dicté ceci, et, après l’avoir relu, je l’ai signé. Laissons-là les injures, et ne perdons pas notre temps ; appliquons-nous plutôt à ce qui est en discussion entre nous.

LETTRE CCXLII.


Elpide était un laïque qui partageait les erreurs de l’arianisme ; il lui passa par l’esprit de vouloir éclairer saint Augustin sur la sainte Trinité ; il adressa à l’évêque d’Hippone une lettre qui ne nous est point parvenue, en même temps qu’un livre composé par un évêque arien. Elpide invitait aussi saint Augustin à consulter deux ariens qu’il disait fort savants. Notre Saint lui écrivit la lettre suivante.

AUGUSTIN À SON ILLUSTRE, HONORABLE ET DÉSIRABLE SEIGNEUR ELPIDE.

1. Qui de nous deux se trompe sur la foi ou la connaissance de la Trinité ? c’est une autre question. Pourtant je vous remercie de vos efforts pour me tirer de l’erreur où vous me supposez, quoique je vous sois inconnu de visage. Que le Seigneur vous récompense de cette bienveillance, en vous faisant connaître ce que vous croyez savoir ; car la chose est difficile selon moi. Ne prenez pas en mauvaise part, je vous en supplie, le vœu que je forme ici pour vous. Je crains en effet que, pensant tout savoir déjà, vous me prêtiez mal l’oreille, je ne dis pas à des instructions que je ne me flatte pas d’être en mesure de vous donner, mais à des vœux sincères qui n’ont pas besoin d’être accompagnés d’une grande science (ce n’est pas l’habileté, c’est l’amitié qui fait les veaux) ; je crains que vous ne vous fâchiez peut-être, si je ne vous félicite pas sur votre sagesse, au lieu de me remercier quand je la demande pour nous : je souhaite que vous l’obteniez. Cependant si, tout chargé que je sois du fardeau épiscopal, je vous rends grâces de m’indiquer, au-delà des mers, Bonose et Jason, savants hommes selon vous, et dont les entretiens me seraient grandement profitables ; si je vous remercie de m’avoir adressé, avec une bonté pleine de sollicitude, le livre d’un de vos évêques que vous jugez très-propre à dissiper mes ténèbres : combien n’est-il pas plus juste que vous me permettiez de vous souhaiter ce que nul effort de génie humain ne peut donner, et que Dieu seul peut accorder ! « Nous n’avons pas reçu, dit l’Apôtre, l’esprit de ce monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin que nous sachions quels dons Dieu nous a faits : nous les annonçons, non point dans les savantes paroles de la sagesse humaine, mais selon la doctrine de l’Esprit, et traitons spirituellement les choses spirituelles avec les spirituels. Mais l’homme animal n’entend « point ce qui est de l’Esprit de Dieu : c’est folie pour lui[68]. »

2. J’aimerais donc mieux, si c’était possible, chercher avec vous jusqu’où va le sens de ces mots « l’homme animal, » afin que, si nous nous sommes élevés au-dessus, nous puissions nous réjouir d’atteindre, par quelque côté, à ces vérités immuables qui dépassent l’intelligence humaine. Il faut prendre garde que ce ne soient les jugements de l’homme animal qui nous fassent paraître une folie l’égalité du Fils et du Père ; car c’est de l’homme animal qu’il est dit que les choses de l’Esprit de Dieu lui semblent une folie. Quoique cette majesté, plus haute que toute chose, accessible à la pensée des spirituels, échappe aux langues d’ici-bas, il me semble pourtant aisé de voir que celui-là n’a pas été fait par lequel tout a été fait et sans lequel rien n’a été fait. Car s’il a été fait par lui-même, il était avant d’être fait, autrement il n’aurait pu se faire ; ce qui est aussi faux à penser qu’absurde à dire. S’il n’a pas été fait par lui-même, il ne l’a pas été du tout, puisque « tout ce qui a été fait l’a été par lui : car toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait[69]. »

3. Je m’étonne qu’on fasse si peu attention au soin particulier qu’a pris l’Évangéliste de s’exprimer de manière à couper court à tout subterfuge ; il ne s’est pas contenté de dire : « Toutes choses ont été faites par lui, » mais il a voulu ajouter : « et sans lui rien n’a été fait. » Quant à moi, malgré l’épaisseur de mon esprit et de mes ténèbres, et quoique mon âme ne puisse contempler qu’avec un œil malade l’incomparable et ineffable excellence du Père et du Fils, j’entends sans difficulté ce que l’Évangile nous a ainsi marqué d’avance : ce n’est pas pour que nous comprenions cette divinité, c’est pour nous avertir de ne pas nous vanter témérairement de comprendre ce qui dépasse notre pensée. Car si toutes choses ont été faites par le Verbe, tout ce qui n’a pas été fait par lui n’a pas été fait ; or le Fils n’a pas été fait par lui-même, il n’a donc pas été fait. Nous sommes forcés par l’Évangéliste de croire que tout a été fait par le Fils de Dieu : il nous force donc aussi de croire que le Fils n’a pas été fait. Si sans lui rien n’a été fait, lui-même n’est donc rien, puisqu’il a été fait sans lui. Si c’est un sacrilège de le penser, il nous faut avouer qu’il n’a pas été fait sans lui ou bien qu’il na pas été fait. Or, nous ne pouvons pas dire qu’il ait été fait sans lui. Car s’il s’est fait lui-même, il était donc avant d’être ; et s’il a aidé un autre à le faire, il fallait exister déjà pour prêter son aide à celui-ci. Reste donc à dire qu’il a été fait sans lui. Mais tout ce qui a été fait sans lui n’est rien ; donc, ou le Fils n’est rien, ou il n’a pas été fait. Mais on ne peut pas dire qu’il ne soit rien ; il n’a donc pas été fait. Et s’il n’a pas été fait, et qu’il soit le Fils cependant, il est donc né sans aucun doute.

4. « Comment, dites-vous, le Fils a-t-il pu naître égal au Père de qui il est né ? » C’est ce que je ne puis expliquer, et je laisse le prophète s’écrier : « Qui racontera sa génération[70]? » Si vous pensez qu’il faut entendre ici la génération humaine par laquelle le Fils de Dieu est né d’une Vierge, examinez-vous vous-même, interrogez votre âme ; lorsque la génération humaine est elle-même un mystère, oserez-vous essayer de vous rendre compte de la génération divine ? Vous ne voulez pas que je dise que le Fils est égal au Père ; pourquoi ne dirais-je pas comme l’Apôtre ? Il nous déclare que Jésus-Christ « n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation de s’égaler à Dieu[71]. » Quoique l’Apôtre n’ait point expliqué cette égalité divine à des hommes dont le cœur n’était point encore assez pur, il a marqué néanmoins dans le Verbe ce que la pureté de l’âme serait capable de découvrir. Travaillons donc à effacer de notre cœur toute souillure, afin qu’à force de pureté notre œil intérieur devienne assez pénétrant pour voir ces merveilles : « Heureux ceux qui ont le cœur pur, a dit le Seigneur, parce qu’ils, verront Dieu[72]. » C’est ainsi qu’échappant aux images grossières de l’homme animal, nous monterons à cette sérénité lumineuse qui nous permettra de découvrir ce que nulle parole ne peut dire.

5. Si j’ai le loisir et le pouvoir de répondre au livre que vous avez bien voulu m’envoyer, vous reconnaîtrez, je crois, qu’on est d’autant moins revêtu de la lumière de la vérité qu’on se flatte davantage de la contempler et de la montrer sans voile. Pour ne citer que ce seul endroit du livre que vous m’avez adressé, et qui m’a paru déplorable, comment laisser dire à votre auteur qu’il a dépouillé la vérité de tout ce qui la couvrait, et qu’il la montre à qui veut la voir lorsque saint Paul nous dit : « Maintenant nous voyons comme dans un miroir et en énigme, mais alors nous verrons face à face ? » Si votre auteur avait dit : Nous voyons la vérité à découvert, il n’y aurait rien de plus aveugle qu’une aussi orgueilleuse prétention ; il ne se borne pas à dire nous voyons, mais : nous montrons ; de sorte que ce n’est pas assez de prétendre que la vérité se découvre à l’esprit, on veut encore qu’elle demeure pleinement soumise à la puissance de là parole humaine. Beaucoup de choses se disent sur l’ineffabilité de la Trinité ; ce n’est pas pour l’expliquer, car alors elle cesserait d’être ineffable, mais c’est afin qu’après ces inutiles efforts de la parole humaine on comprenne que la Trinité demeure au-dessus de toute explication.

Voilà une lettre déjà trop longue, d’autant plus que la vôtre m’a averti qu’il fallait être court. Vous avez voulu autoriser votre brièveté par la coutume des anciens ; vous pourrez toutefois ne pas trouver étrange que j’aie été moins court que vous, si vous vous rappelez l’étendue de quelques-unes des lettres de Cicéron : je cite cet ancien parce que vous avez invoqué son exemple.

LETTRE CCXLIII.


Un personnage, appelé Létus avait formé le dessein d’embrasser une sainte vie ; il était parti d’Hippone avec les intentions les plus sérieuses et les plus chrétiennes ; mais sa pieuse entreprise se trouva bientôt traversée par tous ses proches et surtout par sa mère. Saint Augustin lui écrivit pour soutenir son courage et lui marquer quels sont les devoirs d’un chrétien en face d’une mère qui s’efforce de l’arrêter dans la voie évangélique.

AUGUSTIN À SON BIEN-AIMÉ SEIGNEUR ET TRÈS-DÉSIRÉ FRÈRE LÉTUS, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. J’ai lu la lettre que vous avez adressée à nos frères, poussé par le besoin d’être soutenu au milieu des épreuves qui agitent votre apprentissage religieux ; vous y laissez voir le désir d’avoir une lettre de moi. Je compatis à votre affliction, mon frère, et ne puis refuser de vous écrire ; je le fais non-seulement pour vous, mais pour moi-même, car je ne veux pas manquer à un devoir de charité. Si donc vous vous êtes déclaré nouveau soldat du Christ, ne désertez pas son camp : vous avez à y bâtir cette tour dont le Seigneur parle dans l’Évangile. Debout devant cette tour, et combattant sous les armes de la parole de Dieu, on repousse les agressions de quelque côté qu’elles partent. De cette hauteur, les traits lancés contre l’ennemi l’atteignent avec plus de force, et l’on se préserve mieux des traits qu’on voit venir. Considérez que Notre-Seigneur Jésus-Christ, quoiqu’il soit notre roi, appelle aussi ses soldats des rois, par suite de cette miséricorde qui fait qu’il daigne voir en nous des frères ; il nous avertit que, pour soutenir le combat contre un roi qui a vingt mille hommes, il faut au moins en avoir dix mille.

2. Mais avant de se servir des comparaisons de la tour et du roi pour nous instruire, le Seigneur nous dit : « Si quelqu’un vient à moi, et ne hait point son père et sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sueurs et même sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple ; et s’il ne porte pas sa croix et ne me suit pas, il ne peut pas être mon disciple. Qui d’entre vous, voulant bâtir une tour, ne s’assied pas auparavant pour calculer s’il aura de quoi l’achever ; de peur qu’après en avoir posé les fondements, il ne puisse l’édifier, et que tous ceux qui passent et regardent, ne commencent à dire : Cet homme a commencé à bâtir, et n’a pas pu achever ? Ou quel est le roi qui, avant de combattre un autre roi, ne s’assied pas d’abord pour s’assurer s’il peut marcher avec dix mille hommes contre un ennemi qui vient à lui avec vingt mille ? Autrement, il envoie des ambassadeurs, tandis que l’ennemi est encore loin, et lui demande la paix. » Le sens de ces comparaisons se découvre pleinement dans les paroles suivantes : « Ainsi donc, quiconque d’entre vous ne renonce pas à tout ce qu’il possède, ne peut pas être mon disciple[73]. »

3. C’est pourquoi la précaution d’avoir de quoi édifier la tour et d’avoir dix mille hommes de guerre contre le roi qui s’avance avec vingt mille, ne signifie rien autre chose que l’obligation de renoncer à tout ce qu’on possède. Le commencement du discours s’accorde avec la fin. Le précepte de renoncer à tout comprend celui de « haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs et même sa vie. » Toutes ces choses appartiennent en propre à l’homme ; elles sont le plus souvent des embarras et des obstacles pour obtenir, non pas ce qui appartient séparément à chacun, et dont la durée est fugitive, mais pour obtenir un bien commun, qui demeure éternellement.

Par cela même qu’une femme est votre mère, elle n’est pas la mienne ; c’est qu’il s’agit ici d’une chose temporelle et passagère, comme votre naissance et votre allaitement. Mais comme elle est aussi votre sœur dans le Christ, elle est également la mienne ; elle est la sœur de tous ceux à qui l’héritage du ciel est promis, et qui auront Dieu pour père, et le Christ pour frère dans une même société de charité. Ce sont là des choses éternelles, inaccessibles aux atteintes du temps ; des aloses dont nous devons d’autant plus espérer la possession, que ce n’est point en vertu d’un droit particulier, mais plutôt d’un droit commun qu’elles nous sont annoncées.

Vous pouvez très-aisément reconnaître cela dans votre mère elle-même. Les embarras qu’elle vous suscite, et ses efforts pour vous détourner de la voie où vous êtes entré, d’où viennent-ils, sinon de ce qu’elle est votre propre mère ? Les obstacles ne vous viennent pas de ce qu’elle est la sœur de tous ceux qui ont Dieu pour père et l’Église pour mère ; en cette qualité, elle ne vous empêche pas plus qu’elle ne m’empêche moi-même, ni tous nos frères ; et nous ne l’aimons pas séparément comme vous dans votre maison, mais nous l’aimons d’une charité commune dans la maison de Dieu. Ces liens particuliers du sang qui vous unissent à elle, vous donnent le droit de l’entretenir avec plus de liberté, et de lui demander plus facilement de faire mourir en elle son amour particulier pour vous : il ne faut pas que ce soit une plus grande chose pour elle de vous avoir enfanté, que d’avoir été enfantée avec vous par l’Église. Ce que je dis de votre mère doit s’entendre de tous vos proches. Que chacun s’applique à haïr en soi ce qui est un pur sentiment particulier, et qui n’est que temporel ; qu’il s’attache à aimer dans son âme cette société, cette communion dont il a été dit : « Il n’y avait entre eux et pour Dieu qu’un seul cœur et à une seule âme[74]. » C’est ainsi que votre âme cesse d’être la vôtre propre, pour devenir l’âme de tous vos frères ; leurs âmes sont aussi les vôtres, ou plutôt, leurs âmes et la vôtre n’en font plus qu’une : c’est l’âme unique du Christ qui, dans le psaume[75], demande d’être délivrée de la rage des chiens. Il n’y a pas loin de la au mépris de la mort.

5. Nos parents ne doivent pas se plaindre que le Seigneur nous prescrive de les haïr, puisque la même prescription s’applique à notre âme. De même qu’il nous est commandé de haïr pour le Christ notre âme et nos parents, ainsi, dans un autre endroit, ce que le Seigneur dit de l’âme peut se rapporter aux parents : « Celui qui aime, dit-il, son âme, la perdra[76]. » Je dirai aussi résolument : celui qui aime ses parent, les perdra. Le mot de haïr se trouve là appliqué à l’âme dans le même sens qu’ici le mot de perdre. Ce commandement ne signifie pas qu’il faille se tuer, ce qui est un crime inexpiable ; cela signifie qu’on doit éteindre en soi le sentiment charnel de l’âme, qui fait aimer la vie présente aux dépens de la vie à venir ; c’est le sens de ces mots : « Haïr son âme, perdre son âme. » Cela se fait cependant en aimant ; car l’Évangile a clairement marqué, dans le même précepte, comment on sauve son âme : « Celui qui perdra son âme en ce monde, dit-il, la trouvera pour la vie éternelle ». Ainsi faut-il dire des parents que celui qui les aime, doit les perdre, non point avec le fer des parricides, mais avec le glaive spirituel de la parole de Dieu. Ce glaive spirituel atteindra pieusement et fidèlement en eux l’affection charnelle par laquelle ils s’efforcent de s’embarrasser eux-mêmes dans les choses humaines, eux et ceux qu’ils ont engendrés ; il fera revivre en eux le sentiment chrétien par lequel ils reconnaîtront qu’ils sont les frères de leurs enfants selon le monde, et qu’ils ont avec eux, pour parents éternels, Dieu et l’Église.

6. Voilà que l’amour de la vérité vous saisit ; vous brûlez de connaître et de comprendre la volonté de Dieu dans les saintes Écritures ; le devoir de la prédication évangélique vous entraîne. Le Seigneur donne le signal pour que nous veillions dans le camp, pour que nous bâtissions la tour du haut de laquelle nous puissions voir et repousser l’ennemi de la vie éternelle. La trompette céleste pousse au combat un soldat du Christ, et sa mère l’arrête ! Elle ne ressemble pas à la mère des Macchabées, ni même aux mères de Lacédémone qui, diton, excitaient leurs fils aux combats bien plus que tous les bruits belliqueux, afin qu’ils répandissent leur sang pour la patrie terrestre. La mère qui ne permet pas que vous vous éloigniez des choses d’ici-bas pour apprendre la véritable vie, montre assez qu’elle ne vous lais serait point souffrir la mort pour soutenir votre foi.

7. Mais que dit-elle ? Que prétend-elle ? Peut-être vous parle-t-elle des dix mois pendant lesquels elle vous a porté dans son sein, des douleurs de son enfantement, de tout ce qu’elle a eu de peine à vous élever. Tuez, tuez cela par le glaive de la parole spirituelle ; voilà en quoi vous devez perdre votre mère, pour la trouver dans la vie éternelle. Souvenez-vous de haïr cela en elle, si vous l’aimez, si vous êtes soldat du Christ, si vous avez posé les fondements de la tour, de peur que les passants ne disent : « Cet homme a commencé à édifier, et n’a pas pu achever. » C’est là un sentiment tout charnel et qui sent encore le vieil homme. Nous tous qui sommes enrôlés sous le drapeau de Jésus-Christ, nous devons travailler à abolir ce sentiment en nous et dans les nôtres. Que cette application constante ne nous rende pas ingrats envers nos parents : reconnaissons tout ce que nous devons à ceux qui nous ont donné le jour et qui ont pris soin de nous : que chacun garde en toute chose cette piété : qu’on demeure fidèle à ce devoir tant que de plus grands intérêts ne nous appellent pas.

8. L’Église est une mère ; elle a aussi pour fille votre mère. Elle vous a conçus du Christ, vous a enfantés avec le sang des martyrs, et vous a formés pour la lumière éternelle ; elle vous a nourris et vous nourrit encore du lait de la foi ; elle vous prépare une plus solide nourriture, et voit avec horreur que vous veuilliez en rester au vagissement des enfants. Cette mère, répandue sur toute la terre, est attaquée par tant d’erreurs que, parmi ses enfants, ceux qui ne sont que des avortons ne craignent pas de combattre contre elle avec des armes rebelles. Elle s’afflige que, par la lâcheté et la langueur de quelques-uns de ceux qu’elle renferme dans son sein, ses membres se refroidissent en plusieurs endroits, et qu’elle ne puisse réchauffer les petits. D’où lui peut venir le secours auquel elle a droit, si ce n’est d’autres enfants et d’autres membres, au nombre desquels vous êtes ? Délaisserez-vous cette mère dans ses besoins pour n’obéir qu’aux paroles de la chair et du sang ? N’entendez-vous pas ses plaintes, et des plaintes plus vives ? Ne vous montre-t-elle pas aussi un sein qui devrait vous être plus cher et des mamelles qui vous ont nourri pour le ciel ? Ajoutez l’incarnation de son divin époux, afin de vous détacher des liens de la chair ; tout ce que votre mère vous reproche d’avoir souffert pour vous, a été accepté et subi à votre profit par le Verbe éternel : ajoutez les outrages, les flagellations, la mort, et la mort de la croix.

