Les victoires du Roi, sur les États de Hollande, en l’année M.DC.LXXII

Les victoires du Roi, sur les États de Hollande, en l’année M.DC.LXXII
Poésies diverses, Texte établi par Charles Marty-LaveauxHachettetome X (p. 252-284).

LXXXI

Les victoires du Roi,
sur les États de Hollande, en l’année M.DC.LXXII[1].
Par P. Corneille.

[Traduit du latin du P. de la Rue.]

Le poëme de Corneille a été imprimé en même temps que celui du P. de la Rue, dont il est la traduction, et que nous donnons au bas des pages[trad 1]. Ces deux ouvrages ont paru à Paris en 1672, chez Guillaume de Luyne et Simon Bénard, dans le format in-folio, et sous les titres que nous leur conservons ici. Cette édition se trouve dans la plupart des bibliothèques publiques de Paris. Chacun des deux poëmes, ayant un frontispice distinct et une pagination particulière, forme en lui-même un tout complet. Le poëme latin, signé : C. de la Rue, s. J., a dix-huit pages ; le poëme français, signé : P. Corneille, en a dix-neuf. Le frontispice de chacun d’eux est orné d’une vignette de Chauveau, représentant deux fleuves appuyés sur la même urne. Assis sur des trophées d’armes, entourés de drapeaux, ils élèvent la main au-dessus des yeux afin de pouvoir regarder le soleil dont l’éclat les éblouit. Le bas de la vignette est entouré des écussons des pays vaincus. Au commencement de chacun des deux poèmes, en tête de la troisième page, est un passage du Rhin, également de Chauveau. Le Roi y tient à la main le bâton, signe du commandement. Dans une gloire on voit les « ombres redoutables, » dont parle Corneille (p. 266 et 267, vers 225-240), qui élèvent les bras en signe d’étonnement. Au-dessous des nuages de cette gloire, on aperçoit quatre vents qui soufflent avec violence (p. 272, vers 283 et note 2). Granet cite une autre édition in-8o, qui a été publiée dans la même année, chez les mêmes libraires, avec la pièce latine du P. de la Rue. Il a aussi paru à Grenoble, en 1673, une édition in-12, qui figure sous le no 780 dans le Catalogue Longueman[2].

Les douceurs de la paix, et la pleine abondance
Dont ses tranquilles soins comblent toute la France,
Suspendoient le courroux du plus grand de ses rois.
Ce courroux sûr de vaincre, et vainqueur tant de fois,
Vous l’aviez éprouvé, Flandre, Hainaut, Lorraine[3] ; 5
L’Espagne et sa lenteur n’en respiroient qu’à peine ;
Et ce triomphe heureux sur tant de nations
Sembloit mettre une borne aux grandes actions.
Mais une si facile et si prompte victoire
Pour le victorieux n’a point assez de gloire : 10
Amoureux des périls et du pénible honneur,
Il ne sauroit goûter ce rapide bonheur ;
Il ne sauroit tenir pour illustres conquêtes
Des murs qui trébuchoient sans écraser de têtes,
Des forts avant l’attaque entre ses mains remis, 15
Ni des peuples tremblants pour justes ennemis.

Au moindre souvenir qui peigne[4] à sa vaillance
Chez tant d’autres vainqueurs la fortune en balance,
Les triomphes sanglants et longtemps disputés,
Il voit avec dédain ceux qu’il a remportés : 20
Sa gloire, inconsolable après ces hauts exemples,
Brûle d’en faire voir d’égaux ou de plus amples ;
Et jalouse du sang versé par ces[5] guerriers,
Se reproche le peu que coûtent ses lauriers.
Pardonne, grand Monarque, à ton destin propice : 25
Il va de ses faveurs corriger l’injustice,
Et t’offre un ennemi fier, intrépide, heureux,
Puissant, opiniâtre, et tel que tu le veux.
Sa fureur se fait craindre aux deux bouts de la terre :
Au levant, au couchant elle a porté la guerre ; 30
L’une et l’autre Java[6], la Chine et le Japon

Frémissent à sa vue et tremblent à son nom :
C’est ce jaloux ingrat, cet insolent Batave,
Qui te doit ce qu’il est[7] et hautement te brave ;
Il te déchire, il arme, il brigue contre toi, 35
Comme s’il n’aspiroit qu’à te faire la loi.
Ne le regarde point dans sa basse origine,
Confiné par mépris aux bords de la marine[8] :
S’il n’y fit autrefois la guerre qu’aux poissons,
S’il n’y connut le fer que par ses hameçons, 40
Sa fierté, maintenant au-dessus de la roue[9],
Méconnoît ses aïeux qui rampoient dans la boue.
C’est un peuple ennobli par cent fameux exploits,
Qui ne veut adorer ni vivre qu’à son choix ;
Un peuple qui ne souffre autels ni diadèmes, 45
Qui veut borner les rois et les régler eux-mêmes ;
Un peuple enflé d’orgueil et gorgé de butin,
Que son bras a rendu maître de son destin ;
Pirate universel, et pour gloire nouvelle

Associé d’Espagne, et non plus son rebelle. 50
Sur ce digne ennemi venge le ciel et toi :
Venge l’honneur du sceptre, et les droits de la foi.
Tant d’illustres fureurs, tant d’attentats célèbres
L’ont fait assez gémir chez lui dans les ténèbres :
Romps les fers qu’elle y traîne, et rends-lui le plein jour ; 55
Règne, et fais-y régner le vrai culte à son tour[10].
Ce grand prince m’écoute, et son ardeur guerrière
Le jette avidement dans cette âpre carrière,
La juge avantageuse à montrer ce qu’il est ;
Et plus la course est rude, et plus elle lui plaît. 60
Il s’oppose déjà des troupes formidables,
Des Ostendes, trois ans à tout autre imprenables[11],
Des fleuves teints de sang, des champs semés de corps,
Cent périls éclatants et mille affreuses morts ;
Car enfin d’un tel peuple, à lui rendre justice, 65
Après une si longue et si dure milice,
Après un siècle entier perdu pour le dompter[12],

Quelle plus foible image ose se présenter ?
Des orageux reflux d’une mer écumeuse,
Des trois canaux du Rhin, de l’Yssel, de la Meuse, 70
De ce climat jadis si fatal aux Romains,
Et qui défie encor tous les efforts humains,
De ces flots suspendus où l’art soutient des rives
Pour noyer les vainqueurs dans les plaines captives,
De cent bouches partout si prêtes à tonner, 75
Qui peut se former l’ombre et ne pas s’étonner ?
Si ce peuple au secours attire l’Allemagne,
S’il joint le Mein au Tage, et l’Empire à l’Espagne,
S’il fait au Dannemarc craindre pour ses deux mers,
Si contre nous enfin il ligue l’univers, 80
Que sera-ce ? Mon roi n’en conçoit point d’alarmes :
Plus l’orage grossit, plus il y voit de charmes ;

Son ardeur s’en redouble[13], au lieu de s’arrêter ;
Il veut tout reconnoître et tout exécuter,
Et présentant le front à toute la tempête, 85
Agir également du bras et de la tête.
La même ardeur de gloire emporte ses sujets :
Chacun veut avoir part à ses nobles projets ;
Chacun s’arme, et la France, en guerriers si féconde,
Jamais sous ses drapeaux ne rangea tant de monde. 90
L’Anglois couvre pour nous la mer de cent vaisseaux ;
Cologne après Munster nous prête ses vassaux :
Ces prélats[14], pour marcher contre des sacrilèges,
De leur sacré repos quittent les privilèges,
Et pour les intérêts d’un Dieu leur souverain 95
Se joignent à nos lis, le tonnerre à la main.
Cependant la Hollande entend la Renommée
Publier notre marche et vanter notre armée.

Le nautonier brutal et l’artisan sans cœur
Déjà de sa défaite osent se faire honneur : 100
Cette âme du parti, cet Amstredam[15], qu’on nomme
Le magasin du monde et l’émule de Rome,
Pour se flatter d’un sort à ce grand sort égal,
S’imagine à sa porte un second Annibal ;
S’y figure un Pyrrhus, un Jugurthe, un Persée ; 105
Et sur ces rois vaincus promenant sa pensée,
S’applique tous ces temps où les moindres bourgeois
Dans Rome avec mépris regardoient tous les rois :
Comme si son trafic et des armes vénales
Lui pouvoient faire un cœur et des forces égales. 110
Voyons, il en est temps, fameux républicains,
Nouveaux enfants de Mars, rivaux des vieux Romains,
Tyrans de tant de mers, voyons de quelle audace
Vous détachez du toit l’armet et la cuirasse,
Et rendez le tranchant à ces glaives rouillés 115
Que du sang espagnol vos pères ont souillés.

