Lettres de Voltaire à Helvétius

tome 13
Œuvres complètes d’HelvétiusP. Didot.

LETTRES
DE VOLTAIRE
A HELVÉTIUS.


LETTRE I.

Mon très cher enfant, pardonnez l’expression ; la langue du cœur n’entend pas le cérémonial : jamais vous n’éprouverez tant d’amitié et tant de sévérité. Je vous renvoie votre épître apostillée, comme vous l’avez ordonné. Vous et votre ouvrage, vous méritez d’être parfaits ; qui peut ne pas s’intéresser à l’un et à l’autre ? Mme la marquise du Châtelet pense comme moi ; elle aime la vérité et la candeur de votre caractere ; elle fait un cas infini de votre esprit ; elle vous trouve une imagination féconde : votre ouvrage lui paroît plein de diamants brillants. Mais qu’il y a loin de tant de talents et de tant de graces à un ouvrage correct ! La nature a tout fait pour vous. Ne lui demandez plus rien, demandez tout à l’art. Il ne vous manque plus que de travailler avec difficulté. Vingt bons vers en quinze jours sont mal-aisés à faire ; et, depuis nos grands maîtres, dites-moi qui a fait vingt bons vers alexandrins de suite. Je ne connois personne dont on puisse en citer un pareil nombre : et voilà pourquoi tout le monde s’est jeté dans ce misérable style marotique, dans ce style bigarré et grimaçant, où l’on allie monstrueusement le trivial et le sublime, le sérieux et le comique, le langage de Rabelais, celui de Villon, et celui de nos jours. À la bonne heure, qu’un laid visage se couvre de ce masque. Rien n’est si rare que le beau naturel : c’est un don que vous avez ; tirez-en donc, mon cher ami, tout le parti que vous pouvez. Il ne tient qu’à vous, je vous jure, que vous soyez supérieur en tout ce que vous entreprendrez ; mais ne négligez rien. Je vous donne un bon conseil, après vous avoir donné de bien mauvais exemples. Je me suis mis trop tard à corriger mes ouvrages. Je passe actuellement les jours et les nuits à réformer la Henriade, OEdipe, Brutus, et tout ce que j’ai jamais fait. N’attendez pas, comme moi, si non vis sanus, curras hydropicus. Je songe à guérir mes maladies ; mais vous, prévenez celles qui peuvent vous attaquer. Puisque vous chantez l’étude avec tant d’esprit et de courage, ayez aussi le courage de limer cette production vingt fois ; renvoyez-la moi, et que je vous la renvoie encore. La gloire. en ce métier-ci, est comme le royaume des cieux, Et violenti rapiunt illud. Que je sois donc votre directeur pour ce royaume des belles-lettres. Vous êtes une belle ame à diriger. Continuez dans le bon chemin ; travaillez. Je veux que vous fassiez aux belles lettres et à la France un honneur immortel. Plutus ne doit être que le valet-de-chambre d’Apollon. Le tarif est bientôt connu ; mais une épître en vers est un terrible ouvrage : je défie vos quarante fermiers-généraux de la faire. Adieu, je vous embrasse tendrement ; je vous aime comme on aime son fils. Mme du Châtelet vous fait ses compliments les plus vrais ; elle vous écrira ; elle vous remercie. Allons, qu’un ouvrage qui lui est adressé soit digne de vous et d’elle. Vous m’avez fait trop l’honneur dans cet ouvrage ; et cependant je vous rends la vie bien dure. Adieu ; je vous souhaite la bonne année. Aimez toujours les arts et Cirey.

A Cirey, ce 4 septembre 1738.

LETTRE II.

Mon cher ami, tandis que vous faites tant d’honneur aux belles-lettres il faut aussi que vous leur fassiez du bien. Permettez-moi de recommander à vos bontés un jeune homme d’une bonne famille, d’une grande espérance, très bien né, capable d’attachement et de la plus tendre reconnoissance, qui est plein d’ardeur pour la poésie et pour les sciences, et à qui il ne manque peut-être que de vous connoître pour être heureux. Il est fils d’un homme que des affaires où d’autres s’enrichissent ont ruiné. Il se nomme D***. Beaucoup de mérite et de malheur font sa recommandation auprès d’un cœur comme le vôtre. Si vous pouviez lui procurer quelque petite place, soit par vous, soit par M. de la Popliniere, vous le mettriez en état de cultiver ses talents, et vous rempliriez votre vocation, qui est de faire du bien. Vous m’en faites à moi ; car vous avez réchauffé un ami tiede. Jamais votre illustre père n’a fait de si belle cure.

Je lui ai envoyé un autre mémoire, où je sacrifie enfin le littéraire au personnel ; mais M. Dargental pense que c’est une nécessité. Vous le pensez aussi, et je me rends. Ma présence seroit nécessoire à Paris ; mais je ne peux quitter mes amis pour mes propres affaires. Mme du Châtelet vous fait bien des compliments ; on ne peut avoir plus d’estime et d’amitié qu’elle en a pour vous. Nous attendons de vous des choses qui feront l’agrément de notre re traite, et qui nous consoleront, si cela se peut, de votre absence. Je vous embrasse avec les transports les plus vifs d’amitié, d’estime, et de reconnoissance.

A Cirey, ce 8 janvier.

LETTRE III.

Mon cher ami, l’ami des muses et de la vérité, votre épître est pleine d’une hardiesse de maison bien au dessus de votre âge, et plus encore de nos lâches et timides écrivains qui riment pour leurs libraires, qui se resserrent sous le compas d’un censeur royal, envieux, ou plus timide qu’eux ; misérables oiseaux à qui on rogne les ailes, qui veulent s’élever, et qui retombent en se cassant les jambes. Vous avez un génie mâle, et votre ouvrage étincelle d’imagination. J’aime mieux quelques unes de vos sublimes fautes, que les médiocres beautés dont on nous veut affadir. Si vous me permettez de vous dire en général ce que je pense pour les progrès qu’un si bel art peut faire entre vos mains, je vous dirai : Craignez, en atteignant le grand, de sauter au gigantesque. N’offrez que des images vraies, et servez-vous toujours du mot propre. Voulez-vous une petite regle infaillible pour les vers ; la voici : Quand une pensée est juste et noble, il n’y a encore rien de fait : il faut voir si la manière dont vous l’exprimez en vers seroit belle en prose ; et si votre vers, dépouillé de la rime et de la césure, vous paroît alors chargé d’un mot superflu, s’il y a dans la construction le moindre défaut, si une conjonction est oubliée, enfin si le mot le plus propre n’est pas employé, ou s’il n’est pas à sa place, concluez alors que l’or de cette pensée n’est pas bien enchâssé. Soyez sûr que des vers qui auront l’un de ces défauts ne se retiendront jamais par cœur, ne se feront point relire ; et il n’y a de bons vers que ceux qu’on relit, et qu’on retient malgré soi. Il y en a beaucoup de cette espece dans votre épître, tels que personne n’en peut faire à votre âge, et tels qu’on en faisoit il y a cinquante ans. Ne craignez donc point d’honorer le Parnasse de vos talents. Ils vous honoreront sans doute, parceque vous ne négligerez jamais vos devoirs.

Et puis, voilà de plaisants devoirs ! Les fonctions de votre état ne sont-elles pas quelque chose de bien difficile pour une ame comme la vôtre ? Cette besogne se fait comme on regle la dépense de sa maison, et le livre de son maître-d’hôtel. Quoi ! pour être fermier-général, on n’auroit pas la liberté de penser ! Eh morbleu ! Atticus étoit fermier-général, les chevaliers romains étoient fermiers-généraux, et pensoient en Romains. Continuez donc, Atticus.

Je vous remercie tendrement de ce que vous avez fait pour D***. J’ose vous recommander ce jeune homme comme mon fils ; il a du mérite, il est pauvre et vertueux. Il sent tout ce que vous valez ; il vous sera attaché toute sa vie. Le plus beau partage de l’humanité, c’est de pouvoir faire du bien ; c’est ce que vous savez et ce que vous pratiquez mieux que moi. Mme du Châtelet vous remerciera des éloges qu’elle mérite, et moi je passerai ma vie à me rendre moins indigne de ceux que vous n’adressez. Pardon de vous écrire eu vile prose ; mais je n’ai pas un instant à moi ; les jours sont trop courts. Adieu : quand pourrai-je en passer quelques uns avec vous ? Buvez à ma santé avec xx Montigni.

Est-il vrai que la philosophie de Newton gagne un peu ?

A Cirey, ce 25 février 1739.

LETTRE IV.

Je voie, mon charmant ami ; que je vous avois écrit d’assez mauvais vers, et qu’Apollon n’a pas voulu qu’ils vous parvinssent. Ma lettre étoit adressée à Charleville, où vous deviez être ; et j’avois eu soin d’y mettre une petite apostille, afin que la lettre vous fût rendue, en quelque endroit de votre département que vous fussiez. Vous n’avez rien perdu ; mais moi j’ai perdu l’idée que vous aviez de mon exactitude. Mon amitié n’est point du tout négligente ; je vous aime trop pour être paresseux avec vous. J’attends, mon bel Apollon, votre ouvrage avec autant de vivacité que vous le faites. Je comptois vous envoyer de Bruxelles ma nouvelle édition de Hollande, mais je n’en ai pas encore reçu un seul exemplaire de mes libraires. Il n’y en a point à Bruxelles ; et j’apprends qu’il y en a à Paris. Les libraires de Hollande, qui sont des corsaires mal-adroits, ont sans doute fait beaucoup de fautes dans leur édition, et craignent que je ne la voie assez tôt pour m’en plaindre, et pour la décrier. Je ne pourrai en être instruit que dans quinze jours. Je suis actuellement avec Mme du Châtelet à Anguien, chez M. le duc d’Aremberg, à sept lieues de Bruxelles. Je joue beaucoup au brelan ; mais nos cheres études n’y perdent rien. Il faut allier le travail et le plaisir. C’est ainsi que vous en usez, et c’est un petit mêlange que je vous conseille de faire toute votre vie ; car, en vérité, vous êtes né pour l’un et pour l’autre.

