Lettre de Hamilton à Saint-Évremond, pour le comte de Grammont (« Les compliments que vous me faites… »)

Lettre de Hamilton à Saint-Évremond, pour le comte de Grammont (« Les compliments que vous me faites… »)
Œuvres mêlées de Saint-Évremond, Texte établi par Charles GiraudJ. Léon Techener filstome III (p. 49-50).


XVI.

RÉPLIQUE DU COMTE DE GRAMMONT À LA LETTRE DE SAINT-
ÉVREMOND, PAR HAMILTON.

Les compliments que vous me faites sur mon retour de l’autre monde, plaisent beaucoup dans celui-ci. Les applaudissements qu’on donne à votre lettre et le nombre de copies que l’on m’en a demandées, sont dignes de la réputation de mon Philosophe. On ne se lasse point d’admirer cette vivacité que les ans ne font que réveiller ; et l’on soutient que deux hommes, nés, comme vous et moi, pour porter si loin et conserver si longtemps tous les agréments de l’esprit, ne sont pas faits pour mourir. Il me semble que vous ne vous éloignez pas de cette opinion, dans votre style poétique ; et, pour moi, mes voyages là-bas l’autorisent assez.

Deux fois, du ténébreux Cocyte
Ayant su repasser les bords,
Je prétends faire mes efforts
Pour différer longtemps la dernière visite
Que l’on doit rendre chez les morts.
Là pourtant le gentil Voiture,
Sous quelques myrtes verdoyants,
  Les grâces et les ris près de lui badinants,
  Admiroit de vos vers les sons et la mesure,
La cadence, les tours brillants,
Et ravissoit, par leur lecture,
Les Malherbes et les Racans ;
Et là, votre maître Épicure,
À certains morts des plus récents,
Demandoit par quelle aventure,
Avec tant d’esprit, tant de sens,
Vous restiez parmi les vivants.
Mais, n’en déplaise à la figure
Que font là-bas tous vos savants,
Puisque c’est par la sépulture
Qu’on passe à leurs paisibles champs,
Suivez ici les doux penchants
Où vous attache la nature,
Et que, dans la demeure obscure,
On vous attende encor longtemps[1] !

  1. Le comte de Grammont n’est mort qu’en 1707, âgé de quatre-vingt-six ans. Il avoit huit ans de moins que Saint-Évremond, et il lui survécut de quatre ans. Il paroît que la Comtesse et Hamilton le décidèrent enfin à recevoir les secours de la religion. Hamilton étoit alors réfugié en France, avec Jacques II, et il étoit zélé catholique. Il n’est mort lui-même qu’en 1720.