Les vendanges (Gozlan)/Le Croup

Michel Lévy frères (p. 1-49).

LE CROUP.


I

Rien au monde n’est comparable aux boulevards de Paris. En arrivant de ma province, je fus frappé de la beauté de cette promenade que les étrangers eux-mêmes, dans leur opinion partiale, ne trouvent pas au-dessous de notre admiration. Une fois entré sous sa nef de verdure, je ne me lassais ni de marcher ni de m’arrêter. Je n’avais jamais vu tant de magnifiques maisons, supportées par les arches de cuivre ou de marbre, de tant de splendides magasins ; tant de figures empressées, tant de voitures rayonnant à mes côtés, courant devant moi, derrière moi, au loin. Je n’osais regarder ni au ciel, ni à terre. Pour mon étonnement, la perception exacte de la résistance et de l’espace avait disparu. Un tourbillon vivant m’enveloppait. J’étais ébloui, transporté, j’avais des vertiges, j’avais peur comme une jeune fille qui, pour la première fois de sa vie, est introduite dans un bal, chaud de lumière, de bruit, de paroles, plein de gens inconnus. Sans qu’on me remarquât, j’étais tout à la fois gauche et ému. C’est ordinairement dans ces moments de poésie que les voleurs, gens très-peu lyriques, vous dévalisent sans vous faire éprouver la moindre douleur. Pour mon compte, ils m’auraient enlevé mon habit, que longtemps, après j’aurais encore cherché mon mouchoir. Dans mon naïf embarras, au milieu d’un monde si divers, il me souvient d’avoir fait des excuses à un cocher de fiacre qui m’avait donné mon baptême de boue, et qui me l’avait administré à la manière de saint Jean, — de la tête aux pieds. On m’avait dit que les Parisiens étaient fort polis, je ne voulais pas être en reste de civilité avec eux. Vous décrire consciencieusement les détails et les nuances de mon adoration pour les merveilles des boulevards, afin de vous engager à aller vous assurer, par vous-mêmes, si cette adoration était légitime, cela me serait impossible. Quand on n’aime plus on ne se souvient plus. Peut-être je passe fort indifférent, et la tête basse aujourd’hui, à côté de ces pagodes de mon enthousiasme. J’imagine aussi qu’un peu de fierté soutient cette indifférence qui n’est pas sans affectation. Franchement, je crains d’avoir à rougir pour des heures entières écoulées devant des marchands de briquets phosphoriques, le cœur plein de mépris pour les boutiques de ma patrie. Je ne saurais vous dire davantage le chemin dont je fatiguais mes jambes chaque jour, dès que le soleil se levait sur Paris, ou dès qu’il était censé se lever, jusqu’au moment où il disparaissait derrière un horizon de tuiles. Les omnibus n’existaient pas encore.

Quand je fus un peu rassasié, je ne réalisai plus que deux ou trois fois par jour le trajet de la Bastille à la Madeleine et de la Madeleine à la Bastille ; et, complètement quitte envers ma soif de connaître, je finis par borner ma promenade à une excursion quotidienne jusqu’au boulevard des Italiens, que je ne connaissais pas encore par son nom, mais que je préférais déjà, comme je le préfère encore aujourd’hui, tant aux boulevards dont il est précédé, qu’à ceux dont il est suivi. Les premiers sont trop bruyants, les derniers trop tristes. On ne se promène pas sur les boulevards Poissonnière et Montmartre, à moins qu’on ne soit marchand ou voleur de chaînes de sûreté ; on ne s’assied guère sur les boulevards des Capucines ou de la Madeleine, si l’on n’a pas la goutte. Agité sans tumulte, silencieux sans ennui, ombragé par des arbres où se rassemblent des moineaux de bonne maison, dressés à gazouiller le cours de la rente dont Tortoni leur siffle chaque matin le langage ; courant entre deux haies d’hôtels d’où sortent à pas lents, empanachés, vernis, glacés et armoriés, des équipages de toutes les nations ; à droite et à gauche éclairé jusqu’aux deux tiers de la huit par des cafés transparents comme des lanternes du Japon ; paisible le jour, tel qu’un grand seigneur qui repose ; voisin de l’Opéra, voisin des Tuileries, voisin du Palais-Royal, voisin de tout ce qui est beau, le boulevard des Italiens m’attirait chaque après-midi sur un de ces sièges grossiers, avec le bénéfice desquels les acquéreurs de la location s’achètent des fauteuils chez Lesage.