9. Quoi ! après une telle naissance, pour marcher dans une vie nouvelle, vous languissez et vous séchez dans la décrépitude du vieil homme ! Est-ce que votre Chef n’avait pas, lui aussi, une mère de la terre ? Et pourtant, quand on vint lui dire qu’elle le cherchait, pendant qu’il s’occupait des choses du ciel, il répondit : « Qui est ma mère, et qui sont mes frères ? » Puis étendant la main sur ses disciples, il dit que ceux-là seuls étaient ses proches qui faisaient la volonté de son Père[77]. Assurément il comprit, dans sa bonté, Marie elle-même dans ce nombre, car celle-ci faisait la volonté du Père. La qualité de mère, sous laquelle on vint lui annoncer Marie, avait quelque chose de particulier et de personnel ; le bon et divin Maître rejeta cette parenté terrestre, qui n’était rien en comparaison de la parenté du ciel : et il fit voir dans ses disciples, cette parenté d’un ordre plus élevé, montrant par là quelle sorte de lien l’unissait à la Vierge, comme aux autres saints. De peur qu’en nous apprenant, avec une autorité si salutaire, à mépriser ainsi les sentiments purement charnels dans nos parents, il ne parût autoriser l’erreur de ceux qui nient qu’il ait eu une mère. Jésus-Christ, dans un autre endroit, avertit ses disciples de ne pas dire qu’ils aient un père sur la terre[78]; comme il est évident que ses disciples ont eu des pères, il est évident que lui-même a eu une mère, et en méprisant sa parenté terrestre, il a montré à ses disciples par son exemple à mépriser ces sortes de liens.

10. Ces leçons et ces exemples divins rencontrent dans votre cœur les plaintes de voire mère ; elle trouve à y placer le souvenir des douleurs et des peines que lui ont coûtées votre naissance et les premiers temps de votre vie ; elle veut que né d’Adam et d’Eve vous deveniez un autre Adam. Mais regardez, regardez plutôt le second Adam descendu du ciel ; portez l’image de l’homme céleste, comme vous avez porté l’image de l’homme terrestre[79]. Souvenez-vous ici de ce que votre mère a fait pour vous, et dont elle s’arme elle-même pour amollir votre cœur ; souvenez-vous-en : ne soyez point ingrat, payez votre dette à votre mère, donnez (49) lui les biens spirituels en échange des biens charnels, les biens éternels en échange de ce qui passe. Refuse-t-elle de vous suivre ? qu’elle ne vous empêche pas au moins de marcher. Refuse-t-elle de se changer en mieux ? prenez garde qu’elle ne vous change en pis, et qu’elle ne vous renverse. Qu’il s’agisse d’une épouse ou d’une mère, Eve est toujours redoutable dans quelque femme que ce soit. Car cette ombre de piété provient des feuilles mime dont nos premiers parents voulurent tout à coup couvrir leur nudité coupable ; et tout ce que les paroles et les instances de votre mère réclament de vous, comme un devoir de charité, pour vous éloigner de la véritable et fraternelle charité de l’Évangile, appartient aux ruses de l’antique serpent et à la duplicité de ce roi qui vient nous attaquer avec vingt mille hommes, tandis qu’on nous enseigne à le vaincre avec dix mille ; c’est-à-dire dans cette simplicité de cœur avec laquelle nous devons chercher Dieu.

11. Considérez plutôt tout ceci, mon cher frère, et portez votre croix, et suivez le Seigneur. Quand vous étiez auprès de nous, je m’apercevais que les soins domestiques ralentissaient votre zèle pour Dieu ; je voyais que c’était plutôt votre croix qui vous portait et vous conduisait, que vous ne la portiez et ne la conduisiez vous-même. Cette croix, que le Seigneur veut que nous portions, afin de le suivre plus facilement, qu’est-ce autre chose que la mortalité de notre chair ? Elle nous tourmente jusqu’à ce que la mort soit absorbée dans sa victoire[80]. Il faut donc crucifier cette croix elle-même, et la percer par les clous de la crainte de Dieu, de peur que, devenue rebelle par une mauvaise liberté, il ne soit plus possible de la porter. Vous ne pouvez pas suivre le Seigneur si vous ne portez cette croix ; comment le suivre, en effet, si vous n’êtes pas à lui ? Or « ceux qui sont à Jésus-Christ, dit l’apôtre, ont crucifié leur chair avec leurs passions et leurs désirs[81]. »

12. Si vous avez de l’argent, il ne faut pas, il ne convient pas que vous vous en embarrassiez ; donnez-le à votre mère et aux gens de votre maison. Si, voulant être parfait, vous avez l’intention de distribuer cet argent aux pauvres, vous devez d’abord songer à ceux de vos proches qui sont dans le besoin. « Si quelqu’un, dit l’Apôtre, n’a pas soin des siens et particulièrement de ceux de sa maison, il a renié la foi, et il est pire qu’un infidèles[82]. »

Si vous êtes parti d’ici uniquement pour régler ces choses et pour être plus libre de porter le joug de la sagesse, que peuvent vous faire les larmes d’une mère, larmes due la chair seule fait couler, la fuite d’un serviteur, la mort des servantes, la mauvaise santé de vos frères ? S’il y a en vous une charité bien ordonnée, sachez préférer les grandes choses aux petites ; réservez votre compassion pour les pauvres qui ne sont pas évangélisés ; empêchez que, faute d’ouvriers, l’abondante moisson du Seigneur ne demeure la proie des oiseaux ; tenez votre cœur prêt à suivre la volonté du Seigneur, dans ses desseins de châtiment ou de miséricorde sur ses serviteurs : méditez ces choses, soyez-en toujours occupé, afin que votre avancement soit connu de tous[83]. Prenez garde, je vous en supplie, de donner à nos saints frères plus de tristesse par votre engourdissement que vous ne leur avez donné de joie par votre ferveur. Je trouve aussi inutile de vous recommander par une lettre, comme vous le voudriez, que si quelqu’un voulait vous recommander à moi-même.

LETTRE CCXLIV.


Saint Augustin écrit pour empêcher un chrétien de se désoler outre mesure de la perte de choses temporelles.

AUGUSTIN À SON SEIGNEUR JUSTEMENT ET VÉRITABLEMENT TRÈS-CHER, À SON HONORABLE FRÈRE CHRISIME, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. On me dit (et Dieu fasse que ce ne soit qu’un bruit), que votre esprit est bouleversé ; je m’étonne qu’un sage et un chrétien comme vous pense si peu que les choses de la terre ne sont pas à comparer avec celles du ciel, où nous devons placer notre cœur et notre espérance. Homme de bon sens que vous êtes, vous aviez donc mis tout votre bonheur dans ce que vous paraissez perdre ? ou bien était-ce pour vous quelque chose de si grand que, cela de moins, votre esprit s’obscurcît par un excès de tristesse, comme si ce n’était pas Dieu mais la terre qui fût sa lumière ? J’entends dire (et, je le répète, plaise à Dieu due ce ne soit pas vrai !), que vous auriez voulu attenter à vos jours ; je ne crois pas qu’une telle pensée soit jamais entrée dans votre cœur ni sortie de votre bouche. Mais cependant votre trouble a été assez profond pour qu’on ait pu vous prêter un pareil dessein ; j’en suis affligé et j’ai voulu vous adresser ces mots de consolation. Je ne doute pas cependant que le Seigneur notre Dieu n’ait déjà fait entendre de meilleures choses à l’oreille de votre cœur, car je sais avec quel zèle pieux vous avez toujours écouté sa parole.

2. Relevez-vous donc, mon cher frère dans le Christ ; notre Dieu n’est jamais perdu pour ceux qui lui appartiennent et Dieu ne perdra pas les siens ; mais il veut nous avertir de la fragilité et de l’incertitude des biens humains dont on est trop épris, afin que nous brisions les chaînes de la cupidité par lesquelles ces biens nous entraînent, et que nous accoutumions notre amour à courir tout entier vers Celui que rien ne pourra nous ravir. Il vous parle lui-même par ma bouche ; songez avec toute l’énergie de votre âme que voies êtes un chrétien fidèle, et racheté au prix du sang d’un Dieu. Ce n’est pas seulement par sa sagesse éternelle, c’est encore par la présence de son humanité, sur la terre, qu’il nous a appris à mépriser par la tempérance les prospérités de ce monde, et à en supporter avec force les adversités, nous promettant pour récompense une félicité que personne ne peut nous enlever. J’écris aussi à l’honorable comte ; vous ferez de cette lettre l’usage que vous voudrez. Dieu aidant, je ne doute pas que vous ne trouviez quelqu’un pour la lui remettre, évêque, prêtre, ou tout autre quel qu’il soit.

LETTRE CCXLV.


Saint Augustin répond à son saint ami Possidius, qui l’avait consulté pour savoir s’il devait interdire certaines parures parmi les chrétiens. On trouvera ici des détails qui sont d’intéressants traits de mœurs de cette époque, et l’on s’étonnera de la persistance de certaines pratiques païennes au milieu d’un peuple converti à la foi de l’Évangile.

AUGUSTIN ET LES FRÈRES QUI SONT AVEC LUI, AU BIEN-AIMÉ SEIGNEUR, AU VÉNÉRABLE FRÈRE ET COLLÈGUE POSSIDIUS ET AUX FRÈRES QUI SONT AVEC LUI, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. 2 faut penser bien plus au parti que vous prendrez avec ceux qui refusent d’obéir, qu’aux moyens de leur montrer que ce qu’ils font n’est pas permis. La lettre de votre sainteté m’a trouvé très-occupé ; le porteur est fort pressé de s’en retourner ; je ne puis ni le laisser partir sans réponse ni vous répondre comme il faudrait. Je ne veux pas pourtant que vous vous hâtiez d’interdire les parures d’or et les riches vêtements, sauf à l’égard de ceux qui, n’étant pas mariés et ne désirant pas se marier, ne doivent songer qu’à plaire à Dieu. Quant aux autres, ils pensent à ce qui est de ce monde ; les maris cherchent à plaire à leurs femmes et les femmes à leurs maris[84]. Il ne convient pas pourtant que les femmes, même celles qui sont mariées, laissent voir leurs cheveux : l’Apôtre veut qu’elles soient voilées[85]. Pour ce qui est de l’emploi du fard afin de se donner plus d’éclat ou de blancheur, c’est une misérable falsification : je suis bien sûr que les maris eux-mêmes ne voudraient pas être ainsi trompés ; or, c’est seulement pour leurs maris qu’il est permis aux femmes de se parer : c’est une simple tolérance et non point un ordre. Car la vraie parure, surtout des chrétiens et des chrétiennes, ce n’est point le charme menteur du fard, ni l’éclat de l’or, ni la richesse des étoffes, ce sont les bonnes mœurs.

2. Mais il faut avoir en exécration la superstition de ces nœuds[86] au nombre desquels on doit compter les pendants d’oreilles que les hommes portent d’un seul côté : cela ne se fait point pour plaire aux hommes, mais pour honorer les démons. Il n’y a pas à chercher dans les Écritures des prescriptions particulières contre de criminelles superstitions, après que l’Apôtre a dit en général : « Je veux que vous n’ayez aucune société avec les démons[87], et encore : « Qu’y a-t-il de commun entre le Christ et Bélial[88]? » J’espère qu’on j ne prétendra point que l’Apôtre, ayant nommé Bélial et interdit la société des démons en général, mais n’ayant rien marqué de particulier sur Neptune, les sacrifices à Neptune sont permis aux chrétiens. Il faut avertir ces malheureux que s’ils refusent d’obéir à des préceptes salutaires, ils doivent au moins se garder de soutenir leurs sacrilèges, de peur de tomber dans un crime plus grand., Mais quel parti prendre avec eux s’ils craignent de détacher leurs pendants d’oreilles et ne craignent pas de recevoir le corps du Christ avec cette marque du démon !

Pour ce qui est de l’ordination de celui qui a été baptisé dans le parti de Donat, je ne puis rien prendre sur moi à cet égard : car autre chose est de le faire si on vous y oblige, autre chose est de demander si vous pouvez le faire.

LETTRE CCXLVI.


Saint Augustin fait voir en peu de mots ce qu’il y a de faux et d’absurde dans la doctrine qui mettrait les péchés des hommes sur le compte du destin.

AUGUSTIN À LAMPADIUS.

1. Je me suis aperçu lorsque vous étiez près de moi, et je viens de voir par votre lettre avec plus de satisfaction et de certitude, combien votre esprit s’émeut de ce qu’on dit du destin et de la fortune. Je vous dois une grande réponse ; le Seigneur me fera la grâce de la faire de la façon qu’il jugera la meilleure pour le salut de votre foi. Car ce n’est pas un petit mal, non-seulement d’être entraîné par de fausses opinions à commettre le péché en cédant aux attraits de la volupté, mais encore excuser en refusant le remède de la confession.

2. Pour le moment sachez en peu de mots que si la volonté n’est pas elle-même la cause du péché, toutes les lois et toutes les règles de la morale, les louanges, les reprochés, les exhortations, les terreurs, les récompenses, les supplices, et tout ce qui sert à conduire et à gouverner le genre humain s’ébranle, tombe en ruine, et qu’il n’y reste plus aucune trace de justice. Combien donc est-il meilleur et plus juste de blâmer les erreurs des astrologues que d’être forcés de condamner et de rejeter les lois divines et même le soin de nos maisons ! et d’ailleurs les astrologues eux-mêmes n’en sont pas là. Après que quelqu’un d’entre eux a vendu de sottes prédictions à des gens qui ont de l’argent, et que, détachant ses yeux des tablettes d’ivoire, il s’occupe du gouvernement de sa maison, le voilà qui commence à adresser des reproches à sa femme ; il ne se borne pas aux mots, il en vient aux coups ; je ne dis pas pour l’avoir vu folâtrer plus qu’il ne faut, mais pour l’avoir vu rester trop longtemps à sa fenêtre. Si pourtant elle lui disait Pourquoi me battez-vous ? battez plutôt Vénus, si vous le pouvez, car c’est elle qui me force de faire cela ; l’astrologue assurément ne se soucierait pas des vaines paroles qu’il débite aux étrangers pour les tromper, et ne se mettrait en peine que de la justice de ses sévérités.

3. Lors donc que quelqu’un, repris pour une faute, la rejette sur le destin et prétend qu’on ne doit pas la lui reprocher, parce que le destin l’a contraint à faire ce qu’il a fait, qu’il revienne à lui-même et qu’il pratique cela avec les siens : qu’il ne châtie pas le serviteur qui l’aura volé, qu’il ne se plaigne pas du fils qui l’outrage, qu’il ne menace point un mouvais voisin. Où sera son droit de châtier ou de se plaindre, si tous ceux qui lui font du tort n’ont point agi par leur propre faute, mais sous la contrainte du destin ? Si au contraire, dans son pouvoir et son devoir de père de famille, il étend sa vigilance sur tous ceux qui lui sont soumis ; s’il les exhorte au bien, les détourne du mal et leur prescrit l’obéissance ; s’il récompense ceux qui obéissent et s’il punit ceux qui méprisent ses ordres, s’il rend le bien pour le bien et s’il déteste les ingrats, qu’ai-je besoin de disputer avec lui sur le destin ? chacune de ses paroles et chacune de ses actions sont des démentis donnés à tous les astrologues.

Si cette courte lettre ne vous suffit point et que vous désiriez un livre là-dessus, attendez que j’aie quelque loisir, et priez Dieu qu’il m’accorde du temps et tout ce qu’il faut pour satisfaire votre esprit à cet égard. J’y serai plus disposé cependant si votre charité veut bien me rappeler plus d’une fois par lettre la promesse que je vous fais, et si vous m’apprenez par une réponse ce que vous pensez de ce que je vous écris aujourd’hui.

LETTRE CCXLVII.


Saint Augustin intervient auprès d’un maître impitoyable pour empêcher qu’il exige que des paysans le payent deux fois.

AUGUSTIN À SON BIEN-AIMÉ SEIGNEUR ET FILS ROMULUS, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. La vérité est douce et amère : douce quand elle épargne, amère quand elle veut guérir. Vous l’éprouverez, si vous ne refusez pas de boire ce que je vous présente en ce moment. Plût à Dieu que les injures que vous m’adressez ne vous fissent pas plus de mal qu’à moi ! Et plût à Dieu que l’iniquité dont vous usez envers des malheureux et des pauvres vous fût aussi nuisible qu’elle l’est à eux-mêmes ! Car, pour eux, ils souffrent pendant un temps ; mais voyez, pour vous, quels trésors vous vous préparez au jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres[89] ! Je prie sa miséricorde de vous corriger ici comme il l’entend, plutôt que d’attendre ce jour, où il n’y aura plus de place pour le repentir ; je supplie Celui qui vous a donné cette crainte de lui-même, cette crainte qui m’empêche de désespérer de vous, je le supplie de vous ouvrir l’esprit, afin, que vous puissiez voir ce que vous faites, que vous en ayez horreur, et que vous reveniez à de meilleurs sentiments. Cela vous paraît peu de chose, presque rien, et c’est pourtant un très-grand mal ; quand, votre cupidité une fois domptée, il vous sera permis de le voir, vous arroserez la terre de vos larmes, demandant à Dieu d’avoir pitié de vous. Si c’est moi qui suis injuste, en demandant que de malheureux et de pauvres gens ne payent pas deux fois ce qu’ils doivent, puisqu’ils ont remis à votre intendant ce qu’il exigeait d’eux en votre nom (et l’intendant ne pourrait nier l’avoir reçu) ; si donc, dis-je, c’est moi qui suis injuste, parce que je trouve mauvais qu’on fasse payer deux fois ce que ces malheureux ne peuvent que difficilement payer une seule fois, faites ce que vous voudrez. Si, au contraire, vous reconnaissez que c’est une injustice, faites ce qui convient, faites ce que Dieu ordonne, et ce que je vous demande.

2. C’est moins pour ces malheureux (celui que je crains le sait), c’est pour vous-même que je vous prie « d’avoir pitié de votre âme, selon les paroles de l’Écriture, en cherchant à plaire à Dieu[90]. » Et ce ne sont pas des prières, mais des reproches qu’il faudrait vous adresser, car il est écrit : « Je reprends et je châtie celui que j’aime[91]. » Si c’était pour moi cependant que je dusse vous prier, peut-être ne le ferais-je pas ; mais parce que c’est pour vous, je vous demande de vous épargner vous-même dans votre colère, de vous fléchir vous-même, afin que celui que vous priez se laisse fléchir. J’ai envoyé vers vous samedi, pendant que vous dîniez encore ; je vous demandais de ne pas partir sans m’avoir vu ; vous en avez fait la promesse. Vous êtes venu à l’église dimanche, d’après ce qu’on m’a dit ; vous avez prié, vous êtes parti et n’avez pas voulu me voir. Que Dieu vous le pardonne. Que vous dirai-je de plus, si ce n’est que Dieu sait combien je le désire ? Mais je sais aussi que si vous ne changez pas, sa justice vous attend. En vous épargnant, vous m’épargnerez moi-même ; car je ne suis pas assez misérable, ni assez éloigné de la charité du Christ, pour ne point sentir dans le cœur une blessure profonde, en voyant se conduire de la sorte ceux que j’ai enfantés dans l’Évangile.

