Lettres de la comtesse de Segur - Avant-propos

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AVANT-PROPOS


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« Une publication intéressante et qui compléterait les travaux littéraires de ma mère, ce serait, non la collection complète de ses charmantes lettres (de gros volumes n’y suffiraient pas !), mais une collection quelconque de lettres choisies, principalement de celles qu’elle écrivait à ses enfants et petits-enfants. Personne n’écrivait comme elle, et cela jusqu’à la fin ; et comme elle était la franchise et la simplicité même, ses lettres feraient connaître, mieux encore que ses livres, toutes les richesses de son excellent cœur, de son esprit, de sa brillante imagination, et aussi de sa foi profonde et de sa solide piété. » (Citation extraite du livre : Ma mère, de Mgr de Ségur.)

Jamais plume mieux inspirée n’aurait pu tracer une meilleure définition du travail que je livre ici au public. Les extraits de la correspondance de ma mère répondent complètement, si je ne me trompe, au vœu de mon vénéré frère, et je n’ai eu qu’à y ajouter de courtes notes pour expliquer quelques passages des lettres qu’elle m’écrivait avec un si charmant abandon. J’y joins celles adressées à mon mari, qui fut enlevé à mon affection quelques années après ma mère.

Un autre volume, qui, s’il plaît à Dieu, complétera bientôt celui-ci, surtout pour les jeunes lecteurs de ma mère, contiendra les délicieuses lettres adressées par « grand’mère » à Jacques, mon fils bien-aimé. Dieu n’a pas voulu, et je l’en remercie, que ma pauvre mère subît l’épreuve terrible de voir mourir avant elle ce bien-aimé de son cœur qui la suivit de près dans le ciel. – Une courte notice sur ma mère précédera cette correspondance.

L’intimité nécessaire de la correspondance de ma mère avec moi, les menus événements de famille qu’elle renferme, m’ont fait hésiter longtemps à la publier. Mais son amour passionné pour tous les siens, son dévouement infatigable de tous les instants et de toute la vie, ses voyages incessants d’un bout de la France à l’autre et même hors de France, au moindre appel de ses enfants, malgré son âge et sa santé, son oubli d’elle-même poussé jusqu’à l’héroïsme, y apparaissent dans une si belle et si forte lumière ; sa tendresse de grand’mère surtout s’y épanouit dans des expressions si variées et si charmantes, que je n’ai pu résister au penchant de mon cœur, trop plein de ces chers souvenirs pour en garder le secret.

D’ailleurs, ces lettres d’une mère à sa fille ne se bornent pas à des effusions de tendresses et à des confidences de famille. Elles renferment des pages nombreuses, où le talent de l’écrivain, l’âme de la chrétienne, le sang généreux de la fille de Rostopchine, éclatent en accents virils et parfois admirables.

Ses jugements sur les faits et les travers du monde, ses conseils littéraires, ses appréciations politiques sur les dix dernières années de l’Empire ; ses révoltes catholiques contre l’abandon du Pape par l’Empereur d’abord si aimé d’elle, ses protestations indignées, où vibre l’âme de son illustre père, contre les horreurs de l’invasion allemande, enfin son mépris clairvoyant du gouvernement de M. Thiers pendant et après la Commune, ne peuvent, ce me semble, qu’accroître la réputation de ma mère comme écrivain, et sont de nature à frapper tous les lecteurs.

Ils suffiront, en tous cas, à enlever à une correspondance aussi intime l’ennui des redites et la fatigue de la monotonie dans de petites choses.

Peut-être trouvera-t-on que j’ai laissé, dans cette publication, malgré les conseils dont je me suis entourée et que j’ai suivis, des témoignages trop répétés de la tendresse de ma mère pour mon fils Jacques qu’elle aimait à la passion. Qu’on me pardonne cette faute contre le goût, si c’en est une, en pensant que cet enfant si aimé n’est plus, et que Dieu me l’a repris dans sa vingtième année, deux ans à peine après la mort de son incomparable grand’mère.

L’auteur de tant de livres qui charment aujourd’hui comme il y a trente ans l’enfance, la jeunesse et mille autres lecteurs de tout âge et de toute condition, n’aurait pas écrit ces immortels petits chefs-d’œuvre, si elle n’avait aimé passionnément ses enfants et petits-enfants : c’est la justification de cet ouvrage. – Dieu et mes enfants, ces mots sortis de sa bouche mourante et gravés sur son tombeau, sont le résumé de la correspondance qu’on va lire, comme de sa vie tout entière.

Vicomtesse de Pitray, née Ségur.



Note. — Que l’on ne s’étonne pas de l’orthographe parfois un peu surannée que l’on va voir dans la correspondance de ma mère. Je l’ai scrupuleusement respectée et je l’y ai laissée, comme un charme de plus, comme un parfum des temps passés.


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