Les premiers jours de cette station, je ne remarquai pas ce qui éveilla plus tard mon attention, et fut par la suite, quand j’amassai mes souvenirs, comme la première mise de fonds des accidents traditionnels dont mon existence parisienne se compose. Je finis par m’apercevoir que toutes les après-midi, avec une rigoureuse ponctualité, passait devant moi, au front des boulevards, un landau, lentement traîné par deux chevaux de la plus élégante forme. Ils étaient de couleur égale, d’un beau roux de daim, et d’un pas semblable. Aux armes de famille peintes sur les panneaux, je jugeai que l’équipage appartenait à un lord d’Irlande, issu des anciens rois de cette contrée. L’intérieur du landau était en velours blanc, semé par losanges de flocons de soie bleue, rembourré avec la plus exquise délicatesse. On eût dit un manteau de pair d’Angleterre déployé. Jamais fée d’Irlande, et c’est leur patrie, n’eut de char plus moelleux, pour traverser les airs. Deux laquais en livrée blanche étaient montés derrière, et tenaient chacun une canne, signe particulier, exclusivement distinctif, permis seulement à la haute domesticité des lords. Ils suivaient avec une respectueuse attention les mouvements de la petite fille assise dans le fond, en face d’un homme pensif, qui tenait, appuyé sur le genou, un livre fermé, et d’une gouvernante dont les yeux ne se détachaient pas de ceux de l’enfant. L’homme portait le costume entièrement noir des chapelains d’Irlande.

Cette enfant était blonde ; dans l’une de ses mains potelées elle tenait un bouquet de roses du Bengale, fleurs tendres et fines comme sa peau. Sous la chevelure bouclée et soyeuse de la petite miss, deux yeux d’un bleu transparent et profond réfléchissaient le ciel, une noble race, une origine céleste. Les anges seuls et les enfants anglais ont de ces yeux-là ; c’est beau et rêveur comme un lac. Naïve, sa bouche à peine indiquée n’était qu’un trait de pinceau. Une vapeur d’innocence enveloppait les formes de son visage. Quand ses doigts touchaient à leur charmant embonpoint, la trace y restait. Son sourire était fin, blond et frais. Mais ce qui répandait sur tout son être une tristesse que n’adoucissaient pas les grâces infinies de son enfance, c’était son vêtement blanc.

Un petit charmant bonnet de satin blanc, garni de glands en soie blanche, couronnait sa ronde et mignonne tête, qui s’épanouissait sous cette coiffure comme la fleur mousseuse du cotonnier quand elle est éclose. De ses épaules à ses pieds tombait, avec une négligence adorable, une tunique de cachemire couleur de lait, retenue par une ceinture du même tissu. On eût cru voir une nonne de Lesueur appartenant à quelque couvent enfantin dont la mère abbesse était sans doute une poupée de haute taille. Elle était presque grave, sous ce costume, auquel manquait de respect son petit nez au vent, rose et un peu altier. Elle se tenait bien assise, et elle n’avait aucun regard d’envie pour les bruyantes demoiselles de son âge, courant à ses côtés sur la chaussée des boulevards avec des cerceaux, des volants, des balles et des ballons, se rendant, en compagnie de leurs frères et des camarades de leurs frères, munis de cordes, au joyeux pèlerinage des Tuileries. Leur santé turbulente, leur liberté de courir, d’aller du marchand de volants à la marchande de gâteaux, ne faisait aucune impression sur elle. À peine souriait-elle à la bonne vieille édentée qui lui disait, en appuyant une main sèche sur le bord du landau : — Dieu vous accorde de longs jours, mon enfant, et vous rende aussi heureuse que belle. Elle ne recevait jamais ce vœu sans ouvrir et fermer ironiquement la bourse de satin blanc brodée à ses armes. Son aumône était comme un don qui n’attend aucun retour. Cette indifférence pour les souhaits dont on payait sa bienfaisance, semblait affecter d’une manière douloureuse la gouvernante et le jeune chapelain. Ils échangeaient un regard mélancolique.

Ordinairement, la promenade avait lieu le soir quand l’élite de nos élégants se rend au café de Paris pour abréger, en dînant, les heures qui séparent la clôture de la Bourse de l’ouverture de l’Opéra. Dès que la voiture blanche se montrait derrière les glaces du somptueux restaurant, les jeunes gens et les dames se levaient pour la voir et envoyer des baisers à la céleste miss, j’ai vu des Anglaises quitter la table, courir vers le landau, arrêté le long des arbres, et adresser des paroles affectueuses, en langue nationale, à l’enfant qui leur tendait ses petites mains. Les compatriotes de la gracieuse miss retournaient toujours à leur place les yeux gros de larmes. La voiture passait.

— Qu’a donc cette enfant, pour attirer tant de pitié ? me demandai-je sans oser questionner personne. Comment l’aurais-je osé, étranger, inconnu à tout le monde, et au fond redoutant d’apprendre le malheur qui avait frappé cette petite fille, en apparence, si aimée de Dieu et de la fortune ? Pendant deux mois, je me contentai de la suivre d’un regard de sollicitude et de l’entourer de mes vœux, quoique je ne devinasse pas quels vœux raisonnables il m’était permis de former pour elle, surtout, quand je voyais à deux pas d’autres enfants de son âge, salissant leurs jolis doigts de huit ans pour lustrer les bottes d’un cocher ; ou d’autres, plus malheureux encore, traçant un chemin dans la boue à d’honnêtes gens qui leur lançaient au visage, pour payement, la boue qu’ils avaient écartée.

