Lettres de Chopin et de George Sand/Lettre 55

Texte établi par Ronislas-Edouard Sydow, Denise Colfs-Chainaye et Suzanne Chainaye, [Edicions La Cartoixa] (p. 112-113).


55. — Frédéric Chopin à Albert Grzymala, à Paris.

[Marseille, 16 avril 1839].
[Cachet postal :] 16 avril 1839.

Par la lettre reçue hier, je sais que tu n’es pas encore bien portant. Aussi pour donner au moins une minute de diversion à tes souffrances, je m’empresse de te dire, qu’elle t’a dédié son nouveau roman terminé cette nuit.

Je remercie ton cœur d’être toujours la même. La nouvelle concernant ma mère m’étonne beaucoup. Évidemment, si des racontars l’ont effrayée, elle a peut-être entrepris ce voyage.

Mais sans doute quelque cervelle polonaise a-t-elle inventé le tout.

Il y a malentendu entre nous à propos de l’ouvrage de Mic [kiewicz]. C’est uniquement de l’édition de la dernière partie des Dziady qu’il s’agit. Cette publication serait certainement lue davantage si elle comprenait l’avant-propos. [C’est-à-dire l’article de George Sand]. Elle exercerait de la sorte et sur les intelligences françaises et sur les finances de Mic [kiewicz] une heureuse influence. Quant à ton projet, s’il est trop vaste pour aujourd’hui, sans doute pourra-t-il se réaliser plus tard. La dernière partie des Dziady forme un tout et son étude l’explique et l’éclaire.

La traduction antérieure étant épuisée depuis longtemps dans les librairies, on pourrait, sans la première partie de l’œuvre, constituer un bon volume avec la partie non traduite

D’ailleurs, nous serons bientôt à Nohant. Tu y viendras — ce n’est pas loin — et, en deux mots, elle t’apprendra plus à ce sujet que trente de mes lettres. Si aucun obstacle ne surgit, nous nous reverrons dans un mois. Le lait d’ânesse ne m’a pas réussi. On me fait boire du petit lait et, moi, j’ai besoin d’autre chose.

Aime-moi comme je t’aime. Si tu as des nouvelles au sujet de mon déménagement, fais-les moi savoir.

Adieu, sois bien portant et heureux. Rappelle-toi de moi. Baise les mains à tu sais qui.

Ton
Ch.

Je plains le sort de la Ossolinska. Imbéciles, ânes ! — Sapieha est passé par ici, il y a quelques jours. Il m’a rendu visite, peut-être pour voir George — mais je l’ai reçu dans l’autre chambre.[1]

[P. S. de George Sand :]

Bon jour, mon vieux. Je suis au lit et pendant que le petit te griffonne du tartare, je t’aime et je t’embrasse.

Ta femme
Monsieur
Monsieur Albert Grzymala
16, rue de Rohan — Paris.

  1. Lettre inédite jusqu’ici en français.