Lettres de Fadette/Troisième série/35

Imprimé au « Devoir » (Troisième sériep. 94-97).

XXXV

Une halte dans l’église


Dans l’église déserte j’entrai hier vers la fin du jour. J’étais fatiguée, triste, avec un immense désir d’arrêter de vivre, sans mourir, pour me reposer !

Dans une telle disposition, la prière n’est pas longue : elle se borne à déposer son âme accablée devant Celui qui sait.

Je me laissais donc tout simplement pénétrer par la douceur du silence et de l’ombre qui envahissait l’église, quand l’orgue se mit à chanter. Quelques notes de plain-chant, des arpèges et des accords, puis la mélodie s’éleva très douce et monta peu à peu en un chœur puissant et grandiose de voix qui priaient pour toutes les âmes de la terre qui ne savent pas prier, et pour toutes les âmes de l’au-delà qui ne peuvent plus prier ! Et pendant que les invocations et les sanglots de l’orgue se répercutaient sous les voûtes, il me semblait que l’église se remplissait d’une foule invisible, d’un cortège d’âmes accourues pour retrouver les gestes augustes de bénédiction qui protègent, les paroles divines de pardon qui sauvent, et au milieu de ce glissement d’êtres, de ces chants, et de l’attente frémissante, l’âme même de l’église palpita et répondit jusqu’au plus profond des consciences à toutes les angoisses, à tous les repentirs et à tous les doutes.

Après un silence, l’orgue avait repris en sourdine la mélodie du « Crucifix » de Faure. Belle dans sa simplicité un peu ancienne, elle touchera toujours les âmes douloureuses !

Vous qui souffrez, vous qui pleurez, vous qui tremblez, venez à Lui !

C’était la réponse ! Et par toutes ses voix, l’église appelait à Dieu les âmes, les pauvres âmes humaines.

L’orgue se tût… j’entendis le pas lourd de l’organiste descendant l’escalier ; ce n’était qu’un rêve de plus que j’avais eu… dont il ne resterait rien !

L’air était doux quand je sortis, et au ciel pur les étoiles brillaient claires. Les gens pressés montaient à l’assaut des tramways, les petits vendeurs de journaux criaient à tue-tête, la vie trépidante agitait toutes les pauvres marionnettes, et je marchais lentement, comme pour protester contre tant d’agitation.

En route je rencontrai des amies. Les unes revenaient du Ritz-Carlton où la fête au profit de l’Assistance Maternelle avait eu un grand succès, les autres rentraient dîner à la hâte, pour retourner après à l’exposition de poupées de l’hôpital Sainte-Justine. Elles étaient affairées, fatiguées et heureuses, et j’eus honte de moi, de ma lâcheté, de mon inaction, et ce fut bon de me réveiller dans un remords bienfaisant !

De tous côtés, en ce moment, des appels d’une redoutable éloquence s’adressent à nos cœurs. La misère est partout. Dans les foyers autrefois heureux, dans les hôpitaux d’ici, dans ceux d’outremer, et il y a vraiment autre chose à faire qu’à rêver !

Les femmes charitables dont la fortune, le cœur et la volonté font vivre les œuvres de secours ont trouvé le vrai chemin qui mène à Dieu. « Car la charité contient tout, comme le dit saint Paul, avec des accents de poésie surnaturelle. Elle seule est fluide et vivante, toute grâce et tout esprit, sans forme, mais apte à pénétrer toute forme. Fléchissant s’il est bon de fléchir, résistant s’il est bon de résister, ferme et douce, énergique et suave, elle porte tous les noms, s’accommode de tous les milieux ; elle est souple, subtile, délicate, pénétrante, elle est joie et lumière, non effort et tension, puisqu’elle est amour, et toutes les vertus ne sont que ses attitudes. »