Un jour, par une distraction du cocher, le landau blanc se trouva sur le point d’être pris entre deux diligences ; il allait être rudement secoué, sinon renversé par terre. Au moment où, perdant le sang-froid nécessaire et abandonnant les guides, le cocher du landau se levait sur son siège, je m’élançai au-devant des chevaux, et les ramenai sans effort au bord de la contre-allée. Les diligences passèrent ; aucun accident ne s’en était suivi. Je n’eus que la main droite foulée et le collet de mon habit sali par l’écume des chevaux. Comme je me retirais, l’enfant m’appela, et se jeta dans les bras de son chapelain, qui me la tendit. Elle me dit en m’offrant son bouquet de roses du Bengale : — Merci, monsieur, merci.

Je l’embrassai.

Encouragé par la figure honnête du docteur, je lui demandai, sans réfléchir sur ce qu’avait peut-être d’indiscret ma question : — Docteur, qu’a donc cette charmante enfant ?

— Ce que j’ai ? me répondit l’enfant elle-même en posant sa main sur ma tête et en me regardant avec un sourire qui n’était pas de, ce monde, et dont le souvenir restera éternellement dans mon cœur. — Ce que j’ai ! — Je mourrai dans un an.

Au même instant, le chapelain et la gouvernante poussèrent un cri, les deux laquais exhalèrent un gémissement profond, et le landau tourna pour descendre les boulevards.

Il partit. J’entendis ces mots : — Katty ! Kalty ! pourquoi cela ?

Je me laissai tomber sur une chaise du café de Paris, n’osant plus même tourner la tête du côté où j’avais vu disparaître le landau, ces figures pâles, cette enfant enveloppée d’un blanc cachemire, et qui m’avait annoncé si solennellement sa mort prochaine, sa mort dans un an !

La nuit me chassa, et j’avoue que de toute la soirée je n’eus ni pitié ni aumône pour ces montagnards d’enfants qui, la veille, m’assaillaient avec avantage au nom de leurs mères malades et de leurs pères perdus dans les glaciers de Chamouny.

— Rien ! rien ! pour vous. Vous ne mourrez pas dans un an ! Laissez-moi.

J’avais tort. Mais je ne raisonnais pas, je souffrais.


II

Depuis dix jours j’avais cessé de me rendre au boulevard des Italiens. Ma promenade avait changé de but. Vous en devinez la raison.

Un matin on m’annonce la visite d’un étranger. On me dit son nom : le révérend William Anderson. Il entre ; c’était le chapelain de la petite Irlandaise.

— Asseyez-vous, monsieur Anderson.

— Vous excuserez ma visite ; je viens vous remercier plus cordialement que la circonstance ne permettait de le faire l’autre jour sur les boulevards, quand votre promptitude nous eut préservés d’un choc qui pouvait avoir des suites fâcheuses. La jeune lady et sa maison joignent leurs remercîments aux miens.

— Faible service, monsieur ; devoir du premier passant.

Après l’échange ordinaire des politesses usitées en pareil cas, la conversation, entre M. Anderson et moi s’arrêta ; je pressentis le moment où le docteur allait se lever pour me quitter. J’aurais craint d’embarrasser sa visite, dont la tâche était remplie, une fois ses remercîments reçus, en cherchant à renouer la conversation à d’autres sujets.

Il me tendit la main.

Je crus qu’il me disait adieu à la libre manière de son pays ; je lui tendis la mienne.

— Cette enfant vous intéresse beaucoup, me dit-il ; et qui ne l’aimerait pas ? Il lui est échappé l’autre jour, à l’instant où nous vous quittions, une phrase bien cruelle ! bien cruelle pour nous, monsieur, quoiqu’elle l’ait assez souvent sur les lèvres depuis un an.

— Depuis un an ! monsieur ; elle est bien jeune pourtant, lady Katty.

— Vous savez donc son nom ?

— Je l’ai retenu au passage, de vous-même, je crois.

— Maintenant je me souviens. Lady Katty a sept ans, et je pourrais vous dire combien d’heures et combien de minutes. Pauvre enfant ! ajouta M. Anderson.

Je n’interrompis pas son silence.

Il soupira, et reprit :

— On doit sa pensée à ses amis : je vous dirai…

— Je n’exige que votre amitié.

Le chapelain poursuivit :

— La famille de lady Katty descend des anciens rois d’Irlande, cette île généreuse et fière, soumise, jamais esclave ; pardonnez, monsieur, mais je suis né en Irlande. En perdant sa souveraineté de fait, cette famille en soutint l’éclat sous le titre moins fastueux, mais aussi pur, de lord Brady, nom qu’elle porte aujourd’hui. Rassurez-vous, je n’ai pas à vous dérouler des événements de famille bien extraordinaires. Fils aîné de la branche principale, des Brady, le père de lady Katty, lequel n’était, il y a seize ans, quand il en avait vingt, qu’un jeune homme destiné à prendre place, par son catholicisme ardent, parmi les défenseurs de notre émancipation sans cesse ajournée, se rendit au désir de sa famille en épousant miss Hanna O’Briant, issue également d’une des plus hautes maisons d’Irlande. Miss Hanna était d’une beauté remarquable et d’un caractère bienveillant ; mais, purement fondée sur des raisons de convenances, son union avec lord Brady revêtit aux yeux des étrangers un aspect de réserve qui passa pour de la froideur, pour incompatibilité de goûts. Pénétrés eux-mêmes du danger toujours croissant d’une situation ouverte à tous les traits des interprétations, les nouveaux mariés se retirèrent du monde pour aller vivre dans un de leurs châteaux au bord de la mer. Des courses à cheval, sur les grèves, des parties de chasse avec ses vassaux, des entretiens graves avec le pasteur de l’endroit sur l’état malheureux de la population irlandaise : tels devinrent les travaux et les délassements d’esprit de lord Brady au fond de ses terres.