3. Vous direz encore : Je ne leur avais pas ordonné de remettre l’argent à Ponticant[92]. On vous répondra : Mais vous leur avez ordonné d’obéir à Ponticant ; ils ne pouvaient pas marquer dans quelle mesure ils avaient à lui obéir, surtout lorsqu’il réclamait ce que ces pauvres gens reconnaissaient devoir. Si votre intendant le leur demandait sans votre consentement, vous auriez dû leur adresser une lettre qu’ils auraient mise sous ses yeux ; ils lui auraient alors déclaré qu’ils ne le paieraient pas avant d’être informés de vos intentions à cet égard. Si vous leur avez ordonné un jour, de vive voix, de ne rien donner à l’intendant, ils ont pu ne pas s’en souvenir ; et vous-même vous pouvez ne pas vous souvenir de l’avoir véritablement ordonné, et ne pas savoir si c’est à eux, ou à d’autres, ou à tous vos paysans ; il peut d’autant plus en être ainsi que vous n’avez pas désapprouvé qu’un autre intendant ait reçu, et sans préjudice pour vous, l’argent qui était dû. Je vous dis alors : Mais si celui-ci avait détourné l’argent comme l’autre, aurait-il fallu que ceux qui Point payé payassent une seconde fois ? Et alors vous parûtes regretter qu’ils eussent acquitté leur dette avec cet intendant ; et vous me répétiez que vous n’aviez jamais chargé ni Valère, ni Aginèse de vos intérêts. On en vint tout à coup à parler du vin ; le devoir des paysans était d’avertir qu’il commençait à s’aigrir, et l’on vous dit que Valère était absent : vous oubliâtes alors, je crois, ce que tant de fois vous m’aviez fait entendre, et vous dites qu’ils auraient dû montrer le vin à Aginèse, et agir d’après ses ordres. Je vous fis observer que vous n’aviez pas coutume de charger de vos intérêts ni Valère, ni Aginèse, et vous me répondites : « Mais Aginèse avait une lettre de moi : » comme si votre habitude eût été d’écrire, pour que vos paysans fussent certains de la vérité des ordres transmis en votre non. Quand ils voient des personnes ainsi occupées de vos affaires, ils ne peuvent pas imaginer qu’elles oseraient prescrire quoi que ce soit, si vous ne leur cri aviez donné le pouvoir. Au milieu de ces incertitudes ou ne voit donc pas ce due vous ordonnez, ils ne peuvent rien savoir de certain s’il n’ont pas vos lettres à montrer à tous, et s’ils n’obéissent pas à des lettres de vous qui leur seront présentées lorsqu’il s’agira de leur faire payer quelque chose.

4. Mais à quoi bon de longs discours, pourquoi vous importuner dans vos affaires et exciter en vous, par trop de paroles, une irritation qui peut retomber sur de pauvres gens ? Ce qu’ils souffrent de votre colère en vue de votre salut, pour lequel je vous dis tant de choses, leur sera compté comme un mérite devant Dieu. Je ne veux rien ajouter, de peur qu’au lieu de voir dans mon langage l’expression des inquiétudes que m’inspire pour vous votre injustice, vous n’y croyiez reconnaître une imprécation. Craignez Dieu, si vous ne voulez pas qu’une surprise terrible ne vous soit réservée ; je le prends à témoin sur mon âme, qu’en vous écrivant ceci, je tremble bien plus pour vous-même que pour ceux en faveur de qui j’ai l’air d’intercéder auprès de vous. Si vous me croyez, grâces en soient rendues à Dieu ; si vous ne me croyez pas, je me consolerai avec ces paroles du Seigneur : « Dites : Paix à cette maison ; et si vous y trouvez quelque enfant de la paix, votre paix reposera sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous[93]. » Que la miséricorde de Dieu vous garde, mon cher seigneur et fils.

LETTRE CCXLVIII.


Les souffrances des gens de bien en présence des prospérités des méchants.

AUGUSTIN À SON CHER ET SAINT SEIGNEUR, À SON DOUX FRÈRE EN JÉSUS-CHRIST, SÉBASTIEN, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Quoique le doux lien de la charité ne permette pas que vous soyez jamais loin de notre cœur, et quoique nous nous rappelions sans cesse vos saintes mœurs et vos bons entretiens, vous avez bien fart pourtant et nous vous remercions de nous avoir comblé de joie en nous donnant des nouvelles de votre santé. Je vois par votre lettre la peine que vous causent les pécheurs qui abandonnent la loi de Dieu ; car vous vivez de cet esprit qui a fait dire : « J’ai vu les insensés, et j’ai séché de douleur[94]. » C’est une pieuse tristesse, et, si on peut parler ainsi, c’est une heureuse misère de s’affliger des désordres d’autrui sans y prendre aucune part ; de s’en attrister, sans s’y mêler ; d’en éprouver de la douleur et de ne sentir pour ces péchés aucun amour. Voilà la persécution due souffrent tous ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ, selon le mot si pénétrant et si vrai de l’Apôtre[95]. Quoi de plus capable de persécuter la vie des gens de bien que la vie des méchants ! Ce n’est pas qu’on soit par là forcé de faire ce qui déplaît, mais on ne peut pas le voir sans douleur, car celui qui vit mal en présence de celui qui vit bien, le tourmente dans son âme quoiqu’il ne l’entraîne dans aucune complicité. Il arrive souvent que les méchants, quant à leur corps, demeurent longtemps sans avoir rien à souffrir des puissances de la terre et rien à souffrir de personne ; mais la piété souffrira toujours du spectacle de l’iniquité des hommes jusqu’à la fin des temps. Ainsi donc s’accomplit plutôt la parole de l’Apôtre que j’ai citée plus haut : « Tous ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ souffriront persécution ; » elle sera d’autant plus amère qu’elle sera plus intime ; le corbeau et la colombe demeurent ensemble dans l’arche jusqu’à ce que le déluge ait passé.

2. Mais unissez-vous, mon frère, à celui qui vous a dit : « Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé[96]; » unissez-vous au Seigneur, afin que votre vie spirituelle croisse de plus en plus jusqu’aux derniers jours. Je sais que les consolations qui viennent de bons frères ne manquent pas à votre cœur. Ajoutez à ces joies les fidèles promesses de Dieu, promesses grandes, certaines, éternelles, et l’immuable et ineffable récompense de nos souffrances d’ici-bas. Voyez avec quelle vérité vous chantez au Seigneur : « Vos consolations ont réjoui mon âme, en proportion de mes douleurs[97]. » Envoyez notre lettre à notre frère Firmus. Les frères et les sœurs qui sont auprès de nous rendent le salut à votre sainteté et à la famille de Dieu que vous gouvernez. Et d’une autre main. Portez-vous bien et priez pour nous, chers et saints frères.

Moi, Alype, je salue avec empressement votre sincérité et tous ceux qui vous sont unis dans le Seigneur ; je vous demande de regarder cette lettre comme venant de moi ; j’aurais pu vous en envoyer une autre, mais j’ai mieux aimé signer celle-ci, pour que la même page atteste mieux l’étroite intimité de notre union.

LETTRE CCXLIX.


Nécessité de supporter les maux dans le monde et dans l’Église.

AUGUSTIN À RESTITUT, SON CHER SEIGNEUR, SON BIEN-AIMÉ, HONORABLE FRÈRE ET COLLÈGUE DANS LE DIACONAT, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

Notre frère Déogratias, ce frère si fidèle, m’a fait connaître vos pénibles inquiétudes qui naissent de l’ardeur de votre zèle ; vous savez combien il s’y associe lui-même. Lisez donc Tychonius[98] que vous connaissez bien, sans cependant tout approuver ; vous n’ignorez pas à quoi il faut prendre garde en le lisant. Mais il me paraît avoir habilement traité et résolu la question du maintien de l’unité au milieu des désordres et même des crimes qu’il n’est pas possible de faire disparaître dans l’Église de Dieu. Quoique, dans ses lettres, l’intention seule soit à rectifier, il faut recourir aux sources mêmes des divines Écritures, afin d’y voir combien sont en petit nombre les témoignages et les faits que Tychonius a cités : d’ailleurs on ne pourrait les citer tous, à moins de transcrire presque en entier nos Livres saints ; car à peu près à chaque page nous sommes avertis de rester pacifiques avec ceux qui haïssent la paix et de garder avec eux la communion des sacrements qui nous préparent à l’éternelle vie, jusqu’à ce que s’achève notre triste pèlerinage d’ici-bas[99], jusqu’à ce que nous jouissions d’une paix inaltérable dans la force de Jérusalem, notre mère éternelle, et que nous trouvions dans ses tours la multitude des véritables frères dont le petit nombre excite maintenant nos tristesses au milieu de beaucoup de faux frères. Quelle est la forcé de cette cité, sinon son Dieu qui est notre Dieu ? Vous voyez donc de qui seul procède la paix, soit pour chaque homme en particulier, en guerre avec lui-même si Dieu n’est pas avec lui, même sans aucun scandale au-dehors ; soit pour tous en général : quoiqu’ils s’aiment entre eux en cette vie et qu’ils demeurent liés par les nœuds d’une amitié fidèle, les séparations ou la diversité des pensées empêchent toujours que leur union ne soit pleine et parfaite. Que votre cœur s’affermisse dans le Seigneur, et souvenez-vous de nous.

LETTRE CCL.


Un jeune évoque avait frappé d’excommunication un personnage appelé Classicien et avait cru devoir envelopper dans l’anathème toute sa famille ; saint Augustin, alors d’un âge avancé, demande à son jeune collègue comment il entend justifier un acte semblable.

AUGUSTIN À SON BIEN-AIMÉ SEIGNEUR ET VÉNÉRABLE FRÈRE ET COLLÈGUE DANS LE SACERDOCE, AUXILIUS, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Un homme considérable, notre fils Classicien, m’écrit pour se plaindre auprès de moi que votre sainteté l’ait injustement frappé d’anathème. Il me raconte que s’étant rendu à l’église avec une suite peu nombreuse et comme il convient à sa dignité, il vous a engagé à ne pas favoriser contre lui des gens qui, après s’être parjurés sur l’Évangile, ont cherché, dans la maison même de la foi, des protecteurs de la violation de la foi. D’après ce que Classicien ajoute, ces gens-là, à la pensée du mal qu’ils avaient fait, sont d’eux-mêmes sortis de l’église, sans qu’on ait eu besoin d’user de violence à leur égard ; mais telle est la colère où vous a jeté sa démarché, que votre grandeur a lancé par sentence écrite (excommunication contre lui et contre toute sa maison. La lettre où il m’adresse sa plainte m’a fort ému ; j’en ai le cœur profondément agité, et ne puis garder le si lente auprès de votre charité. Veuillez me dire comment vous justifiez ce que vous avez fait, soit par des raisons certaines, soit par les témoignages des divines Écritures ; apprenez-moi comment le fils peut, en toute justice, être excommunié pour le péché du père, la femme pour le péché du mari, le serviteur pour le péché de son maître, et même celui qui n’est pas né, s’il vient au monde dans cette maison pendant qu’elle se trouvera encore sous le coup de l’anathème, car l’excommunication ne permettrait pas qu’on donnât le baptême à cet enfant, même en danger de mort. Ce n’est point là une peine corporelle comme là peine de mort, dont nous lisons que furent frappés jadis les contempteurs de Dieu, et tous ceux de leur maison, quoiqu’ils ne fussent pas coupables de la même impiété. Des corps, qui devaient mourir un jour, étaient frappés alors pour effrayer utilement les vivants ; mais il s’agit ici d’une peine spirituelle par laquelle s’accomplit cette parole de l’Évangile : « Ce que vous aurez lié sur la terre, sera lié dans le ciel[100]. » Elle tombe sur les âmes dont il a été dit : « L’âme du père est à moi, et l’âme du fils est à moi : c’est l’âme qui aura péché qui mourra[101]. »

2. Vous avez peut-être entendu parler de quelques pontifes de grand nom, qui ont anathématisé un pécheur avec toute sa maison ; il est à croire que si on leur eût demandé raison de leur conduite, ils auraient eu de quoi répondre. Quant à moi, interrogé si on a bien fait, je ne trouverais pas de réponse, et c’est pourquoi je n’ai jamais osé faire cela, lors même que je me suis vu en face des plus grands crimes commis contre l’Église. Mais si par hasard le Seigneur vous a révélé la justice d’une conduite de ce genre, votre jeunesse et la date récente de votre élévation à l’épiscopat ne me feront pas dédaigner vos lumières ; me voici, tout vieux que je suis, prêt à m’instruire auprès d’un jeune homme ; évêque depuis de longues années, me voici prêt à m’éclairer auprès d’un collègue qui n’a pas encore un an d’épiscopat : apprenez-moi comment on peut justifier devant Dieu et devant les hommes une peine spirituelle prononcée contre des âmes innocentes pour le crime d’autrui, pour un crime dont on ne naît pas coupable, comme celui d’Adam en qui tous ont péché[102]. Quoique le fils de Classicien ait hérité de son père la souillure originelle pour laquelle il a fallu la régénération baptismale, il demeure étranger à tous les péchés que son père a pu commettre depuis. Nul ne peut mettre cela en doute. Que dirai-je de la femme de Classicien ? que dirai-je de tant d’âmes dans la famille ? La perte d’une seule âme d’enfant mort sans baptême, par suite de votre excommunication contre une maison tout entière, serait un plus grand mal que l’expulsion et la mort d’hommes innocents qui auraient cherché asile dans une église. Si donc vous pouvez rendre raison de cet acte, plaise à Dieu que votre réponse nous mette aussi en mesure de le justifier ! Si vous ne le pouvez pas, pourquoi vous laisser emporter au point de faire quelque chose d’injustifiable ?

3. J’aurais dit ce que je viens de dire, quand même votre fils Classicien aurait commis une faute qui vous eût paru mériter l’anathème. Or, s’il m’a dit vrai dans sa lettre, il n’y avait pas lieu de prononcer l’excommunication, même contre lui. Mais je ne m’occupe pas de cela avec vous ; je vous demande seulement de pardonner à Classicien, s’il vient à reconnaître sa faute ; si vous même vous reconnaissez sagement qu’il n’a rien fait de mal, et qu’il a eu raison de demander le maintien de la foi jurée dans le lieu même où l’on enseigne à la garder, oh ! alors, faites ce que doit faire un saint homme, et si, étant homme, il vous est arrivé comme à l’homme de Dieu, qui disait : « la colère a troublé mon œil[103], » écriez-vous comme lui : « Seigneur, ayez pitié de moi, parce que je suis faible[104], n’afin qu’il vous tende la main, qu’il réprime les violences de votre âme, et que, devenu calme, vous voyiez et vous fassiez ce qui est juste. Il est écrit : « La colère de l’homme n’opère pas la justice de Dieu[105] ». Ne croyez pas que, parce que nous sommes évêques, nous soyons inaccessibles à tout mouvement d’injustice ; songez plutôt que nous vivons au milieu des dangers de toutes les tentations, parce que nous sommes hommes. Levez donc une sentence qui est peut-être l’œuvre d’une émotion trop vive, et soyez de nouveau affectueusement unis tous les deux, comme au temps où vous étiez tous les deux catéchumènes ; faites disparaître la querelle et ramenez la paix, de peur que vous ne perdiez un ami et que vous ne donniez un sujet de joie au démon notre ennemi. La miséricorde de notre Dieu est puissante ; qu’elle daigne exaucer ma prière, et, au lieu que ma tristesse augmente, il n’en restera plus rien. Que Dieu vous relève par sa grâce, et qu’il réjouisse votre jeunesse qui n’aura pas dédaigné mes vieux ans. Adieu.


FRAGMENT D’UNE LETTRE DE SAINT AUGUSTIN À CLASSICIEN SUR LE MÊME SUJET[106].

Dieu aidant, je désire soumettre à notre concile, et, s’il en est besoin, au jugement du Siège apostolique, la conduite de ceux qui, pour le péché d’un seul homme, frappent d’anathème toute sa maison, c’est-à-dire plusieurs âmes mon dessein serait surtout d’empêcher que par là des enfants ne meurent sans baptême ; je désire aussi qu’on décide s’il ne convient pas d’expulser de l’Église celui qui vient y demander asile pour manquer de foi envers sa caution : il importe que d’un commun accord nous établissions sur ces points la règle qu’il faudra suivre. Je crois dès à présent pouvoir dire sans témérité que si un fidèle est excommunié injustement, il en revient plus de mal à celui qui a prononcé l’anathème qu’à celui qui en a été frappé. Car l’Esprit-Saint qui habite dans les saints et par lequel chacun est lié ou délié, n’inflige à personne une peine imméritée ; c’est par lui que la charité se répand dans nos cœurs[107], et la charité[108] n’agit pas autrement qu’il ne faut[109].

LETTRE CCLI.


Réclamations élevées contre un prêtre du diocèse d’Hippone ; saint Augustin écrit pour que les droits qu’on vent faire valoir ne portent pas un trop grand dommage aux fidèles qui lui sont chers ; il refuse d’admettre contre ses prêtres des accusations portées par des hérétiques.

AUGUSTIN À SON CHER SEIGNEUR ET HONORABLE FILS PANCARIUS, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

Comme avant votre arrivée à Germanicie, le prêtre Sécondinus plaisait aux gens du pays, je ne m’explique pas qu’ils se montrent tout à coup prêts à l’accuser de je ne sais quels crimes, ainsi que vous me l’écrivez, mon cher seigneur et honorable fils. Nous ne pouvons d’ailleurs avoir égard à des plaintes contre un prêtre, que si elles sont portées par un catholique ; nous ne pouvons ni ne devons admettre contre un prêtre catholique les accusations des hérétiques. Que votre sagesse fasse donc d’abord en sorte qu’il n’y ait pas d’hérétiques là où il ne s’en trouvait point avant votre arrivée, et après cela nous écouterons, comme il convient d’écouter, ce qu’on dit de ce prêtre. Comme votre salut et votre réputation me sont chers, et que d’un autre côté les gens de Germanicie appartiennent à mes soins, je vous demande, puisque vous le permettez, de vouloir, bien produire résolument ce que vous avez obtenu des glorieux empereurs et ce que vous avez obtenu des juges naturels : ainsi vous ferez voir à tous que vous n’agissez en rien d’une façon irrégulière, et des disputes sur la possession de ce que vous réclamez ne deviendront pas pour les gens de Germanicie une cause de misère et même de ruine. Je vous recommande aussi de ne pas laisser piller ni dévaster la maison de ce prêtre ; on nous a annoncé je ne sais quel dessein de jeter à bas son église ; mais je ne pense pas que votre religion puisse souffrir rien de pareil.

LETTRE CCLII.


Cette courte lettre est un témoignage de l’ancienne coutume de l’Église de recevoir les orphelins sous sa tutelle.

