Lettres de Platon (trad. Souilhé)/Lettre IV

Traduction par Joseph Souilhé.
Texte établi par Joseph SouilhéLes Belles Lettres (Œuvres complètes, tome XIII, 1re partiep. 20-22).





LETTRE IV




Platon à Dion de Syracuse : Bon succès


320 a 1Je pense que ma bonne volonté n’a cessé d’être manifeste dans toute cette affaire[1], ainsi que mon zèle à la conduire à terme, sans autre motif plus pressant que mon ardeur pour tout ce qui est beau. b J’estime juste, en effet, que les hommes véritablement vertueux et qui agissent comme tels, acquièrent l’honneur qu’ils méritent. Pour l’instant donc, grâce à Dieu, cela va bien, mais dans l’avenir, la lutte sera chaude. La supériorité du courage, de l’agilité, de la force corporelle, peut être l’apanage de beaucoup de gens, mais celle de la vérité, de la justice, de la générosité et de la distinction inséparable de toutes ces vertus, c on avouera qu’elle a chance d’appartenir à ceux qui font profession de les honorer. Ce que je dis est l’évidence, mais il n’en faut pas moins nous rappeler à nous-mêmes, qu’ils doivent — ceux que tu sais — se distinguer des autres hommes bien plus encore que des enfants[2]. Il nous est donc nécessaire de montrer que nous sommes vraiment tels que nous prétendons, d’autant qu’avec le secours de Dieu, ce sera facile. Les autres ont besoin d’errer de d pays en pays pour être connus, mais toi, te voilà présentement dans une telle situation que toute la terre, si je puis dire ainsi sans trop d’outrance, a les yeux fixés sur un seul lieu, et dans ce lieu, tout spécialement sur toi. Dis-toi donc que tu es le centre de tous les regards, dispose-toi à faire oublier le fameux Lycurgue et Cyrus et quiconque a jamais pu s’illustrer par son caractère et les institutions qu’il a établies. D’autant plus que bien des gens, et presque tout le monde ici, déclarent qu’il e faut s’attendre, Denys disparu, à voir les choses s’effondrer par ton ambition, celle d’Héraclide, de Théodote et des autres notables. L’idéal serait que nul d’entre vous ne fût atteint d’un tel mal, mais s’il en est qui le soit, à toi de t’instituer médecin, et tout changera pour le mieux. 321 Tu trouveras peut-être ridicule que je te dise tout cela : tu le sais parfaitement. Mais ne vois-je pas, dans les théâtres, les acteurs dociles aux cris des enfants qui les excitent, et, à plus forte raison, aux approbations de leurs amis qui, on peut le penser, mettent tout leur zèle, suivant les mouvements de leur sympathie, à donner leurs encouragements ? Donc luttez maintenant, et si vous avez besoin de quelque chose, faites-le nous savoir par lettre. Ici, tout se trouve à peu près dans le même état que lorsque vous y étiez. Écrivez-nous ce que vous avez fait b ou ce que vous faites, car nous entendons bien des racontars, mais nous ne savons rien. Des lettres de Théodote et d’Héraclide viennent bien d’arriver à Lacédémone et à Égine, mais encore une fois, toutes sortes de bruits circulent sur ce qui se passe chez vous et nous ignorons tout. — Prends à cœur aussi le point suivant : tu parais à certains moins obligeant qu’il ne conviendrait. N’oublie pas que c’est en faisant plaisir aux gens que l’on peut agir ; l’arrogance, au contraire, c voisine avec la solitude. Bonne chance.


  1. Il s’agit évidemment de l’aide morale que Platon n’a cessé d’accorder à Dion en favorisant, par ses conseils et ses enseignements, les plans de réforme concernant la Sicile.
  2. Ceux qui doivent se distinguer des autres hommes bien plus que les hommes se distinguent des enfants, ce sont évidemment les membres de l’Académie qui, sous la conduite de Platon, se forment à la vertu et à la science. L’expression ὅτι προσήκει πλέον ἢ παίδων τῶν ἄλλων ἀνθρώπων διαφέρειν. est peut-être une imitation de Phèdre, 279 a.