Juste ciel ! me trompé-je ? ou si déjà la guerre
Sur les deux bords du Rhin fait bruire son tonnerre ?
Condé presse Vesel[16], tandis qu’avec mon roi
Le généreux Philippe[17] assiège et bat Orsoi ; 120
Ce monarque avec lui devant Rhimbergue tonne,
Et Turenne promet Buric à sa couronne.
Quatre sièges ensemble, où les moindres remparts
Ont bravé si longtemps nos modernes Césars,
Où tout défend l’abord (qui l’auroit osé croire ?), 125
Mon prince ne s’en fait qu’une seule victoire[18].
Sous tant de bras unis il a peur d’accabler,
Et les divise exprès pour faire moins trembler ;
Il s’affoiblit exprès pour laisser du courage ;
Pour faire plus d’éclat il prend moins d’avantage ; 130
Et n’envoyant partout que des partis égaux,
Il cherche à voir partout répondre à ses assauts.

Que te sert, ô grand Roi, cette noble contrainte ?
Partager tes drapeaux, c’est partager la crainte,
L’épandre en plus de lieux, et faire sous tes lois 135
Tomber plus de remparts et de peuple à la fois.
Pour t’affoiblir ainsi, tu n’en deviens pas moindre ;
Ta fortune partout sait l’art de te rejoindre :
L’effet est sûr au bras dès que ton cœur résout ;
Tu ne bats qu’une place, et tes soins vont partout : 140
Partout on croit te voir, partout on t’appréhende,
Et tes ordres font tout, quelque chef qui commande.
Ainsi tes pavillons à peine sont plantés,
À peine vers les murs les canons[19] sont pointés,
Que l’habitant s’effraye, et le soldat s’étonne : 145
Un bastion le couvre, et le cœur l’abandonne ;
Et le front menaçant de tant de boulevarts,
De tant d’épaisses tours qui flanquent ses remparts,
Tant de foudres d’airain, tant de masses de pierre,
Tant de munitions et de bouche et de guerre, 150
Tant de larges fossés qui nous ferment le pas,
Pour tenir quatre jours ne lui suffisent pas.
L’épouvante domine, et la molle prudence
Court au-devant du joug avec impatience

Se donne à des vainqueurs que rien n’a signalés, 155
Et leur ouvre des murs qu’ils n’ont pas ébranlés.
Misérables ! quels lieux cacheront vos misères
Où vous ne trouviez pas les ombres de vos pères,
Qui morts pour la patrie et pour la liberté
Feront un long reproche à votre lâcheté ? 160
Cette noble valeur autrefois si connue,
Cette digne fierté, qu’est-elle devenue ?
Quand sur terre et sur mer vos combats obstinés
Brisoient les rudes fers à vos mains destinés,
Quand vos braves Nassaus, quand Guillaume et Maurice, 165
Quand Henri vous guidoit dans cette illustre lice[20],
Quand du sceptre danois vous paroissiez l’appui[21],
N’aviez-vous que les cœurs et[22] les bras d’aujourd’hui ?

Mais n’en réveillons point la mémoire importune :
Vous n’êtes pas les seuls, l’habitude est commune. 170
Et l’usage n’est plus d’attendre sans effroi
Des François animés par l’aspect de leur roi.
Il en rougit pour vous, et lui-même il a honte
D’accepter des sujets que le seul effroi dompte ;
Et vainqueur malgré lui sans avoir combattu, 175
Il se plaint du bonheur qui prévient sa vertu.
Peuples, l’abattement que vous faites connoître
Ne fait pas bien sa cour à votre nouveau maître :
Il veut des ennemis, et non pas des fuyards
Que saisit l’épouvante à nos premiers regards ; 180
Il aime qu’on lui fasse acheter la victoire :
La disputer si mal, c’est envier sa gloire ;
Et ce tas de captifs, cet amas de drapeaux
Ne font qu’embarrasser ses projets les plus beaux.
Console-t’en, mon Prince : il s’ouvre une autre voie 185
À te combler de gloire aussi bien que de joie ;
Si ce peuple à l’effroi se laisse trop dompter,
Ses fleuves ont des flots à moins s’épouvanter.

Ils ont fait aux Romains assez de résistance
Pour en espérer une en faveur de la France[23] ; 190
Et ces bords où jamais l’aigle ne fit la loi
S’oseront quelque temps défendre contre toi.
À ce nouveau projet le monarque s’enflamme,
Il l’examine, tâte, et résout en son âme ;
Et tout impatient d’en recueillir le fruit, 195
Il part dans le silence et l’ombre de la nuit.
Des guerriers qu’il choisit l’escadron intrépide
Glorieux d’un tel choix, et ravi d’un tel guide,
Marche incertain des lieux où l’on veut son emploi,
Mais assuré de vaincre où l’emploiera son roi. 200
Le jour à peine luit que le Rhin se rencontre :
Tholus frappe les yeux[24] ; le fort de Skeink se montre ;

On s’apprête au passage, on dresse les pontons ;
Vers la rive opposée on pointe les canons.
La frayeur que répand cette troupe guerrière 205
Prend les devants sur elle, et passe la première ;
Le tumulte à sa suite et la confusion[25]
Entraînent le désordre et la division.
La Discorde effarée à ces monstres préside,
S’empare au fort de Skeink des cœurs qu’elle intimide, 210
Et d’un cor enroué fait sonner en ces lieux
La fureur des François et le courroux des cieux,

Leur étale des fers, et la mort préparée,
Et des autels brisés la vengeance assurée.
La vague au pied des murs à peine ose frapper, 215
Que le fleuve alarmé ne sait où s’échapper ;
Sur le point de se fendre, il se retient, et doute
Ou du Rhin ou du Vhal s’il doit prendre la route.
Les tremblements de l’île ouvrant jusqu’aux enfers
(Écoute, Renommée, et répète mes vers), 220
Le grand nom de Louis et son illustre vie
Aux champs Élysiens font descendre l’Envie,
Qui pénètre à tel point les mânes des héros,
Que pour s’en éclaircir ils quittent leur repos.
On voit errer partout ces ombres redoutables 225
Qu’arrêtèrent jadis ces bords impénétrables :
Drusus[26] marche à leur tête, et se poste au fossé
Que pour joindre l’Yssel au Rhin il a tracé ;

Varus[27] le suit tout pâle, et semble dans ces plaines
Chercher le reste affreux des légions romaines ; 230
Son vengeur après lui, le grand Germanicus[28],
Vient voir comme on vaincra ceux qu’il n’a pas vaincus ;
Le fameux Jean d’Autriche[29], et le cruel Tolède[30],
Sous qui des maux si grands crûrent par leur remède ;
L’invincible Farnèse[31], et les vaillants Nassaus[32], 235
Fiers d’avoir tant livré, tant soutenu d’assauts,
Reprennent tous leur part au jour qui nous éclaire,
Pour voir faire à mon roi ce qu’eux tous n’ont pu faire,
Eux-mêmes s’en convaincre, et d’un regard jaloux
Admirer un héros qui les efface tous. 240

Il range cependant ses troupes au rivage,
Mesure de ses yeux Tholus et le passage,
Et voit de ces héros ibères[34] et romains
Voltiger tout autour les simulacres vains.
Cette vue en son sein jette une ardeur nouvelle 245
D’emporter une gloire et si haute et si belle,
Que devant ces témoins à le voir empressés
Elle ait de quoi ternir[35] tous les siècles passés :
« Nous n’avons plus, dit-il, affaire à ces Bataves
De qui les corps massifs n’ont que des cœurs d’esclaves ; 250
Non, ce n’est plus contre eux qu’il nous faut éprouver,
C’est Rome et les Césars que nous allons braver.
De vos ponts commencés abandonnez l’ouvrage,
François ; ce n’est qu’un fleuve, il faut passer à nage,
Et laisser, en dépit des fureurs de son cours, 255
Aux autres nations un si tardif secours.
Prenez pour le triomphe une plus courte voie :
C’est Dieu que vous servez, c’est moi qui vous envoie ;

Allez, et faites voir à ces flots ennemis
Quels intérêts le ciel en vos mains a remis. » 260
C’étoit assez en dire à de si grands courages :
Des barques et des ponts on hait les avantages ;
On demande, on s’efForce à passer des premiers[36].
Grammont[37] ouvre le fleuve à ces bouillants guerriers ;

Vendôme[38], d’un grand roi race toute héroïque[39], 265
Vivonne[40], la terreur des galères d’Afrique,
Briole[41], Chavigny[42], Nogent[43], et Nantouillet[44],
Sous divers ascendants[45] montrent même souhait.