AUGUSTIN À SON CHER SEIGNEUR ET HONORABLE FRÈRE FÉLIX, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

Votre religion sait parfaitement que l’Église et les évêques, obligés et dévoués à la défense de tous, le sont particulièrement à la défense des orphelins. C’est pourquoi, après avoir reçu votre lettre et une copie de celle d’un homme considérable notre frère, je n’ai pas dû confier à qui que ce soit la jeune fille, surtout parce que ce frère l’a mise sous la protection de l’Église, cher seigneur et honorable frère. J’attends donc son arrivée ; lorsqu’il sera là, je déciderai ce qu’il faudra, et je ferai ce que m’aura inspiré le Seigneur.

LETTRE CCLIII.


Saint Augustin semble reprocher à un de ses collègues de proposer avec trop de hâte et trop peu de discernement un mari pour la jeune fille placée sous la tutelle de l’Église.

AUGUSTIN À MON BIENHEUREUX SEIGNEUR, À MON VÉNÉRABLE ET BIEN-AIMÉ FRÈRE BÉNÉNATUS ET AUX FRÈRES QUI SONT AVEC VOUS, SALUT DANS LB SEIGNEUR.

Nous n’avons qu’à nous féliciter de la foi et du zèle religieux de celui par lequel je salue votre sainteté. Il a voulu se rendre auprès de votre bénignité avec une lettre de moi, ô mon bien-aimé Seigneur et vénérable frère ! J’entends dire que vous songez à terminer cette affaire ; si cela est vrai (et j’en serais surpris), rappelez-vous tout ce que la paternité épiscopale vous impose de devoirs envers l’Église catholique ; s’il est vrai que vous vous occupiez de cela, il ne convient pas de conclure avec une famille quelle qu’elle soit, mais plutôt avec une maison catholique : il ne doit pas suffire que l’Église n’ait rien à en redouter, il faut encore qu’elle puisse y trouver un fidèle appui.

LETTRE CCLIV.


L’évêque Bénénatus, renonçant apparemment à ses premières vues, avait proposé pour la jeune orpheline un parti que saint Augustin aurait pu accepter ; mais l’évêque d’Hippone ne veut rien précipiter, d’autant plus que la jeune fille semble témoigner l’intention de se consacrer à la vie religieuse.

AUGUSTIN ET LES FRÈRES QUI SONT AVEC MOI, À MON BIENHEUREUX SEIGNEUR, À MON VÉNÉRABLE ET BIEN-AIMÉ FRÈRE BÉNÉNATUS ET AUX FRÈRES QUI SONT AVEC VOUS, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

La jeune fille dont votre sainteté me parle, si elle était en âge de se marier, ne le voudrait pas : telles sont présentement ses intentions. Mais elle est d’un âge où, quand même elle aurait le dessein de se marier, on ne pourrait encore la donner ni la promettre à personne. Dieu, en la plaçant sous la garde de l’Église, a voulu la mettre à l’abri des entreprises des méchants ; elle n’est pas là afin que je la donne à qui je voudrai, mais afin qu’elle ne puisse être enlevée par qui il ne faut pas, ô mon bien-aimé seigneur et vénérable frère. Si elle doit se marier, le parti que vous me proposez ne me déplaît pas[110] ; quant à présent, j’ignore si elle prendra jamais un époux. Il y a autre chose qu’elle fait entendre et que je souhaiterais davantage ; mais lorsque, si jeune, elle dit qu’elle veut être religieuse, sa parole ressemble bien plus à un badinage qu’à une promesse sur laquelle on puisse compter. Ensuite elle a une tante maternelle, et j’en ai averti notre frère Félix ; il ne l’a point appris avec déplaisir, il s’en est félicité au contraire ; seulement, par un droit que donne l’amitié, il a regretté qu’on ne lui en ait rien écrit. Peut-être y aura-t-il aussi une mère, quoiqu’il n’en paraisse point encore ; quand il s’agit de marier une jeune fille ; la nature demande, ce me semble, que la volonté de la mère soit suivie préférablement à toute autre, à moins que la jeune fille ne soit en âge d’avoir le droit de choisir ce qu’elle veut. Que votre sincérité le croie aussi : si j’avais tout pouvoir de marier notre orpheline, si elle avait l’âge et la volonté de prendre un époux et qu’elle s’en rapportât à moi pour le lui choisir devant Dieu, je vous dis, et c’est la vérité, je vous dis que ce parti me plairait, sans toutefois que je m’obligeasse devant Dieu à en refuser un meilleur : un parti meilleur se présenterait-il ? c’est ce qui test incertain. Votre charité voit toutes les considérations qui m’empêchent, quant à présent, de promettre à personne la jeune orpheline.

LETTRE CCLV.


Rusticus désirait que son fils épousât la jeune orpheline ; saint Augustin lui répond qu’il ne saurait consentir à ce projet d’union, parce que son fils est encore païen.

AUGUSTIN À SON BIEN-AIMÉ SEIGNEUR, À SON HONORABLE ET ILLUSTRE FILS RUSTICUS, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

Je vous souhaite à vous et à votre maison tous les biens, non-seulement ceux de la vie présente, mais encore ceux de la vie future et éternelle, à laquelle vous ne croyez point encore. Quant à la jeune fille que vous me demandez, je n’ose rien promettre pour ce qui la regarde ; les raisons qui m’y déterminent se trouvent dans ma réponse à mon saint frère et collègue Bénénatus, ô mon bien-aimé seigneur et honorable fils ! Quoique j’aie tout pouvoir de marier cette orpheline, je ne la marierai jamais qu’à un chrétien ; vous savez bien cela, et pourtant vous n’avez voulu me rien promettre sur votre fils, qui est demeuré païen ; à plus forte raison, ne dois-je prendre aucun engagement pour le mariage de la jeune fille ; vous pouvez voir tous mes motifs dans ma lettre à Bénénatus, et je resterais dans la même réserve, lors même que j’aurais à me réjouir, non-seulement de la promesse, mais même de la conversion de votre fils.

LETTRE CCLVI.


Courte exhortation à marcher dans la voie du Christ.

AUGUSTIN À SON HONORABLE SEIGNEUR, À SON CHER ET BIEN-AIMÉ FRÈRE CHRISTIN, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

Dans votre lettre vous m’exprimez le désir d’en recevoir une de moi. Notre frère Jacques m’est arrivé comme un irrécusable témoin de ce désir ; il m’a dit sur vous plus de douces choses éprouvées par lui-même que votre petit papier n’aurait pu en contenir. Je vous en félicite ; je rends grâces au Seigneur notre Dieu de vous avoir donné un cœur si chrétien, car cette piété est l’ouvrage de sa miséricorde, honorable seigneur, cher et bien-aimé frère. Vous demandez que je vous gagne par mes lettres ; mais je le fais par mon amour, qui est au-dessus de toutes les lettres ; et je sais que vous comprenez bien à quoi je voudrais vous gagner. Quant à vouloir me lire, je craindrais que votas ne trouvassiez chez moi plus de paroles que d’éloquence. Voici une courte réflexion dont vous sentirez toute la vérité, si vous y appliquez chaque jour votre pensée lorsque, dans le chemin qui mène à Dieu, on fuit, par de lâches appréhensions, les choses les plus aisées et les plus fructueuses, on souffre, dans le laborieux chemin du monde, ce qu’il y a de plus pénible et de plus stérile. Conservez-vous et avancez dans le Christ, ô mon honorable seigneur, cher et bien-aimé frère.

LETTRE CCLVII.


Saint Augustin répond à une lettre obligeante d’un personnage qu’il ne connaissait pas et dont l’arrivée à Hippone était prochaine.

AUGUSTIN À SON ÉMINENT, HONORABLE SEIGNEUR ET ILLUSTRE FILS ORONGE.

Je rends grâces à votre excellence d’avoir bien voulu qu’une lettre de vous devançât votre arrivée, et que votre entretien précédât votre présence ; ainsi nous jouissons plutôt de la douceur de vous entendre que du plaisir de vous voir, et ce que nous goûtons à l’avance redouble notre impatient désir de vous connaître, éminent, honorable seigneur et illustré fils. Je réponds à votre lettre prévenante, en vous présentant mes devoirs, en me réjouissant de votre bonne santé, dont je souhaite une longue conservation. Poussé par la bienveillance qui vous fait venir au-devant de ma faiblesse, vous me dites, en me demandant une réponse : « Si toutefois je puis mériter cette faveur d’une aussi grande sainteté ; » ces mots me laissent l’espoir que non-seulement vous louerez un jour Celui qui est la source même de la sainteté et à qui nous devons le peu que nous sommes, mais encore que vous y participerez avec nous et à la satisfaction de votre sagesse ; plaise à ce Dieu, incomparablement et immuablement bon, et de la puissance de qui vous tenez un aussi bon esprit, de le rétablir par sa grâce dans sa dignité première ! Que le Seigneur tout-puissant vous donne santé et bonheur, mon éminent, honorable seigneur et illustre fils.


LETTRE CCLVIII.


Martien était un ami des premières années de saint Augustin ; mais il était resté païen, malgré l’exemple et les exhortations de notre Saint. Enfin, vint le jour où Martien entra dans la voie chrétienne ; à cette nouvelle, l’évêque d’Hippone fut heureux ; il écrivit à son ami la lettre suivante ; on verra ce qu’il dit de l’amitié et des grandes conditions sans lesquelles toute amitié demeure incomplète.

AUGUSTIN À SON HONORABLE SEIGNEUR, À SON CHER ET BIEN-AIMÉ FRÈRE DANS LE CHRIST, À MARTIEN, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Je m’arrache ou plutôt je me dérobe à mes occupations pour vous écrire, à vous mon ancien ami, que je n’avais pas cependant, tant que je ne vous avais pas dans le Christ. Vous savez comment a défini l’amitié celui qu’on a appelé[111] le plus éloquent des Romains : « L’amitié, dit-il, et il a raison, l’amitié est une douce et affectueuse conformité de sentiments sur les choses divines et humaines[112]. » Mais vous, mon bien cher, vous vous entendiez autrefois avec moi sur les choses humaines, quand je cherchais à en jouir comme le vulgaire ; dans cette poursuite des biens humains, dont je me repens, je vous trouvais au premier rang de ceux qui favorisaient mes desseins ; vous et mes autres amis, vous enfliez avec le vent de vos louanges les voiles de mes passions. Nul rayon des choses divines ne m’éclairait alors, et notre amitié demeurait défectueuse dans ses côtés les plus importants : c’était une douce et affectueuse conformité de sentiments, mais uniquement sur les choses humaines.

2. Et depuis que je cessai de désirer les biens humains, votre persistante amitié me souhaitait la santé et les félicités temporelles, comme le monde a coutume de le faire. C’est ainsi que notre union se continuait pour les choses de ce monde. Quelle est ma joie maintenant, et comment l’exprimer ? J’ai à présent pour ami véritable celui que j’ai eu longtemps pour ami d’une certaine manière. Il se joint à nos sentiments l’accord sur les choses divines ; ce n’est pas uniquement dans la vie présente que votre douce bienveillance est désormais avec moi, c’est par l’espérance de la vie éternelle. Vues de la hauteur des pensées de Dieu, les choses humaines ne sauraient plus être entre nous le sujet d’opinions différentes ; nous ne les prendrons que pour ce qu’elles valent ; nous ne les condamnerons pas toutefois avec ce certain mépris qui serait injurieux pour le Créateur du ciel et de la terre. Ainsi il arrive que des : unis, en désaccord sur les choses divines, ne peuvent plus être pleinement et véritablement d’accord sur les choses humaines. Il est impossible qu’on juge bien de celles-ci quand on méprise celles-là, et qu’on aime l’homme comme il faut l’aimer, lorsqu’on est sans amour pour celui qui a fait l’homme. Je ne vous dirai donc pas que vous n’étiez mon ami qu’à moitié, et que maintenant vous l’êtes tout a fait ; mais, autant que la raison me le montre, vous n’étiez pas même mon ami à moitié, quand vous ne m’aimiez pas véritablement, même en ce qui touche les choses humaines. Car vous n’étiez pas encore avec moi dans les choses divines, par lesquelles on juge bien des choses humaines ; vous n’y étiez point à l’époque ou je n’y étais pas moi-même, ni depuis que j’ai commencé à goûter ces vérités pour lesquelles vous ne témoigniez que de l’éloignement.

3. Ne vous fâchez pas, et ne trouvez pas absurde si je vous dis qu’au temps où le m’attachais avec tant d’ardeur aux vanités de ce monde, vous n’étiez pas encore mon ami, quoique vous parussiez beaucoup m’aimer ; alors je ne m’aimais pas moi-même, j’étais plutôt mon ennemi, car j’aimais l’iniquité, et c’est avec vérité qu’il est écrit dans les Livres saints : « Celui qui aime l’iniquité, n’aime pas son âme[113]. » Quand je haïssais mon âme, comment aurais-je pu avoir un véritable ami, puisqu’il me souhaitait les choses sous l’empire desquelles je restais mon propre ennemi ? Mais après que la bonté et la grâce de notre Sauveur ont brillé devant moi, non selon mes mérites, mais selon sa miséricorde, vous en êtes demeuré éloigné ; et comment alors auriez-vous pu être mon ami, puisque vous ignoriez entièrement par où je pouvais être heureux, et que vous ne m’aimiez pas dans celui en qui je commençais à m’aimer moi-même ?

4. Grâces soient donc rendues à Dieu qui daigne enfin faire de vous mon ami. C’est maintenant qu’il y a entre vous et moi une douce et affectueuse conformité de sentiments sur les choses divines et humaines, en Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui devient le fondement de notre véritable paix, et qui a renfermé en deux préceptes tous les divins enseignements, lorsqu’il a dit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, et de toute ton âme et de tout ton esprit ; et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Dans ces deux commandements sont compris toute la loi et tous les prophètes[114]. » Le premier commandement forme le doux et affectueux accord sur les choses divines ; le second établit le parfait accord sur les choses humaines. Si nous nous attachons fortement à ces deux commandements, notre amitié sera véritable et éternelle ; elle ne nous unira pas seulement l’un à l’autre, mais encore elle nous unira à Dieu.

5. Pour arriver à cette fin, j’exhorte votre sagesse à recevoir sans retard les sacrements des fidèles ; cela convient à votre âge ; et, je le crois aussi, à la gravité de vos mœurs. Je me souviens qu’au moment où nous allions nous quitter, vous me citâtes ce vers de Térence, où je trouvais un enseignement utile et opportun, quoiqu’il fût tiré d’une comédie : « À partir de ce jour, il faut une autre vie, il faut d’autres mœurs[115]. »

Si alors vous me disiez cela sincèrement, comme je ne dois pas en douter, vous vivez sûrement aujourd’hui de manière à vous rendre digne de recevoir par le baptême le pardon de vos fautes passées. Car il n’y a personne que le Christ à qui le genre humain puisse dire : « Sous un chef tel que vous, s’il subsiste des traces de notre crime, elles seront effacées, et la terre ne connaîtra plus l’effroi (1). »

Virgile avoue avoir emprunté ceci aux chants de Cumes, c’est-à-dire aux chants sibyllins ; peut-être cette prophétesse avait-elle appris en esprit quelque chose de l’unique Sauveur du monde, et elle avait été forcée de l’avouer[116].

Voilà, mon honorable seigneur, mon cher bien-aimé frère en Jésus-Christ, le peu que j’ai trouvé à vous écrire en échappant un moment au poids de mes travaux, et peut-être ce peu vous semblera-t-il quelque chose : je désire que vous me répondiez, et que vous m’appreniez si vous avez donné ou sï vous allez donner votre nom pour être inscrit au nombre de ceux qui demandent le baptême. Que le Seigneur notre Dieu, en qui vous croyez, vous conserve en ce monde et dans l’autre, mon honorable seigneur, mon cher et bien-aimé frère dans le Christ. 1.

Te duce si qua manant sceleris vestigia nostri,

Irrita perpetua solvent formidine terras.

Virgile, Eclog.4.

Saint Augustin a cité ces deux vers de Virgile et avec les mêmes pensées dans deux autres lettres, l’une la 104, adressée à Nectarius, l’autre, la 137, adressée à Volusien.

LETTRE CCLIX.


Un veuf, ancien ami de saint Augustin et qui vivait dans la débauche n’avait pas craint de demander au saint évêque un écrit à la louange de sa femme morte, comme pour le consoler de sa douleur ; l’évêque d’Hippone lui répond avec fine très-belle sévérité, et lui dit qu’il n’obtiendra rien de lui à moins qu’il ne change de vie.

AUGUSTIN À SON BIEN-AIMÉ SEIGNEUR ET HONORABLE FRÈRE CORNEILLE.

1. Vous m’avez écrit pour me demander une grande lettre de consolation au sujet du vif chagrin que vous cause la mort d’une excellente épouse, comme vous vous rappelez que saint Paulin en adressa une à Macaire. L’âme de votre femme, reçue au ciel dans la société des âmes fidèles et chastes, n’a que faire des louanges humaines et ne les cherche pas ; c’est à cause des vivants qu’on donne aux morts les louanges dont ils sont dignes ; puisque vous souhaitez qu’on vous console par l’éloge de celle que vous avez perdue, commencez donc par vivre de manière à mériter d’être un jour où elle est. Car vous ne croyez pas sans aucun doute qu’elle soit où. sont celles qui ont violé la foi conjugale, ou qui, n’étant pas mariées, se sont traînées dans le désordre. L’éloge d’une femme comme la vôtre, écrit dans le but apparent de dissiper la tristesse d’un mari qui lui ressemble si peu, ne serait pas une consolation, mais une adulation. Si vous l’aimiez comme elle vous a aimé, vous lui garderiez ce qu’elle vous avait gardé. Si vous étiez mort le premier, il n’est pas à croire qu’elle se fût jamais remariée ; n’est-il donc pas vrai que si vous aviez eu besoin de consoler votre douleur par les louanges de votre femme, vous n’auriez pas même songé à en épouser légitimement une autre ?

2. Vous me direz : Pourquoi ce rude langage ? pourquoi ces reproches si durs ? N’ai-je pas vieilli au milieu de discours de ce genre, et ne sait-on pas que je mourrai avant de me corriger ? Vous voulez que j’épargne votre funeste sécurité, vous qui devriez m’épargner, sinon dans mon amitié, au moins dans tout ce que vos désordres me font souffrir ? Cicéron, animé de sentiments bien différents des miens et occupé des intérêts d’une république de la terre, disait : « Je désire, pères conscrits, être modéré ; mais, au milieu des grands dangers de la république, je désire ne pas paraître indifférent[117]. » Moi qui suis votre ami, vous le savez, et qui, attaché au service de la Cité éternelle, suis établi ministre de la parole et des sacrements divins, combien puis-je dire avec plus de justice : O mon frère Corneille, je désire être modéré ; mais, au milieu des grands périls qui sont les vôtres et les miens, je désire ne pas paraître indifférent !