Je vous avoue, à ma honte, que je n’ai jamais lu l’Utopie de Thomas Morus. Cependant je m’avisai de donner une fête, il y a quelques jours, dans Bruxelles, sous le nom de l’envoyé d’Utopie. La fête étoit pour Mme du Châtelet, comme de raison. Mais croiriez-vous bien qu’il n’y avoit personne dans la ville qui sût ce que veut dire Utopie ? Ce n’est pas ici le pays des belles-lettres. Les livres de Hollande y sont défendus ; et je ne peux pas concevoir comment Rousseau a pu choisir un tel asyle. Ce doyen des médisants, qui a perdu depuis longtemps l’art de médire, et qui n’en a conservé que la rage, est ici aussi inconnu que les belles-lettres. Je suis actuellement dans un château où il n’y a jamais eu de livres que ceux que Mme du Châtelet et moi nous avons apportés ; mais, en récompense, il y a des jardins plus beaux que ceux de Chantilly ; et on y mene cette vie douce et libre qui fait l’agrément de la campagne. Le possesseur de ce beau séjour vaut mieux que beaucoup de livres. Je crois que nous allons jouer des comédies. On y lira du moins les rôles des acteurs.

J’ai bien un autre projet en tête. J’ai fini ce Mahomet dont je vous avois lu l’ébauche. J’aurois grande envie de savoir comment une piece d’un genre si nouveau et si hasardé réussiroit chez nos galants Français. Je voudrois faire jouer la piece, et laisser ignorer l’auteur. À qui puis-je mieux me confier qu’à vous ? N’avez-vous pas en main cet ami de Paris qui vous doit tout, et qui aime tant les vers ? ne pourriez-vous pas la lui envoyer ? ne pourroit-il pas la lire aux comédiens ? Mais lit-il bien ? car une belle prononciation et une lecture pathétique sont une bordure nécessaire au tableau. Voyez, mon cher ami ; donnez-moi sur cela vos instructions.

Quelle est donc cette Mme Lambert à qui je dois des compliments ? Vous me faites des amis des gens qui vous aiment, je serai bientôt aimé de tout le monde. Adieu. Mme du Châtelet vous estime, vous aime ; vous n’en doutez pas. Nos cœurs sont à vous pour jamais. Elle vous a écrit, comme moi, à Charleville. Adieu : je vous embrasse du meilleur de mon ame.

A Anguien, ce 6 juillet 1739.

LETTRE V.

Je vous salue au nom d’Apollon, et je vous embrasse au nom de l’amitié. Voici l’ode de la superstition que vous demandiez, et l’opéra dont nous avons parlé. Quand vous aurez lu l’opéra, mon cher ami, envoyez-le à M. de Pondeveil, porte S.-Honoré. Mais, pour Dieu, envoyez-moi de meilleures étrennes. Je n’ai jamais tant travaillé que ce dernier mois ; j’ai la tête fendue. Guérissez-moi par quelque belle épître. Adieu les vers cet hiver, je n’en ferai point. La physique est de quartier ; mais vos lettres, votre souvenir, votre amitié, vos vers, seront pour moi de service toute l’année. Avez-vous ce recueil qu’avoit fait Prault ? Pourquoi le saisir ? quelle barbarie ! Suis-je né sous les Goths et sous les Vandales ? Je méprise la tyrannie autant que la calomnie. Je suis heureux avec Emilie, votre amitié et l’étude. Vous l’avez bien dit, l’étude console de tout. Je vous embrasse mille fois. V.

5 janvier 1740.

LETTRE VI.

Ne les verrai-je point ces beaux vers que vous faites,
Ami charmant, sublime auteur ?
Le ciel vous anima de ces flammes secretes
Que ne sentit jamais Boileau l’imitateur,
Dans ses tristes beautés si froidement parfaites.
Il est des beaux esprits, il est plus d’un rimeur,
Il est rarement des poëtes.
Le vrai poëte est créateur.
Peut-être je le fus, et maintenant vous l’êtes.

Envoyez-moi donc un peu de votre création. Vous ne vous reposerez pas après le sixieme jour. Vous corrigerez, vous perfectionnerez votre ouvrage, mon cher ami. Votre derniere lettre m’a un peu affligé. Vous tâtez donc aussi des amertumes de ce monde ; vous éprouvez des tracasseries ; vous sentez combien le commerce des hommes est dangereux. Mais vous aurez toujours des amis qui vous consoleront ; et vous aurez, après le plaisir de l’amitié, celui de l’étude.

Nam nil dulcius est bene quam munin tenere
Edita doctrinæ sapientium temple serena ;
Despicere unde queas alios, passimque videra
Errare atque viam palantes quærere vitæ.

Il y a bientôt huit ans que je demeure dans le temple de l’amitié et de l’étude. J’y suis plus heureux que le premier jour ; j’y oublie les persécutions des ignorants en place, et la basse jalousie de certains animaux amphibies qui osent se dire gens de lettres ; j’y puise des consolations contre l’ingratitude de ceux qui ont répondu à mes bienfaits par des outrages. Mme du Châtelet, qui a éprouvé à-peu-près la même ingratitude, l’oublie avec plus de philosophie que moi, parceque son ame est au-dessus de la mienne. Vous trouverez, mon cher ami, dans votre vie peu de personnes plus dignes qu’elle de votre estime et de votre attachement.

Adieu, mon jeune Apollon. Je vous embrasse ; je vous aime à jamais.

Bruxelles, ce 24 janvier 1740.

LETTRE VII.

Mon cher et jeune Apollon, mon poëte philosophe, il y a six semaines que je suis plus errant que vous. Je comptois de jour en jour repasser par Bruxelles, et y relire deux pieces charmantes de poésie et de raison, sur lesquelles je vous dois beaucoup de points d’admiration, et aussi quelques points interrogants. Vous êtes le génie que j’aime, et qu’il falloir aux Français. Il vous faut encore un peu de travail, et je vous promets que vous irez au sommet du temple de la gloire par un chemin tout nouveau. Je voudrais bien, en attendant, trouver un chemin pour me rapprocher de vous. La providence nous à tous dispersés. Mme du Châtelet est à Fontainebleau, je vais peut-être à Berlin, vous voilà en Champagne ; qui sait cependant si je ne passerai pas une partie de l’hiver à Cirey, et si je n’aurai pas le plaisir de voir celui qui est aujourd’hui nostri spes altera Pindi ? Ne seriez-vous point à présent avec M. de Buffon ? Celui-là va encore à la gloire par d’autres chemins ; mais il va aussi au bonheur. Il se porte à merveille. Le corps d’un athlete, et l’ame d’un sage, voilà ce qu’il faut pour être heureux.

À propos de sage ; je compte vous envoyer incessamment un exemplaire de l’Anti-Machiavel. L’auteur étoit fait pour vivre avec vous. Vous verrez une chose unique : un Allemand qui écrit mieux que bien des Français qui se piquent de bien écrire, un jeune homme qui pense en philosophe, et un roi qui pense en homme. Vous m’avez accoutumé, mon cher ami, aux choses extraordinaires. L’auteur de l’Anti-Machiavel et vous sont deux choses qui me réconcilient avec le siecle. Permettez-moi d’y mettre encore Émilie. Il ne la faut pas oublier dans la liste, et cette liste ne sera jamais bien longue.

Je vous embrasse de tout mon cœur. Mon imagination et mon cœur courent après vous.

À la Haye, au palais du roi de Prusse, ce 27 octobre 1740.


LETTRE VIII.

Je me gronde bien de ma paresse, mon cher et aimable ami ; mais j’ai été si indignement occupé de prose depuis un mois, que j’osois à peine vous parler de vers. Mon imagination s’appesantit dans des études qui sont à la poésie ce que des garde-meubles sombres et poudreux sont à une salle de bal bien éclairée. Il faut secouer sa poussiere pour vous répondre. Vous m’avez écrit, mon charmant ami, une lettre où je reconnois votre génie. Vous ne trouvez point Boileau assez fort : il n’a rien de sublime, son imagination n’est point brillante, j’en conviens avec vous. Aussi il me semble qu’il ne passe point pour un poëte sublime ; mais il a bien fait ce qu’il pouvoir et ce qu’il vouloit faire. Il a mis la raison en vers harmonieux ; il est clair, conséquent, facile, heureux dans ses transitions ; il ne s’éleve pas, mais il ne tombe guere ; ses sujets ne comportent pas cette élévation dont ceux que vous traitez sont susceptibles. Vous avez senti votre talent comme il a senti le sien ; vous êtes philosophe, vous voyez tout en grand, votre pinceau est fort et hardi ; la nature, en tout cela, vous a mis, je vous le dis avec la plus grande sincérité, fort au dessus de Despréaux ; mais ces talents-là, quelque grands qu’ils soient, ne seront rien sans les siens. Vous avez d’autant plus besoin de son exactitude, que la grandeur de vos idées souffre moins la gêne et l’esclavage. Il ne vous coûte point de penser, mais il coûte infiniment d’écrire. Je vous prêcherai donc éternellement cet art d’écrire que Despréaux a si bien connu et si bien enseigné, ce respect pour la langue, cette liaison, cette suite d’idées, cet air aisé avec lequel il conduit son lecteur, ce naturel qui est le fruit de l’art, et cette apparence de facilité qu’on ne doit qu’au travail. Un mot mis hors de sa place gâte la plus belle pensée. Les idées de Boileau, je l’avoue encore, ne sont jamais grandes, mais elles ne sont jamais défigurées. Enfin, pour être au dessus de lui, il faut commencer par écrire aussi nettement, aussi correctement que lui.