Un événement vint colorer cette vie heureuse, mais un peu monotone. Une fille naquit au lord, qui tout à coup trouva dans sa position de père des motifs inespérés pour s’attacher plus étroitement à sa femme, — à celle qui lui méritait ce beau titre. Ce n’est pas que jusque-là il ne l’eût aimée dans toute l’étendue de ses devoirs, mais son affection avait été plutôt la tâche acquittée d’une obligation, que le dévouement naturel d’une sympathie. À la naissance de sa fille, sa circonspection disparut ; la tendresse remplaça les égards ; elle anima ses moindres soins ; sa femme que dans sa délicatesse, même au milieu de sa retenue d’autrefois, il regardait comme sa supérieure, descendit, si cela s’appelle descendre, au beau rôle de sa compagne, de son amie, de sa plus intime confidente. Une enfant avait amené cette égalité aimante. Ce que le roi d’Angleterre, qui crée des ducs et des duchés, des barons et des baronnies, n’aurait pu faire, une petite fille l’avait obtenu. Son berceau fut le foyer où se concentrèrent les rayonnantes sollicitudes de deux maisons. Penchés sur le visage de leur fille, lord Brady et sa femme se sentirent sans doute entraînés, attirés l’un vers l’autre par cette ressemblance où le père met sa force et la mère sa grâce, afin qu’ils s’aiment tous deux dans leur image aimée. Nelly fut le Messie du château où elle descendit comme la colombe de l’arche avec la verte branche d’olivier. Quand on est deux à sourire au premier sourire d’un enfant ; quand on est deux pour attendre son réveil ; quand on est deux à s’alarmer de ses cris, on est bientôt heureux de la même joie, triste des mêmes peines. Il n’est pas jusqu’à l’antique château qui ne se ressentît de cette diversion. Son caractère grave, comme celui de son maître, s’épanouit. Une héritière était née à ces vieilles tourelles, à ces lierres barbus qui enveloppaient les tourelles comme quatre troncs d’arbres morts, à ces vitraux derrière lesquels depuis bien longtemps n’avait couru une lampe de fête. Tout était joie et empressement à cause de cette naissance.

Le soir, quand le soleil embrasait les rameaux de la forêt pour aller faire son lit dans les feuilles ; quand il teignait de pourpre les belles eaux des lacs, la cornemuse des paysans jouait à la porte du château et filait un doux sommeil à l’enfant.

Plus tard, quand Nelly fut plus grande, sa mère la prenait dans ses bras, et lui enseignait à bénir de ses petites mains les paysans rassemblés sous le balcon ; et les paysans ployaient le genou et baissaient la tête devant cette protectrice ingénue. Car rien n’est respecté et ne fait chérir la puissance comme le droit mis sous la protection de la faiblesse.

Quoi au monde aurait égalé la félicité dont jouissaient lord Brady et sa femme, si ce n’est une félicité semblable ? Deux ans après la naissance de Nelly, ils eurent une seconde fille, si belle et si blanche que, non-seulement elle était le portrait de son aînée, mais qu’elle servit de modèle à une troisième sœur qui naquit à deux ans de là. Le rosier eut ses trois boutons. Mêmes formes, même éclat, même richesse de santé, mêmes yeux bleus au même reflet vierge et sauvage, chez les trois sœurs, Nelly, Glorvina et Katty. Nées loin de la société qui polit, mais qui émousse, quelque chose d’indompté comme chez les faons, dardait de leurs fauves regards quand un étranger les surprenait au milieu de leurs jeux. Elles bondissaient jusqu’auprès de leur mère, toutes trois sérieuses, boudant sous leurs chevelures blondes, effarées, comme si l’on eût cherché à les attaquer.

Lord Brady se dévoua tout entier au soin de ses trois filles ; il se consacra à leur éducation, précieux devoir qui constitue une seconde paternité moins arbitraire que la première. D’Oxford, de Cambridge étaient attendus au château les meilleurs maîtres de la science, les esprits distingués et patients qui l’expriment sur les lèvres des enfants comme un lait savoureux. Les livres, les dessins, les belles harpes, les pianos d’ébène, étaient commandés. Ici la chapelle où l’on s’agenouillerait le matin devant le grand saint Patrice qui aurait donné trois Anglais pour un enfant irlandais, tant il les aimait ; là le cabinet de travail, dans une des tourelles, et là le grand air sur la pelouse.

Ne pouvant être Dieu le père, nous voudrions être lord Brady, disaient les paysans lorsqu’ils jetaient les yeux sur le château de leur maître.

