Lettre de Hamilton à Saint-Évremond, pour le comte de Grammont (« Votre régularité à m’écrire sur mes autres résurrections… »)

Lettre de Hamilton à Saint-Évremond, pour le comte de Grammont (« Votre régularité à m’écrire sur mes autres résurrections… »)
Œuvres mêlées de Saint-Évremond, Texte établi par Charles GiraudJ. Léon Techener filstome III (p. 46-48).


XIV.

À M. DE SAINT-ÉVREMOND.

(Quatre ans plus tard, en 1700, le comte de Grammont fut encore très-gravement malade, et en revint heureusement. Saint-Évremond ne lui ayant rien mandé, à cette occasion, le comte lui fit écrire, par Hamilton, la lettre suivante. Voy. la lettre à Ninon, infra, nº 105.)

Votre régularité à m’écrire sur mes autres résurrections me fait croire que vous n’avez rien su de celle-ci. Je viens pourtant de pousser l’aventure plus loin que jamais, avec aussi peu d’envie de la mettre à fin. On se moque de dire que les occasions accoutument au péril : pour moi qui viens de voir la mort d’assez près, je vous dirai franchement que je me sens une grande aversion pour elle ; et lorsqu’on la voit venir droit à son homme, je tiens qu’il est difficile de n’en être pas ému.

Malgré la misère ou les ans,
Malgré les chagrins accablants
D’une ennuyeuse maladie ;
Malgré cette glace ennemie
Qui se répand sur tous les sens ;
Quoique perclus, quoique mourants,
Il reste aux humains, pour la vie,
De chers et de tendres penchants.
On a beau le voir d’un œil ferme,
On n’aime point le dernier terme ;
Et de vos Grecs, de vos Romains,
Qui se tuaient à belles mains,
On a beau vanter le courage ;
Et l’on auroit beau discourir
Sur une vertu si sauvage ;
Je tiens, pour moi, que l’homme sage
N’est jamais pressé de mourir.
Je conviens qu’après certain âge
La mort à peu près s’envisage
Comme un mal qu’on ne peut guérir,
Ou comme la fin d’un voyage
Qu’on n’achève point sans périr :
Mais, pour nous rendre à ce passage
Doucement, d’étage en étage,
Approchons-en, sans y courir ;
Allons au bout de la carrière,
Sans ennui, sans empressement :
Assez tôt de l’heure dernière
Arrive le fatal moment.
Je suis peu fort sur la morale,
Et je ne sais pas grand latin ;
Mais, afin que, d’une âme égale,
Je puisse soutenir ma fin,
Voici, pour l’une et l’autre vie,
Le plan de ma philosophie.
Je tâche de mettre à profit
Ce que la comtesse m’en dit ;
Car, sans méditer et sans lire,
Je commence à me faire instruire
Des principes de notre foi,
Petitement, pour me suffire.
Je sais ce que prescrit la loi ;
Au prochain je ne veux plus nuire,
À moins qu’il ne me nuise, à moi ;
Sur l’incontinence, je croi
Que l’on n’a plus rien à me dire
Dévot, sans jeûner, ni médire,
Je le suis ; je l’ai dit au roi,
Et n’ai garde de m’en dédire.