Votre danse haute ne doit pas se permettre un faux pas : il n’en fait point dans ses petits menuets. Vous êtes brillant de pierreries ; son habit est simple, mais bien fait ; il faut que vos diamants soient bien mis en ordre, sans quoi vous auriez un air gêné avec le diadême en tête. Envoyez-moi donc, mon cher ami, quelque chose d’aussi bien travaillé que vous imaginez noblement ; ne dédaignez point d’être à-la-fois possesseur de la mine, et ouvrier de l’or qu’elle produit. Vous sentez combien, en vous parlant ainsi, je m’intéresse à votre gloire et à celle des arts. Mon amitié pour vous a redoublé encore à votre dernier voyage. J’ai bien la mine de ne plus faire de vers : je ne veux plus aimer que les vôtres. Mme du Châtelet, qui vous a écrit, vous fait mille compliments. Adieu. Je vous aimerai toute ma vie.

Le 20 juin, à Bruxelles, 1741.

LETTRE IX.

Mon cher confrere en Apollon, mon maître en tout le reste, quand viendre-vous voir la nymphe de Cirey, et votre tendre ami ? Ne manquez pas, je vous prie, d’apporter votre derniere épître. Mme du Châtelet dit que c’est moi qui l’ai perdue, moi je dis que c’est elle ; nous cherchons depuis huit jours. Il faut que Bernouilli l’ait emportée pour en faire une équation. Je suis désespéré. Mais vous en avez sans doute une copie. Je suis très sûr de ne l’avoir confiée à personne. Nous la retrouverons, mais consolez- nous. Ce grand garçon D*** veut vous suivre dans vos royaumes de Champagne ; il veut venir à Cirey. J’en ai demandé la permission à Mme la marquise ; elle le veut bien. Présenté par vous, il ne peut être que bien venu. Je serai charmé qu’il s’attache à vous ; je suis le plus trompé du monde s’il n’est né avec du génie, et des mœurs aimables. Vous êtes un enfant bien charmant de cultiver les lettres à votre âge avec tant d’ardeur, et d’encourager encore les autres ; on ne peut trop vous aimer. Amenez donc ce grand garçon. Mme du Châtelet et Mme de Chambonin vous font mille compliments.

Adieu, jusqu’au plaisir de vous embrasser.

Ce 2 avril.

LETTRE X.

Mon cher ami, j’ai reçu de vous une lettre sans date, qui me vient par Bar-sur-Aube, au lieu qu’elle devoit arriver par Vassi. Vous m’y parlez d’une nouvelle épître : vraiment vous me donnez de violents desirs ; mais songez à la correction, aux liaisons, à l’élégance continue ; en un mot, évitez tous mes défauts. Vous me parlez de Milton : votre imagination sera peut-être aussi féconde que la sienne, je n’en doute même pas ; mais elle sera aussi plus agréable et plus réglée. Je suis lâché que vous n’ayez lu ce que feu dis que dans la malheureuse traduction de mon essai anglais. La dernière édition de la Henriade, qu’on trouve chez Prault, vaut bien mieux ; et je serois fort aise d’avoir votre avis sur ce que je dis de Milton dans l’essai qui est à la suite du poëme.

You learn english : for ougth I know. Go on ; your lot is to be eloquent in every language, and master of every science. I love, I esteem you, I am your for ever.

Je vous ai écrit en faveur d’un jeune homme qui me paroît avoir envie de s’attacher à vous. J’ai mille remerciements à vous faire, vous avez remis dans mon paradis les tiedes que j’avois de la peine à vomir de ma bouche… Cette tiédeur m’étoit cent fois plus sensible que tout le reste. Il faut à un cœur comme le mien des sentiments vifs, ou rien du tout.

Tout Cirey est à vous.

Ce 29.

LETTRE XI.

Mon aimable ami, qui ferez honneur à tous les arts, et que j’aime tendrement, courage ! macte animo. La sublime métaphysique peut fort bien parler le langage des vers : elle est quelquefois poétique dans la prose du P. Malebranche ; pourquoi n’acheveriez-vous pas ce que Malebranche a ébauché ? C’étoit un poëte manqué, et vous êtes né poëte. J’avoue que vous entreprenez une carriere difficile ; mais vous me paroissez peu étonné du travail. Les obstacles vous feront faire de nouveaux efforts. C’est à cette ardeur pour le travail qu’on reconnoît le vrai génie. Les paresseux ne sont jamais que des gens médiocres, en quelque genre que ce puisse être. J’aime d’autant plus ce genre métaphysique, que c’est un champ tout nouveau que vous défricherez. Omnia jam vulgata.

Vous dites avec Virgile,

· · · · Tentanda via est qua me quoque possim
Tollere humo, victorque virum volitare per ora.

Oui, volitabis per ora ; mais vous serez toujours dans le cœur des habitants de Cirey.

Vous avez raison assurément de trouver de grandes difficultés dans le chapitre de Locke de la puissance, ou de la liberté ; il avouoit lui-même qu’il étoit là comme le diable de Milton, pataugeant dans le chaos.

Au reste, je ne vois pas que son sage systême, qu’il n’y a point d’idées innées, soit plus contraire qu’un autre à cette liberté si desirable, si contestée, et peut-être si incompréhensible. Il me semble que dans tous les systêmes Dieu peut avoir accordé à l’homme la faculté de choisir quelquefois entre des idées, de quelque nature que soient ces idées. Je vous avouerai enfin qu’après avoir erré bien long-temps dans ce labyrinthe, après avoir cassé mille fois mon fil, j’en suis revenu à dire que le bien de la société exige que l’homme se croie libre. Nous nous conduisons tous suivant ce principe ; et il me paroîtroit un peu étrange d’admettre dans la pratique ce que nous rejetterions dans la spéculation. Je commence, mon cher ami, à faire plus de cas du bonheur de la vie que d’une vérité ; et si malheureusement le fatalisme étoit vrai, je ne voudrois pas d’une vérité si cruelle. Pourquoi l’Être souverain, qui m’a donné un entendement qui ne peut se comprendre, ne m’aura-t-il pas donné aussi un peu de liberté ? Nous auroit-il trompés tous ? Voilà des arguments de bonne femme. Je suis revenu au sentiment, après m’être égaré dans le raisonnement.

Quant à ce que vous me dites, mon cher ami, de ces rapports infinis du monde dont Locke tire une preuve de l’existence de Dieu, je ne trouve point l’endroit où il le dit. Mais, à tout hasard, je crois concevoir votre difficulté ; et sur cela, sans plus de détail, voici mon idée que je vous soumets.

Je crois que la matiere auroit, indépendamment de Dieu, des rapports nécessaires à l’infini ; j’appelle ces rapports aveugles, comme rapports de lieu, de distance, de figure, etc. Mais pour des rapports de dessein, je vous demande pardon : il me semble qu’un mâle et une femelle, un brin d’herbe et sa semence, sont des démonstrations d’un être intelligent qui a présidé à l’ouvrage. Or, de ces rapports de dessein, il y en a à l’infini. Pour moi, je sens mille rapports qui me font aimer votre cœur et votre esprit, et ce ne sont point des rapports aveugles. Je vous embrasse du meilleur de mon cœur, je suis trop de vos amis pour vous faire des compliments.

Mme du Châtelet a la même opinion de vous que moi ; mais vous n’en devez aucun remerciement ni à l’un ni à l’autre.

LETTRE XII.

Mon jeune Apollon, j’ai reçu votre charmante lettre. Si je n’étois pas avec Mme du Châtelet, je voudrois être à Montbar. Je ne sais comment je m’y prendrai pour envoyer une courte et modeste réponse que fui faite aux anti-newtoniens. Je suis l’enfant perdu d’un parti dont M. de Buffon est le chef, et je suis assez comme les soldats qui se battent de bon cœur, sans trop entendre les intérêts de leur prince. J’avoue que j’aimerois infiniment mieux recevoir de vos ouvrages que vous envoyer les miens. N’aurai-je point le bonheur, mon cher ami, de voir arriver quelque gros paquet de vous avant mon départ ? Pour Dieu, donnez-moi au moins une épître. Je vous ai dédié ma quatrieme épître sur la modération ; cela m’a engagé à la retoucher avec soin : vous me donnez de l’émulation ; mais donnez-moi donc de vos ouvrages. Votre métaphysique n’est pas l’ennemie de la poésie. Le P. Malebranche étoit quelquefois poëte en prose ; mais vous, vous savez l’être en vers. Il n’avoit de l’imagination qu’à contre-temps.

Mme du Châtelet a emmené avec elle à Paris son Kæning, qui n’a de l’imagination en aucun sens, mais qui, comme vous savez, est ce qu’on appelle grand métaphysicien. Il sait à point nommé de quoi la matiere est composée ; et il jure, d’après Leibnitz, qu’il est démontré que l’étendue est composée de monades non-étendues, et la matiere impénétrable composée de petites monades pénétrables ; il croit que chaque monade est un miroir de son univers. Quand on croit tout cela, on mérite de croire aux miracles de S. Pâris. D’ailleurs, il est très bon géometre, comme vous savez, et, ce qui vaut mieux, très bon garçon. Nous irons bientôt philosopher à Bruxelles ensemble ; car on n’a point sa raison à Paris : le tourbillon du monde est cent fois plus pernicieux que ceux de Descartes. Je n’ai encore eu ni le temps de penser ni celui de vous écrire. Pour Mme du Châtelet, elle est toute différente ; elle pense toujours, elle a toujours son esprit ; et si elle ne vous a pas écrit elle a tort. Elle vous fait mille compliments, et en dit autant à M. de Buffon.

