Lettres de Fadette/Cinquième série/50

Imprimé au « Devoir » (Cinquième sériep. 150-153).

L

Jours de pluie


Trois jours de pluie dans les Laurentides, en novembre, à dix minutes des voisins, c’est une épreuve, et c’était bien l’opinion de la jeune femme qui ne faisait qu’un tour entre la cheminée où flambait un bon feu, et la fenêtre où dégoulinait la pluie.

De son côté, dans la cuisine la vieille servante grognait. Sa lessive, terminée lundi, trempait encore dans les cuves jeudi ! Il paraissait aux deux : prisonnières que jamais le ciel ne s’éclaircirait. La pensée qu’elles passeraient une année encore dans les montagnes pour assurer la guérison commencée n’était pas, ce matin là, une pensée réconfortante.

Des pas sur la galerie firent bondir la petite agitée qui se précipita à la porte afin de voir un visage nouveau. C’était l’enfant du laitier, ruisselant, joufflu et rose qui chantait à tue tête : « C’est la belle Françoise. » — Un beau temps pour être dehors fit ironiquement la dame en prenant la bouteille de lait — Pristi oui ! un beau temps, quand même qu’y mouille, je viens de voir un renard en longeant le bois. Un beau renard ! Si je peux le poigner, je vas l’apprivoiser. »

Et reprenant sa chanson, il se sauva en courant à travers le voile que tendait la pluie entre le ciel et la terre noire.

Revenue près du feu, notre amie songeait.

« Comme il est heureux ce petit garçon ! Il va courir après son renard…… que lui importe la pluie ou le soleil ! Mais, pourquoi n’irai-je pas dans le bois, moi aussi ! je verrai peut-être le renard ? »

Malgré les protestations de la vieille Agnès qui n’avait pas foi dans la cure d’air, Madame Larché, bottée, vêtue de son imperméable, coiffée de son chapeau ciré, prit le sentier qui grimpait la montagne.

Elle ne vit pas le renard, bien entendu, pas même le chasseur, mais que de belles choses elle découvrit dans la forêt avec sa belle gaieté retrouvée !

Sur les pins immobiles et solennels, la pluie fine dansait en murmurant des folies, les mousses reverdissaient sous la douche tiède, des arbrisseaux sans feuilles portaient à la pointe de leurs branches brunes une quantité de petits fruits rouges comme du feu. Les saules, ô miracle, se faisaient un printemps à eux tout seuls : satinés, verts, encore feuillus, ils se balançaient auprès des bouleaux d’argent minces et élégants qui mettaient une lumière dans le bois aux teintes encore variées.

Voilà qui vaut mieux que mes lamentations au coin du feu, se disait-elle, en riant de sa mauvaise humeur disparue. Il n’y a pas de soleil, c’est vrai, et la lessive ne séchera que demain et je croyais ce matin que c’était presqu’un malheur ! Oh ! le délicieux parfum d’automne et comme la pluie est jolie et discrète ici ! c’est à peine si elle mouille ! Je comprends aujourd’hui seulement le plaisir des chasseurs qui ne tuent jamais de gibier et qui ne renoncent pas à leur expédition de chasse annuelle. C’est la forêt qu’ils aiment et dont ils jouissent en prétendant chasser une proie insaisissable et dont ils s’occupent peu, en somme. Ah ! le bon petit garçon qui chantait dans la pluie et qui rêvait tout haut de « poigner » son renard ! Bien sûr je le récompenserai de m’avoir entraînée ici ! »

Pour ceux qui sont bien vivants, attentifs à tout ce que nous offre la vie, il n’y a pas de jours sombres, où, un chant, — quelquefois vague et lointain — ne rappelle que les ennuis sont passagers , et souvent, les épreuves, bienfaisantes.

Il y a des âmes sereines et fortes dont la rencontre est pour les autres un encouragement et un exemple salutaires telle la chanson du petit garçon qui fit trouver la pluie charmante à la dame ennuyée.

Tout de même, soupirez-vous, il y a des jours tristes où l’on pleure presque malgré soi. Il faut bien les endurer ! — je voudrais bien savoir pourquoi, par exemple ! Quand vous apercevez une souris dans la pièce où vous lisez, restez-vous tranquille sur votre chaise à dire que c’est ennuyeux ? Vous courez chercher un balai, si vous êtes brave, un autre bras, si vous êtes poltronne, et vous menez rondement la chasse. Chassez avec la même énergie les pensées sombres : essayer d’évoquer le soleil après la pluie, de croire aux joies qui sont là, plus près de vous que vous ne vous en doutez et quand ce ne serait qu’un rêve qui vous rendrait du courage, rêvez-le, mes petites sœurs, et reprenez le courage qui vous fera marcher bravement.