Lettres à la princesse/Lettre247

Lettres à la princesse, Texte établi par Jules TroubatMichel Lévy frères, éditeurs (p. 338-341).

CCXLVII

10 juin 1868.
Princesse,

Mon petit mot a croisé votre excellente lettre. Je vous vois d’ici, dans ce Saint-Gratien agrandi et encore embelli, comme je vous ai vue dans cette serre ajoutée de la rue de Courcelles avec les yeux de la pensée. Tout cela me rit, mais de loin, — de trop loin ! Je vais occuper mon été, toutes mes matinées du moins, le plus possible au travail. Si l’on pouvait abréger les soirées et les supprimer même, je m’en trouverais mieux ; car c’est avec le déclin du jour que l’ennui vient et qu’il tombe sur mon esprit avec l’ombre. L’heure où l’on recommençait la journée autrefois et où l’agrément de la société et de l’amitié succédait à l’étude et en était comme la récompense ; cette heure est lourde aujourd’hui : elle pèse, et j’entre volontiers dans de longs silences. — Je me demande à votre intention, Princesse, si je sais quelques livres nouveaux et intéressants à lire : j’en vois peu, et il y a cette année une grande stérilité, à ce qu’il semble. —

Avez-vous vu ce livre de M. d’Haussonville[1] ? Tout hostile qu’il est et fait contre, il y a des détails intéressants sur cette lutte de prêtres.

C’est encore dans les revues qu’il faut chercher sa meilleure pâture.

Nos amis Goncourt préparent quelque chose[2] : que ce succès qu’ils n’ont encore eu que d’estime et par lambeaux leur vienne entier et mérité ! Leur talent y gagnerait, en se préoccupant moins et en procédant désormais avec plus de facilité.

Je me suis permis d’adresser à M. de Nieuwerkerke une demande à l’appui d’une pétition ; c’est pour quelqu’un qui, je crois, mérite de prendre rang pour cette humble demande. — Il y a encore une supplique que M. de Saint-Paul a eu l’obligeance de transmettre de ma part à M. de Bosredon[3], pour un pauvre père de famille qui aspire à entrer dans les bureaux de l’intérieur. Je vous prierai peut-être, Princesse, de l’appuyer : — ou plutôt je vous en prie dès à présent. Voici la note exacte (ci-jointe) de la situation de ce brave homme, fils d’un lieutenant-colonel d’artillerie, âgé de trente et un ans, plein de bonne volonté, père de famille, etc. C’est de M. de Bosredon que dépend la chose.

Enfin il faut faire ce qu’on peut ; la vie est surchargée, chacun en a trop. Quel singulier état de société ! Je ne puis croire qu’il en ait toujours été ainsi. Et pourtant ce siècle de fer a du bon, les journées y ont de belles heures ; une conversation après déjeuner, ou le soir après dîner sous la marquise, a bien du charme, et j’envie ceux qui en sont.

Daignez agréer, Princesse, l’hommage de mon tendre et inviolable attachement.


  1. L’Église romaine et le premier empire.
  2. Madame Gervaisais.
  3. Secrétaire général du ministère de l’intérieur.