De Termes[46], et Coaslin[47], et Soubise[48], et la Salle[49],
Et de Saulx[50], et Revel[51], ont une ardeur égale ; 270
Et Guitry[52], que la Parque attend sur l’autre bord,
Sallart[53] et Beringhem[54] font un pareil effort.
Je n’achèverois point si je voulois ne taire
Ni pas un commandant, ni pas un volontaire :
L’histoire en prendra soin, et sa fidélité 275

Les consacrera mieux à l’immortalité.
De la maison du Roi l’escadre ambitieuse
Fend après tant de chefs la vague impétueuse,
Suit l’exemple avec joie ; et peut-être, grand Roi,
Avois-je là quelqu’un qui te servoit pour moi[55] : 280
Tu le sais, il suffit. Ces guerriers intrépides
Percent des flots grondants les montagnes liquides.
La tourmente et les vents font horreur aux coursiers[56] ;
Mais cette horreur en vain résiste aux cavaliers :
Chacun pousse le sien au travers de l’orage*, 285
Le péril redoublé redouble le courage ;
Le gué manque, et leurs pieds semblent à pas perdus
Chercher encor le fond qu’ils ne retrouvent plus[57] ;
Ils battent l’eau de rage, et malgré la tempête
Qui bondit sur leur croupe et mugit sur leur tête, 290
L’impérieux éclat de leurs hennissements
Veut imposer silence à ses mugissements :

Le gué renaît sous eux ; à leurs crins qu’ils secouent,
Des restes du péril on diroit qu’ils se jouent,
Ravis de voir qu’enfin leur pied mieux affermi, 295
Victorieux des flots, n’a plus qu’un ennemi.
Tout à coup il se montre, et de ses embuscades
Il fait pleuvoir sur eux cent et cent mousquetades ;
Le plomb vole, l’air siffle, et les plus avancés
Chancellent sous les coups dont ils sont traversés. 300
Nogent, qui flotte encor dans les gouffres de l’onde,
En reçoit dans la tête une atteinte profonde[58] :
Il tombe, l’onde achève, et l’éloignant du bord,
S’accorde avec le feu pour cette double mort.
Que vois-je ? les chevaux, que leur sang effarouche, 305
Bouleversent leur charge, et n’ont ni frein ni bouche,
El le fleuve grossit son tribut pour Thétis
De leurs maîtres et d’eux pêle-mêle engloutis.
Le mourant qui se noie à son voisin s’attache,

Et l’entraîne après lui sous le flot qui le cache. 310
Quel spectacle d’effroi, grand Dieu ! si toutefois
Quelque chose pouvoit effrayer des François.
Rien n’étonne : on fait halte[59], et toute la surprise
N’obtient de ces grands cœurs qu’un moment de remise,
Attendant qu’on les joigne, et qu’un gros qui les suit 315
Enfle leur bataillon, que l’œil du Roi conduit.
Le bataillon grossi gagne l’autre rivage,
Fond sur ces faux vaillants, leur fait perdre courage,
Les pousse, perce, écarte, et maître de leur bord,
Leur porte à coups pressés l’épouvante et la mort. 320
Tel est sur tes François l’effet de ta présence,
Grand Monarque ; tels sont les fruits de ta prudence,
Qui par de[60] feints combats prit soin de les former
À tout ce que la guerre a d’affreux ou d’amer[61].

Tu les faisois dès lors à ce qu’on leur voit faire ; 325
Et l’espoir d’un grand nom ni celui du salaire
Ne font point cette ardeur qui règne en leurs esprits :
Tu les vois, c’est leur joie, et leur gloire, et leur prix.
Tandis que l’escadron, fier de cette déroute,
Mêle au sang hollandois les eaux dont il dégoutte, 330
De honte et de dépit les mânes disparus
De ces bords asservis qu’en vain ils ont courus,
Y laissent à mon roi, pour éternel trophée,
Leurs noms ensevelis et leur gloire étouffée.
Mais qu’entends-je ? et d’où part cette grêle de coups ? 335
Généreuse noblesse, où vous emportez-vous ?
La troupe qu’à passer vous voyez empressée
À courir les fuyards s’est toute dispersée ;
Et vous donnerez seuls dans ce retranchement
Où l’embûche est dressée à votre emportement : 340
À peine y serez-vous cinquante contre mille ;
Le vent s’est abattu, le Rhin s’est fait docile,
Mille autres vont passer, et vous suivre à l’envi ;

Mais je donne un avis que je vois mal suivi.
Guitry tombe par terre[62]. O ciel, quel coup de foudre ! 345
Je te vois, Longueville, étendu sur la poudre[63] ;
Avec toi tout l’éclat de tes premiers exploits
Laisse périr le nom et le sang des Dunois[64],
Et ces dignes aïeux qui te voyoient[65] les suivre
Perdent et la douceur et l’espoir de revivre. 350

Condé va te venger, Condé dont les regards
Portent toute Nortlinghe et Lens[66] aux champs de Mars ;
Il ranime, il soutient cette ardente noblesse
Que trop de cœur épuise ou de force ou d’adresse ;
Et son juste courroux, par de sanglants effets, 355
Dissipe les chagrins d’une trop longue paix.
L’ennemi qui recule, et ne bat qu’en retraite,
Remet au plomb volant à venger sa défaite :
On l’enfonce. Arrêtez, héros ! où courez-vous ?
Hasarder votre sang, c’est les exposer tous : 360
C’est hasarder Enguien, votre unique espérance[67],
Enguien, qui sur vos pas à pas égaux s’avance.
Tous les cœurs vont trembler à votre seul aspect ;
Mais le plomb n’a point d’yeux, et vole sans respect :

Votre gauche[69] l’éprouve. Allez, Hollande ingrate, 365
Plaignez-vous d’un malheur où tant de gloire éclate ;
Plaignez-vous à ce prix de recevoir nos fers :
Trois gouttes d’un tel sang valent tout l’univers.
Oui, de votre malheur la gloire est sans seconde,
D’avoir rougi vos champs du premier sang du monde : 370
Les plus heureux climats en vont être jaloux ;
Et quoi que vous perdiez, nous perdons plus que vous.
La Hollande applaudit à ce coup téméraire ;
Le François indigné redouble sa colère ;
Contre elle Knosembourg[70] ne dure qu’une nuit ; 375
Arnheim[71], qui l’ose attendre, en deux jours est réduit ;
Et ce fort merveilleux sous qui l’onde asservie
Arrêta si longtemps toute la Batavie,
Qui de tous ses vaillants onze mois fut l’écueil,

L’inaccessible Skeink, coûte à peine un coup d’œil[72]. 380
Que peut Orange[73] ici pour essai[74] de ses armes,
Que dérober sa gloire aux communes alarmes,
Se séparer d’un peuple indigne d’être à lui,
Et dédaigner des murs qui veulent notre appui ?
La rive de l’Yssel si bien fortifiée, 385
Par ce juste mépris à nos mains confiée,
Ne trouve parmi nous que des admirateurs
De ses retranchements et de ses déserteurs.
Yssel trop redouté, qu’ont servi tes menaces ?
L’ombre de nos drapeaux semble charmer tes places : 390
Loin d’y craindre le joug, on s’en fait un plaisir ;
Et sur tes bords tremblants nous n’avons qu’à choisir.

Ces troupes qu’un beau zèle à nos destins allie
Font dans l’Ouver-Yssel régner la Westphalie ;
Et Grolle, Swol, Kempen montrent à Déventer[76] 395
Qu’il doit craindre à son tour les bombes de Munster.
Louis porte à Doësbourg[77] sa majesté suprême,
Et fait battre Zutphen[78] par un autre lui-même ;
L’un ouvre, l’autre traite, et soudain s’en dédit :
De ce manque de foi Philippe le punit, 400
Jette ses murs par terre, et le force à lui rendre
Ce qu’une folle audace en vain tâche à défendre.
Ces colosses de chair robustes et pesants
Admirent tant de cœur en de si jeunes ans[79] :
D’un héros dont jamais ils n’ont vu le visage 405
En cet illustre frère ils pensent voir l’image,
L’adorent en sa place, et recevant sa loi,

