Lettres de Fadette/Première série/60

Imprimerie Populaire, Limitée (Première sériep. 142-144).

LIX

Le fond des âmes


En ce temps de l’Avent, la parole évangélique est distribuée dans toutes les églises et les prédicateurs rivalisent de zèle pour répandre la vérité et tirer les âmes en haut.

Mais pour tirer en haut les pauvres âmes terrestres, il faut de bonnes cordes solides, et de l’adresse afin de ne pas les heurter aux obstacles, et certains sauveteurs voient avec stupeur, au bout de leurs ficelles, les âmes menues s’agiter, se débattre dans le vide et retomber à leurs vanités, leurs petits plaisirs, et leurs gros péchés.

C’est que le démon est un fin compère : au lieu de détourner la troupe de ses bonnes petites amies d’aller entendre les sermons de l’Avent, il fait des sermons d’Avent de belles occasions de travailler pour son compte. Il met en avant des raisons de mode, de snobisme, de vanité et il va même jusqu’à choisir l’église pour y faire rencontrer des gens qui feraient beaucoup mieux de ne pas se voir ! Il enlaidit et déforme l’intention, puis il pirouette en disant : « Va à l’église tant que tu voudras : tu m’y sers parfaitement. »

Ah ! nos intentions ! Le fin fond du ressort qui nous fait agir, comme il faut descendre loin en nous, parfois, pour le voir clairement. Nous sommes si habituées à nous mentir, à nous payer de monnaie de singe.

Oh ! Pas vous, madame, dont les yeux indignés me font sourire. Mettons que vous êtes l’exception… mais toutes les autres et moi.

Nous biaisons, nous subtilisons, nous jouons au plus fin avec nos obligations et notre devoir, et quand nous sommes forcées par l’évidence d’admettre nos torts, nous trouvons toujours quelqu’un qui en est la cause et qui est bien plus coupable que nous !

Sommes-nous donc incapables de sincérité et de droiture ? Non, certes ! Mais comme nous devons nous défier de tous les petits esprits de ruse, de dissimulation, d’hypocrisie qui nous guettent à tous les tournants, qui nous accompagnent en nous entourant de leurs fantasmagories ! Pour peu que nous nous laissions guider par eux, nous perdons la notion juste de ce que nous sommes et de la route que nous suivons.

Si je généralise ainsi au risque de vous scandaliser un peu, c’est que je sais que si la femme sincère avec les autres est moins rare que ne le disent nos détracteurs, la femme sincère avec elle-même est presque introuvable.

Nous avons un talent merveilleux et déplorable pour enguirlander nos faiblesses, voiler nos lâchetés, excuser nos petitesses, mettre nos responsabilités sur le dos des autres, faire toutes les sottises imaginables et crier comme les enfants : « Ce n’est pas ma faute, je ne l’ai « pas fait exprès ».

Aussi, quand les femmes vont entendre les sermons, c’est trop souvent pour les appliquer à leurs amies, et à la sortie de l’église, je me figure parfois les voir secouer leurs plumes et laisser tomber dédaigneusement : « Dieu merci ! tout ceci ne me regarde pas, moi ! »

Le démon adore ces belles pharisiennes !