Si vous n’avez pas oublié, continua M. Anderson, les intervalles laissés entre la naissance de chacune des trois filles, en vous apprenant que Nelly, l’aînée, a déjà huit ans, vous trouvez que Glorvina, la seconde fille de lord Brady, atteint sa sixième année ; tandis que Katty, la plus jeune, a quatre ans seulement.

Une nuit, la couverture d’un des trois berceaux s’agite ; le père est debout, la mère est déjà levée. Nelly parlait et rêvait ; son œil s’ouvrait ; et plus terne se refermait chaque fois. La tête de l’enfant est brûlante et lourde ; on la soulève, elle retombe ; son pouls bat fort, ses lèvres sont sèches. Ce ne sera rien. Le froid l’aura gagnée ; l’herbe était humide hier au soir, c’est un rhume ; l’enfant n’est qu’enrhumée.

On appelle un médecin cependant : il arrive ; il ordonne ; on espère. L’oppression augmente ; la fièvre redouble. Quatre heures après Nelly était morte. Je priais auprès de Nelly.

Ce n’était pas le médecin qui l’avait tuée ;

C’était le croup. — Le croup, nom anglais d’une maladie infernale qui n’atteint que les enfants ; espèce d’ogre qui n’aime que les chairs tendres, qui cherche les enfants beaux et laiteux dans leur petit lit où ils dorment bien, et les étrangle en leur enfonçant ses griffes dans le cou, tandis qu’ils rêvent à des montagnes de biscuit et à des villes de sucre.

Byron, le poëte immortel de l’Angleterre, a dit avec autant de majesté que de tendresse : « C’est quand le soleil ne sera plus que l’on oubliera ses vapeurs malfaisantes, pour ne se rappeler que sa chaleur féconde ; c’est quand l’épouse bien-aimée sera descendue au tombeau que l’on oubliera ses caprices pour ne se souvenir que de sa bonté et de sa grâce infinie. » Si vous ne vous figurez point le malheur, peu commun à la vérité, de perdre le soleil, et si vous n’êtes point de ceux qui puissent être frappés de la mort d’une épouse, rappelez-vous ce qui est plus simple, l’oiseau chéri qui s’est envolé de vos mains mal jointes quand vous le couviez de vos baisers et le réchauffiez de votre haleine. Quelles brûlantes larmes vous avez répandues, en vous disant : « Combien déjà ses petites plumes étaient jolies ! combien sa petite tête était chaude et son petit bec mignon ! »

Au lieu d’un oiseau, imaginez un enfant qui ne s’envole pas ; s’il s’envolait, il laisserait du moins l’espérance du retour ; mais un enfant qui meurt dans son nid !

Après les Andalous, on le sait, les Irlandais sont le peuple de la terre le plus enclin au style figuré. Je m’aperçus que M. Anderson était non-seulement entraîné par la nature de son caractère à ne pas démentir ce type du langage national, mais qu’il présentait toujours en outre, sous le relief de l’action, des événements destinés à être mis en simple récit. Il ne m’appartenait pas de me plaindre de cet excès d’animation dans la parole d’un étranger, d’un chapelain surtout, d’un docteur en théologie : il voulut bien poursuivre.

Lady Brady fut inconsolable. Autrefois, quand elle ne voulait rendre jalouse aucune de ses filles accourant vers elle, luttant à qui la toucherait la première, elle était fort embarrassée dans sa justice maternelle. Car, lorsqu’elle avait placé Katty, la plus jeune, sur son bras droit, Glorvina sur son bras gauche, où placer Nelly ? mais à son cou. Nelly était le plus gênant des trois délicieux fardeaux qui la faisaient fléchir sous le poids des baisers. Eh bien, cette gêne, ce fardeau manquait à la pauvre mère. Quand Glorvina et Katty sautaient maintenant sur ses deux bras, elle se baissait toujours, toujours, pour que l’autre, toute caressante, pour que Nelly se suspendît à son cou.

Si je m’étends moins sur la douleur de lord Brady que sur celle de sa femme, c’est qu’il l’avait cachée sous son ancien silence misanthropique. Des mois s’écoulèrent et quand il ranima sa vie à l’affection des deux enfants qui lui restaient, une partie de l’attachement qu’il avait voué si tard à leur mère se trouva affaibli. On eût dit qu’elle avait perdu pour lui un de ses attraits ; qu’elle était moins reine de son cœur depuis qu’un des diamants de son diadème maternel était tombé. La naissance d’une enfant avait rapproché lord Brady de sa femme, la mort de cette enfant sembla l’en écarter. Et comme le découragement, ainsi que la joie, fait voir la vie tout entière sous un jour particulier de prévention, sa femme ne fut pas à ses yeux le seul objet dont le charme se ternît. Son ciel fut sombre ; sa forêt lui parut plus épaisse, ses lacs plus froids, son château noircit dans son imagination. L’ennui oxyda son âme.

Aussi, à la première parole du médecin qui attribua à l’humidité du séjour au milieu des bois la cause possible de l’invasion du mal dont Nelly avait été victime, lord Brady ordonna au château que tout fût prêt dès le lendemain pour un voyage sur le continent. Il se persuada que l’air tempéré de la France n’aurait jamais tué sa fille. On partit pour la France. Lord Brady s’établit dans une campagne près de Paris avec ses deux filles et sa docile compagne.