3. Une populace de femmes vous environne, le nombre de vos concubines croît de jour en jour ; et vous voulez qu’évêque, je vous écoute de sang-froid, vous, le maître ou plutôt l’esclave de cette bande immonde, quand vous venez, au nom de l’amitié, me demander l’éloge funèbre d’une chaste épouse comme pour adoucir votre douleur ! À l’époque où, sans être encore catéchumène, jeune encore, un peu moins jeune que moi, vous partagiez mes erreurs, vous vous étiez tiré des habitudes impures par la force de votre volonté ; peu de temps après, vous retombâtes dans les mêmes souillures ; plus tard, vous trouvant en danger de mort, vous reçûtes le baptême ; maintenant je ne dirai pas que vous êtes vieux, mais moi je suis vieux et, de plus, évêque, et je n’ai rien pu encore pour vous faire changer de vie 1 Vous voulez que je vous console de la mort d’une vertueuse épouse ; mais qui me consolera de votre mort plus réelle que la sienne ? Et parce que je ne saurais oublier tant de services que vous m’avez rendus, dois-je être encore torturé par vos mœurs corrompues, dois-je être méprisé, compté pour rien, quand je vous adresse mes gémissements sur vous-même ? Mais je ne suis rien, je l’avoue, pour vous corriger et vous guérir ; tournez-vous vers Dieu, songez au Christ, écoutez ces paroles » de l’Apôtre : « Arracherai-je au Christ ses membres pour en faire les membres d’une prostituée[118] ? » Si vous méprisez dans votre cœur les paroles d’un évêque, votre ami, pensez que le corps de votre Seigneur fait partie du vôtre : comment, enfin, pouvez-vous continuer à pécher en différant votre conversion de jour en jour, puisque vous ne savez pas quand ce dernier jour viendra ?

4. Je vais savoir maintenant quelles sont les louanges que vous attendez de moi pour Cyprienne[119]. Si j’étais encore au temps où je vendais des paroles à des écoliers dans l’école des rhéteurs, je les ferais payer à l’avance. Je veux vous vendre l’éloge de votre chaste femme ; payez-moi d’abord ; le prix que j’exige, c’est votre chasteté ; payez-moi, dis je, et vous aurez ce que vous souhaitez. Je vous parle un langage tout humain à cause de votre faiblesse ; je crois qu’à vos yeux Cyprienne ne mérite pas que vous préfériez à ses louanges l’amour de vos concubines : ce sera certain si vous aimez mieux garder vos habitudes immondes que d’entendre l’éloge de Cyprienne. Pourquoi m’arracher de force ce qui vous plaît, lorsque vous voyez que ce que je vous demande est pour vous-même ? Pourquoi demander d’un air si soumis ce que vous pouvez commander si vous êtes corrigé ? Envoyons à votre femme des présents spirituels : vous l’imitation, moi les louanges de ses vertus. Je vous disais plus haut qu’elle ne désirait pas les louanges humaines ; mais, dans la mort, elle désire que vous imitiez ses vertus, autant que, dans la vie, elle vous a aimé, quoique vous lui ressemblassiez si peu. Je ferai ce que vous voudrez pour Cyprienne, quand vous ferez ce qu’elle et moi nous voulons.

5. Le Seigneur nous parle dans l’Évangile de ce riche superbe et impie qui était vêtu de pourpre et de lin et qui s’asseyait chaque jour à des festins splendides ; tombé dans les enfers en punition de ses crimes, il implorait en vain une goutte d’eau tombée du doigt de ce pauvre qu’il avait méprisé devant sa porte ; il se souvint de ses cinq frères et pria Dieu de leur envoyer ce même pauvre qu’il apercevait en repos dans le sein d’Abraham, de peur qu’eux aussi ne fussent précipités dans le lieu des tourments[120]: combien plus encore votre femme doit se souvenir de vous ! Si le riche orgueilleux ne voulait pas que ses frères tombassent dans les supplices réservés aux superbes, combien plus encore votre chaste femme ne veut pas que vous tombiez dans les supplices réservés aux adultères ! Si ce frère ne voulait pas que ceux qui lui étaient chers partageassent ses maux, combien moins une femme, établie dans les biens éternels, veut-elle que l’enfer la sépare éternellement de son mari ! Lisez cet endroit dans l’Évangile ; c’est la pieuse voix du Christ qui parle ; croyez à la parole de Dieu. Vous vous dites affligé de la mort de votre femme, et vous pensez que si je la loue, rues discours seront pour vous une consolation ; mais apprenez quelle douleur vous attend, si un jour vous n’êtes point avec elle. Est-il plus triste pour vous que je ne loue pas : Est-il qu’il ne l’est pour moi que vous ne l’aimiez point ? Ah ! si vous l’aimiez, vous désireriez la rejoindre après votre mort ; ce qui ne sera pas, si vous restez ce que vous êtes. Aimez donc celle dont vous me demandez les louanges, afin que je ne sois pas forcé de repousser un désir qui ne serait qu’un mensonge.

Et d’une autre main. Fasse le Seigneur que nous puissions nous réjouir de votre salut, bien-aimé seigneur et honorable frère.

LETTRE CCLX.


Audax se plaint d’avoir trop peu reçu de saint Augustin et voudrait recevoir davantage ; les louanges qu’il lui donne sont pour nous le témoignage du sentiment des contemporains.

AUDAX À SON SEIGNEUR ET VÉNÉRABLE PÈRE AUGUSTIN, SI DIGNE DE TOUTE LOUANGE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

Je vous rends grâces d’avoir si bien accueilli ce que j’ai essayé de vous écrire : les encouragements du père donnent du cœur aux enfants qui ont de la bonne volonté. En m’adressant à vous, doux pontife, ce n’était pas pour recevoir une petite goutte de ce qui s’échappe d’une âme comme la vôtre ; c’était pour puiser abondamment dans les eaux du grand fleuve. Je soupirais après les trésors de votre sagesse, mais, j’ai obtenu bien moins que je n’aurais voulu, si toutefois on peut jamais appeler petit ce qui vient d’Augustin, l’oracle de la loi, le consécrateur de la justice[121], le restaurateur de la gloire spirituelle, le dispensateur du salut éternel. Le monde entier vous est connu comme il vous connaît ; vous y tes autant connu qu’estimé. Je désire donc être nourri des fleurs de votre sagesse et m’abreuver à vos eaux vives ; remplissez mes souhaits ; j’y trouverai grand profit. L’arbre dépouillé pourra reverdir, si vous daignez l’arroser vous-même. Je n’attends qu’un mot de votre vénérable personne pour me rendre auprès d’elle. Que la bonté de Dieu vous garde bien longtemps, vénérable seigneur. « Pourquoi celui qui est une source pour le monde entier ne laisse-t-il arriver vers moi que peu de paroles ? Me croit-il moins disposé que le reste des hommes à recevoir ces flots si purs ? Pendant que tout esprit s’ouvre pour vous entendre vous qui êtes l’appui de la Religion, répandez au loin vos douces paroles ; les fidèles amis du Christ les attendent[122]. »

LETTRE CCLXI.


Saint Augustin repousse les éloges qu’on lui adresse ; il propose à Audax de lire ses ouvrages ou de venir le voir : c’est la seul moyen de répondre au désir que celui-ci témoigne de s’instruire.

AUGUSTIN À SON BIEN-AIMÉ ET ILLUSTRE SEIGNEUR DANS LE CHRIST, À SON TRÈS-DÉSIRABLE FRÈRE AUDAX, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Ce n’est point avec regret, c’est avec plaisir que j’ai reçu votre courte lettre, si pleine d’un ardent désir de recevoir une longue réponse de moi. Il me serait bien difficile le satisfaire a votre pieuse avidité, mais pourtant je félicite votre charité ; quoique vous ne le demandiez pas à qui il faudrait, ce que vous demandez est bon. Le temps me manque plus que tout le reste pour écrire une longue lettre ; les soins ecclésiastiques ne me laissent que de rares instants de loisir, et je consacre ces loisirs rapides soit à quelques méditations, soit aux travaux les plus urgents, ou à ce qui me paraît pouvoir être profitable à beaucoup de monde : il faut donner aussi à mon corps le repos dont il a besoin, pour entretenir les forces nécessaires à l’accomplissement de mes devoirs. Ce ne sont pas les paroles qui me manqueraient pour une lettre étendue ; mais nulle réponse de moi ne pourrait remplir tous vos désirs. Vous me dites que vous soupirez après les trésors de sagesse et que vous avez reçu bien moins que vous n’auriez voulu ; mais moi, dans mes prières de tous les jours, je suis comme un mendiant qui implore quelque obole de ces divins trésors de sagesse, et c’est à peine si je l’obtiens.

2. Comment suis-je « l’oracle de la loi, » moi qui ignore, sur ses vastes et profonds mystères, beaucoup plus de choses que je n’en sais, moi qui ne puis, comme je le voudrais, pénétrer l’obscurité de tant de replis et de secrets détours ? Je sais seulement que je ne suis pas digne d’aller plus avant dans cette lumière ! Comment suis-je « le consécrateur de la justice, » moi pour qui c’est déjà beaucoup de lui être consacré ? Vous m’appelez a le restaurateur de la gloire spirituelle ; » permettez-moi de vous le dire, vous connaissez mal celui à qui vous parlez : je me restaure si peu moi-même dans cette gloire, que j’ignore, je vous l’avoue, non-seulement combien je m’en approche de jour en jour, mais encore si je m’en approche quelque peu. Oui, je suis « dispensateur du salut éternel, » mais je le suis comme d’autres en très-grand nombre. Si je le fais volontiers, j’en aurai la récompense ; si je le fais à regret, je ne serai que le dispensateur de ce salut, car il ne suffit pas de l’être par la parole et les sacrements pour y avoir part. S’il n’y avait pas de bons dispensateurs, l’Apôtre ne dirait pas : « Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ[123]; » et s’il n’y avait pas de mauvais dispensateurs, le Seigneur ne dirait pas : « Faites ce qu’ils disent ; ne faites pas ce qu’ils font ; car ils disent et ne font pas[124]. » Il y a donc beaucoup de dispensateurs par le ministère desquels on arrive su salut éternel ; mais il s’agit de savoir lequel parmi eux sera trouvé fidèle[125]; même parmi les fidèles, et puissé-je être compté au nombre de ceux-ci par ce Dieu qu’on ne trompe pas[126] ! l’un l’est d’une manière, l’autre d’une autre, selon la mesure de foi que Dieu a accordée à chacun[127].

3. Mon cher et doux frère, que ce soit donc plutôt le Seigneur lui-même qui vous nourrisse des fleurs de la sagesse et vous abreuve à la source d’eau vive. Si vous croyez que, par mon humble et faible moyen, votre piété studieuse puisse recevoir quelque chose, car je connais votre intelligence et votre désir de vous instruire, mieux vaudrait lire mes ouvrages, déjà bien nombreux, que d’espérer pouvoir, par mes lettres, satisfaire ce désir. Ou bien, venez auprès de moi ; vous prendrez dans nos entretiens tout ce que je pourrai vous donner ; je pense que si vous n’êtes pas ici, c’est que vous ne le voulez pas. Dieu aidant, est-il très-difficile à un homme libre de toute fonction locale de venir ici, soit pour rester longtemps avec nous, soit pour y passer au moins un peu de temps ?

4. Mais peu s’en faut que ce que vous dites dans le troisième de vos vers ne se trouve accompli, et que vous n’ayez de moi une lettre plus remplie de paroles que d’éloquence. Votre cinquième et dernier vers a sept pieds ; je ne sais si votre oreille a été trompée, ou si vous avez voulu mettre à l’épreuve mes anciens souvenirs d’études ; et d’ailleurs, ceux qui s’étaient le plus appliqués à ces choses, les oublient aisément lorsqu’ils ont beaucoup avancé dans les saintes lettres.

5. Je n’ai pas la traduction des psaumes faite par saint Jérôme sur l’hébreu. Quant à moi je ne les ai pas traduits ; j’ai seulement corrigé sur les exemplaires grecs beaucoup de fautes des exemplaires latins. C’est peut-être mieux que cela n’était, mais ce n’est pas tout ce qu’il faudrait. Maintenant encore, il m’arrive de corriger des fautes qui m’avaient précédemment échappé. Je cherche donc aussi avec vous quelque chose de parfait à cet égard.

LETTRE CCLXII.


Saint Augustin adresse des reproches et des conseils à une femme mariée.

AUGUSTIN À SA PIEUSE FILLE, LA DAME ECDICIA, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Après avoir lu la lettre de votre Révérence et interrogé le porteur sur ce qu’il me restait à savoir, j’ai été très-affligé que vous ayez voulu agir avec votre mari de manière à le faire tomber des hauteurs de la continence qu’il commençait à pratiquer, dans les misère : de l’adultère. C’eût été déjà déplorable, qu’après la promesse faite à Dieu et accomplie pendant un certain temps, il fût revenu à vous comme auparavant ; c’est bien autrement malheureux et criminel qu’il se soit tout à coup jeté dans de pareils désordres, et qu’il se soit ainsi armé contre lui-même de toute sa colère contre vous. Il semble vouloir vous punir plus cruellement en se perdant lui-même. Tout ce grand mal n’est arrivé que parce que vous n’avez pas été avec lui aussi modérée que vous deviez l’être. Quoique d’un consentement mutuel, tes relations conjugales eussent cessé entre vous deux, il y avait pourtant d’autres choses où vous deviez obéir à votre mari, d’autant plus due vous êtes tous deux membres du corps du Christ. Lors même que, épouse fidèle, vous auriez eu un mari qui ne l’eût pas été, vous auriez dû lui rester soumise pour le gagner au Seigneur, comme le prescrivent les apôtres.

2. J’omets de vous dire que, d’après ce que j’ai su, vous vous étiez décidée à tort de pratiquer la continence, sans que votre mari y eût encore consenti. C’est ce que vous n’auriez pas dû faire avant que sa volonté se fût accordée avec la vôtre pour vous élever ensemble à ce bien qui surpasse la pudeur conjugale : vous n’aviez donc jamais ni lu ni entendu ni remarqué ces paroles de l’Apôtre : « Il est bon à l’homme de ne pas toucher de femme ; mais, pour éviter la fornication, que chaque homme ait une femme et chaque femme un mari ; que le mari rende à la femme ce qu’il lui doit et la femme ce qu’elle doit au mari. La femme n’a pas son corps en sa puissance, son corps est en la puissance du mari ; de même le mari n’a pas son corps en sa puissance, son corps est en la puissance de la femme. Ne vous refusez point l’un à l’autre, à moins que vous n’en soyez convenus pour un temps, afin de vaquer à la prière ; et ensuite vivez ensemble comme auparavant, de peur que le démon ne vous tente à cause de votre incontinence[128]. » D’après ces paroles de l’Apôtre, si votre mari avait voulu garder de son côté la continence et que vous n’y eussiez pas consenti, il aurait été obligé de vous rendre le devoir ; et si, en vous rendant ce devoir, votre mari n’eut cédé qu’à votre faiblesse et non pas à la sienne, de peur que vous ne tombassiez dans le crime damnable de l’adultère, Dieu lui eût compté sa bonne intention à l’égal de la continence qu’il aurait mieux aimé garder à plus forte raison fallait-il que vous, qui devez être plus soumise, ne refusassiez pas le devoir à votre mari, de peur que la tentation du démon ne l’entraînat dans l’adultère ; Dieu vous eût tenu compte de votre bonne volonté que vous n’auriez pas suivie pour empêcher la perte de votre mari.

3. Mais, encore une fois, je ne dis rien de cela, puisque votre mari avait été amené à vos pieux desseins de continence, puisqu’il a ainsi vécu longtemps avec vous, et fait cesser le péché que vous commettiez en lui refusant le devoir. Il n’est donc plus question pour vous de savoir si vous devez reprendre avec votre mari les relations conjugales. Ce que vous avez tous deux promis à Dieu, vous devez le garder avec persévérance jusqu’à la fin ; si votre mari a manqué à cet engagement, n’y manquez pas au moins vous-même. Je ne vous parlerais pas de la sorte, si lui-même n’avait consenti à vivre dans la continence : sans cela, il n’y a pas d’âge qui aurait pu vous dispenser de lui rendre ce que vous lui devez ; les années n’y eussent rien fait, et, consulté par vous, je vous aurais toujours répondu avec ces mots de l’Apôtre : « La femme n’a pas son a corps en sa puissance, son corps est en la puissance du mari. » C’est par cette puissance même qu’il vous avait permis la continence, de façon à la pratiquer avec vous d’un commun accord.

4. C’est ici surtout que je m’afflige de l’oubli de vos devoirs ; vous auriez dû d’autant plus témoigner à votre mari une humble soumission dans les intérêts domestiques, qu’il vous avait pieusement accordé une grande chose en vous imitant. Malgré l’interruption des relations conjugales, il n’en était pas moins votre mari ; bien plus, vous étiez devenus des époux d’autant plus saints que vous gardiez d’un commun accord de plus saints engagements. Vous ne deviez donc, sans l’agrément de votre mari, disposer ni de vos vêtements ni de votre or et de votre argent, ni d’aucun de vos biens, de peur de scandaliser un homme qui avait fait à Dieu avec vous le sacrifice de plus grandes choses et avait religieusement renoncé à ce qu’il aurait eu le droit d’exiger de vous.

5. Enfin il est arrivé que, méprisé par vous, il a rompu le lien` de la continence auquel il s’était soumis lorsqu’il pensait que vous l’aimiez ; irrité contre vous, il ne s’est pas épargné lui-même. D’après ce que m’a raconté le porteur de votre lettre, votre mari ayant appris que vous aviez donné tout ou presque tout ce que vous possédiez à deux moines, je ne sais lesquels, qui passaient, et que vous chargiez de le distribuer aux pauvres, il s’est mis à les détester en vous détestant avec eux ; il n’a plus vu en eux des serviteurs de Dieu, mais des gens qui s’insinuaient dans les maisons des autres, et qui vous avaient trompée et pillée ; furieux, il a rejeté bien loin le fardeau sacré qu’il avait consenti à porter avec vous. Il était faible, et vous, qui paraissiez la plus forte dans cet engagement entre vous deux, vous auriez dû lui venir en aide par votre amour, au lieu de lui bouleverser l’esprit par vos procédés blessants. Lors même que peut-être il eût montré peu d’empressement pour (aumône ; il aurait pu en prendre le goût si, au lieu de le mécontenter par des dépenses inopinées, vous l’aviez doucement amené à vos vues par de respectueux égards ; vous auriez ainsi pu faire affectueusement ensemble ce que vous avez fait toute seule avec tant de témérité, et c’eût été mieux dans l’ordre et plus convenable. On n’eût pas injurié des serviteurs de Dieu, si toutefois ce sont des serviteurs de Dieu qui, en l’absence et à l’insu du mari, ont reçu tant de choses d’une femme inconnue ; et Dieu eût été loué dans vos œuvres, car votre union fidèle aurait été sanctifiée à la fois par une chasteté parfaite et une glorieuse pauvreté.

6. Voyez maintenant ce que vous avez fait par votre précipitation inconsidérée. Je ne veux penser aucun mal de ces moines par lesquels votre mari se plaint que vous ayez été, non point édifiée, mais spoliée ; je ne m’en rapporterai pas aisément au jugement d’un homme qui a l’œil troublé par la colère ; mais le bien corporel que ces largesses ont fait aux pauvres, qu’est-il à côté du mal spirituel dont vous avez été cause ? Y a-t-il quelqu’un dont le salut temporel dût vous être plus cher que le salut éternel de votre mari ? Si vous aviez différé de distribuer vos biens aux pauvres, dans le but de ne pas perdre l’âme de votre mari en le scandalisant, n’en auriez-vous pas eu un plus grand mérite devant Dieu ? Si vous songez à ce que vous aviez conquis quand vous l’avez amené à vivre avec vous dans une sainte chasteté, comprenez que, par ces aumônes qui ont renversé l’esprit de votre mari, vous avez beaucoup plus perdu que gagné dans les biens du ciel. Si là-haut le morceau de pain donné au pauvre qui a faim obtient une grande place, quelle place sera réservée à la charité qui aura arraché un homme au démon comme à un lion rugissant et qui cherche une proie à dévorer !