Le D*** espere que vous ferez un jour quelque chose pour lui, après Montmirel s’entend ; car il faut que chaque chose soit à sa place.

Si je savois où loge votre aimable Montmirel, si j’avois achevé Mahomet, je me confierois à lui in nomine tuo ; mais je ne suis pas encore prêt ; et je pourrai bien vous envoyer de Bruxelles mon Alcoran.

Adieu, mon cher ami. Envoyez-moi donc de ces vers dont un seul dit tant de choses. Faites ma cour, je vous en prie, à M. de Buffon ; il me plaît tant, que je voudrois bien lui plaire. Adieu ; je suis à vous pour le reste de ma vie.

3 novembre, à Paris.

LETTRE XIII.

J’ai reçu aujourd’hui, mon cher ami, votre diamant, qui n’est pas encore parfaitement taillé, mais qui sera très brillant ; Croyez-moi, commencez par achever la première épître ; elle touche à la perfection, et il manque beaucoup à la seconde. Votre premiere épître, je vous le répete, sera un morceau admirable. Sacrifiez tout à la rendre digne de vous ; donnez-moi la joie de voir quelque chose de complet sorti de vos mains. Envoyez-la-moi dans un paquet un peu moins gros que celui d’aujourd’hui. Il n’est plus besoin de page blanche. D’ailleurs, quand vous en gardez un double, je puis aisément vous faire entendre mes petites réflexions. Tai autant d’impatience de voir cette épître arrondie que votre maîtresse en a de vous voir arriver au rendez-vous. Vous ne savez pas combien cette premiere épître sera belle : et moi je vous dis que les plus belles de Despréaux seront au-dessous. Mais il faut travailler, il faut savoir sacrifier des vers ; vous n’avez à craindre que votre abondance : vous avez trop de sang, trop de substance ; il faut vous saigner, et jeûner. Donnez de votre superflu aux petits esprits compassés qui sont si méthodiques et si pauvres, et qui vont si droit dans un petit chemin sec et uni qui ne mene à rien. Vous deviez venir nous voir ce mois-ci ; je vous donne rendez-vous à Lille. Nous y ferons jouer Mahomet ; la Noue le jouera, et vous en jugerez ; vous seriez bien aimable de vous arranger pour cette partie. Mme du Châtelet vous adresse aux fermes-générales un paquet par la poste de Bruxelles, et deux autres par la poste de Lille, comptant que vous ne paierez point de port. Ces paquets sont destinés pour Brémond. Elle compte vous écrire, et je vous avertis déjà qu’elle craint d’abuser de votre amitié.

J’ai peur que nous n’ayons pas raison contre Mairan dans le fond ; mais Mairan a un peu tort dans la forme ; et Mme du Châtelet méritoit mieux. Bon soir, mon cher poëte philosophe ; bon soir, aimable Apollon.

3 avril.

LETTRE XIV.

Vous êtes une bien aimable créature, voilà tout ce que je peux vous dire, mon cher ami. On me mande que vous venez bientôt à Cirey : je remets à ce temps-là à vous parler des deux leçons de votre belle épître sur l’étude ; vous pouvez de ces deux desseins faire un excellent tableau avec peu de peine. Continuez à remplir votre belle âme de toutes les vertus et de tous les arts. Les femmes pensent que vous devez tout à l’amour ; la poésie vous revendique ; la géométrie vous offre des xx ; l’amitié veut tout votre cœur ; et messieurs des fermes voudroient aussi que vous ne fussiez qu’à eux : mais vous pouvez les satisfaire tous à-la-fois. Mettezmoi toujours, mon cher ami, au nombre des choses que vous aimez ; et, dans votre immensité, n’oubliez point Cirey, qui ne vous oubliera jamais. Est-il possible que vous daigniez aller chez S.-Hyacinthe ! vous profanez vos bontés. Je ne sais comment vous remercier.

A Cirey, ce 14 mars.

LETTRE XV.

En bien ! nous n’entendrons donc parler de vous ni en vers ni en prose ? Je me flatte que mon cher Apollon naissant me paiera de son silence avec usure. Apparemment que vous préludez à présent, en que bientôt nous aurons la piece ; cependant, mon cher ami, je vous prie de me mander si vous avez reçu le brouillon de Pandore, et si vous l’avez envoyé à M. de Pondeveile, rue et porte S.-Honoré. Si vous êtes content de l’esquisse, je finirai le tableau, sinon je le mettrai au rebut. Mme du Châtelet vous fait mille compliments, et moi je vous suis attaché pour la vie. Mandez-nous donc ce que c’est qu’Eugénie ; cela est-il digne d’être vu plusieurs fois de vous ? Mes compliments à votre ami. Adieu ; je vous embrasse, mon jeune Apollon.

A Bruxelles, ce 19.

LETTRE XVI.

Je vous renvoie, mon cher ami, le manuscrit que vous avez bien voulu me communiquer. Vous me donnez toujours les mêmes sujets d’admiration et de critique. Vous êtes le plus hardi architecte que je connoisse ; et celui qui se passe le plus volontiers de ciment. Vous seriez trop au-dessus des autres, si vous vouliez faire attention combien les petites choses servent aux grandes, et à quel point elles sont indispensables. Je vous prie de ne les pas négliger en vers, et sur-tout dans ce qui regarde votre santé. Vous m’avez trop alarmé par le danger où vous avez été. Nous avons besoin de vous, mon cher enfant en Apollon, pour apprendre aux Français à penser un peu vigoureusement ; mais moi j’en ai un besoin essentiel, comme d’un ami que j’aime tendrement, et dont j’attends plus de conseils dans l’occasion que je ne vous en donne ici.

J’attends la piece de M. Gresset. Je ne me presse point de donner Mahomet, je le travaille encore tous les jours. A l’égard de Pandore, je m’imagine que cet opéra prêteroit assez au musicien ; mais je ne sais à qui le donner. Il me semble que le récitatif en fait la principale partie, et que le savant Rameau néglige quelque-fois le récitatif. M. d’Argental en est assez content ; mais il faut encore des coups de lime. M. d’Argental est un des meilleurs juges, comme un des meilleurs hommes que nous ayons ; il est digne d’être votre ami. J’ai lu l’Optique du P. Castel. Je crois qu’il étoit aux Petites-Maisons quand il fit cet ouvrage. Il n’y en a qu’un que je puisse lui comparer, c’est le quatrieme tome de Joseph Privat de Molieres, où il donne de son crû une preuve de l’existence de Dieu, propre à faire plus d’athées que tous les livres de Spinosa. Je vous dis cela en confidence. On me parle avec éloge des détails d’une comédie de Boissy ; je n’en croirai rien de bon que quand vous en serez content. Le janséniste Rollin continue-t-il toujours à mettre en d’autres mots ce que tant d’autres ont écrit avant lui ? et son parti préconise-t-il toujours comme un grand homme ce prolixe et inutile compilateur ? A-t-on imprimé, ou vend-on enfin l’ouvrage de l’abbé de Gamaches. Il y aura sans doute un petit systême de sa façon ; car il faut des romans aux Français, Adieu, charmant fils d’Apollon ; nous vous aimons tendrement. Ce n’est point un roman cela, c’est une vérité constante ; car nous sommes ici deux êtres très constants.

Ce 24, à Bruxelles.

LETTRE XVII.

J’ai trop de remerciements, trop de compliments à vous faire, trop d’éloges à vous donner, mon charmant ami, pour vous écrire ; il faut que je vous voie, il faut que je vous embrasse. On dit que vous venez à Paris, et que peut-être ma lettre ne vous trouvera pas à Montbar. Si vous’y êtes encore, tâchez de quitter M. de Buffon, si cela se peut. Je sens combien il vous en coûtera à tous deux.

Mme du Châtelet vous désire avec la même vivacité que moi. J’ai vu M. de Montmirel ; je n’ai rien vu ici de plus aimable que lui et que ce qu’il m’a apporté. Faites souvenir de moi le très philosophe M. de Buffon, à qui je suis bien véritablement attaché. Adieu ; je vous embrasse de tout mon cœur : venez, l’espérance et le modele des philosophes et des poëtes.


LETTRE XVIII.

Mon cher rival, mon poëte, mon philosophe, je reviens de Berlin, après avoir essuyé tout ce que les chemins de la Westphalie, les inondations de la Meuse, de l’Elbe et du Rhin, et les vents contraires sur la mer, ont d’insupportable pour un homme qui revole dans le sein de l’amitié. J’ai montré au roi de Prusse votre épître corrigée ; j’ai eu le plaisir de voir qu’il a admiré les mêmes choses que moi, et qu’il a fait les mêmes critiques. Il manque peu de chose à cet ouvrage pour être parfait. Je ne cesserai de vous dire que si vous continuez à cultiver un art qui semble si aisé et qui est si difficile, vous vous ferez un honneur bien rare parmi les quarante ; je dis les quarante de l’académie, comme ceux des fermes.