Reconnoissent en lui le sang d’un si grand roi.
Ainsi, lorsque le Rhin, maître de tant de villes,
Fier de tant de climats qu’il a rendus fertiles, 410
Enflé des eaux de source et des eaux de tribut,
Approche de la mer que sa course a pour but,
Pour s’acquérir l’honneur d’enrichir plus de monde,
Il prête au Vhal[80], son frère, une part de son onde ;
Le Vhal, qui porte ailleurs cet éclat emprunté, 415
En soutient à grand bruit toute la majesté,
Avec pareil orgueil précipite sa course,
Montre aux mêmes effets qu’il vient de même source,
Qu’il a part aux grandeurs de son être divin,
Et sous un autre nom fait adorer le Rhin. 420
Qu’il m’est honteux, grand Roi, de ne pouvoir te suivre
Dans Nimègue qu’on rend[81], dans Utrecht qu’on te livre[82],
Et de manquer d’haleine alors qu’on voit la foi
Sortir de ses cachots, triompher avec toi,
Et de ses droits sacrés par ton bras ressaisie, 425

Chez tes nouveaux sujets détrôner l’hérésie !
La Victoire s’attache à marcher sur tes pas,
Et ton nom seul consterne aux lieux où tu n’es pas.
Amstredam[83] et la Haye en redoutent l’insulte :
L’un t’oppose ses eaux[84], l’autre est toute en tumulte ; 430
La noire politique a de[85] secrets ressorts
Pour y forcer le peuple aux plus injustes morts ;
Les meilleurs citoyens aux mutins sont en butte[86] :
L’ambition ordonne, et la rage exécute ;
Et qui n’ose souscrire à leurs sanglants arrêts, 435
Qui s’en fait un scrupule, est dans tes intérêts :
Sous ce cruel prétexte on pille, on assassine ;
Chaque ville travaille à sa propre ruine ;
Chacun veut d’autres chefs pour calmer ses terreurs.

Laisse-les, grand vainqueur, punir à leurs fureurs, 440
Laisse leur barbarie arbitre de la peine
D’un peuple qui ne vaut ni tes soins ni ta haine ;
Et tandis qu’on s’acharne à s’entre-déchirer,
Pour quelque mois ou deux laisse-moi respirer.


  1.  
    Ludovico magno
    post expeditionem batavicam epinicium,
    [Auctore Carolo Ruæo, Societatis Jesu].

    Pacificus labor, et longæ comes aurea pacis
    Copia, victrices Lodoici mulserat iras :
    Mille triumphatæ suadebant otia gentes ;
    Et Lothari, et Belgæ, et frustra cunctator Iberus.
    Non tamen illa, licet geminum celebrata per orbem,
    Laudis inexpletum satiabat gloria pectus ;
    Jamque adeo facilis vilescunt præmia belli ;
    Victoremque piget quod Martem prævenit hostis
    Obsequio, quod præcipites in vincula turmæ,
    Totque suis ultro veniant cum civibus urbes.

    Tum si quando animo priscæ virtutis imago
    Incidit, et veterum pervolvens acta parentum
    Quæsitas per multa videt discrimina lauros,
    Errantemque diu media inter prælia Martem,
    Uritur exemplis tacite, heroumque periclis
    Invidet, et partos secum fastidit honores.
    Ergo age, tam lætis ultra ne irascere fatis :
    En fortuna tibi, quantum appetis, annuit hostem.
    Ille, pererrato jam formidabilis orbi,
    Contemptor superum Batavus, quem Seres, et Indi,
    Extremique hominum Japones, quem dives adorat

    Africa, cui rutilas America expendit arenas,
    Cujus et ipse jugum placido subit æquore Nereus,
    Ille tibi probris jamdudum infestus et armis
    Imminet, ille Dei dono tibi debitus hostis.
    Nec te humiles ortus, generisque infamia primi
    Avocet incepto : fuerint huic rustica curæ
    Quondam opera, et duræ piscosis amnibus artes ;
    Arma modo, et rigidos intentans undique fasces,
    Imperium in magnum terra grassatur et undis ;
    Nec jam novit avos, audax et ludere regum
    In capita, et belli pacisque imponere leges,

    Hispano socius, nec tantum impune rebellis.
    Exorere o tandem spretis pro regibus ultor ;
    Rumpe moras, Lodoice. Vides ut puisa tot annos
    Relligio, trepidisque fides mala tuta latebris,
    Regalem implorant solvenda in vincula dextram.
    Nulla mora in Magno : placet hic, quia durior, hostis.
    Jamque sibi immensas acies, jamque horrida centum
    Prælia, difficilesque aditus, largaque rubentes
    Cæde virum fluvios, et inhospita littora fingit
    Scilicet, exsultatque fremens. Nam quid sibi quisquam,
    Et studia expendens, et opes, et robora gentis,

    Informetve animo levius, speretve futurum ?
    Quis vaga tergemini non horreat ostia Rheni,
    Æquoreosque Mosæ fremitus, Vahalimque sonantem,
    Nomina tot nuribus quondam exsecrata Latinis ?
    Adde Isalam vallis defensum, adde ænea mille
    Hostis in occursum tormenta tonantia ripis ;
    Tot validas urbes, tot propugnacula passim
    Obvia, tot riguis arva intercisa fluentis,
    Totque lacus tantosque. Adde et frænata per artem
    Æquora, luctantesque adversa in claustra procellas,
    Rumpendosque obices, refluique pericula ponti.
    Quid si præterea vicino emota tumultu
    Conjurata ruat Germania, si metus acres
    Idem agitet Danos, Batavum si fraudibus orbis
    Excitus in Gallos socialibus ingruat armis ?
    At neque sic Lodoici alacer deferveat ardor :
    Ignescit magis, idem animo nosse omnia promptus

    Et præstare manu. Simul undique buccina Martem
    Increpuit, simul agminibus coït ultima junctis
    Gallia, quot fœto bellatrix patria nusquam
    Fuderat ante sinu ; ratibus simul æquora centum
    Anglusque Francusque tegunt ; ruit Itala pubes,
    Helvetiusque ferox, Bavarisque Colonia signis,
    Et sacros acuens jamdudum Wesphalus enses ;
    Nec bene collectæ terraque marique rapinæ
    Unius in Francæ cessissent præmia gentis :
    Tot populos inter communis præda jacere
    Debuit occidui populator et orbis Eoi.
    Interea Batavas crebrescit fama per urbes,
    Et propius belli fragor intonat. Ocius omnes

    Incaluere animis, operumque ignobile vulgus
    Perpetuum tanto sperat sibi nomen ab hoste.
    Imprimis rerum illa potens, validisque superba
    Classibus, et magnæ, si Dis placet, æmula Romæ
    Curia, prisca sequens latiæ vestigia laudis,
    Porsennam ad muros iterum, Pyrrhique elephantos,
    Annibalisque minas, et divitis agmina Persei,
    Tot regum clades, et tot fœcunda triumphis
    Sæcla putat spatiis iterum volvenda remensis :
    Demens, quæ Latii viresque animosque senatus
    Mercatu simulet turpi, et venalibus armis.
    Quin agite, Æneadis suppar genus, et nova Martis
    Progenies, belli ferratos rumpite postes,
    Tela focis rapite, et galeas ensesque parentum
    Induite, Austriacæ scabros rubigine cædis.

    Ludimur ? an gemino Rheni de littore clamor
    Insonuit ? Jam Vesaliæ furit acer in arces
    Condæus, jam Buricio Turennius instat,
    Jam simul Orsoyam Lodoix cum fratre Philippo
    Rhimbergamque premunt : quippe uni insistere lentum est
    Ignavumque operi ; numero neve obruat hostes,
    Partiturque aciem, et curas divisus in omnes
    Fit minor, ut paribus sese hosti accommodet armis,
    Æquior et veniat, nec jam sine sanguine, palma.