7. Ce n’est pas que nous devions interrompre nos bonnes œuvres, si quelqu’un en est scandalisé ; il y a des devoirs différents selon les personnes, à l’égard d’étrangers ou de parents ; il y a des devoirs différents pour le fidèle et l’infidèle, pour les parents envers les enfants, et pour les enfants envers les parents ; enfin, et c’est surtout ce qu’il faut considérer ici, des devoirs particuliers sont imposés à l’homme et à la femme ; il n’est pas permis à une femme mariée de dire : « Je fais de ce qui m’appartient ce que je veux, » puisqu’elle ne s’appartient pas à elle-même, mais à son chef, qui est son mari[129]. « C’est ainsi, dit l’apôtre Pierre, que se paraient autrefois les saintes femmes qui espéraient en Dieu, et qui étaient soumises à leur mari telle était Sara, qui obéissait à Abraham, qu’elle appelait son seigneur, et dont vous êtes les filles[130] ; » et ce n’est pas à des femmes chrétiennes, c’est à des juives que Pierre parlait ainsi.

8. Quoi d’étonnant que votre mari ne voulût pas que vous privassiez des choses nécessaires à la vie celui qui est son fils comme le vôtre ! Il ignore ce que fera cet enfant quand il commencera à grandir : se consacrera-t-il à la vie monastique, au ministère sacerdotal, ou bien se mariera-t-il ? C’est ce qu’on ne peut savoir encore. Quoiqu’il faille exciter et instruire les enfants des saints pour l’état le meilleur, chacun pourtant reçoit de Dieu le don qui lui est propre ; l’un d’une manière, l’autre d’une autre[131]. Qui blâmerait un père de se préoccuper ainsi des intérêts de son fils, quand le bienheureux Apôtre nous dit : « Celui qui ne pourvoit pas aux besoins des siens, et surtout de ceux de sa maison, renie sa foi, et il est pire qu’un infidèle[132] ? » Au sujet de l’aumône, le même Apôtre disait : « Non qu’il faille vous mettre à la gêne pour le soulagement des autres[133]. » Vous auriez donc dû vous entendre ensemble sur toutes ces choses, voir dans quelle mesure vous pouviez thésauriser dans le ciel, voir ce qu’il fallait pour soutenir votre vie et celle de votre mari, la vie de votre fils et de tous les vôtres, de peur de vous mettre à la gêne pour le soulagement d’autrui. Si, dans ces arrangements, quelque chose vous avait paru meilleur, vous l’auriez respectueusement suggéré à votre mari, et vous auriez obéi à son autorité comme à celle de votre chef ; les gens de bien qui en auraient entendu parler se seraient réjouis de l’heureuse paix de votre maison, et l’ennemi eût eu pour vous une crainte respectueuse, n’ayant rien de mal à dire de vous.

9. Si le devoir vous obligeait à suivre la volonté d’un mari fidèle et vivant chastement avec vous, pour les aumônes et la distribution de vos biens aux pauvres, pour ces œuvres bonnes et grandes, si clairement prescrites par le Seigneur ; à plus forte raison fallait-il ne rien changer, sans son agrément, dans la manière de vous vêtir ; car il n’y a rien ici qui soit de prescription divine. Il est écrit que les femmes doivent se vêtir convenablement ; l’Apôtre[134] blâme justement les parures d’or, la frisure des cheveux et les autres choses de ce genre qui ne sont employées que dans un but de vanité et de séduction. Mais il y a, selon le rang des personnes, un vêtement de dame différent du vêtement des veuves, et qui petit très-religieusement se porter. Si votre mari ne voulait pas que vous quittassiez vos costumes ordinaires pour vous faire passer, de son vivant, comme une veuve, vous n’auriez pas dû en cela persister jusqu’au scandale d’une mésintelligence : il y avait plus de mal dans votre désobéissance que de bien dans votre changement de costume. Quoi de plus absurde pour une femme que de braver orgueilleusement son mari sous d’humbles vêtements ! Mieux vaudrait lui plaire par la blanche simplicité des mœurs que de lui déplaire par la sombre couleur des habits. Puisque le costume monastique était de votre goût, il eût mieux valu amener doucement votre mari à vous le permettre, que de le prendre de vous-même et malgré lui. Et s’il vous eût refusé pour cela son agrément, en quoi donc vos pieux desseins eussent-ils été compromis ? Gardez-vous de croire que vous eussiez déplu à Dieu de ce que, votre mari vivant, vous n’auriez pas été vêtue comme Anne, mais comme Suzanne.

10. Celui qui déjà avait commencé à garder avec vous le grand bien de la continence, ne vous aurait pas assurément obligée à blesser la modestie dans vos vêtements, lors même qu’il ne vous eût pas laissé prendre les vêtements de veuve : et si par hasard vous y aviez été contrainte, vous auriez pu garder un cœur humble sous la splendeur des parures. Chez nos pères, la reine Esther, craignant Dieu, adorant Dieu, soumise à Dieu, gardait une parfaite obéissance à son mari, qui n’était ni du même peuple, ni de la même religion qu’elle-même ; à un moment de grand danger, qui n’était pas seulement le sien, mais celui de sa nation, alors le peuple de Dieu, Esther se prosterna devant le Seigneur, et, dans sa prière, elle disait que le vêtement royal n’avait pas plus de prix à ses veux que l’objet le plus souillé[135] ; elle fut exaucée, car Dieu qui connaît les cœurs savait combien ce langage était sincère. Et le mari d’Esther avait plusieurs autres femmes, et il adorait de faux dieux ! Vous, au contraire, si votre mari avait persisté dans le bon dessein d’où ses rancunes contre vous l’ont détourné pour le jeter dans le crime, vous n’auriez pas eu seulement en lui un mari fidèle, soumis comme vous au culte du vrai Dieu, mais encore vous auriez eu un mari continent ; fidèle à de pieux engagements, il ne vous aurait pas forcée à des vêtements superbes, en vous forçant à garder vos vêtements d’épouse.

14. Voilà ma réponse à la lettre où vous me consultez ; je n’entends pas rompre par mes paroles votre saint engagement, mais je déplore que votre mari ait rompu le sien par suite de votre manière d’agir, si imprudente et si contraire à l’ordre. Il est de votre devoir de songer à réparer un tel mal, si vous voulez véritablement appartenir au Christ. Soyez donc humble au fond de votre âme, et pour que Dieu vous accorde la grâce de la persévérance, ne restez pas indifférente aux périls de votre mari qui se perd. Répandez pour lui de pieuses et continuelles prières, offrez — en sacrifice vos larmes comme un sang qui coule des blessures du cœur. Ecrivez à votre mari pour vous excuser ; demandez-lui pardon de l’avoir offensé, en disposant de vos biens sans son avis et sa volonté vous n’avez pas à vous repentir de les avoir donnés aux pauvres, mais de l’avoir fait sans prendre conseil de votre mari et sans avoir voulu l’associer à votre œuvre. Promettez-lui que s’il change de conduite pour recommencer la vie de continence qu’il a cessée, vous lui serez soumise, Dieu aidant, en toutes choses, comme il convient : peut-être, selon les paroles de l’Apôtre, Dieu lui donnera-t-il le repentir, et le retirera-t-il des filets du démon qui le retient captif à son gré[136]. Quant à votre fils, né d’une légitime et honnête union, qui donc ignore qu’il est bien plus en la puissance de son père qu’en la vôtre ? On ne saurait le lui refuser, toutes les fois qu’il le demandera, en quelque lieu qu’il soit ; et précisément, puisque vous voulez que ce fils soit élevé et instruit dans la sagesse de Dieu, il est nécessaire qu’un bon et véritable accord se rétablisse entre votre mari et vous.

LETTRE CCLXIII.


Une vierge, nommée Sapida, avait un frère diacre à Carthage ; elle lui avait fait une tunique, mais le diacre mourut avant de pouvoir s’en servir. Sapida écrivit à saint Augustin pour le supplier d’accepter cette tunique et de la porter lui-même ; elle lui demandait cette faveur comme une grande consolation. L’évêque d’Hippone reçut le vêtement, consentit à s’en servir, et adressa à Sapida la lettre suivante, si pleine de choses touchantes et de belles pensées.

AUGUSTIN À SA SAINTE FILLE, LA PIEUSE DAME SAPIDA, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. J’ai reçu le pieux ouvrage de vos mains, que vous voulez que je garde ; je l’accepte pour ne pas vous affliger en ce moment où je voudrais vous voir pour vous consoler ; d’autant plus que vous me dites que ce sera un grand soulagement à votre douleur, si je me sers de cette tunique que vous aviez faite pour votre frère, ce saint ministre de Dieu : depuis qu’il a quitté cette terre des morts, il n’a plus besoin de rien de corruptible. J’ai donc fait ce que vous désiriez, et n’ai pas voulu refuser à votre cœur la consolation qu’il en attend. J’ai reçu cette tunique envoyée par vous et j’ai commencé à la porter avant même de vous écrire. Ayez bon courage ; mais cherchez de meilleures et de plus grandes consolations : que la lecture des Écritures divines dissipe les nuages que la faiblesse humaine a laissé s’étendre sur votre âme ; continuez à vivre de façon à vivre avec votre frère ; car votre frère est mort de telle manière qu’il est vivant.

2. Assurément, c’est un sujet de larmes de ne plus voir ce frère qui vous aimait tant, et qui vous témoignait tant de respect à cause de votre vie et de votre sainte profession de vierge ; il est triste pour vous de ne plus voir, comme de coutume, ce diacre de l’Église de Carthage entrer et sortir et remplir ses fonctions avec zèle, de ne plus entendre ces pieux et édifiants discours qu’il adressait à votre sainteté fraternelle avec un amour complaisant, pieux et dévoué. Lorsqu’on pense à ces choses, et que, par la force de la coutume, on les redemande, hélas ! vainement, le cœur est percé, et les larmes coulent comme le sang du cœur. Mais que le tueur se tienne en haut, et il n’y aura plus de pleurs dans les yeux. Quoique vous ayez perdu, dans le cours du temps, ce qui est maintenant l’objet de vos regrets, il n’a pas péri cet amour avec lequel Timothée[137] aimait et aime encore Sapida ; cet amour demeure dans son trésor, et il est caché avec le Christ dans le Seigneur. Ceux qui aiment l’or le perdent-ils lorsqu’ils le cachent ? Ne pensent-ils pas, au contraire, le posséder avec plus de sécurité, en le gardant ainsi, loin de leurs propres yeux ? La cupidité terrestre se croit plus sûre de son trésor, si elle ne voit pas ce qu’elle aime ; et le céleste amour s’afflige, comme s’il avait perdu ce qu’il a placé d’avance dans le dépôt éternel ! Sapida, faites attention à ce que veut dire votre nom ; goûtez[138] les choses d’en-haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu[139]. Il a daigné mourir pour nous, afin que nous vivions, même après que nous sommes morts ; afin que l’homme ne redoute plus la mort comme l’anéantissement de l’homme, et que nous ne pleurions pas, comme ayant perdu la vie, les morts pour lesquels celui qui est la Vie a voulu mourir. Voilà les consolations divines devant lesquelles la tristesse humaine doit avoir honte et s’effacer.

3. Il ne faut pas reprocher aux hommes leur douleur au sujet des morts qui leur sont chers ; mais la douleur des fidèles ne doit pas durer longtemps. Si donc vous avez été affligée, c’est assez maintenant ; ne vous affligez pas comme les païens, qui n’ont pas d’espérance[140]. L’apôtre Paul, en parlant ainsi, ne défend pas la douleur, mais seulement la douleur à la manière des païens. Marthe et Marie, sueurs pieuses et fidèles, pleuraient leur frère Lazare, qu’elles savaient devoir ressusciter un jour, mais qu’elles ne savaient pas devoir revenir à cette vie ; et le Seigneur lui-même a pleuré Lazare qu’il devait ressusciter[141]. Il ne nous a point ordonné, mais il nous a permis par son exemple de pleurer nos morts, dont notre foi espère la résurrection pour la véritable vie. Ce n’est pas en vain qu’il est dit dans l’Ecclésiastique : « Mon fils, verse des larmes sur un mort, et commence ton gémissement comme un homme frappé d’une grande plaie ; » mais un peu plus loin, l’Écriture ajoute : « Console-toi dans ta tristesse, car la tristesse hâte la mort, et la tristesse du cœur courbe les plus fort[142]. »

4. Votre frère, ma fille, est vivant par l’esprit, il dort par la chair ; est-ce que celui qui dort ne sortira pas de son sommeil[143]? Dieu, qui a reçu son esprit, lui rendra son corps il ne le lui a pas enlevé pour le perdre, mais pour le lui rendre un peu plus tard. Il n’y a donc pas ïieu à une longue tristesse, puisqu’il y a plutôt lieu à une éternelle joie. Vous ne perdrez pas même la portion mortelle de votre frère qui est ensevelie dans la terre, cette portion par où il se présentait à vous, par où il vous parlait et vous entendait parler — cette portion visible par où il montrait son visage à vos yeux et par où il vous faisait entendre sa voix, si connue de vos oreilles ; que partout où vous l’entendiez, vous n’aviez pas besoin de voir votre frère pour savoir que c’était lui. Voilà ce que la mort enlève aux vivants, voilà pourquoi l’absence des morts est douloureuse. Mais ces corps mêmes ne périront point dans l’éternité, pas un cheveu de notre tête ne périra[144], et les âmes reprendront leurs corps déposés pour un temps ; elles ne s’en sépareront plus, et la condition de ces corps deviendra meilleure : il faut donc bien plus se féliciter dans l’espérance d’une éternité d’un prix infini, qu’il ne faut s’affliger d’une chose d’un temps si court. C’est là l’espérance que n’ont point les païens, quine connaissent pas les Écritures ni la puissance de Dieu[145]; car Dieu peut rétablir ce qui a péri, vivifier ce qui est mort, renouveler ce qui est corrompu, rapprocher ce qui est séparé et conserver sans fin ce qui est périssable et fini. Telles sont les promesses qu’il nous a faites : la fidélité avec laquelle il a accompli les autres soutient notre croyance, à l’accomplissement de celles-ci. Que votre foi s’entretienne ainsi avec vous-même, parce que votre espérance ne sera pas trompée, quoique votre amour doive attendre un peu de temps ; méditez ceci : cherchez des consolations plus abondantes et plus vraies. Si c’est un adoucissement à votre douleur que je porte une tunique tissée de vos mains, et que votre frère n’a pu porter, combien vous devez être mieux consolée en songeant que celui pour qui cette tunique était faite, n’ayant plus besoin désormais de vêtement corruptible, sera revêtu d’incorruptibilité et d’immortalité !

LETTRE CCLXIV.


Une pieuse femme qui probablement habitait l’Espagne, avait écrit à saint Augustin pour lui exprimer sa tristesse en voyant son pays livré au travail de l’erreur ; l’évêque d’Hippone, dans sa réponse, lui dit ce qu’il a souvent répété, c’est que les œuvres du mal en ce monde profitent à l’avancement religieux des amis de Dieu.

AUGUSTIN À MAXIMA, HONORABLE, ILLUSTRE SERVANTE DE DIEU ET DIGNE DE LOUANGES PARMI LES MEMBRES DU CHRIST, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Autant votre zèle religieux me fait plaisir, autant je m’afflige en apprenant quelles dangereuses erreurs envahissent votre province et l’exposent aux plus grands dangers. Mais, ces choses ayant été prédites, il ne faut pas s’étonner qu’elles arrivent : il faut être sur nos gardes pour que le mal ne nous atteigne point. Dieu, notre libérateur, ne permettrait pas ces épreuves, si les saints ne devaient pas en tirer d’utiles instructions. Ceux qui font et propagent ainsi le mal par la perversité de leur volonté méritent l’aveuglement en ce monde, les supplices éternels, s’ils persistent opiniâtrement dans leur voie et s’ils négligent de se corriger lorsqu’ils sont encore en cette vie. Toutefois, de même qu’ils font un mauvais usage des biens de Dieu, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants et pleuvoir sur les justes et les injustes[146], et qui, par sa patience les appelle au repentir, quand ils armassent un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu[147]; de même, dis-je, qu’en ne se corrigeant pas ils font un mauvais usage de la bonté et de la patience, c’est-à-dire des biens de Dieu ; ainsi Dieu lui-même fait un bon usage du mal qu’ils font : ce n’est pas seulement en punissant les coupables, conformément aux lois éternelles de sa justice, c’est aussi en se servant de l’iniquité pour exercer et faire avancer les saints afin que les bons profitent de la perversité même des méchants et qu’ils soient éprouvés et qu’ils soient mis en lumière. « Il faut, dit l’Apôtre, qu’il y ait des hérésies, afin qu’on reconnaisse ceux d’entre vous qui auront été éprouvés[148]. »

2. Car si Dieu, dans ses desseins, n’avait pas à faire un bon usage des méchants pour l’utilité de ses élus, lui qui a tiré, de la trahison de Judas, notre rédemption par le sang du Christ, il pourrait ou ne pas permettre qu’ils naquissent, sachant d’avance qu’ils seront méchants, ou bien les faire mourir dès leurs premiers pas dans la voie de l’iniquité ; mais il les laisse venir au monde dans la mesure qu’il croit utile à l’avertissement et à l’épreuve de sa sainte maison. C’est pourquoi il console notre tristesse, car la tristesse que nous causent les méchants devient pour nous une force, mais elle accable ceux qui persévèrent dans leur perversité. Mais la joie que nous éprouvons lorsque l’un d’eux, sortant de sa voie, entre dans la société des saints, n’est comparable à aucune autre joie en cette vie. Il est écrit : « Mon fils, si tu es sage, tu le seras pour toi-même et pour tes proches ; si au contraire, tu tombes dans le mal, tu en porteras seul la peine[149]. » Quand nous nous réjouissons sur les fidèles et les justes, ce qu’ils ont de bien nous profite comme à eux ; mais quand nous gémissons sur les infidèles et les injustes, leur malice et notre affliction ne nuisent qu’à eux seuls : un grand secours auprès de Dieu nous vient aussi des tristesses miséricordieuses que nous ressentons pour eux, des gémissements et des prières que nous inspirent ces mêmes tristesses. C’est pourquoi, honorable servante de Dieu, et digne de louanges dans le Christ, j’approuve et je bénis tout ce que votre lettre renferme de tristesse, de vigilance et de prudence contre ces hommes ; et, puisque vous me le demandez, je vous exhorte, selon mes forces, à persévérer dans cette voie ; gémissez sur ces méchants avec la simplicité de la colombe, mais tenez-vous en garde contre eux avec la prudence du serpent[150]; travaillez, autant que vous le pourrez, à retenir dans la vraie foi ceux qui vous sont unis, et à ramener ceux qui seraient tombés dans quelque erreur.

