(1p. 297-299).

CXXXII

Paris, 20 août 1848.
 

Je commence à croire que je ne vous verrai pas cette année. Voilà que l’on recommence à parler d’émeutes, et puis le choléra va venir compliquer les affaires. On dit qu’il est à Londres. Il est certainement à Berlin. Depuis quelques jours, on s’attend à une bagarre. On prédit des coups de fusil pour la discussion de l’enquête. Je suis si entêté dans mes idées, que je n’y crois pas encore ; mais je suis à peu près seul de mon avis. La situation est au fond bien embrouillée. Elle ressemble comme deux gouttes d’eau à celle de Rome pendant la conjuration de Catilina. Seulement, il n’y a pas de Cicéron. Quant à l’issue d’une émeute, je ne doute pas que la bonne cause ne triomphe. Personne n’en doute, mais avec des fous il ne faut pas compter sur des entreprises raisonnables ; peut-être, en effet, ai-je tort de croire que l’impossibilité de réussir empêche cette émeute susdite. Nous verrons, au reste, la semaine prochaine. Mercredi, la discussion doit commencer ; l’enquête me paraît surtout prouver une chose, c’est la profonde division des républicains entre eux. Il est évident qu’il n’y en a pas deux de la même opinion. Ce qu’il y a de plus fâcheux, c’est que le citoyen Proudhon a un grand nombre d’adeptes et que ses petites feuilles se vendent à milliers dans les faubourgs. Tout cela est fort triste ; mais, quoi qu’il arrive, nous vivrons longtemps de cette vie-là, et il faut nous y accoutumer. Le point qui me paraît capital, c’est de savoir si vous viendrez le 25. S’il doit y avoir bataille, elle sera perdue ou gagnée ce jour-là. Ainsi, ne faites pas encore de projets, ou plutôt faites celui de venir assister à notre victoire ou à notre enterrement pour le 25. Une autre chose me chagrine : c’est que la chaleur s’en va, le beau temps se passe, et il n’y aura plus de pêches à votre retour. Les feuilles commencent à jaunir et à tomber. Je prévois tous les ennuis du froid et de la pluie, qui me semblent beaucoup plus graves et beaucoup plus certains que l’émeute. Je suis malade depuis quelques jours, c’est peut-être pour cela que je suis triste. Je n’ai pas besoin de vous dire que je serais très-contrarié de mourir avant notre déjeuner à Saint-Germain, qui, je l’espère, tiendra toujours. Adieu ; écrivez-moi vite. Vous ne devriez pas taquiner les gens de si loin.