Katty allait avoir bientôt six ans et Glorvina huit ans. Huit ans ! C’est à huit ans que Nelly était morte !

Glorvina était le portrait vivant de Nelly, comme Katty était celui de Glorvina. Chaque jour, qui rapprochait Glorvina de sa huitième année, rendait la similitude plus évidente. Son père confirmait l’analogie en restituant à lady Brady l’amitié dont il l’avait si capricieusement privée, capricieusement en apparence, depuis la mort de Nelly. Son sourire, sa démarche, sa voix, ses gestes, Nelly revivait dans Glorvina. Nous l’avons déjà exprimé, le bonheur est un grand coloriste ; il a des teintes séduisantes à répandre sur tout. Que la France parut une contrée d’enchantement aux Brady ! elle leur fut une seconde patrie ; car la patrie c’est un peu le cœur ; on appartient au pays qui le rend content.

C’est dans une campagne voisine du bois de Boulogne que la famille Brady était venue se retirer, attirée en outre vers ce délicieux endroit par la réunion d’autres familles anglaises qui y passaient la belle saison.

Voulant autant qu’il était en lui se montrer bon compatriote, sociable, sans morgue, malgré sa fortune peu ordinaire, lord Brady résolut, d’accord avec sa femme et sur le vœu de ses deux filles, de donner une fête pour inaugurer son arrivée en France, et son séjour au milieu de ses amis du bois de Boulogne.

Mais ce sera une fête d’enfants, Hanna chérie, dit-il à sa femme, ils en feront les honneurs comme ils en seront les délices. Le bal, les jeux, la collation sous les arbres, le concert, le feu d’artifice, tout pour eux.

On se peint aisément cinquante petites filles et autant de petits garçons bondissant, eux et leurs balles, sur le gazon ; montant et descendant à l’extrémité d’une escarpolette ; allant et venant dans l’air étourdi de leurs cris sur la corde balancée ; tournant et retournant sur des chevaux de bois ; on se figure leurs milliers de petits cris, de petits gestes, leurs petits yeux étincelants d’impatience et de feu ; il neigeait des enfants.

Lord Brady et sa femme n’étaient pas les moins heureux de tous les parents qui se fondaient de ravissement à voir leurs fils et leurs filles si joyeux, si infatigables, si rouges, sous les marronniers.

Après la promenade et les jeux, il y eut concert ; après le concert on sonna le dîner.

Les domestiques étaient déjà rangés autour de la table et derrière les enfants pour les servir, quand Glorvina demanda à sa mère la permission de se retirer ; un violent mal de gorge venait de la saisir. Sa voix était rauque.

Cet enrouement, qui paraissait causé par une supension momentanée de la transpiration, résista aux sirops qu’on fit boire à Glorvina ; il augmenta au point d’oppresser la petite fille dont on essuya la sueur glacée et qui fut couchée aussitôt. Ses compagnes tenaient encore la table, que le docteur Dupuytren écrivait quelques lignes sur le coin d’un guéridon : il avait écouté la respiration sifflante de lady Glorvina, et compris cette langue de l’agonie qu’il parlait si merveilleusement.

Quand le docteur Dupuytren eut achevé d’écrire, il mit ses gants ; regarda sa montre, et dit à lord Brady : Si après l’application de quarante sangsues, l’enfant est dans le même état, demain au lever du soleil…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Lord Brady serra la main du docteur Dupuytren.

Le lever du soleil éclaira du gazon foulé, des branches d’arbre cassées, des papiers noircis, restes d’un feu d’artifice qui avait dû être superbe, des plumes éparpillées de volants, des fleurs flétries, et au fond d’un appartement un petit lit sur lequel une vieille femme rejetait un drap. Le drap était changé en linceul, le lit en tombeau. Je priais auprès de Glorvina.

Depuis cette fête et depuis cette mort, les Brady, tristement réduits par deux morts successives au chef de cette famille, à sa femme et à sa fille Katty, n’habitaient plus Boulogne : ils s’étaient retirés à Paris.

Un matin, pâle comme elle s’était montrée dans son château d’Irlande après la mort de sa fille aînée, lady Brady entra dans l’appartement de son mari, et s’asseyant près de lui, elle lui dit :

— Nous ne sommes pas heureux, milord ; Dieu n’a pas béni notre union. Deux filles bien-aimées nous ont été enlevées en deux ans et par la même maladie. Ceci est désespérant à penser.

— Oui, milady, désespérant à penser pour la troisième de nos filles.

— C’est d’elle, de Katty, que je venais vous entretenir.

— Serait-elle malade ! s’écria lord Brady en quittant sa place. Le démon de ma famille, le croup, serait-il ici ? La mort aurait-elle devancé son terme menaçant pour ma fille ? Elle me doit encore dix-huit mois et trois heures, la créancière des Brady.

— Grâce au ciel, milord, je n’ai pas cette mauvaise nouvelle à vous apprendre.

— Je crois, milady, sans calomnier la Providence, qu’elle nous a rarement fourni l’occasion de nous en communiquer de bonnes depuis notre fatal mariage.