3. Je rectifierais votre doctrine sur l’humanité qu’a prise le Verbe de Dieu lorsqu’il s’est fait chair et qu’il a habité parmi nous[151], si j’y trouvais quelque chose de contraire à la vérité. Mais vous n’avez qu’à continuer à croire que le Fils de Dieu, en se faisant homme, a pris toute notre nature, c’est-à-dire une âme raisonnable et une chair mortelle sans péché. Il a participé à notre infirmité, et non pas à notre iniquité, afin que, par cette infirmité commune à tous les hommes, il nous délivrât de notre iniquité et nous amenât à sa justice, buvant la mort qui lui venait de nous et nous offrant à boire la vie qui venait de lui. Si vous avez quelque écrit de ces gens-là, où ils soutiennent quelque chose de contraire à cette foi, veuillez me l’envoyer, afin que, non-seulement nous exposions notre foi, mais encore que nous réfutions leur erreur. Sans doute, ils s’efforcent d’appuyer leur sentiment pervers et impie sur des passages des divines Écritures ; il faut leur prouver qu’ils ne comprennent pas bien le sens de ces lettres sacrées écrites pour le salut des fidèles : semblables à des homme : qui se feraient des plaies graves avec des instruments de chirurgie destinés à guérir et non pas à blesser. J’ai beaucoup travaillé et je travaille beaucoup encore, autant que Dieu m’en donne la force, pour combattre diverses erreurs. Si vous désirez avoir mes ouvrages, envoyez quelqu’un pour les copier Dieu a voulu que vous puissiez le faire aisément, en vous donnant tout ce qu’il vous faut pour cela.

LETTRE CCLXV.


Saint Augustin répond à une dame chrétienne qui lui avait signalé les opinions d’un novatien qu’elle connaissait ; la secte farouche des novatiens n’admettait pas à la pénitence après le baptême. On sait que le chef de cette secte fut un prêtre ambitieux et fanatique qui se déclara contre l’élection de saint Corneille ; l’antipape Novatien n’avait pas de génie et a laissé peu de traces.

AUGUSTIN ÉVÊQUE À SÉLEUCIENNE, PIEUSE ET HONORABLE SERVANTE DE DIEU DANS L’AMOUR DU CHRIST, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Je me réjouis des bonnes nouvelles que vous me donnez de votre santé, et je réponds sans retard à ce qui fait le sujet de votre lettre. Et d’abord j’admire que ce novatien puisse prétendre que saint Pierre n’a pas été baptisé, puisque, d’après ce que vous m’aviez écrit auparavant, il disait que les apôtres avaient été baptisés. Je ne sais pas comment il compte établir que saint Pierre seul ne l’aurait pas été ; c’est pourquoi je vous envoie une copie de votre lettre, dans la crainte que vous n’en ayez point : faites attention que je réponds à ce que votas m’avez envoyé ; si celui qui a écrit sous votre dictée n’a pas mal compris ou s’il n’a pas inexactement écrit, j’ignore comment le même homme peut dire que les apôtres ont été baptisés et que saint Pierre ne l’a pas été.

2. En ce qui touche la pénitence de saint Pierre, il faut prendre garde de croire que l’Apôtre l’ait faite à la manière de ceux qu’on appelle proprement des pénitents dans l’Église. Qui souffrira qu’on mette sur la même ligne le prince des apôtres ? Il se repentit d’avoir renié le Christ, comme le témoignent ses larmes ; il est écrit qu’il pleura amèrement[152]. Mais alors les apôtres n’avaient pas encore été affermis par la résurrection du Seigneur et par la descente du Saint-Esprit qui vint le jour de la Pentecôte ; Jésus-Christ n’avait pas encore soufflé sur leur face comme il le fit après sa résurrection, quand il leur dit : « Recevez le Saint-Esprit[153]. »

3. Il pourrait donc être dit avec vérité que les apôtres, lorsque Pierre renia le Christ, n’étaient pas baptisés ; car ils avaient reçu le baptême de l’eau mais non le baptême de l’Esprit-Saint. C’est ce que leur disait Notre-Seigneur, conversant avec eux après sa résurrection : « Jean baptisé dans l’eau, mais, quant à vous, vous serez baptisés dans le Saint-Esprit : vous ne tarderez pas à le recevoir[154]. » On lit dans quelques exemplaires : « Quant à vous, vous commencerez d’être baptisés dans le Saint-Esprit ; » mais qu’on dise : « vous serez baptisés, » ou bien : « vous commencerez d’être baptisés, » cela ne fait rien à la chose. D’après le texte grec, il est facile de reconnaître que c’est en des manuscrits défectueux qu’on trouve ces mots : « vous baptiserez, » ou bien : « vous commencerez de baptiser. » Mais si nous disons que les apôtres n’ont pas reçu le baptême de l’eau, il est à craindre que nous ne nous trompions gravement à leur égard : nous courons risque d’autoriser les hommes à mépriser le baptême, ce qui serait tout à fait contraire aux sentiments et à la pratique des apôtres ; car le centurion Corneille et ceux qui étaient avec lui furent baptisés, même après avoir reçu le Saint-Esprit[155].

4. De même que les justes des premiers temps, qui pouvaient ne pas se faire circoncire, ne le pouvaient plus sans un péché grave après que la circoncision fut prescrite à Abraham et à sa postérité ; de même, après que Notre-Seigneur Jésus-Christ a substitué dans son Église le baptême à la circoncision et qu’il a déclaré que nul n’entrera dans le royaume des cieux s’il n’a été régénéré par l’eau et le Saint-Esprit[156], nous ne devons pas demander quand tel ou tel élu a été baptisé ; toutes les fois que l’Écriture nous parle de quelque membre du corps du Christ, c’est-à-dire de l’Église, comme appartenant au royaume des cieux, nous devons croire qu’il a reçu le baptême : il n’y a d’exception que pour ceux qui, sans avoir reçu l’eau régénératrice, donneraient leur vie pour Jésus-Christ, et dans ce cas le martyre leur tiendrait lieu de baptême. Pouvons-nous dire cela des apôtres qui, ayant donné tant de fois le baptême, ont eu bien le temps de le recevoir eux-mêmes ? Mais tout ce qui a été fait ne se trouve pas écrit ; ce qui n’empêche pas qu’on n’en reconnaisse la vérité d’après d’autres témoignages. Les Livres saints parlent du baptême de saint Paul[157] et ne parlent pas du baptême des autres apôtres ; ceux-ci furent baptisés pourtant, et nous ne saurions en douter. Les Livres saints nous marquent le baptême des peuples de Jérusalem et de la

Samarie[158], et ne disent rien du baptême des gentils auxquels les apôtres ont adressé leurs épîtres. Néanmoins, qui oserait nier que ces gentils aient été baptisés, à cause de cette parole du Seigneur : « Celui qui n’aura pas été régénéré par l’eau et par l’Esprit-Saint, n’entrera pas dans le royaume des cieux ? »

5. Il est écrit de Notre-Seigneur qu’il'« baptisait plus de disciples que Jean, » et il est écrit aussi « que ce n’était pas lui qui baptisait, mais ses disciples : » par là nous comprenons que le baptême était donné par l’action de sa majesté divine, mais non pas de ses propres mains. Le sacrement était de lui, et ses disciples en étaient les ministres. Saint Jean dit dans son Évangile : « Après cela Jésus vint avec ses disciples dans la terre de Judée, et il y demeurait avec eux, et il baptisait ; » le même Apôtre dit un peu plus bas : « Lors donc que Jésus eut appris que les pharisiens savaient qu’il baptisait beaucoup de disciples, et qu’il en baptisait plus que Jean (quoique ce ne fût pas Jésus lui-même qui baptisât, mais ses disciples), il quitta la Judée et s’en alla de nouveau en Galilée[159]. » Donc Jésus en Judée ne baptisait point par lui-même, mais par ses disciples. Or ceux-ci avaient déjà reçu le baptême de Jean, comme quelques-uns le pensent, ou, ce qui est plus probable, le baptême du Christ ; car il ne faut pas croire que Notre-Seigneur ait dédaigné de baptiser lui-même ses serviteurs qui devaient baptiser les autres, lui qui donna une si grande marque d’humilité en lavant les pieds à ses apôtres, et qui répondit à Pierre lui demandant de lui laver non-seulement les pieds, mais encore les mains et la tête : « Celui qui sort du bain n’a plus besoin que de laver ses pieds, il est pur dans tout le reste du corps[160]: » ce qui fait entendre que saint Pierre était déjà baptisé.

6. D’après ce que je trouve dans votre lettre, ce novatien prétendrait que les apôtres ont donné la pénitence au lieu du baptême ; cela ne me semble pas clair. S’il entend par là que les péchés sont remis par la pénitence, il y a quelque raison dans ce qu’il dit : une semblable pénitence peut être utile après le baptême, si on a péché. Mais, selon ce que vous m’avez écrit, il n’admet la pénitence qu’avant le baptême et, d’après son sentiment, les apôtres auraient substitué la pénitence à la régénération baptismale, de sorte que, les péchés une fois effacés par la pénitence, il n’y avait plus de baptême à conférer ; il devenait inutile. Mais je n’ai jamais ouï dire que telle fût la doctrine des novatiens. Informez-vous soigneusement si, tout en disant ou en croyant qu’il est novatien, votre homme n’appartiendrait pas à quelque autre erreur. J’ignore donc si les novatiens en sont là ; mais ce que je sais bien, c’est que quiconque soutient une telle opinion s’écarte tout à fait de la règle de la foi catholique, de la doctrine du Christ et des apôtres.

7. Les hommes, avant leur baptême, font pénitence de leurs péchés ; mais cette pénitence prépare au baptême et ne le remplace pas. Saint Pierre dit aux juifs dans les Actes des Apôtres : « Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; et vos péchés vous seront remis[161]. » Les hommes font aussi pénitence, si, après leur baptême, ils ont péché de façon à être retranchés de la communion et à avoir besoin d’être réconciliés ce sont ceux-là qu’on appelle proprement des pénitents dans toutes les Églises. L’apôtre Paul a parlé de cette sorte de pénitence lorsqu’il a dit : « Je crains que Dieu ne m’humilie de nouveau lorsque j’arriverai au milieu de vous, et que je n’aie à en pleurer plusieurs qui, après avoir péché, n’ont pas fait pénitence des impuretés, des impudicités et des fornications qu’ils ont commises[162]. » Saint Paul n’écrivait ces choses qu’à ceux qui étaient déjà baptisés. Simon, dont nous parlent aussi les Actes des Apôtres, était déjà baptisé, lorsque, coupable d’avoir voulu, avec de (argent, acheter le don de faire descendre l’Esprit-Saint par l’imposition des mains, il entendit l’apôtre Pierre lui dire : « Fais pénitence d’un si grand péché[163]. »

8. Il y a encore la pénitence quotidienne des bons et humbles fidèles ; nous y disons en frappant notre poitrine : « Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés[164]. » Les offenses dont nous demandons ici le pardon ne sont pas celles qui, nous n’en doutons pas, ont été effacées par le baptême ; ce sont des fautes, petites il est vrai, mais fréquentes, qui tiennent à la fragilité humaine. Si ces fautes, n’étant pas remises, s’amassaient contre nous devant Dieu, elles nous chargeraient et nous écraseraient comme quelque grand péché. Qu’importe, pour le naufrage, que ce soit une grande vague qui vous enveloppe et vous engloutisse, ou que ce soit une eau peu à peu amassée dans la sentine, et, à la suite d’une longue négligence, grossissant jusqu’à submerger le vaisseau ? Notre vigilance contre ces sortes de péchés doit s’exercer par le jeûne, l’aumône et la prière, et quand nous demandons à Dieu de nous pardonner nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés, nous faisons voir qu’il y a en nous quelque chose à effacer ; l’humiliation infligée à nos âmes dans ces paroles est pour nous une sorte de pénitence de tous les jours. Je crois avoir, malgré ma brièveté, répondu suffisamment à voire lettre ; il me reste à désirer que celui au profit duquel vous m’avez demandé de vous écrire ne prolonge pas son erreur par l’esprit de contention.

LETTRE CCLXVI.


Florentine était une jeune fille très-appliquée à l’étude des choses religieuses ; elle attendait une lettre de saint Augustin pour oser lui adresser des questions sur les vérités chrétiennes ; l’évêque d’Hippone lui écrit avec une bonté admirable et une étonnante modestie. Ceux qui enseignent recevront ici d’utiles leçons.

AUGUSTIN ÉVÊQUE À SA CHÈRE FILLE FLORENTINE, DAME ILLUSTRE ET HONORABLE DANS LE CHRIST, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Lorsque je pense à la sainte vie que vous avez choisie, à la chaste crainte du Seigneur qui est au fond de vos entrailles et qui demeure éternellement[165], je me sens vivement porté à vous être utile, non point seulement par des prières devant Dieu, mais encore par des instructions adressées à vous-même. Je l’ai fait plus d’une fois dans mes lettres à votre mère, dont je ne saurais prononcer le nom qu’avec respect. Mais elle m’écrit que vous voulez d’abord recevoir une lettre de moi, et qu’ensuite vous ne craindrez pas de demander à mon ministère les choses dont vous pourriez avoir besoin ; je sais qu’une libre servitude m’en rend redevable, dans la mesure de mes forces, tant envers vous qu’envers ceux qui, comme vous, ont le goût des vérités divines. Je fais donc ce que vous voulez, quoique-ce soit une autre que vous qui m’ait exprimé ce désir : je ne veux pas avoir l’air devons fermer cruellement la porte, quand votre confiance vient y frapper ; c’est maintenant à vous à parler, si vous croyez avoir quelque chose à me demander. Ou je sais ce que vous souhaitez, et je ne vous le refuserai pas ; ou je ne le sais point, mais c’est sans dommage pour la foi et le salut, et là-dessus je vous rassurerai pleinement, autant que je le pourrai. Si les choses que je ne saurais pas étaient de celles qu’il fallût connaître, je prierais le Seigneur de me rendre capable de vous répondre, car souvent l’obligation de donner est un mérite pour recevoir, ou bien je vous répondrais de manière à vous apprendre à qui nous devrions nous adresser sur les points que nous ignorerions tous les deux.

2. Je vous dis cela tout d’abord, afin que vous ne pensiez pas être certaine de trouver auprès de moi la réponse à tout ce que vous voudriez, et que, si votre attente était trompée, vous ne me jugiez pas plus hardi que sage pour avoir offert de vous instruire sur ce qu’il vous plaira. Je ne me suis pas proposé comme un docteur accompli, mais comme un homme qui s’éclaire avec ceux qu’il est obligé d’éclairer, ma chère fille, illustre et honorable dame en Jésus-Christ. Dans les choses même que je sais tant bien que mal, j’aimerais mieux vous trouver instruite que si vous aviez besoin de moi. Car nous ne devons pas souhaiter que d’autres soient ignorants pour avoir à enseigner ce que nous savons ; mieux vaut que Dieu nous instruise tous ; c’est ce qui se verra dans la patrie céleste, lorsque les promesses s’accomplissant, l’homme ne dira pas à son prochain : « Apprenez à connaître le Seigneur, car tous alors le connaîtront, dit le Prophète[166], depuis le plus petit jusqu’au plus grand. » Lorsqu’on enseigne il faut se tenir en garde contre l’orgueil : ceux qui apprennent ne sont pas exposés à ce danger. C’est pourquoi la sainte Écriture nous dit : « Que tout homme soit prompt à écouter, mais lent à parler[167]; » et le Psalmiste : « Vous me donnerez la joie et l’allégresse, parce que j’aurai beaucoup écouté ; » et il ajoute : « Et mes os humiliés tressailliront[168]. » David avait vu que l’humilité, difficile à garder lorsqu’on enseigne, l’est beaucoup moins quand on apprend, car il faut que le maître occupe un lieu élevé, et, à cette hauteur, il est malaisé de se défendre contre l’orgueil.

3. Reconnaissez donc quels dangers nous courons, nous de qui on attend, non-seulement que nous soyons des docteurs, mais encore que nous enseignions les choses divines, et qui ne sommes que des hommes. Toutefois, dans ces travaux et ces périls, il est une grande consolation, c’est de voir ceux qu’on instruit parvenir au point de ne plus avoir besoin d’être enseignés par des hommes. Ce n’est pas nous seulement qui avons été menacés de ce danger de l’orgueil ; un autre le connut : et qui sommes-nous en comparaison de lui ? le Docteur des nations a passé par cette épreuve. « De peur, dit-il, que je ne vinsse à m’enorgueillir par la grandeur de mes révélations, l’aiguillon de la chair m’a été donné[169]. » Notre-Seigneur, admirable médecin de cette enflure de l’âme ; dit encore : « Ne cherchez pas à être appelés maître par les hommes, parce que vous n’avez qu’un seul Maître, le Christ[170]. » Et le Docteur des gentils, n’oubliant pas cela, ajoute : « Celui qui plante n’est rien, ni celui qui arrose, mais tout vient de Dieu qui donne l’accroissement[171]. » C’est ce que n’oubliait pas le précurseur, qui s’humiliait d’autant plus en toutes choses qu’il était le plus grand parmi ceux qui sont nés de la femme[172], et qui se trouvait indigne de délier la chaussure du Christ[173]. A-t-il voulu montrer autre chose quand il a dit : « Celui qui a l’épouse est l’époux ; l’amide l’époux est debout et l’écoute, et sa joie est d’entendre la voix de l’époux[174] ? » C’est cette manière d’entendre qui faisait dire au Psalmiste, comme je l’ai rappelé plus haut : « Vous me donnerez la joie et l’allégresse parce que j’aurai écouté, et mes os humiliés tressailliront. »

4. Sachez donc que ma joie sur votre foi, votre espérance et votre charité, sera d’autant plus véritable, d’autant plus solide et d’autant plus pure, que vous aurez moins besoin, non-seulement de moi pour vous instruire, mais d’aucun homme. Toutefois, pendant que j’étais au lieu où vous êtes, et que la retenue de votre âge ne me permettait pas de rien savoir de vous, votre père et votre mère, si amis du bien et des saintes études, daignèrent me taire connaître votre vive ardeur pour la piété et la vraie sagesse ; ils me demandèrent de ne pas vous refuser mon humble concours dans les choses où vous pourriez avoir besoin d’être instruite par moi. C’est pourquoi j’ai cru devoir vous prévenir par cette lettre, afin que vous m’adressiez les questions qu’il vous plaira, mais aux conditions marquées plus haut. J’attends ces questions, car je ne voudrais pas m’exposer à un discours inutile en m’efforçant de vous enseigner ce que vous sauriez déjà. Mais tenez pour certain que, lors même que vous pourriez apprendre de moi quelque chose de bon, votre maître véritable sera toujours ce Maître intérieur que vous écouterez dans votre âme ; c’est lui qui vous fera reconnaître la vérité de ce que je vous aurais dit ; car celui qui plante n’est rien, ni celui qui arrose, mais tout vient de Dieu qui donne l’accroissement.

LETTRE CCLXVII.