    Parce tamen, Lodoice : etiam divisus, ubique
    Magnus es, et spatio dum distrahis arma, timorem
    Distrahis in plures, atque omnibus ingruis absens.
    Aspice, vix arces fulserunt signa sub ipsas,
    Primaque vicino steterunt tentoria campo,
    Jamque timor cives quatit intus, et ipse fatiscit
    Clausus adhuc miles. Non illi patria virtus,
    Aut Cereris vis ampla, aut belli immensa supellex,
    Aut vigor, aut numerus ; non vivo condita saxo
    Mœnia, non plenis undantia flumina fossis
    Dant animos, acuuntve : novo juvat obvia ferre

    Colla jugo ; juvat enerves in vincula dextras,
    Necdum tentatos victori pandere muros.
    Quo fugitis, Batavi ? non est satis apta triumpho
    Materies, quatuor, totidem nec solibus, urbes
    Hostis in imperium peregrinaque cedere jura ?
    Reza quid, et vacuo patet insuper Embrica vallo ?
    Proh pudor ! Egregios cineres, albentiaque ossa,
    Proque focis quondam, pro libertate cadentum
    Magnorum tumulos pedibus pulsatis avorum,
    Hac quacumque fuga est. At quo gens Martia vobis,
    Auriaci proceres, vanæque superbia mentis
    Quonam abiit ? quonam ille mari tam nobilis ardor,
    Et nuper Dani servatrix dextera sceptri ?
    Nil agimus monitis : casus malaque omnia contra

    Hactenus esse viros licuit, fortesque videri :
    Nunc alio res versa, neque est ignavia probro ;
    Ducitur in morem populis, ubi gallicus ensis
    Imminet, et Gallos urget præsentia Regis.
    Ipse autem attonitus cœptis atque omine belli
    Fortunam incusat, quod tam pernicibus alis
    Antevolet virtutem, et votis prælia desint.
    Nam neque captivi peditumque equitumque ducumque
    Mille greges, neque rapta placent Mavortia signa,
    Exuviæ indecores. Hostem, non ilia quærit
    Servitia, infamem censeri digna sub hastam ;
    Nec prædæ sitis, at laudum generosa cupido
    Hos illum in fines, atque hæc in bella vocavit.
    Ergo tibi alterius via laudis, et altera, Magne,
    Alea pertentanda : fuga tibi cessit inermi

    Degener Hollandus ; sed non sic flumina cedent,
    Romanis ut quondam, et nunc impervia Francis :
    Hic labor, hoc decus est. Stimulis ille acribus intus
    Accensus, tacitumque alto sub pectore versans
    Consilium, et placidæ subducens membra quieti,
    Lecta virum capita et primam rapit agmina secum
    Sub noctem, dux ipse operis, sociusque pericli.
    Incedunt densi ordinibus per opaca viarum,
    Incerti quo jussa trahant, sed vincere cerli,
    In quoscumque trahant casus. Et jam nova cœlo
    Cœperat ire dies, dubiaque albescere luce,
    Insula cura Batavum, et bifidis apparuit ingens
    Rhenus aquis, vacuasque acies insedit arenas
    Tholusium contra et Skinki meraorabile vallum.

    Nec mora, pars manibus glebas et grandia ligna
    Provisamque struem ponti, pars ærea plaustris
    Fulmina convolvunt. Lacero simul horror amictu,
    Et pavor, et rigidos vellens Discordia crines
    Prævolat, et Skinki summas evadit in arces.
    Inde cavo stridens per propugnacula cornu,
    Intima jam patriæ labentem in viscera Francum,
    Ultores Superos invictaque fata ferentem,

    Et letum ante oculos, et ferrum, et vincula, et ignes
    Occinit. Æthereas it raucus clangor in auras,
    Insula quo longe tremit omnis, et omnibus horrens
    Pressit corda gelu : stupet hinc atque inde refusum
    Flumen, et allapsi nota ad divortia fluctus
    Hærent ambigui quo sit fuga tutior amne,
    Quos teneant cursus, Rhenum Vahalimne sequantur.
    Quin et inaccessos fines lætumque pererrans
    Elysium, et clausos æterna nocte recessus,
    Insignes ea fama animas atque invidus ardor
    Elicit in lucem. Volitant exsanguia ripis
    Heroum simulacra, impacatique Sicambri,
    Cæsareumque genus, nomenque insigne Nerones,
    Effossor Drusus fluviorum, et squalidus ora

    Varus, et ultrici fervens Germanicus ira.
    Tu quoque sanguineas quatiens, Albane, secures,
    Tu Farnesi, atque Austriadum tu gloria, Jane,
    Nassaviique : omnes, dum sors et vita sinebat,
    His olim insignes terrarum in finibus, omnes
    Nunc unum in juvenem defixi obtutibus hærent,
    Miranturque suas coram decrescere laudes[33].

    Ut stetit, et validos famoso in littore Magnus
    Explicuit cuneos, Rhenumque immensa fluentem
    In spatia, et rapido surgentem murmure vidit,
    Continuo ingentes umbræ, circumflua turba,
    Heroumque altrix menti sese obtulit ætas,
    Et mentem subitus calor insilit : ardet inausum
    Moliri facinus, veterumque lacessere famam
    Æmulus, et priscis unum se opponere sæclis.
    Ergo pares gaudens tandem delapsus in hostes,
    Nec fore cum Batavis, sed Roma et Cæsare bellum :
    « Ite, ait, inceptum, Franci, dimittite pontem ;
    Hoc egeant aliæ tardo molimine gentes :
    Certa mibi vobisque via est, hac qua via cumque
    Esse potest ferro ; tumidos pervadite fluctus,

    Ite : fugax Batavus inimicaque sentiet unda
    Meque, Deumque ducem. » Nec plura effatus, el ingens
    Lætantum exoritur clamor, primique petentum
    Laudem aditus. Reliquos fortis Grammontius anteit
    Agmen agens equitum, loricatosque maniplos.
    Hunc et Borbonidas referens ab origine reges

    Vendocinus, Libycæque Vivonius arbiter undæ,
    Subisiusque, Coeslinusque, et Salleus, et tu
    Thermiade, Sallartusque, et Chavinius audax,
    Et Briolus, Revelusque, et Lesdigueria proles
    Salsius, adversamque haud emersurus in oram
    Nogentus sequitur ; tum Nantulietus, et ardens

    Berenghenus, et exanimes mox inter acervos
    Guitrius hostiii victor sternendus arena.
    Inde alii centum, atque alii, quos æmula virtus
    Excitat. Olli alacres, quanquam refugique tremiscant

    Alipedes, ventoque tumens immugiat unda,
    Invadunt fluvium. Strictis læva instat habenis,
    Dextera sublato micat ense, nec usus in armis
    Est super. At collum qua thorax pressior ambit,
    Ignivomos texere tubos, nitrataque flammæ
    Semina, ne madido vanescant uda liquore,
    Implicuere comis et summo in vertice gestant.
    Jam sola deseruere, et jam vacua omnia nutant
    Sub pedibus ; timido lymphas ruit ungula pulsu,
    Incertusque jubas sonipes quatit, et caput alto
    Arduus hinnitu : vix illum fræna coercent

    Frendentem, et patulis ructantem naribus undas.
    His adeo incensis numero plausuque sequentum
    Ripa recedebat longe, mediumque tenebant
    Infrænum cursu vastaque voragine flumen.
    Ecce autem e latebris acies inimica repente
    Cum sonitu erumpens et barbarico ululatu,
    Adversum obvallat numeroso milite littus.
    Mox, patriam ulcisci quando pudor ultimus urget,
    Præcipitant in aquas, et certa in vulnera proni,
    Sulphureum excutiunt cannis feralibus imbrem.
    Fit fragor, ignito stridens it limite plumbum
    Nogenti in frontem : ruit ille, haustusque fluento,
    Morte perit gemina. Paribus cadit undique fatis
    Turba frequens, mixtique viris, passimque soluti
    Per medios rapiuntur equi ; spumantia fervent
    Cærula, et emotis exæstuat amnis arenis :

    Horrendum ! scirent si quicquam horrescere Galli.
    Ast illi capti insidiis subsistere primum,
    Dum coëat latis dispersum fluctibus agmen.
    Tum certi inter se, collectoque impete, leti
    Mille minas inter volucrisque tonitrua flammæ,
    Deproperare viam, et cæco vada sternere cursu.
    Instigant studiis socii, et spectator adurget
    Magnus. Hic irato luctantes aspicit amni,
    Agnoscitque suos ; et quas ipse indidit artes,
    Quos animos, quas ante manus in bella, per æstus
    Perque hiemes, fictis toties formavit in armis.

    Nunc usu probat, et vero discrimine gaudet.
    Ilicet haud telis et adacto saucius igne
    Terga dedit Batavus : cunctantem audacia victrix
    Expulit. Incurrunt juvenes, ausoque potiti
    Perrumpunt aditum, atque alto se gurgite tollunt
    Manantes rivis, nec segnius arma frementes.
    Quæ nunc prima loquar ? Famamne remota petentem
    Terrarum, et plena fluviorum effracta sonantem
    Claustra tuba ? refugosne sua in penetralia Manes,
    Nudatos titulis et priscæ laudis honore ?
    An magis immensam bellantum ex ordine gentem,
    Totaque sub signis ducibusque natantia castra,
    Jam docili Rheno, jam languescentibus undis ?
    An potius cæca insidias in valle parantem,
    Arboribus tutum dubiisque anfractibus hostem,
    Mille viros : huc immissis erumpere frenis

    Nobilium impavidam, turma licet impare, pubem ;
    Scrutarique vepres gladio, palisque revulsis
    Cominus extremos Batavum stimulare furores ?
    Audio displosos inimicæ grandinis ictus,
    Pugnantumque minas, suspiriaque ægra cadentum.
    Tene etiam in mediis, Longavillæe, jacentem,
    Tecum atavos, tecum, ah ! nomen Dunense sepultum
    Aspicio ? Tene angustis in rebus iniquo
    Congressos numero proceres, juveniliaque ausa
    Sustentantem animis video, Condæe ? feraque
    Strage virum longæ redimentem tædia pacis ?
    Qua ruis, impulsos repetito vulnere cædis
    Obstantum cuneos ; qua non ruis, ignea vultus

    Fulgura semotos etiam sine vulnere cædunt[68] :
    Multa oculis Norlinga et Lentia multa recursat.
    Nec jam audent conferre manum, tantum eminus imbrem
    Fatiferum ingeminant. Ah ! ne te ferrea lædat
    Tempestas ! neu te, neu tecum passibus æquis
    Currentem Enguineum tantis immitte periclis.
    Heu scelus ! infami violatur pervia glande
    Læva manus. Victas, Batavi, ne plangite ripas,
    Concisasque acies, et cæde natantia rura :
    Borbonio maduit tellus captiva cruore.

