Lettre 1 à l’évêque d’Annecy/Édition Garnier


LETTRE[1]
À L’ÉVÊQUE D’ANNECY


Monseigneur,

J’espère que non-seulement vous excuserez, mais que vous approuverez une importunité qui me pèse beaucoup plus qu’à vous. Je ne comprends rien aux articles de vos lettres qui regardent mon oncle. Il fait plus de bien à la province qu’aucun homme en place n’y en a fait depuis plusieurs siècles. Il fait dessécher tous les marais qui infectent le pays ; il prête de l’argent sans intérêt aux gentilshommes ; il en donne aux pauvres ; il établit des écoles où il n’y en a jamais eu ; il défriche les terres incultes ; il nourrit plus de cent personnes ; il rebâtit une église. J’ose dire que la province le respecte et le chérit, et qu’il a droit d’attendre de vous autant de bonté et de considération qu’il a pour vous de déférence et de respect.

Je vous parle au nom de la province, monseigneur, pour les affaires qui vous intéressent. Nous sommes tous indignés de voir des curés qui ne savent que plaider et battre les paysans. Voilà un curé de Meyrin qui vient de perdre le septième procès à Dijon, et qui est condamné à l’amende ; voilà le curé de Moëns[2] qui a eu huit procès civils, et qui est actuellement à un deuxième procès criminel. Au nom de Dieu ! mettez ordre à ces scandales et à ces violences : on vous trompe bien cruellement ; croyez qu’il peut résulter des choses très-funestes de la conduite violente du curé de Moens. Si vous versez des larmes de sang, vous empêcherez qu’un prêtre ne fasse verser le sang des chrétiens et des sujets du roi mon maître ; vous n’êtes point étranger à la France, puisqu’une grande partie de votre diocèse est en France.

Ne vous laissez point prévenir par les artifices de ceux qui croient l’honneur de leur corps intéressé à sauver un coupable, et qui ne savent pas que leur véritable honneur est de l’abandonner.

Je me flatte toujours que vous agirez en père commun, que vous n’écouterez ni la faction ni la calomnie, que vous honorerez la vertu bienfaisante, et que nous nous louerons de votre justice autant que j’ai l’honneur d’être avec respect.

Monseigneur,

Votre très-humble et très-obéissante
servante,

Vve Denis.



FIN DE LA LETTRE.

  1. Cette lettre, sans date, a été placée par Auger, qui la publia le premier, au milieu d’avril 1768. D’autres éditeurs l’ont mise en février de la même année. Elle me semble postérieure au 2 mai 1768, date de la troisième lettre de l’évêque d’Annecy à Voltaire. Faute d’indication suffisante, j’ai cru pouvoir la rapprocher de la pièce qui suit, et qui est du même genre. Ces deux lettres devaient trouver place dans les Œuvres de Voltaire, puisqu’elles sont sorties de sa plume ; mais il m’a semblé que c’était aux Mélanges qu’il convenait de les ranger, et non à la Correspondance.

    L’évêque, à qui Mme Denis écrivit cette lettre, se nommait Biord. Il était petit-fils d’un maçon, mais n’avait pas le mortier liant. (B.) — Voyez la note, tome XXVI, pages 271-272.

  2. Il s’appelait Ancian ; voyez la lettre de Voltaire, du 5 juin 1761, et les Mémoires de Wagnière, tome Ier, page 39. Voyez aussi tome XXIV, page 161, de la présente édition.