Lettre de Ninon de Lenclos à Charles de Saint-Évremond (« Je défie Dulcinée… »)


XCVI. Lettre de Mlle de Lenclos à Saint-Évremond, 1691.


MADEMOISELLE DE LENCLOS À SAINT-ÉVREMOND.
(1691.)

Je défie Dulcinée de sentir avec plus de joie le souvenir de son Chevalier. Votre lettre a été reçue comme elle le mérite, et la triste figure n’a point diminué le mérite des sentiments. Je suis touchée de leur force et de leur persévérance : conservez-les, à la honte de ceux qui se mêlent d’en juger. Je crois, comme vous, que les rides sont les marques de la sagesse. Je suis ravie que vos vertus extérieures ne vous attristent point : je tâche d’en user de même. Vous avez un ami1, gouverneur de province, qui doit sa fortune à ses agréments ; c’est le seul vieillard, qui ne soit pas ridicule, à la Cour. M. de Turenne ne vouloit vivre que pour le voir vieux : il le verroit père de famille, riche et plaisant. Il a plus dit de plaisanteries, sur sa nouvelle dignité, que les autres n’en ont pensé. M. d’Elbène, que vous appeliez le Cunctator, est mort à l’hôpital. Qu’est-ce que les jugements des hommes ! Si M. d’Olonne vivoit2 et qu’il eût lu la lettre que vous m’écrivez, il vous auroit continué votre qualité de son philosophe. M. de Lauzun est mon voisin : il recevra vos compliments. Je vous rends très-tendrement ceux de M. de Charleval. Je vous demande instamment de faire souvenir M. de Ruvigny de son amie de la rue des Tournelles.


NOTES DE L’ÉDITEUR

1. Le comte de Grammont, qui venoit d’être nommé gouverneur du pays d’Aunis.

2. Louis de La Tremoille, comte d’Olonne, étoit mort le 3 février 1686, âgé de soixante ans.