La petite lettre qu’on va lire est tout ce qui nous reste de la correspondance de saint Augustin avec Fabiola. On tonnait l’histoire de cette descendante des Fabius. Mariée d’abord à un débauché, elle se sépara de lui pour en épouser un autre du vivant de son premier mari ; elle avait usé du bénéfice des lois romaines ; mais le christianisme condamnait ce second mariage. Fabiola, jeune encore, était veuve de son second mari, lorsqu’elle apprit que ses secondes noces avaient été contraires à la loi chrétienne. La veille de Pâques, on vit cette Romaine, d’un si grand nom et d’une si éclatante vie, couverte d’un sac, pâle et les cheveux épars, se mettre au rang des pénitents publics dans la basilique de Saint-Jean-de-Latran. Depuis ce temps, sa vie fut celle d’une sainte. Elle servit les malades avec tout l’héroïsme de la charité ; c’est à elle qu’on doit les premiers hôpitaux que l’Italie ait connus. Fabiola avait distribué aux pauvres tous ses biens. Dans un voyage aux lieux saints, elle vit saint Jérôme qu’elle eut pour guide et pour maître dans l’étude des divines Écritures. Chassée de la Judée par l’invasion des Huns, elle revint à Rome où elle mourut. Saint Jérôme, dans une lettre à Océanus, a fait le panégyrique de Fabiola avec beaucoup d’animation et de verve.

AUGUSTIN À SA CHÈRE FILLE EN JÉSUS-CHRIST, LA PIEUSE ET ILLUSTRE DAME FABIOLA, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

Quoique la lettre de votre Sainteté ne soit qu’une réponse, je crois pourtant devoir vous écrire encore. Car vous déplorez ce voyage de la terre qui mène à l’éternelle joie des saints ; vous préférez, et vous avez raison, le désir de la céleste patrie où les distances ne nous sépareront plus, mais où nous serons réunis dans l’heureuse contemplation d’un même Dieu. Vous êtes heureuse de vous entretenir pieusement de la pensée de ces divines choses, plus heureuse de les aimer, et vous serez plus heureuse encore quand vous aurez le bonheur de les obtenir. Mais considérez attentivement par où il est vrai de dire que nous sommes séparés les uns des autres : est-ce parce que nous cessons de voir nos corps, ou parce qu’il n’y a plus entre nous cet échange de sentiments et d’idées qui s’appelle un entretien ? Je crois que, malgré de lointaines séparations, si nous pouvions connaître mutuellement nos pensées, nous serions bien plus les uns avec les autres, que si, silencieusement assis dans un même lieu, nous nous regardions sans nous rien dire et sans aucune expression extérieure de ce qui se passerait dans nos âmes. C’est pourquoi vous comprenez que chacun est bien plus présent à lui-même que nul ne l’est à un autre, parce que chacun se connaît mieux qu’il n’est connu de personne : ce n’est pas en regardant notre visage, car, sans un miroir, on ne se voit pas ; mais c’est en regardant le fond de notre âme, et nous pouvons le voir, même avec les yeux fermés. Quelle vie que la nôtre, même en la regardant par le côté où elle semble avoir du prix !

LETTRE CCLXVIII.


Saint Augustin avait emprunté, pour libérer un catholique d’Hippone qui, poursuivi par ses créanciers et voulant échapper à la contrainte par corps, s’était réfugié dans l’Église. Le catholique ayant fait d’inutiles efforts pour trouver la somme que l’évêque s’était engagé à rendre au prêteur, saint Augustin, alors absent, s’adresse à la charité des fidèles d’Hippone.

AUGUSTIN AUX BIEN-AIMÉS SEIGNEURS, AU SAINT PEUPLE QU’IL SERT, AUX MEMBRES DU CHRIST, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Je connais et j’ai éprouvé votre attachement pieux à Notre-Seigneur Jésus-Christ ; dans la confiance que m’inspire cette pensée, j’ose vous demander, quoique absent, ce que souvent vous faites pour moi, quand je suis auprès de vous. Et du reste, je ne vous quitte jamais en esprit ; ce n’est pas seulement parce que je sens le parfum qu’exhalent vos bonnes œuvres par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais c’est encore parce que vous ne permettez pas que moi, qui vous sers dans l’Évangile, je demeure dans la détresse.

Notre frère Fascius, débiteur de dix-sept sous d’or, s’est trouvé fort pressé par ses prêteurs ; il ne pouvait pour le moment les satisfaire ; craignant qu’on ne mît la main sur lui, il a cherché asile dans la sainte église. Les gens chargés de le poursuivre, obligés de partir et ne voulant accorder aucun délai, sont venus m’accabler de leurs plaintes ; ils demandaient que je leur livrasse Fascius, ou que je me misse en mesure de payer sa dette. J’ai proposé à Fascius de faire part à votre sainteté de la nécessité où il se trouvait ; saisi de honte, il m’a supplié de n’en rien faire. Me voyant ainsi contraint plus fortement, j’ai emprunté à notre frère Macédonius dix-sept sous d’or ; Fascius, pour qui j’ai payé, me promettait de me remettre la somme à un jour marqué ; passé ce jour, s’il se trouvait dans l’impossibilité de rembourser, il consentait à ce que je fisse appel à cette miséricorde fraternelle que vous avez coutume de montrer envers vos frères.

2. Maintenant donc que Fascius est absent, il faut que vous veniez en aide, non pas à lui, que personne n’inquiète, mais à moi, qui ai pris un engagement, et dont la réputation est comme un bien dont vous avez toujours la garde. Le jour marqué pour la remise de la somme est passé ; je ne trouve rien à répondre à celui qui m’a prêté les dix-sept sous d’or sur ma parole, si ce n’est que je tiendrai la promesse que j’ai faite. Mais on ne m’a pas fait souvenir de vous entretenir de cette affaire, le saint jour de la Pentecôte, où vous étiez en plus grand nombre à l’église ; je demande donc que cette lettre me tienne lieu de discours ; le Seigneur notre Dieu, en qui vous croyez ; achèvera de vous parler au cœur ; il ne vous a jamais abandonnés, vous tous qui craignez et honorez son nom. C’est en lui que nous vous sommes unis, quoique, par notre absence corporelle, nous paraissions éloignés de vous, et il vous promet la moisson de la vie éternelle en échange des bonnes œuvres comme celle que je recommande à vos soins. « Ne nous lassons donc pas de faire le bien, dit l’Apôtre ; si nous ne perdons pas courage, nous en recueillerons le fruit en son temps. C’est pourquoi, pendant que nous en avons le temps, faisons du bien à tous, principalement à ceux qui sont de la même foi que nous[175]. » Or, celui pour lequel je vous demande de faire ce que le Seigneur ordonne, est de la même foi que nous ; il est chrétien fidèle, il est catholique ; faites-le sans déplaisir, sans murmure, avec joie et de bon cœur. Ce n’est pas dans un homme que vous avez confiance, c’est en Dieu ; il vous a promis que rien de ce que vous aurez fait miséricordieusement ne sera perdu, mais qu’au dernier jour vous retrouverez tout avec une immortelle usure[176]. Puisque l’Apôtre nous dit : « Or, je le déclare, celui qui sème peu recueillera peu[177], » vous devez comprendre que, pendant que nous sommes en cette vie, nous devons nous hâter d’amasser des trésors pour l’éternité. En effet, quand la fin des temps viendra, il ne sera donné qu’à ceux qui, avant devoir les biens éternels, les auront achetés par les saintes œuvres de leur foi.

3. J’écris aussi aux prêtres que si la collecte faite par votre sainteté n’est pas suffisante, ils aient à compléter la somme avec le bien de l’Église ; pourvu cependant que vous donniez avec joie ce qu’il vous plaît. Que ce soit par vous ou par l’Église que cela se fasse, tout est de Dieu, et votre empressement nous sera plus doux que les trésors de l’Église. Je vous dirai avec l’Apôtre : « Ce ne sont pas vos dons que je désire, mais le profit qui vous en reviendra[178]. » Réjouissez donc mon cœur ; c’est dans vos profits qu’il veut mettre sa joie ; car vous êtes les arbres de Dieu qu’il daigne arroser par notre ministère d’une pluie continuelle. Que Dieu vous défende de tout mal en ce monde et dans l’autre, mes bien-aimés seigneurs et chers frères.

LETTRE CCLXIX.


Saint Augustin, infirme et vieux, s’excuse de ne pouvoir se mettre en route pendant l’hiver pour aller assister à la dédicace d’une église.

AUGUSTIN À SON BIENHEUREUX ET VÉNÉRABLE FRÉRE ET COLLÈGUE NOBILIUS.

C’est une grande fête que celle à laquelle votre affection fraternelle me convie ; j’y voudrais traîner mon pauvre corps, sans les infirmités qui me retiennent. J’aurais pu m’y rendre si nous n’étions pas en hiver ; je pourrais braver l’hiver si j’étais jeune : la chaleur de l’âge me ferait aisément triompher de la saison rigoureuse, comme le froid de mes vieux ans se trouverait bien des feux de l’été. Maintenant, ma vieillesse glacée ne supporterait pas un si long voyage en hiver, bienheureux seigneur, saint, et vénérable frère et collègue. Je vous salue donc à mon tour comme vous le méritez, me recommandant à vos prières, et demandant à Dieu qu’une heureuse paix suive la dédicace d’une aussi grande église.

LETTRE CCLXX.


Celui qui a écrit cette lettre nous est inconnu ; il exprime affectueusement à saint Augustin le regret de ne pas l’avoir rencontré dans une ville d’Afrique où il espérait le joindre, et où il avait seulement trouvé un doua ami de l’évêque d’Hippone, Sévère, évêque de Milève, dont nos lecteurs savent le nom[179]. On a quelquefois attribué cette lettre à saint Jérôme. On oubliait que ce grand commentateur des divines Écritures n’est jamais allé en Afrique.

A mon récent passage dans la ville de Lois, j’ai été contristé de n’avoir pu vous y rencontrer tout entier ; je n’ai trouvé que la moitié de vous-même, et, pour ainsi parler, une portion de votre âme, c’est-à-dire, votre cher Sévère. Je ne me suis donc réjoui qu’à moitié ; ma joie en a été complète si je vous avais trouvé tout entier. Heureux de ce que je rencontrais, je m’affligeais de ce que je n’avais pas, et j’ai dit à mon âme : « Pourquoi es-tu triste, et pourquoi me troubles-tu ? Espère en Dieu[180], » et Dieu te fera jouir de la présence de l’ami que tu aimes. Je mets donc ma confiance dans le Seigneur, j’espère qu’il m’accordera la grâce de vous voir. O si l’amour pouvait se voir avec les yeux ! c’est alors que vous sauriez combien je vous aime, et comparant mon affection à la vôtre, vous seriez porté à me rendre ce que je vous donne. Puisque je vous aime dans le Seigneur, aimez-moi, et engagez ceux qui vous écoutent et vous obéissent à m’aimer aussi. Vous me demandez de prier pour vous ; je le ferais, si, délivré moi-même de mes péchés, il m’était permis de prier pour les autres. C’est pourquoi, de mon côté, je vous demande d’adresser assidûment pour moi vos prières au Seigneur ; et, vous souvenant des devoirs de ma profession, ayez présent à vos yeux ce jour où le juste n’aura rien de mauvais à redouter[181]; il ne craindra point, parce que ce n’est pas à lui qu’on dira : « Vas au feu éternel, » mais c’est à lui que s’adresseront ces paroles : « Viens, le béni de mon Père, possède le royaume[182]. » Puissions-nous y arriver par la grâce de Celui qui vit et règne dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il[183].

  1. Malgré de savantes investigations, on n’a pu marquer la date des trente-huit lettres qui forment la dernière partie de ce recueil ; mais l’incertitude du temps où saint Augustin les a écrites ne leur ôte rien de leur valeur et de leur intérêt.
  2. Cette lettre, écrite à Saint Augustin au nom de la cité de Madaure, ne nous est point parvenue.
  3. 1Co. 1,23
  4. Saint Augustin appelle let citoyens de Madaure ses pères, parce que c’est parmi eux, on le sait, qu’il avait été nourri dans l’étude des lettres.
  5. Deu. VI.
  6. Lévitiq. 19,18.
  7. Mat. 22,40
  8. Dans la bouche d’un païen du temps de saint Augustin, le nom de romain désignait un chrétien. Dans la bouche des arabes de l’Afrique, roumi veut encore dire chrétien. Un vague et lointain souvenir d’un roumi Kebir (un grand chrétien) est resté dans la mémoire des arabes du pays d’Hippone.
  9. Ce mot nous porte à croire que Longinien était prêtre du paganisme.
  10. Ovid., Trist.5, E ag.5.
  11. Act. 2,2
  12. Pierre, 2,20.
  13. Jura, perjura, secretum prodere noli.
  14. Mat. 26,30
  15. Tob. 12,7.
  16. Psa. 115,16
  17. Psa. 145,7
  18. Gal. 5,1
  19. Pierre, 2,20.
  20. Mat. 25,35
  21. Act. 9,4
  22. Tit. 3,5
  23. Thess.10.
  24. Gal. 4,19
  25. Psa. 95,1
  26. Mat. 11,17
  27. Id.
  28. Eph. 3,17
  29. 1Co. 3,16
  30. Psa. 35,10
  31. Psa. 117,19
  32. Psa. 23,7
  33. Tob. 12,7
  34. Rom. 3,4,
  35. Jn. 10,30
  36. Id. 14,28
  37. 1Ti. 6,16
  38. Id. 1,17
  39. 1Co. 6,16,17
  40. Eph. 3,20
  41. Jn. 4,24
  42. Psa. 103,4
  43. Psa. 77,44
  44. 1Co. 2,11
  45. Ecc. 3,21
  46. 1Th. 5,23
  47. 1Co. 14,14,15
  48. Phi. 4,7
  49. Id. XII, 13.
  50. 1Co. 8,2
  51. Col. 3,15
  52. Deu. 6,4
  53. Jn. 20,28
  54. 1Co. 8,5,6
  55. Rom. 11,34
  56. Eph. 4,5,6
  57. Mat. 12,32
  58. Jn. 14,16
  59. Id. 17,3
  60. 1Ti. 1,17
  61. Sag. 7,24
  62. Isa. 53,8
  63. Jn. 10,30
  64. Id. 17,11,20
  65. 1Co. 6,16,17
  66. 1Co. 6,16,17
  67. Jn. 10,30
  68. Jn. 1,3
  69. Isa. 53,8
  70. Phi. II.6.
  71. Mat. V.7.
  72. 1Co. 13,12
  73. Luc. 19,26
  74. Act. 4,32
  75. Psa. 21,21
  76. Jn. 12,25
  77. Mat. 12,48
  78. Mat. 23,9
  79. 1Co. 15,47
  80. 1Co. 15,54
  81. Gal. 5,24
  82. 1Ti. 5,8
  83. 1Ti. 4,15
  84. 1Co. 7,32
  85. Id. 11,5,13
  86. Ligaturarum.
  87. 1Co. 10,20
  88. 2Co. 6,15
  89. Rom. 2,5,6
  90. Ecc. 30,24
  91. Apo. 3,19
  92. C’était probablement le nom de l’intendant de ce maître injuste.
  93. Ci-dessus, let.238.
  94. Psa. 118,53,158
  95. 2Ti. 3,12
  96. Mat. 24,13
  97. Psa. 93,19
  98. Nous avons eu occasion de parler de Tychonius et des coups qu’il porta au donatisme, quoiqu’il fût resté lui-même dans le parti de Donat.
  99. Psa. 119,5
  100. Mat. 16,19
  101. Eze. 18,4
  102. Rom. 5,12
  103. Psa. 6,8
  104. Psa. 6,3
  105. Jac. 1,20
  106. Ce fragment est tiré d’un vieux manuscrit de Troyes renfermant les collections de Cresconius et de Ferrand.
  107. Rom. 5,5
  108. 1Co. 13,4
  109. D’après ce fragment de lettre qu’on vient de lire, il semblerait que la démarche de saint Augustin auprès du jeune évêque Auxilius aurait été sans succès ; en présence de la résistance de son collègue, le grand évêque aurait songé à porter la question à son concile, et à Rome même s’il l’eût fallu.
  110. Les anciens éditeurs des lettres de saint Augustin ont cru qu’il s’agit ici du fils de ce Rusticus à qui est adressée la lettre CCLV ; mais c’est une erreur, puisque ce jeune homme ainsi que son père étaient encore païens : Or, l’évêque d’Hippone déclare ne vouloir marier la jeune orpheline qu’à un chrétien ; et d’ailleurs un évêque catholique, comme Bénénatus, n’aurait pas présenté un païen pour être le mari d’une chrétienne.
  111. Cicér. Let.20.
  112. Lucain, livre V.
  113. Psa. 10,6
  114. Mat. 22,37
  115. Nunc hic dies vitam aliam affert, alios mores postulat.
    (Adrienne, acte 2 scène 2).
    On sait que le système de versification de Térence se confondrait aisément avec de la prose.
  116. Les livres Sibyllins, dont il ne reste rien ou presque rien, ont bien réellement existé ; mais c’est dans les livres Sibyllins, faits après coup, qui on a trouvé quelque chose comme des révélations chrétiennes. Saint Augustin prête à Virgile des intentions prophétiques qu’il n’avait pas et Virgile ne nous semble pas avoir avoué nulle part qu’il ait emprunté des chants Sibyllins les deux vers où l’évêque d’Hippone croit voir une aspiration vers le Rédempteur de l’univers. Cela n’empêche pas que le monde romain au temps d’Auguste ait vaguement attendu un libérateur.
  117. Cicér. pro Sext. Rosc.
  118. 1Co. 6,15
  119. C’était le nom de la femme que Corneille avait perdue.
  120. Luc. 16,19
  121. Sacrator justitiae.
  122. Cette fin de lettre est en vers latins.
  123. 1Co. 4,16
  124. Mat. 23,3
  125. 1Co. 4,1
  126. Id. 7,7
  127. Rom. 12,3
  128. 1Co. 7,1
  129. Eph. 5,23
  130. 1Pi. 3,5,6
  131. 1Co. 7,7
  132. 1Ti. 5,8
  133. 2Co. 8,13
  134. 1Ti. 2,9
  135. Esther, 14,10.
  136. 2Ti. 2,25,.26.
  137. Timothée était le nom du frère de Sapida ; c’est probablement le même dont il a été question dans la lettre CX.
  138. Sape.
  139. Col. 3,1,3
  140. Thess. 4,12.
  141. Jn. 11,19
  142. Ecc. 38,16
  143. Psa. 40,9
  144. Luc. 21,18
  145. Mat. 22,29
  146. Mat. 5,45
  147. Rom. 2,4,5
  148. 1Co. 11,19
  149. Pro. 9,12
  150. Mat. 10,16
  151. Jn. 1,14
  152. Mat. 26,75
  153. Jn. 15,2
  154. Act.I, 5.
  155. Act. 10,48
  156. Jn. 3,5
  157. Act. 9,18
  158. Act. 2,41 ; 8,12.
  159. Jn. 3,22 et 4,1.3.
  160. Id. 13,10
  161. Act. 2,38
  162. 2Co. 12,21
  163. Act. 8,22
  164. Mat. 6,12
  165. Psa. 18,10
  166. Jer. 31,31
  167. Jac. 1,19
  168. Psa. 50,10
  169. 2Co. 12,7
  170. Mat. 23,8
  171. 1Co. 3,7
  172. Mat. 11,11 ; Ecc. 3,20.
  173. Luc. 3,16
  174. Jn. 3,29
  175. Gal. 6,9,10
  176. Mat. 25,34
  177. 2Co. 9,6
  178. Phi. 4,17
  179. Voir la lettre 110, n.4.
  180. Psa. 41,6
  181. Psa. 3,7
  182. Mat. 25,41,34
  183. La traduction des Lettres de saint Augustin est l’œuvre de M. POUJOULAT.