    Hoc vinci decuit pretio, cladisque pudorem
    Eluit hic vestro commixtus sanguine sanguis.
    Non impune tamen, nec erit sine vindice vulnus.
    Crudescunt iræ Francorum, et promptius arces
    Itur in adversas. Vix Knozemburgica noctem,
    Vix lucem geminam Arnhemam ; vix detinet unam
    Ille olim Batavæ scopulus virtutis, et unus
    Undecimum in mensem belli mora, Skinkius agger.

    Ipse fugam Auriacus, ne tergo inopinus inhærens
    Præripiat victor, versis prius occupat armis[75],
    Hostiles etiam ante minas : deserta patescunt
    Munimenta Isalæ, et fragili congestus arena
    Cespitibusque labor Gallo fit ludus inermi.
    Hinc Isalæ impositas idem rapit impetus urbes,
    Kempenque Zwolamque ; jugum Daventria felix

    Pastorale subit, Grollæque exterrita casu
    Wesphalicum avertit tectis flagrantibus ignem.
    Fulminat ante alios Lodoicus, et edita Druso
    Mœnia Dosburgi proprio dum numine terret,
    Lectam aciem tradens et prospera fata Philippo,
    Zutphaniæ quassat fraterno numine muros.
    His ille auspiciis commissoque agmine lætus,
    Nutantem inque ipsa jam deditione rebellem
    Castigat populum. Mirantur inertia vulgi
    Pectora robustis nequicquam obducta lacertis,
    Tantum animi, tantas tam pulchro in corpore vires,
    Tarn vigiles juveni cœpta ad castrensia curas ;

    Heroumque genus, Regemque in fratre pavescunt.
    Sic postquam anfractu vario centumque volutus
    Urbibus, extremum properat jam Rhenus in orbem,
    Nativisque tumens et vectigalibus undis
    Germanum in Vahalim diviso gurgite fluctus
    Exonerat : sonat ille vadis, fratrisque timenda
    Majestate ferox, fremitumque imitatus et iras,
    Communes probat æternis e fontibus ortus,
    Et Divum Deus ipse refert, aliisque colendum
    Ostentat populis alio sub nomine Rhenum.
    Nec satis est animos passim trepidare labantes
    Inque novos mores urbes transire coactas :
    Sub juga jam totis ultro regionibus itur.
    Cessit et Austrini latus æquoris, ardua cessit
    Neumagus, et magnæ Trajectum nobile gentis

    Tota adeo cum gente caput. Micat eruta fracto
    Carcere relligio, festaque per oppida pompa
    Fœda situ longo patrum delubra revisens
    Expiat : erepta fugiunt mendacia larva.
    Francum urbes, Francum arva sonant, Francum alta volutant
    Littora. Discordi convellitur Haga tumultu ;
    Et vinci impatiens, prodi se curia jactat.
    Nulla fides : Gallus jam quisque nocensque putatur,
    Ni furat in proceres, et vulgi exempla secutus
    Sese odiis turpique probet formidine civem ;
    Nec furiis modus : ipsa manu subvertere claustra
    Admissoque lubet sola naufraga mergere ponto ;
    Et miseris ea visa salus. Labor omnibus, aurum
    Defodere, inque alios subvectum avertere fines ;

    Et servire leve est, dum ne victoris in usus
    Tot captiva cadant aggestæ pondera gazæ :
    Tanta fames auri, veræque oblivio laudis.
    At non idem animus tamen omnibus, aut furor idem :
    Sunt qui fraude suis quærunt solatia rebus.
    Ergo pacem alii verbis et supplice cultu,
    Victoris fusi ante pedes, veniamque precantur
    Exosi veniam, legesque eludere certi :
    Bella alii, sociasque aquilas, fœdusque minantur,
    Martis inexperti, peregrino at Marte feroces.
    Nec regem latuere doli : fallacia gentis
    Vota, levesque minas, paci belloque paratus
    Despicit, et : « Veniæ sic nomine luditis, inquit ?
    Nec venia, Batavi, nec vos dignabimur ira.
    Nam quid iners ultra, socii, nos detinet hostis ?
    Parcamus ferro. Franca cecidisse superbum est
    Regalique manu : proprio ruat ipse furore,
    Vertat et imbellem scelerata in viscera dextram,
    Hostibus haud aliis, alioque haud funere dignus. »
    Dixit, et excitum Stygiis e faucibus agmen
    Civilesque trahens secum Discordia pestes,
    Infaustas populat, quibus heros abstinet, oras.
    Hic patriæ fines, votisque vocantia regna
    Securus rerum spoliisque revisit onustus.
    Intremuit tellus, abeuntique alta Genapi
    Culmina, et irrigui princeps Bommelia tractus,
    Et Vordum, et Gravia, et Crepicordi nobile vallum
    Se simul advolvere, et iter strsvere ruina.
    Tu[87] tamen ignavam ne sperne evertere gentem.

    Non alio, Lodoice, datum est tibi vincere fato.
    Credo equidem : deceant alios ea prælia reges,
    Ipse ubi cum victis partitur victor honorem ;
    Certa tibi laus tota. Cadunt, quoscumque lacessis,
    Indecores ; tibique in partem titulumque triumphi
    Non fusæ veniunt acies, non eruta tantum
    Oppida ; fracta etiam virtus, deletaque fama
    Nominis, et victæ si quæ sit gloria genti,
    His quoque victor ovas spoliis ; nec se tibi quicquam
    Subducit, toto vinci quod possit in hoste.
    Hæc tua sors : tali tibi se victoria lege
    Despondit famulam ; si talia bella recusas,
    Stat tibi perpetuæ decus inviolabile pacis.