Les Institutions physiques et l’Anti-Machiavel sont deux monuments bien singuliers. Se seroit-on attendu qu’un roi du nord et une dame de la cour de France eussent honoré à ce point les belles-lettres ? Prault a dû vous remettre de ma part un Anti-Machiavel. Vous avez eu la Philosophie leibnitzienne de la main de son aimable et illustre auteur. Si Leibnitz vivoit encore, il mourroit de joie de se voir ainsi expliqué, ou de honte de se voir surpasser en clarté, en méthode et en élégance. Je suis en peu de choses de l’avis de Leibnitz ; je l’ai même abandonné sur les forces vives : mais, après avoir lu tout ou presque tout ce qu’on a fait en Allemagne sur la philosophie, je n’ai rien vu qui approche, à beaucoup près, du livre de Mme du Châtelet. C’est une chose très honorable pour son sexe et pour la France. Il est peut-être honorable pour l’amitié d’aimer tant les gens qui ne sont pas de notre avis, et même de quitter pour son adversaire un roi qui me comble de bontés, et qui veut me fixer à sa cour par tout ce qui peut flatter le goût, l’intérêt et l’ambition. Vous savez, mon cher ami, que je n’ai pas eu grand-mérite à cela, et qu’un tel sacrifice n’a pas dû me coûter. Vous la connoissez, et vous savez si on a jamais joint à plus de lumieres un cœur plus généreux, plus constant et plus courageux dans l’amitié. Je crois que vous me mépriseriez bien si j’étois resté à Berlin. M. Gresset, qui probablement a des engagements plus légers, rompra sans doute ses chaînes à Paris pour aller prendre celles d’un roi à qui on ne peut préférer que Mme du Châtelet. J’ai bien dit à sa majesté prussienne que Gresset lui plairoit plus que moi, mais que je n’étois jaloux ni comme auteur ni comme courtisan. Sa maison doit être comme celle d’Horace, est locus unicuique suus. Pour moi, il ne me manque à présent que mon cher Helvétius ; ne reviendra-t-il point sur les frontieres ? n’aurai-je point encore le bonheur de le voir et de l’embrasser ?

À Bruxelles, ce 7 janvier.

LETTRE XIX.

Mon cher confrere en Apollon, j’ai reçu de vous une lettre charmante, qui me fait regretter plus que jamais que les ordres de Plutus nous séparent, quand les muses devroient nous rapprocher. Vous corrigez donc vos ouvrages ; vous prenez donc la lime de Boileau pour polir des pensées à la Corneille. Voila l’unique façon d’être un grand homme. Il est vrai que vous pourriez vous passer de cette ambition ; votre commerce est si aimable que vous n’avez pas besoin de talents. Celui de plaire vaut bien celui d’être admiré. Quelques beaux ouvrages que vous fassiez, vous serez toujours au-dessus d’eux par votre caractere. C’est, pour le dire en passant, un mérite que n’avoit pas ce Boileau dont je vous ai tant vanté le style correct et exact. Il avoit besoin d’être un grand artiste pour être quelque chose ; il n’avoit que ses vers, et vous avez tous les charmes de la société. Je suis très aise qu’après avoir bien raboté en poésie vous vous jetiez dans les profondeurs de la métaphysique. On se délasse d’un travail par un autre. Je sais bien que de tels délassements fatigueroient un peu bien des gens que je connois ; mais vous ne serez jamais comme bien des gens en aucun genre.

Permettez-moi d’embrasser votre aimable ami qui a remporté le prix de l’éloquence. Votre maison est le temple des muses. Je n’avois pas besoin du jugement de l’académie française ou françoise pour sentir le mérite de votre ami ; je l’avois vu, je l’avois entendu ; et mon cœur partageoit les obligations qu’il vous a. Je vous prie de lui dire combien je m’intéresse à ses succès.

M. du Châtelet est arrivé ici. Il se pourroit bien faire que dans un mois Mme du Châtelet fût obligée d’aller à Cirey, où le théâtre de la guerre qu’elle soutient sera probablement transporté pour quelque temps. Je crois qu’il y aura une commission de juges de France pour constater la validité du testament de M. de Trichâteau. Jugez quelle joie ce sera pour nous si nous pouvons vous enlever sur la route. Je me fais une idée délicieuse de revoir Cirey avec vous. M. de Montmirel ne pourroit-il pas être de la partie ? Adieu ; je vous embrasse de tout mon cœur. Il ne manque que vous à la douceur de ma vie.

À Bruxelles, ce 14 août.

LETTRE XX.

Mon cher ami, si vous faites des lettres métaphysiques, vous faites aussi de belles actions de morale ; Mme du Châtelet vous regarde comme quelqu’un qui fera bien de l’honneur à l’humanité, si vous allez de ce train-là. Je suis pénétré de reconnoissance, et enchanté de vous. Il est bien triste que les misérables libelles viennent troubler le repos de ma vie et le cours de mes études. Je suis au désespoir. mais c’est de perdre trois ou quatre jours de ma vie ; je les aurois consacrés à apprendre et peut-être à faire des choses utiles.

Si l’abbé Desfontaines savoit que je ne suis pas plus l’auteur du Préservatif que vous, et s’il étoit capable de repentir, il devroit avoir bien des remords.

Cependant la chose est très certaine, et j’en ai la preuve en main. L’auteur du Préservatif, piqué dès long-temps contre Desfontaines, a fait imprimer plusieurs choses que j’ai écrites il y a plus d’un an à diverses personnes. Encore une fois, j’en ai la preuve démonstrative ; et sur cela, ce monstre vomit ce que la calomnie a de plus noir ;

Et là-dessus on voir Oronte qui murmure,
Qui tâche sourdement d’appuyer cette injure,
Lui qui d’un honnête homme ose chercher le rang.

Cela est du Misanthrope, mais cela ne rend point misanthrope.

Tête-bleu ! ce me sont de mortelles blessures
De voir qu’avec le vice on garde des mesures.

Mais je ne veux pas me fâcher contre les hommes ; et tant qu’il y aura des cœurs comme le vôtre, comme celui de M. d’Argental, de Mme du Châtelet, j’imiterai le bon Dieu, qui alloit pardonner à Sodome en faveur de quelques justes. Je suis presque tenté de pardonner à un sodomite en votre faveur. À propos de cœurs justes et tendres, je me flatte que mon ancien ami Tiriot est du nombre. Il a un peu une ame de cire ; mais le cachet de l’amitié y est si bien gravé, que je ne crains rien des autres impressions ; et d’ailleurs vous le remouleriez.

Adieu ; je vous embrasse tendrement, et je vous quitte pour travailler.

Non, je ne vous quitte pas ; Mme du Châtelet reçoit votre charmante lettre. Pour réponse, je vous envoie le mémoire corrigé. Il est indispensablement nécessaire ; la calomnie laisse toujours des cicatrices quand on n’écrase pas le scorpion sur la plaie. Laissez-moi la lettre au P. de Tournemine ; il la faut plus courte, mais il faut qu’elle paroisse. Vous ne savez pas l’état où je suis. Il n’est pas question ici d’une intrépidité anglaise ; je suis Français, et Français persécuté. Je veux vivre et mourir dans ma patrie avec mes amis ; et je jetterai plutôt dans le feu les Lettres philosophiques, que de faire encore un voyage à Amsterdam, au mois de janvier, avec un flux de sang, dans l’incertitude de retourner auprès de mes amis. Il faut une bonne fois pour toutes me procurer du repos ; et mes amis devroient me forcer à tenir cette conduite, si je m’en écartois : primum vivere.

Comptez, belle ame, esprit charmant, comptez que c’est en partie pour vivre avec vous que je sacrifie à la bienséance. Je vous embrasse avec transport, et suis à vous pour jamais. Envoyez sur-le-champ, je vous prie, mémoire et lettre à M. d’Argental ; ranimez le tiede Tiriot du beau feu que vous avez ; qu’il soit ferme, ardent, imperturbable dans l’amitié ; et qu’il ne se mêle jamais de faire le politique, et sur-tout de négocier quand il faut combattre. Adieu, encore une fois.

Ce 19.

LETTRE XXI.

Voici, mon cher éleve des muses d’Archimede et de Plutus, ces Éléments de Newton, qui ne vous apprendront rien autre chose sinon que j’aime à vous soumettre tout ce que je pense et ce que je fais. J’ai reçu une lettre de M. votre pere ; il sait combien j’estime lui et ses ouvrages : mais son meilleur ouvrage c’est vous. Quand vous voudrez travailler à celui que vous avez entrepris, l’hermitage de Cirey vous attend pour être votre Parnasse ; chacun travaillera dans sa cellule.

Il y a un nommé Bourlon de Joinville qui a une affaire qui dépend de vous ; Mme du Châtelet vous le recommande, commande, autant que l’équité le permet, s’entend. Votisque assuesce vocari. Je vous embrasse tendrement ; et je vous aime trop pour mettre ici les formules de très humble.

A Cirey, ce 17.

LETTRE XXII.

Je reçois dans ce moment, mon aimable petit-fils d’Apollon, une lettre de M. votre pere, et une de vous. Le pere ne veut que me guérir, mais le fils veut faire mes plaisirs. Je suis pour le fils. Que je languisse, que je souffre, j’y consens, pourvu que vos vers soient beaux. Cultivez votre génie, mon cher enfant ; je vous y exhorte hardiment, parce que je sais que jamais vos goûts ne vous feront oublier vos devoirs, et que chez vous l’homme, le poëte et le philosophe seront également estimables. Je vous aime trop pour vous tromper.

Macte anima, generose puer ; sic itur ad astra. En allant ad astra, n’oubliez pas Cirey. Grace au génie de Mme du Châtelet, Cirey est sur la route. Elle fait grand cas de vous, et en conçoit beaucoup d’espérance. Elle vous fait ses compliments ; et moi je vous assure, sans compliment et sans formule, de l’amitié la plus tendre et de la plus sincere estime. Ces sentiments si vrais ne souffrent point du très humble et très.....