— Fatal ! milord, puisque vous l’appelez ainsi ; mais ce n’est pas ma faute du moins. J’aime mes enfants, et j’ai souffert pour eux comme vous : je mourrais pour celle qui nous reste s’il le fallait. — Mais c’est Dieu qui fait leur destinée.

— Dieu fait leur destinée, reprit avec une sombre résignation et du repentir dans la voix, fâché d’avoir blessé la sensibilité de sa femme, le soucieux lord Brady. Oui, Dieu fait leur destinée. L’amour des parents, rien. Le meilleur des pères est impuissant à prolonger de la longueur d’un cheveu la vie de sa fille. C’est à faire douter de toute justice, savez-vous, milady, de voir des fils de matelots, des fils de bûcherons, des fils du peuple, qui n’ont que la mer et ses mille périls, que les forêts, la rue, la boue, pour demeure ; qui n’ont que du pain à manger, pas même du pain à manger souvent, eh bien ! grandir, vivre, exister sans maladie, sans douleur, et parvenir ainsi jusqu’à quatre-vingts, cent ans, tandis que nos enfants, à nous, nos beaux enfants qui ont à souhait tout ce que leurs rêves sous des tentures d’or leur inspirent, nos enfants pâlissent, souffrent, s’éteignent, et meurent à dix ans, à huit ans, à heure fixe, comme nos deux filles sont mortes, comme notre fille mourra, comme notre Katty !

— Elle ne mourra pas, milord, ne dites pas cela. Y songez-vous ? Est-ce que nous pourrions rester seuls au monde, après avoir eu, après avoir perdu trois filles ? Vous et moi seuls, comme nous sommes là ? mais je ne le veux pas ; la chose n’est pas juste ; cela n’est pas selon nos forces. Oh ! c’est parce que j’ai tant souffert, c’est parce que j’ai tant pleuré, c’est parce que je ne comprends pas, tant elle me paraît infinie, la peine nouvelle dont vous me menacez, que je crois à un avenir différent. Nous avons payé notre lot au malheur, comme tout le monde ; mais nous ne payerons pas pour tout le monde. Katty, votre fille, la mienne, restera, vivra pour nous consoler et pour nous apprendre à ne pas douter de la clémence du ciel. D’ailleurs, elle est plus ravissante que jamais, sa santé n’inspire aucune crainte.

Milady sonna.

Un domestique parut.

— Qu’y a-t-il, milady ?

— Où est Katty ? où l’avez-vous laissée ? je ne l’entends pas.

— Elle est au jardin, milady ; là, sous vos croisées.

— C’est bien.

— Tenez ! regardez, milord, dit lady Brady en tirant les rideaux et en indiquant à son mari la petite fille qui se roulait sur le gazon ; voyez-vous comme elle est heureuse de jouer avec son angora ? voyez-vous comme elle est forte et souple, et fine dans ses mouvements ?

C’était joyeux à voir cette lutte entre Katty et le gros angora noir de la maison, velu comme un petit ours ; allongeant sa griffe matoise le long du gazon pour saisir la main de l’enfant, il bondissait et donnait de la tête contre Katty adroite à l’éviter ; celle-ci le laissait passer de l’autre côté et tomber sur ses quatre pattes élargies, la menaçant de ses yeux verts tout ronds et tout feu, de ses moustaches droites et de son dos en montagne.

Tout à coup milord et milady poussèrent un cri.

Le chat avait renversé Katty qu’il couvrait tout entière de son corps ; il semblait vouloir l’étouffer en pesant sur elle lourd et velu, étreignant et ronflant, faisant flamboyer sa queue. Katty se débattait vainement sous l’angora ; elle était engloutie.

Sa mère effrayée avait à peine ouvert la croisée pour appeler du secours, que lord Brady accourait armé d’un pistolet pour tuer le chat ; mais le chat avait quitté la petite-fille, et il sommeillait au soleil, léchant le beau velours noir de ses pattes. Katty était prête à recommencer le jeu.

— N’avez-vous pas cru voir, milady, l’emblème exécrable du croup dans cet animal étranglant Katty ? Je regrette de ne l’avoir pas étendu roide mort sur le gazon.

— Vous voyez pourtant, milord, qu’elle n’a rien à craindre, et que le ciel la protège.

— Il faut qu’il en soit ainsi, Hanna ; reste à savoir s’il entre dans les décrets célestes que l’existence de Katty soit toujours pareillement protégée.

— N’en doutez pas, lord Brady ; c’est forte de cette pensée que je me rendais auprès de vous pour solliciter votre consentement à une résolution que j’ai prise.

— Laquelle, milady ? — car j’en ai arrêté une aussi de mon côté. Nous serions-nous rencontrés dans le même projet ; mais apprenez-moi le vôtre.

— Notre sainte religion, et vous en êtes le fidèle partisan, milord, veut qu’on croie au mérite des sacrifices. Il est des engagements qui sauvent, qui sont peut-être inscrits au livre du ciel où montent nos soupirs, puisque nos joies en descendent. Au fond des mines, sur les mers, pendant l’incendie, au moment de tout danger imminent, l’homme se tourne vers Dieu, l’échelle invisible du mineur, le mât d’airain dans la tempête, et il lui promet, non de l’or, mais une partie du temps et de la liberté dont il jouira le reste de sa vie, s’il est sauvé par lui.