  1. Voyez ci-dessus, p. 249, note 1.
  2. C’est à l’obligeance de M. Taschereau que nous devons ce dernier renseignement.
  3. Voyez plus haut, p. 192-217, le poëme où Corneille célèbre la rapide conquête que Louis XIV fit de la Flandre en 1667. Le dernier mot du vers rappelle la campagne de 1670, qui dépouilla de ses États le duc de Lorraine.
  4. L’édition des poésies latines du P. de la Rue intitulée Carmina (1688) donne : « qui peint. »
  5. Il y a ses, par erreur, dans le texte de Granet.
  6. C’est-à-dire l’île de Java et une autre île de la Sonde, Bali, nommée aussi quelquefois la petite Java. La compagnie des Indes orientales, fondée par les Hollandais au commencement du dix-septième siècle, avait fait diverses conquêtes en Orient ; elle possédait jusqu’à deux cents vaisseaux et commerçait avec des pays fermés, ou peu s’en faut, au reste de l’Europe, tels que la Chine et le Japon.
  7. Allusion à la guerre de 1666, où la France s’était alliée avec la Hollande contre l’Angleterre, et qui s’était terminée par la paix de Bréda.
  8. « Le mot de marine, dit Richelet (1679}, se prend quelquefois au même sens que celui de mer. »
  9. Au-dessus, c’est-à-dire au haut, de la roue de Fortune.
  10. Voyez la pièce précédente.
  11. En 1604, les Espagnols, commandés par Spinola, prirent Ostende après un siège de trois ans.
  12. La vive opposition des Pays-Bas au gouvernement espagnol, suivie bientôt de l’insurrection qui les affranchit, avait commencé vers le milieu du seizième siècle, et ce ne fut qu’en 1648 que l’Espagne reconnut les Provinces-Unies pour États souverains.
  13. Dans l’édition de 1688 du P. de la Rue : « en redouble. »
  14. Maximilien de Bavière, évêque de Cologne, et Christophe-Bernard van Galen, évêque de Munster, alliés de la France dans la guerre contre la Hollande. Voyez sur ce dernier les Lettres de Mme de Sévigné tome I, p. 486, note 8, et tome III, p. 122, note 4.
  15. Ce nom est écrit ainsi dans l’édition originale ; Amsterdam, dans celles du P. de la Rue et de Granet.
  16. « Orsoi se rend au Roi le 3 juin, pendant que M. de Turenne prenoit Burich. Monsieur le Prince prend Vesel le 4 ; Rhimberg (Rheinberg) se rend au Roi le 6 ; Émeric à Monsieur le Prince le 7. » (Abrègé chronologique du président Hénault.)
  17. Philippe, duc d’Orléans, frère de Louis XIV.
  18. « Quelle fut la surprise de tout le monde lorsque l’on apprit qu’il (Louis XIV) avoit mis le siège devant quatre fortes villes en même temps, et que, sans qu’il eût fait ni lignes de circonvallation ni de contrevallation, ces quatre villes s’étoient rendues à discrétion au premier jour de tranchée ? » (Racine, Précis historique des campagnes de Louis XIV.)
  19. « Tes canons, » dans les éditions du P. de la Rue et de Granet.
  20. Guillaume Ier de Nassau, dit le Taciturne, né en 1533, assassiné en 1584 ; Maurice, son fils aîné, né en 1567, mort en 1625 ; Frédéric-Henri de Nassau, son autre fils, né en 1584, mort en 1647, qui luttèrent tous trois héroïquement et avec une rare habileté contre les Espagnols.
  21. En 1658, la Hollande avait envoyé une flotte au secours des Danois, et les avait soutenus victorieusement contre Charles-Gustave, roi de Suède.
  22. Que, au lieu de et, dans l’édition de Granet.
  23. Le P. de la Rue et Granet ont mis : « ta France, » au lieu de : « la France, » qui est le texte de l’édition originale.
  24. « Des gens du pays informèrent… le prince de Condé, que la sécheresse de la saison avait formé un gué sur un bras du Rhin, auprès d’une vieille tourelle qui sert de bureau de péage, qu’on nomme Toll-huys, « la maison du péage, » dans laquelle il y avait dix-sept soldats. Le Roi fît sonder ce gué par le comte de Guiche. Il n’y avait qu’environ vingt pas à nager au milieu de ce bras du fleuve, selon ce que dit dans ses lettres Pellisson, témoin oculaire, et ce que m’ont confirmé les habitants. Cet espace n’était rien, parce que plusieurs chevaux de front rompaient le fil de l’eau très-peu rapide. L’abord était aisé ; il n’y avait de l’autre côté de l’eau que quatre à cinq cavaliers et deux faibles régiments d’infanterie sans canon (onze à douze cents hommes, infanterie et cavalerie, dit M. Rousset dans son Histoire de Louvois, tome I, p. 359). L’artillerie française les foudroyait en flanc… L’opinion commune était que toute l’armée avait passé ce fleuve à la nage, en présence d’une armée retranchée, et malgré l’artillerie d’une forteresse imprenable, appelée le Tholus. » (Voltaire, Siècle de Louis XIV, chapitre x.) — Le fort de Skink ou Schenk est situé à la pointe de l’île de Bétau ou Bétuwen, à l’endroit où le Rhin se divise en deux bras, dont l’un prend le nom de Wahal et l’autre garde pendant quelque temps celui de Rhin. Voyez plus bas le vers 218.
  25. L’édition de Granet donne ainsi ce vers :
    Le tumulte à la suite et sa confusion.
  26. Drusus Nero (fils de Tiberius Nero et de Livie, frère puîné de l’empereur Tibère), né l’an 38 avant J. C., mort l’an 9 après l’ère chrétienne, fit creuser le canal connu sous le nom de Fossa Drusiana.
  27. P. Quintilius Varus, gouverneur de la Germanie, partie frontière de la Gaule belgique, fut attiré dans une embuscade par Arminius, chef des Chérusques, dans la forêt de Teutoburg, et y périt avec trois légions l’an 9 avant J. C.
  28. Tiberius Drusus Nero Germanicus (fils de Drusus Nero), né l’an 16 avant J. C., vainquit Arminius en l’an 16 de l’ère chrétienne, et reprit les aigles de Varus. Une autre campagne eût été nécessaire pour achever la guerre et la défaite des Germains ; mais l’empereur Tibère envia cette gloire à son neveu.
  29. Don Juan d’Autriche, fils naturel de Charles-Quint, né en 1545, mort en 1578, gouverneur, en 1576, des Pays-Bas révoltés.
  30. Ferdinand Alvarez de Tolède, duc d’Albe, né en 1508, mort en 1582, lieutenant de Philippe II dans les Pays-Bas, de 1566 à 1573, tristement célèbre par l’établissement du conseil de sang.
  31. Alexandre, troisième duc de Farnèse, fut appelé dans les Pays-Bas par Philippe II, en 1577, et y succéda à don Juan d’Autriche.
  32. Voyez ci-dessus, p. 262, note 1.
  33. Ce vers manque dans l’édition du P. de la Rue de 1688.
  34. Ibères, espagnols.
  35. Tenir, dans l’édition de Lefèvre ; c’est une faute toute matérielle, qui produit cependant un faux sens.
  36. Le passage du Rhin eut lieu le 12 juin. — Le récit qu’en fait Boileau dans sa IVe épître adressée au Roi (vers 97-112) a beaucoup de ressemblance avec celui-ci, et l’on y voit figurer la plupart des mêmes noms :
    Ils marchent droit au fleuve, où Louis en personne,
    Déjà prêt à passer, instruit, dispose, ordonne.
    Par son ordre Grammont le premier dans les flots
    S’avance soutenu des regards du héros :
    Son coursier écumant sous un maître intrépide,
    Nage tout orgueilleux de la main qui le guide
    Revel le suit de près : sous ce chef redouté
    Marche des cuirassiers l’escadron indompté.
    Mais déjà devant eux une chaleur guerrière
    Emporte loin du bord le bouillant Lesdiguière,
    Vivonne, Nantouillet, et Coislin, et Salart :
    Chacun d’eux au péril veut la première part.
    Vendôme, que soutient l’orgueil de sa naissance,
    Au même instant dans l’onde impatient s’élance.
    La Salle, Beringhen, Nogent, d’Ambre, Cavois
    Fendent les flots tremblants sous un si noble poids.
  37. Armand de Gramont, comte de Guiche, fils aîné du maréchal de Gramont, lieutenant général du corps d’armée de Monsieur le Prince, né en 1638, mort en 1673. Voyez ci-dessus, p. 264, note 2. Il reçut, dit la Gazette du 22 juin, neuf coups tant dans la main que dans ses habits et son épée. Le comte de Guiche a écrit une relation du passage du Rhin, qui se trouve au tome LVII (p. 105-118) de la 2e série des Mémoires de la collection Petitot.
  38. Le chevalier de Vendôme, arrière-petit-fils de Henri IV, et frère du duc, qui servait aussi dans l’armée de Flandre. Il « avoit traversé le Rhin à cheval, … se mêla, l’épée à la main, parmi les ennemis, … gagna un drapeau et un étendard, qu’il apporta au Roi, qui l’accueillit selon que le méritoit un exploit si beau et d’un prince qui n’a pas encore dix-sept ans. » (Gazette du 29 juin.)
  39. Dans l’édition de 1688 du P. de la Rue : « tout héroïque. »
  40. Louis-Victor de Rochechouart, duc de Mortemart et de Vivonne, général des galères de France depuis 1669, nommé maréchal de France en 1675, mort au mois de septembre 1688. Il fut blessé au passage du Rhin. Voyez les Lettres de Mme de Sévïgné, tome III, p. 111 et 145.