Ce 10 août.

LETTRE XXIII.

Qui eût cru que la V.... dût venger la philosophie ? Il en est cependant quelque chose. Avant-hier quelques médecins tinrent conseil pour savoir si on rogneroit le monsieur, ou si on ne le rogneroit pas ; et je ne sais quel a été le résultat du conseil.

Vous me demandez pourquoi on a rejoué la piece[1] : ma foi je n’en sais rien, et dans cette affaire tout est inconcevable.

Nous sommes las de si, de mais, de quand, de qu’est-ce, de pourquoi ; et voilà que nous avons fait des que.

Que Paul le Franc de Pompignan
Ait fait en pleine académie

Un discours très impertinent,
Et qu’elle en soit tout endormie ;
Qu’il ait bu jusques à la lie
Le calice un peu dégoûtant
De vingt brochures qu’on publie,
Et dont je suis assez content ;
Que, pour comble de châtiment,
Quand le public le mortifie,
Un Fréron le béatifie.
Ce qui redouble son tourment ;
Qu’ailleurs un noir petit pédant
Insulte à la philosophie,
Et qu’il serve de truchement
A Chaumeix qui se crucifie ;
Que l’orgueil et l’hypocrisie
Contre les gens de jugement
Étalent une frénésie
Que l’on siffle unanimement ;
Que parmi nous à tout moment
Cinquante especes de folie
Se succedent rapidement,
Et qu’aucune ne soit jolie ;

Qu’un jésuite avec courtoisie
S’intrigue par-tout sourdement,
Et reproche un peu d’hérésie
Aux gens tenant le parlement ;
Qu’un janséniste ouvertement
Fronde la cour avec furie :
J’en conclus très pertinemment
Qu’il faut que le sage s’en rie.

Le 7 juin 1760.
  1. La comédie des Philosophes.

LETTRE XXIV.

Je ne sais où vous prendre, mon cher philosophe ; votre lettre n’étoit ni datée, ni signée d’un H ; car encore faut-il une petite marque, dans la multiplicité des lettres qu’on reçoit. Je vous ai reconnu à votre esprit, à votre goût, à l’amitié que vous me témoignez. J’ai été très touché du danger où vous me mandez que votre très aimable et respectable femme a été, et je vous supplie de lui dire combien je m’intéresse à elle.

Eh bien ! je ne suis pas comme Fontenelle ; car j’ai le cœur sensible, et je ne suis point jaloux ; et, de plus, je suis hardi et ferme : et si l’insolent frere le Tellier m’avoit persécuté, comme il voulut persécuter ce timide philosophe, j’aurois traité le Tellier comme Bertier. Croiriez-vous que le fils d’Omer Fleuri est venu coucher chez moi, et que je lui ai donné la comédie ? Il est vrai que la fête n’étoit pas pour lui ; mais il en a profité, aussi-bien que son oncle l’intendant de Bourgogne, lequel vaut mieux qu’Omer. J’ai reçu le fils de notre ennemi avec beaucoup de dignité, et je l’ai exhorté à n’être jamais l’avocat-général de Chaumeix.

Mon cher philosophe, on aura beau faire, quand une fois une nation se met à penser, il est impossible de l’en empêcher. Ce siecle commence à être le triomphe de la raison. Les jésuites, les jansénistes, les hypocrites de robe, les hypocrites de cour, auront beau crier, ils ne trouveront dans les honnêtes gens qu’horreur et mépris. C’est l’intérêt du roi que le nombre des philosophes augmente, et que celui des fanatiques diminue. Nous sommes tranquilles, et tous ces gens-là sont des perturbateurs ; nous sommes citoyens, et ils sont séditieux ; nous cultivons la raison en paix, et ils la persécutent. Ils pourront faire brûler quelque bon livre ; mais ils seront honnis dans la société, ils seront sans crédit dans la bonne compagnie ; et c’est la bonne compagnie seule qui gouverne les opinions des hommes. Frere Élisée dirigera quelques badaudes, frere Menou quelques sottes de Nanci ; il y aura encore quelques convulsionnaires au cinquieme étage ; mais les bons serviteurs de la raison et du roi triompheront à Paris, à Voré, et même aux Délices.

On envoya à Paris il y a deux mois des ballots de l’Histoire de Pierre le grand. Bobin devoit avoir l’honneur de vous en présenter un, et à M. Saurin un autre. J’apprends qu’on a soigneusement gardé les ballots à la chambre nommée syndicale, jusqu’à ce qu’on eût contrefait le livre à Paris. Grand bien leur fasse. Je vous embrasse, vous aime, vous estime, vous exhorte à rassembler les honnêtes gens, et à faire trembler les sots. V. qui attend H.

27 octobre.

LETTRES XXV.

Mon cher philosophe, il y a long-temps que je voulois vous écrire. La chose qui me manque le plus, c’est le loisir. Vous savez que ce

· · · · · · · · · · · la Serre
Volume sur volume incessamment desserre.

J’ai en beaucoup de besogne. Vous êtes un grand seigneur qui affermez vos terres ; moi ; je laboure moi-même, comme Cincinnatus, de façon que j’ai rarement un moment à moi. J’ai lu une héroïde d’un disciple de Socrate, dans laquelle j’ai vu des vers admirables. J’en fais mon compliment à l’auteur, sans le nommer. La piece est roide ; Bernard de Fontenelle n’eût jamais ni osé ni pu en faire autant. Si vous avez reçu un Pierre, ce n’est pas Simon Barjone ; ce n’est pas non plus le Pierre russe que je vous avois dépêché par la poste : ce doit être un Pierre en feuilles que Robin mouton devoit vous remettre. Je vous en ai envoyé deux reliés, un pour vous, et l’autre pour M. Saurin. Il a plu à MM. les intendants des postes de se départir des courtoisies qu’ils avoient ci-devant pour moi. Ils ont prétendu qu’on ne devoit envoyer aucun livre relié. Douze exemplaires ont été perdus. C’est l’antre du lion. J’ignore même si un gros paquet a été rendu à M. Duclos.

De quelles tracasseries me parlez-vous ? Je n’en ai essuyé ni pu essuyer aucune. Est-ce de frere Menou ? Ah ! rassurez-vous : les jésuites ne peuvent me faire de mal ; c’est moi qui ai l’honneur de leur en faire. Je m’occupe actuellement à déposséder les freres jésuites d’un domaine qu’ils ont acquis auprès de mon château. Ils l’avoient usurpé sur des orphelins, et avoient obtenu lettres royaux pour avoir permission de garder la vigne de Naboth. Je les fais déguerpir, mors-dieu, je leur fais rendre gorge ; et la providence me bénit. Je n’ai jamais eu un plaisir plus pur. Je suis un peu le maître chez moi, par parenthese. Vous ai-je dit que le frere et le fils d’Omer sont venus chez moi et comme ils ont été reçus ? Vous ai-je dit que j’ai envoyé Pierre au roi, et qu’il l’a mieux reçu que le discours et le mémoire de le Franc de Pompignan ? Il peut savoir qu’il n’a point de sujets plus fideles que nous, ni de plus capables de faire sentir le ridicule des cuistres qui voudroient renouveler les temps de la fronde.

N’avez-vous pas bien ri du voyage de Pompignan à la cour avec Fréron, et de l’apostrophe de M. le dauphin,

Et l’ami Pompignan pense être quelque chose.

Voilà à quoi les vers sont bons quelquefois. On les cite, comme vous voyez, dans les grandes occasions.

12 décembre.

LETTRE XXVI.

Il est vrai, mon très cher philosophe persécuté, que vous m’avez un peu mis dans votre livre in communi martyrum ; mais vous ne me mettrez jamais in communi de ceux qui vous aiment et qui vous estiment. On vous avoit assuré, dites vous, que vous m’aviez déplu. Ceux qui peuvent vous dire cette chose qui n’est pas, comme . s’exprime notre ami Swift, sont enfants du diable. Vous, me déplaire ! et pourquoi ? et en quoi ? vous en qui gratia, fama ; vous qui êtes né pour plaire ; vous que j’ai toujours aimé, et dans qui j’ai chéri toujours, depuis votre enfance, les progrès de votre esprit. On avoit, comme cela, dit à Duclos qu’il m’avoit déplu, et que je lui avois refusé ma voix à l’académie. Ce sont en partie ces tracasseries de MM. les gens de lettres, et encore plus les persécutions, les calomnies, les interprétations odieuses des choses les plus raisonnables, la petite envie, les orages continuels attachés à la littérature, qui m’ont fait. quitter la France. On vend très bien des terres pendant la guerre, vu que cette guerre enrichit et MM. les trésoriers de l’extraordinaire, et MM. les entrepreneurs des vivres, fourrages, hôpitaux, vaisseaux, cordages, bœuf salé, artillerie, chevaux, poudre, et MM. leurs commis, et MM. leurs laquais, et Mmes leurs putains. J’ai trois terres ici, dont une jouit de toute franchise, comme le franc-aleu le plus princier ; et, le roi m’ayant conservé par un brevet la charge de gentilhomme ordinaire, je jouis de tous les droits les plus agréables. J’ai terres aux confins de France, terre à Geneve, maison à Lausanne, tout cela dans un pays où il n’y a point d’archevêque qui excommunie les livres qu’il n’entend pas. Je vous offre tout ; disposez-en. Cet archevêque dont vous me parlez feroit mieux d’obéir au roi et de conserver la paix, que de signer des torche-culs de mandements. Le parlement a très bien fait, il y a quelques années, d’en brûler quelques uns, et feroit fort mal de se mêler d’un livre de métaphysique portant privilege du roi. J’aimerois mieux qu’il me fît justice de la banqueroute du fils de Samuel Bernard, Juif, fils de Juif, mort surintendant de la maison de la reine, maître des requêtes, riche de neuf millions, et banqueroutier. Vendez votre charge de maître-d’hôtel, Vende omnia quae habes, et sequere me. Il est vrai que les prêtres de Geneve et de Lausanne sont des hérétiques qui méprisent S. Athanase, et qui ne croient pas Jésus-Christ Dieu ; mais on peut du moins croire ici la trinité comme je fais sans être persécuté. Faites-en autant. Soyez bon catholique, bon sujet du roi, comme vous l’avez toujours été, et vous serez tranquille, heureux, aimé, estimé, honoré par-tout, particulièrement dans cette enceinte charmante, couronnée par les Alpes, arrosée par le lac et par le Rhône, couverte de jardins et de maisons de plaisance, et près d’une grande ville où l’on pense. Je mourrois assez heureux si vous veniez vivre ici. Mille respects à Mme  votre femme.

