Lettre du 16 octobre 1675 (Sévigné)





457. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À MADAME DE GRIGNAN.
Aux Rochers, mercredi 16e octobre.

Je ne suis point entêtée, ma bonne, de M. de Lavardin ; je le vois tel qu’il est : ses plaisanteries ni ses manières ne me charment point du tout ; je les vois comme j’ai toujours fait ; mais je suis assez juste pour rendre au vrai mérite ce qui lui appartient, quoique je le trouve pêle-mêle avec ses désagréments. C’est à ses solidement bonnes qualités que je me suis attachée, et par bonheur je vous en avois parlé à Paris, car sans cela vous croiriez que l’enthousiasme d.’une bonne réception[1] m’auroit enivrée ; enfin je souhaiterai toujours à ceux que j’aimerai plus de charmes ; mais je me contenterai qu’ils aient 1675autant de vertus. C’est le moins lâche et le moins courtisan que j’aie jamais vu ; vous aimeriez bien son style dans de certains endroits, vous qui parlez. Tant y a, ma bonne, voilà ma justification, dont vous ferez part au gros abbé, si par hasard il avoit jamais mal au gras des jambes[2] sur ce sujet.

Je suis fort aise que vous ayez remarqué, comme moi, la diligence admirable de nos lettres, et le beau procédé de Riaux[3], et de ces autres messieurs si obligeants, qui viennent prendre nos lettres et les portent nuit et jour, en courant de toutes leurs forces pour les faire aller plus promptement : je vous dis que nous sommes ingrats envers les postillons[4], et même envers M. de Louvois[5] qui les établit partout avec tant de soin. Mais hélas ma très-chère, nous nous éloignons encore ; et toutes nos admirations vont cesser. Quand je songe que dans votre dernière lettre vous me répondez encore à celle de la Silleraye, et qu’il y aura demain trois semaines que je suis aux Rochers, je comprends que nous étions déjà assez loin sans cette augmentation.

Vous aurez à présent vu la Garde. J’en suis fort aise. Vous aurez eu toutes vos hardes, et cette musique dans un de vos souliers vous aura bien…. Fi ! vous devriez danser toute seule avec ces souliers-là[6].

M. d’Hacqueville me dit qu’une fois la semaine, c’est assez écrire pour des affaires ; mais que ce n’est pas assez pour son amitié, et qu’il augmenteroit plutôt d’une lettre 1675que d’en retrancher une. Vous jugez bien que puisque le régime que je lui avois ordonné ne lui plaît pas, je lâche la bride à toutes ses bontés, et lui laisse la liberté de son écritoire : songez qu’il écrit de cette furie à tout ce qui est hors de Paris, et voit tous les jours tout ce qui y reste ; ce sont les d’Hacquevilles ; adressez-vous à eux, ma bonne, en toute confiance : leurs bons cœurs suffisent à tout. Enfin je me veux ôter de l’esprit de le ménager ; je veux en user[7] ; aussi bien si ce n’est moi qui le tue, ce sera un autre : il n’aime que ceux dont il est accablé ; accablons-le donc sans discrétion.

On me mande que le fils de M. de la Rochefoucauld a été rudement bourré par l’ami de Mme de Montespan, et que les raisonnements qu’il vouloit faire sur les vapeurs de cet ami furent rudement repoussés[8]. M. du Maine marche : voilà un grand bonheur pour Mme de Maintenon. On parle aujourd’hui de la froideur de ces deux amies, et que c’est sur l’intérêt. Je vous en manderai davantage quand je serai à Paris.

Vous n’avez jamais vu ces bois dans la beauté où ils sont présentement. Mme de Tarente y fut hier tout le jour ; il faisoit un temps admirable. Elle me parla fort de vous : elle vous trouve bien plus jolie que le petit ami[9].



  1. LETTRE 457 (revue en grande partie sur une ancienne copie). I. — Voyez la lettre du 20 septembre précédent, p. 137 et 138.
  2. Expression familière à l’abbé de Pontcarré, lorsqu’il étoit importuné de quelque discours. (Note de Perrin.)
  3. Ce ne peut être qu’un courrier de la malle. (Note de l’édition de 1818.)
  4. Comparez tome II, p. 277.
  5. Surintendant général des postes.
  6. Ce paragraphe n’est que dans l’édition de 1725.
  7. C’est le texte de 1725 et de 1726. Dans les deux éditions de Perrin : « J’en veux abuser. »
  8. Voyez la fin de la lettre du 23 octobre suivant, p. 201. — Le médecin d’Aquin (dont le nom est ordinairement Daquin dans les écrits du temps, comme nous l’avons plus haut imprimé nous-même) nous apprend dans son journal, que vient de publier M. le Roi, avec ceux de Vallot et de Fagen, que Louis XIV, dans la première quinzaine d’octobre 1675, fut fort travaillé de vapeurs. On peut voir, aux p. 128 et suivantes de ce curieux ouvrage, les observations du docteur sur ces « vapeurs élevées de la rate et de l’humeur mélancolique, dont elles portent les livrées par le chagrin qu’elles impriment ; » ainsi que ses réflexions sur la nature, la cause et les effets du mal.
  9. Le portrait en miniature de Mme de Grignan. (Note de Perrin.)