  41. Le comte de Briord, souvent appelé Briole ou Briolle, fut premier écuyer de Monsieur le Duc, ambassadeur à Turin en 1697, à la Haye en 1699. Il est nommé dans la relation du comte de Guiche.
  42. La Gazette (29 juin) rapporte que le comte de Guiche, qui se jeta le premier dans le fleuve, fut suivi immédiatement du duc de Coislin, des comtes de Saulx, … de Nogent, des marquis de Chavigny, de Guitry, etc. Le marquis de Chavigny, fils du secrétaire d’État, fut brigadier des armées du Roi et mourut en 1718.
  43. Armand de Bautru, comte de Nogent, lieutenant général au gouvernement d’Auvergne, maréchal de camp des armées du Roi et maître de la garde-robe. Il fut tué au passage du Rhin, comme il est dit ci-après, vers 301-304. Voyez sur lui les Lettres de Mme de Sévignê, tome I, p. 403 et 404 ; et tome III, p. 109 et 111.
  44. François du Prat, descendant du chancelier, fils cadet du marquis de Nantouillet.
  45. C’est-à-dire sous des astres divers, avec des chances, des destinées diverses. L’ascendant, en terme d’astrologie, est l’horoscope.
  46. Roger de Pardaillan de Gondrin, marquis de Termes. Il fut blessé au passage du Rhin. Voyez les Lettres de Mme de Sévigné, tome III, p. 111 et 145.
  47. Armand de Cambout, duc de Coislin, mort le 16 septembre 1702, âgé de soixante-sept ans. Il fut blessé à la main au passage du Rhin. Voyez ci-dessus, p. 270, note 5.
  48. François de Rohan, fils puiné d’Hercule de Rohan, duc de Montbazon. Il traversa le Rhin à la nage, dit Moréri, à la tête des gendarmes de la garde.
  49. Le marquis de la Salle ayant passé le Rhin un des premiers, fut blessé de cinq coups par les cuirassiers, qui s’étant jetés à l’eau précipitamment après lui, le prirent pour un Hollandais.
  50. François-Emmanuel, comte de Sault, arrière-petit-fils du connétable de Lesdiguières, fut blessé au bras, au passage du Rhin, et eut un cheval tué sous lui. Il mourut en 1681.
  51. Charles-Amédée de Broglio, comte de Revel, colonel des cuirassiers, frère du premier maréchal de Broglie. Il fut blessé de trois coups d’épée dans l’action qui suivit le passage du Rhin. Voyez sur lui les Lettres de Mme de Sévigné, tome III, p. 111, et tome IX, p. 172 et 173.
  52. Guy de Chaumont de Guitry, pour qui le Roi avait créé la charge de grand maître de la garde-robe. Voyez ci-après, vers 345.
  53. La Gazette (22 juin) dit que dans le premier passage, à la suite du comte de Guiche, les seules personnes de qualité qui périrent furent le comte de Nogent et le chevalier de Salart. Voyez aussi le Mercure galant de 1673, tome II, p. 302.
  54. Le marquis de Beringhen, premier écuyer du Roi et colonel du régiment Dauphin. Voyez le Mercure, p. 304.
  55. Un de ses fils : voyez ci-dessus, p. 188, note 4, et p. 189, note 2.
  56. « Il faisoit ce jour-là un vent fort impétueux, qui, agitant les eaux du Rhin, en rendoit l’aspect beaucoup plus terrible. » (Racine, Précis historique des campagnes de Louis XIV.)
  57. « Le terrain venant à manquer sous les pieds de leurs chevaux, ils les font nager, et approchent avec une audace que la présence du Roi pouvoit seule leur inspirer. » (Ibidem.)
  58. Voyez ci-dessus, p. 270, note 6.
  59. Dans l’édition originale, imprimée avec beaucoup de soin, mais dans une orthographe particulière, il y a ici alte, ce qui indique que ce mot ne se prononçait pas comme aujourd’hui. On était loin d’ailleurs d’être d’accord sur son origine, comme nous l’apprenons par Furetière, et c’est sans doute ce qui en rendait la prononciation et l’orthographe incertaines. Au reste, les éditions du P. de la Rue et de Granet portent également alte. Voyez le Lexique.
  60. Des, dans les Œuvres diverses et dans les éditions suivantes.
  61. Voyez ci-dessus, p. 198, note 1.
  62. Voyez ci-dessus, p. 271, vers 271, et note 7. « Il a vécu une heure après sa blessure. » (Mercure galant, 1673, tome II, p. 307.)
  63. Voyez ci-dessus, p. 208, note 2. — « M. de Longueville avoit forcé la barrière, où il s’étoit présenté le premier ; il a été aussi le premier tué sur-le-champ. » (Lettres de Mme de Sévigné, tome III, p. 109.) — « Vous verrez dans toutes (les relations) que M. de Longueville est cause de sa mort et de celle des autres. » (Ibidem, p. 117.) — « Il n’y aurait eu personne de tué dans cette journée, sans l’imprudence du jeune duc de Longueville. On dit qu’ayant la tête pleine des fumées du vin, il tira un coup de pistolet sur les ennemis qui demandaient la vie à genoux, en leur criant : « Point de quartier pour « cette canaille ! » Il tua d’un coup un de leurs officiers. L’infanterie hollandaise désespérée reprit à l’instant ses armes, et fit une décharge dont le duc de Longueville fut tué. » (Voltaire, Siècle de Louis XIV, chapitre x.)
  64. Voyez ci-dessus, p. 208, fin de la note 2.
  65. Qui te voyent, mais à tort, dans l’édition de Lefèvre.
  66. Nordlingen en Bavière, Lens aujourd’hui dans le Pas-de-Calais, lieux illustrés par deux victoires du grand Condé, en 1645 et 1648.
  67. Voyez ci-dessus, p. 208, note 1. Le duc d’Enghien était fils unique du grand Condé.
    Enguien, de son hymen le seul et digne fruit,
    Par lui dès son enfance à la victoire instruit.
    (Boileau, Épitre IV, vers 135 et 136.)
  68. Au lieu de ces trois vers : Qua ruis, etc., qui n’ont pas été rendus par Corneille, on lit simplement dans l’édition de 1688 :
    Qua ruis, exanimes fugiunt sine vulnere turmæ.
  69. Votre main gauche, læva manus, comme le dit le P. de la Rue. — « Monsieur le Prince, dit le Mercure galant (au tome cité, p. 296), a été blessé au poignet gauche. » — « Un capitaine de cavalerie, nommé Ossembrœk, qui ne s’était point enfui avec les autres, court au prince de Condé, qui montait alors à cheval en sortant de la rivière, et lui appuie son pistolet à la tête. Le prince par un mouvement détourna le coup, qui lui fracassa le poignet. Condé ne reçut jamais que cette blessure dans toutes ses campagnes. » (Voltaire, Siècle de Louis XIV, chapitre x.)
  70. Fort situé sur le Wahal, vis-à-vis de Nimègue ; il fut pris par Turenne le 17 juin.
  71. Ville considérable du duché de Gueldre, prise par Turenne le 14 juin.
  72. Voyez ci-dessus, p. 264, note 2. Skink, pris en 1636 par les Hollandais, après un long siège, fut assiégé par nos troupes le 18 juin 1672, et pris le 21. Boileau ne manque pas de faire allusion à ce fait dans sa IVe épître (vers 147 et 148) :
    Bientôt on eût vu Skink dans mes vers emporté
    De ses fameux remparts démentir la fierté.
  73. Guillaume d’Orange, qui fut depuis roi d’Angleterre, le petit-fils de Henri de Nassau nommé plus haut, p. 262, vers 166. Il avait été d’abord capitaine général des forces néerlandaises ; puis le peuple, poussé à bout par les dures conditions que voulait lui imposer Louis XIV, le proclama stathouder de Hollande.
  74. Il y a essais, au pluriel, dans les Œuvres diverses de 1738.
  75. Ici encore il y a un vers de moins dans l’édition de 1688, qui donne seulement :
    Ipse fugam Auriacus versis simul occupat armis.
  76. Grolle, aujourd’hui dans la Gueldre, Zwol et Kempen, dans l’Over-Yssel ou Yssel supérieur, furent pris presque simultanément par les troupes de l’évêque de Munster (en Westphalie), qui s’emparèrent de Deventer le 21 juin.
  77. Cette ville de la Gueldre fut prise le 21 juin.
  78. Zutphen, autre ville de la Gueldre, fut pris le 25 par Monsieur, frère du Roi.
  79. Le duc d’Orléans était né en 1640, et par conséquent avait déjà trente-deux ans.
  80. Le Wahal.
  81. Le 9 juillet.
  82. Le 20 juin.
  83. Ici l’édition du P. de la Rue (1688) porte, comme l’édition in-folio : Amstredam.
  84. Le peuple d’Amsterdam força ses magistrats d’ouvrir les écluses et de percer les digues qui empêchaient la mer de se répandre dans les campagnes.
  85. Des, dans les Œuvres diverses et dans les éditions suivantes.
  86. Le grand pensionnaire Jean de Witt et son frère Corneille furent massacrés par la populace, à la Haye, le 22 août 1672.
  87. « Les (quatorze) vers suivants ont été supprimés dans la sixième édition des Poésies du P. de la Rue, faite à Anvers en 1693. » (Note de Granet.) — Ils manquent déjà dans celle qui a été faite à Paris en 1688. Au reste, Corneille n’a traduit ni ces vers retranchés plus tard par l’auteur, ni les trente précédents. Il les a remplacés par quelques traits rapides et par la prière adressée au Roi de le laisser respirer.