V.

Notre niece est très sensible à l’honneur de votre souvenir.

Aux Délices, 19 janvier.

LETTRE XXVII.

Monsieur,

Pax Christi. Je vois avec une sainte joie combien votre cœur est touché des vérités sublimes de notre sainte religion, et que vous voulez consacrer vos travaux et vos grands talents à réparer le scandale que vous avez pu donner, en mettant dans votre fameux livre quelques vérités d’un ordre qui ont paru dangereuses aux personnes d’une conscience délicate et timorée, comme MM. Omer Joli de Fleuri, MM. Gauchat, Chaumeix, et plusieurs de nos peres.

Les petites tribulations que nos peres éprouvent aujourd’hui les affermissent dans leur foi ; et plus nous sommes dispersés, et plus nous faisons de bien aux ames. Je suis à portée de voir ces progrès, étant aumônier de M. le résident de France à Geneve. Je ne puis assez bénir Dieu de la résolution que vous prenez de combattre vous-même pour la religion chrétienne, dans un temps où tout le monde l’attaque et se moque d’elle ouvertement. C’est la fatale philosophie des Anglais qui a commencé tout le mal. Ces gens-là, sous prétexte qu’ils sont les meilleurs mathématiciens et les meilleurs physiciens de l’Europe, ont abusé de leur esprit jusqu’à oser examiner les mysteres. Cette contagion s’est répandue par-tout. Le dogme fatal de la tolérance infecte aujourd’hui tous les esprits ; les trois quarts de la France, au moins, commencent à demander la liberté de conscience : on la prêche à Geneve.

Enfin, monsieur, figurez-vous que lorsque le magistrat de Geneve n’a pas pu se dispenser de condamner le roman de M. Jean-Jacques Rousseau intitulé Émile, six cents citoyens sont venus par trois fois protester au conseil de Geneve qu’ils ne souffriroient pas que l’on condamnât sans l’entendre un citoyen qui avoit écrit, à la vérité, contre la religion chrétienne ; mais qu’il pouvoit avoir ses raisons, qu’il falloit les entendre ; qu’un citoyen de Geneve peut écrire ce qu’il veut, pourvu qu’il donne de bonnes explications.

Enfin, monsieur, on renouvelle tous les jours les attaques que l’empereur Julien, les philosophes Celse et Porphyre, livrèrent dès les premiers temps à nos saintes vérités. Tout le monde pense comme Bayle, Descartes, Fontenelle, Schaffsbury, Bolingbroke, Colins, Wolston ; tout le monde dit hautement qu’il n’y a qu’un Dieu ; que la sainte vierge Marie n’est pas mere de Dieu ; que le Saint-Esprit n’est autre chose que la lumiere que Dieu nous donne. On prêche je ne sais quelle vertu, qui, ne consistant qu’à faire du bien aux hommes, est entièrement mondaine, et de nulle valeur. On oppose au Pédagogue chrétien et au Pensez-y bien, livres qui faisoient tant de conversions, de petits livres philosophiques qu’on a soin de répandre par-tout adroitement. Ces petits livres se succedent rapidement les uns aux autres. On ne les vend point, on les donne à des personnes affidées, qui les distribuent à des jeunes gens et à des femmes. Tantôt c’est le Sermon des cinquante, qu’on attribue au roi de Prusse ; tantôt c’est un extrait du Testament de ce malheureux curé Jean Melier, qui demanda pardon à Dieu en mourant d’avoir enseigné le christianisme ; tantôt c’est je ne sais quel Catéchisme de l’honnête homme, fait par un certain abbé Durand. Quel titre, monsieur, que le Catéchisme de l’honnête homme ! comme s’il pouvoit y avoir de la vertu hors de la religion catholique.

Opposez-vous à ce torrent, monsieur, puisque Dieu vous a fait la grace de vous illuminer. Vous vous devez à la raison et à la vertu indignement outragées. Combattez les méchants comme ils combattent, sans vous compromettre, sans qu’ils vous devinent. Contentez-vous de rendre justice à notre sainte religion d’une maniere claire et sensible, sans rechercher d’autre gloire que celle de bien faire. Imitez notre grand roi Stanislas, père de notre illustre reine, qui a daigné quelquefois faire imprimer de petits livres chrétiens entièrement à ses dépens. Il eut toujours la modestie de cacher son nom ; et on ne l’a su que par son digne secrétaire M. de Solignac. Le papier me manque ; je vous embrasse en Jésus-Christ.

Jean Patourel, ci-devant jésuite.

25 août 1763.

LETTRE XXVIII.

Mon cher philosophe, vous avez raison d’être ferme dans vos principes, parce qu’en général vos principes sont bons. Quelques expressions hasardées ont servi de prétexte aux ennemis de la raison. On n’a cause gagnée avec notre nation qu’à l’aide du plaisant et du ridicule. Votre héros Fontenelle fut en grand danger pour les Oracles, et pour la reine Méro et sa sœur Énégui. Et quand il disoit que s’il avoit la main pleine de vérités il n’en lâcheroit aucune, c’étoit parce-qu’il en avoit lâché, et qu’on lui avoit donné sur les doigts. Cependant cette raison tant persécutée gagne tous les jours du terrain. On a beau faire, il arrivera en France chez les honnêtes gens ce qui est arrivé en Angleterre. Nous avons pris des Anglais les annuités, les rentes tournantes, les fonds d’amortissement, la construction et la manœuvre des vaisseaux, l’attraction, le calcul différentiel ; les sept couleurs primitives, l’inoculation. Nous prenons insensiblement leur noble liberté de penser, et leur profond mépris pour les fadaises de l’école. Les jeunes gens se forment. Ceux qui sont destinés aux plus grandes places sont défaits des infâmes préjugés qui avilissent une nation. Il y aura toujours un grand peuple de sots, et une foule de frippons ; mais le petit nombre des penseurs se fera respecter. Voyez comme la piece de Palissot est déja tombée dans l’oubli. On sait par cœur les traits qui ont percé Pompignan, et on a oublié pour jamais son discours et son mémoire. Si on n’avoit pas confondu ce malheureux, l’usage d’insulter les philosophes dans les discours de réception à l’académie auroit passé en loi. Si on n’avoit pas rendu nos persécuteurs ridicules, ils n’auroient pas mis de bornes à leur insolence. Soyez sûr que tant que les gens de bien seront unis on ne les entamera pas. Vous allez à Paris ; vous y serez le lien de la concorde des êtres pensants. Qu’importe, encore une fois, que notre tailleur et notre sellier soient gouvernés par frere Croust et par frere Bertier ? Le grand point est que ceux avec qui vous vivez soient éclairés, et que le janséniste et le moliniste soient forcés de baisser les yeux devant l’honnête homme. C’est l’intérêt du roi, c’est celui de l’état, que les philosophes aient du crédit dans la société. Ils inspirent l’amour de la patrie, et les fanatiques y portent le trouble. Mais plus ces misérables sentiront votre supériorité, plus vous aurez d’attention à ne leur point donner prise par des paroles dont ils puissent abuser. Notre morale est meilleure que la leur, notre conduite plus respectable. Ils parlent de vertu, et nous la pratiquons. Conservons nos avantages. Cependant vous aurez une bonne maison, vous y rassemblerez vos amis, vous répandrez la lumiere de proche en proche, vous serez respecté même de ces indignes ennemis de la raison et de la vertu. Dans ce loisir heureux, vous vous amuserez à faire de bons ouvrages, sans y exposer votre nom aux censures des frippons. Je vois qu’il faut que vous restiez en France ; et vous y serez très utile. Personne n’est plus fait que vous pour réunir les gens de lettres. Vivez gaiement, travaillez utilement, soyez l’honneur de notre patrie. Le temps est venu où, les hommes comme vous doivent triompher. Si vous n’aviez pas été mari et pere, je vous aurois dit, Vende omnia quæ habes, et sequere me. Mais votre situation, je le vois bien, ne vous permet pas un autre établissement, qui peut-être même seroit regardé comme un aveu de votre crainte par ceux qui empoisonnent tout. Restez donc parmi vos amis, rendez vos ennemis odieux et ridicules : aimez-moi, et comptez que je vous serai toujours attaché avec toute l’estime et l’amitié que je vous ai vouées depuis votre enfance.

15 septembre.

LETTRE XXIX.

