(1p. 181-182).

LXXII

Paris, 9 juillet 1843.

Vous avez raison d’oublier les querelles si vous pouvez en venir à bout. Elles se grossissent, comme vous le dites fort bien, lorsqu’on les examine de près. Le mieux est de rêver toujours le plus longtemps possible, et, comme nous pouvons faire toujours le même rêve, cela ressemble fort à une réalité. Je vais assez bien depuis hier. J’ai dormi, ce qui ne m’était pas arrivé depuis longtemps. Il me semble même que je suis en meilleure humeur depuis que je me suis soulagé en exhalant mes vapeurs l’autre jour. C’est dommage que nous ne nous voyions pas le lendemain d’une querelle. Je suis sûr que nous serions parfaitement aimables l’un pour l’autre. Vous m’aviez promis de m’indiquer un jour ; mais vous n’y avez pas pensé, ou, ce qui serait plus mal, vous avez cru indecorous de le faire. C’est cette préoccupation que vous avez sans cesse qui nous est bien souvent un sujet de brouillerie. À mesure que le moment de ne plus vous voir approche, je me sens plus mécontent de moi, et, pour le résultat, c’est comme si j’étais mécontent de vous. J’ai bien pu dire que vous vous contraignez beaucoup pour me plaire ; je me prends sans cesse à me mettre en fureur contre cette contrainte même qui, dans ce qu’elle a de plus agréable, cache toujours un fond horriblement triste ; mais rêver, c’est le plus sage. À quand ? voilà toute la question.

Vous devriez bien me traduire un livre allemand qui me met au supplice. Rien n’est plus enrageant qu’un professeur allemand qui croit avoir une idée. Le titre est tentant : das Provocationsverfahren der Römer.