Voici, mon illustre philosophe, un gentilhomme anglais très instruit, et qui, par conséquent, vous estime. Je me suis vanté à lui d’avoir quelque part à votre amitié ; car j’aime à me faire valoir auprès des gens qui pensent. M. Makartney pense tout comme vous ; il croit, malgré Omer et Christophe, que si nous n’avions point de mains il seroit assez difficile de faire îles rabats à Christophe et à Omer, et des sifflets pour les bourdons de Simon le Franc, favori du roi, etc., etc., etc. Il trouve notre nation fort drôle. Il dit que sitôt qu’il paroît une vérité parmi nous, tout le monde est alarmé comme si les Anglais faisoient une descente. Puisque vous avez eu la bonté de rester parmi les singes, tâchez donc d’en faire des hommes. Dieu vous demandera compte de vos talents. Vous pouvez plus que personne écraser l’erreur, sans montrer la main qui la frappe. Jean-Jacques dit, à mon gré, une chose bien plaisante, quoique géométrique, dans sa lettre à Christophe, pour prouver que dans notre secte la partie est plus grande que le tout. Il suppose que notre sauveur Jésus-Christ communie avec ses apôtres : « En ce cas, dit-il, il est clair que Jésus met sa tête dans sa bouche ». Il y a par-ci par-là de bons traits dans ce Jean-Jacques.

On m’a envoyé les deux extraits de Jean Melier. Il est vrai que cela est écrit du style d’un cheval de carrosse : mais qu’il rue bien à propos ! et quel témoignage que celui d’un prêtre qui demande pardon en mourant d’avoir enseigné des choses absurdes et horribles ! Quelle réponse aux lieux communs des fanatiques qui ont l’audace d’assurer que la philosophie n’est que le fruit du libertinage !

Vale : je vous estime autant que je vous aime.

1 mai.

LETTRE XXX.

Mon cher philosophe, l’ombre et le sang de Corneille vous remercient de votre noble zèle. Le roi a daigné permettre que son nom fût à la tête des souscripteurs pour deux cents exemplaires. Ni Mtre ★★★ ni Mtre ★★★ ne suivront ni l’exemple du roi ni le vôtre. Il y a l’infini entre les pédants orgueilleux et les cœurs nobles, entre des convulsionnaires et des esprits bien faits. Il y a des gens qui sont faits pour honorer la nation, et d’autres pour l’avilir. Que pensera la postérité, quand elle verra d’un côté les belles scenes de Cinna, et de l’autre le discours de Maître le Daim, prononcé du côté du greffe ? Je crois que les Français descendent des Centaures, qui étoient moitié hommes et moitié chevaux de bât : ces deux moitiés se sont séparées : il est resté des hommes, comme vous, par exemple, et quelques autres ; et il est resté des chevaux, qui ont acheté des charges de conseillers, ou qui se sont faits docteurs de Sorbonne.

Rien ne presse pour les souscriptions de Corneille ; on donne son nom, et rien de plus ; et ceux qui auront dit Je veux le livre, l’auront. On ne recevra pas une seule souscription d’un bigot. Qu’ils aillent souscrire pour les Méditations du R. P. Croiset.

Peut-être que les remarques qu’on mettra au bas de chaque page seront une petite poétique, mais non pas comme la Motte en faisoit à l’occasion de Romulus, à l’occasion des Maccabées. Ah ! mon ami, défiez-vous des charlatans qui ont usurpé en leur temps une réputation de passade !

Je vous embrasse en, Épicure, en Lucrece, Cicéron, Platon, en tutti quanti. V.

22 juillet

LETTRE XXXI.

Vous me donnez, mon illustre philosophe, l’espérance la plus consolante et la plus chere. Quoi ! vous seriez assez bon pour venir dans mes déserts ! Ma fin approche ; je m’affoiblis tous les jours : ma mort sera douce, si je ne meurs point sans vous avoir vu.

Oui, sans doute, j’ai reçu votre réponse à la lettre que je vous avois écrite par l’abbé. Je n’ai pas actuellement un seul Philosophe ignorant. Toute l’édition que les Cramers avoient faite, et qu’ils avoient envoyée en France, leur a été renvoyée bien proprement par la chambre syndicale. Elle est en chemin, et je n’en aurai que dans trois semaines. Ce petit livre est, comme vous savez, de l’abbé Tilladet ; mais on m’impute tout ce que les Cramers impriment, et tout ce qui paroît à Geneve, en Suisse, et en Hollande : c’est un malheur attaché à cette célébrité fatale dont vous avez eu à vous plaindre aussi-bien que moi. Il vaut mieux sans doute être ignoré et tranquille, que d’être connu et persécuté. Ce que vous avez essuyé pour un livre qui auroit été chéri des la Rochefoucauld doit faire frémir long-temps tous les gens de lettres. Cette barbarie m’est toujours présente à l’esprit ; et je vous aime toujours davantage.

Je vous envoie une petite brochure d’un avocat de Besançon, dans laquelle vous verrez des choses relatives à une barbarie bien plus horrible. Je crains encore qu’on ne m’impute cette petite brochure. Les gens de lettres, et même nos meilleurs amis, se rendent les uns aux autres de bien mauvais services, par la fureur qu’ils ont de vouloir toujours deviner les auteurs de certains livres. De qui est cet ouvrage attribué à Bolingbroke, à Boulanger, à Freret ? Eh ! mes amis, qu’importe l’auteur de l’ouvrage ? Ne voyez-vous pas que le vain plaisir de deviner devient une accusation formelle dont les scélérats abusent ? Vous exposez l’auteur que vous soupçonnez ; vous le livrez à toute la rage des fanatiques ; vous perdez celui que vous voudriez sauver. Loin de vous piquer de deviner si cruellement, faites au contraire tous les efforts possibles pour détourner les soupçons. Quoi ! de misérables moines n’auront qu’un même esprit, un même cœur, ils défendront les intérêts du couvent jusqu’à la mort ; et ceux qui éclairent les hommes ne seront qu’un troupeau dispersé, tantôt dévorés par les loups, et tantôt se donnant les uns aux autres des coups de dents !

Qui peut rendre plus de services que vous à la raison et à la vertu ? qui peut être plus utile au monde sans se compromettre avec les pervers ? Que de choses j’aurois à vous dire, et que j’aurai de plaisir à vous ouvrir mon cœur et à lire dans le vôtre, si je ne meurs pas sans vous avoir embrassé ! du moins je vous embrasse de loin, et c’est avec une amitié égale à mon estime. V.

27 octobre 1766.

LETTRE XXXII.

Mademoiselle protégeoit l’abbé Cotin ; la reine protege l’abbé Trublet. C’est le sort des grands génies :

Principibus placuisse viris non ultima laus est.

On m’assure cependant que M. Saurin entrera cette fois-ci. Cela est juste ; quand on a reçu un sot, il faut avoir un homme d’esprit pour faire le contre—poids. Vous allez sans doute à Voré. Mes respects à Midas *** avant votre départ ; mais mille amitiés à M. Saurin.

LETTRE XXXIII.

Je suppose, mon cher philosophe, que vous jouissez à présent des douceurs de la retraite à la campagne. Plût à Dieu que vous goûtassiez les douceurs lus nécessaires d’une entiere indépendance, et que vous pussiez vous livrer à ce noble amour de la vérité, sans craindre ses indignes ennemis ! Elle est donc plus persécutée que jamais. Voilà un pauvre bavard rayé du tableau des bavards, et la consultation de Mlle Clairon incendiée. Une pauvre fille demande à être chrétienne, et on ne veut pas qu’elle le soit. Eh ! messieurs les inquisiteurs, accordez-vous donc. Vous condamnez ceux que vous soupçonnez de n’être pas chrétiens, vous brûlez les requêtes des filles qui veulent communier : on ne sait plus comment faire avec vous.

Les jansénistes, les convulsionnaires, gouvernent donc Paris. C’est bien pis que le regne des jésuites. Il y avoit des accommodements avec le ciel du temps qu’ils avoient du crédit ; mais les jansénistes sont impitoyables. Est-ce que la proposition honnête et modeste d’étrangler le dernier jésuite avec les boyaux du dernier janséniste ne pourrait amener les choses à quelque conciliation ?

Je suis bien consolé de voir Saurin de l’académie. Si le Franc de Pompignan avoit eu dans notre troupe l’autorité qu’il y prétendoit, j’aurois prié qu’on me rayât du tableau comme on a exclus Huern de la matricule des avocats.

Je trouve que notre philosophe Saurin a parlé bien ferme. Il y a même un trait qui semble vous regarder, et désigner vos persécuteurs. Cela est d’une ame vigoureuse. Saurin a du courage dans l’amitié ; et *** ne le fait pas trembler. Il me revient que cet *** est fort méprisé de tous les gens qui pensent. Le nombre est petit, je l’avoue ; mais il sera toujours respectable. C’est ce petit nombre qui fait le public ; le reste est le vulgaire. Travaillez donc pour ce petit public, sans vous exposer à la démence du grand nombre. On n’a point su quel est l’auteur de l’Oracle des fideles. Il n’y a point de réponse à ce livre. Je tiens toujours qu’il doit avoir fait un grand effet sur ceux qui l’ont lu avec attention. Il manque à cet ouvrage de l’agrément et de l’éloquence. Ce sont là vos armes, daignez vous en servir. Le Nil, disoit-on, cachoit sa tête, et répandoit ses eaux bienfaisantes ; faites-en autant. Vous jouirez en paix et en secret de votre triomphe. Hélas ! vous seriez de notre académie, avec M. Saurin, sans le malheureux conseil qu’on vous donna de demander un privilege. Je ne m’en consolerai jamais. Enfin, mon cher philosophe, si vous n’êtes pas mon confrere dans une compagnie qui avoit besoin de vous, soyez mon confrere dans le petit nombre des élus qui marchent sur le serpent et sur le basilic. Adieu. L’amitié est la consolation de ceux qui se trouvent accablés par les sots et par les méchants.

Par Paris, 11 mai.