— Après, milady ; — croyez-vous qu’un pèlerinage en terre sainte nous assurerait les jours de Katty ?

— Je n’ai pas songé, milord, à ce sacrifice ; mon inspiration est plus simple.

— Dites, Hanna !

— Dépouillons notre enfant de la livrée du monde, et habillons-la de la robe des anges. Le blanc plaît à la Vierge. Soyez de moitié, lord Brady, dans le serment que je ferai à Dieu de laisser Katty revêtue d’une robe blanche jusqu’à l’âge de quinze ans.

— Jusqu’à quinze ans, Hanna ! — mais cette robe blanche sera son linceul ! — Notre fille mourra à huit ans, vous le savez.

— La Vierge, la seconde mère que nous lui donnons, milord, voudra sans doute que notre enfant demeure plus longtemps sur la terre. Katty ne nous appartiendra plus jusqu’à quinze ans ; mais si elle parvient à cet âge, elle sera tout à nous. Vous associez-vous au vœu de sa mère ; le permettez-vous ?

— Illusions d’une âme tendre et confiante, et que ma foi défend de briser ! Faites, milady. Moi qui irais aux confins de la terre, au fond des mers, chercher, si je l’y savais, l’homme, le secret capable d’arracher ma fille à la mort prévue où elle court, je ne refuserai pas à votre maternelle crédulité d’essayer de la prière et du sacrifice, ces deux remèdes placés si près du cœur. Vouez au blanc notre chère Katty, je ne m’y oppose pas.

— Ai-je besoin de vous remercier, milord ? n’étais-je pas sûre que vous feriez tout pour moi à cause de notre fille ?

— Ou tout pour votre fille, Hanna, à cause de vous.

Hanna Brady rayonnait de joie sous ses larmes. Elle croyait au salut de sa fille parce qu’une ressource pieuse lui était permise. Pour les âmes pleines d’amour et de foi, espérer c’est tenir ; c’est plus que tenir, c’est être déjà reconnaissant.

— Écoutez-moi maintenant, milady ; je vous ai annoncé aussi une confidence.

— Milord, j’écoute.

— Vous avez cru, il n’y a qu’un instant, que je vous accusais d’attirer sur vos filles leur mauvaise destinée. Ces sortes de reproches ne sont ni d’un chrétien, ni d’un Irlandais, ni d’un gentilhomme ; et je suis tout cela, grâce à Dieu et à mon père. Vous vous trompiez ; mais, milady, je suis fermement convaincu que Dieu ne veut pas qu’on l’éprouve. N’est-ce pas l’éprouver, lorsqu’on a autant de terres qu’un lièvre peut en mesurer en un jour, tant de titres que la mémoire s’en effraye, que de se montrer avide encore des joies du ménage ? C’est éprouver Dieu, milady, dans sa générosité, qui est infinie, mais qui est juste. Je suis trop content de la raison avec laquelle va le monde, pour empoisonner la mienne de paradoxes ; mais c’est par expérience que je l’atteste ; il est peu de princes, peu de rois qui n’aient payé les voluptés satisfaites de l’ambition par le tourment domestique du foyer. Le père expie le maître ; au rebours des pauvres auxquels j’enlevais tout à l’heure leur unique consolation ; au contraire des pauvres qui ont des baronnies, des duchés, des couronnes, milady, dans leur paternité qui les venge de toutes leurs misères. J’avais cette fatale science de la vie avant mon mariage, et c’est elle qui m’avait rendu, par prévision, si amer et si sombre aux premiers jours de notre union. J’avais peur d’ajouter à tous mes titres d’honneur et de contentement celui de père, qui les a broyés, et qui est resté seul comme le meurtrier des autres. Le mal est consommé ; je suis père ; mais je ne veux plus l’être pour pleurer l’enfant qui me reste ; je ne veux plus l’être uniquement pour rester froid à la déception de la voir mourir comme les autres ; je cesse d’être spectateur impassible de l’assassinat de mes filles ; je me révolte, oui, à la fin contre cette loi qui nous oblige à défrayer la mort de notre sang.

— Mais que, prétendez-vous, milord ? savez-vous un moyen meilleur que la résignation ?

— J’en connais un, Hanna.

— Parlez, milord.

— Plus d’union entre nous.

La femme de lord Brady porta son mouchoir à ses yeux ; elle se leva pour se retirer, croyant avoir reçu le mépris d’un soufflet sur la joue. Jamais gentilhomme irlandais, excepté dans l’ivresse ou dans la folie, n’avait tenu un pareil langage à sa femme.

— Asseyez-vous, milady. — Oui, plus d’union entre nous ; car je partirai, et je défendrai qu’on vous apprenne, comme je défendrai qu’on me dise l’endroit de la terre où sera notre enfant. Allez où votre cœur vous dira ; j’irai loin, moi !

— Quoi ! nous séparer tous les trois !

— Voyez-vous, milady ; dans le coin du monde où je me retirerai, où je vieillirai, il me sera toujours permis de croire que ma fille est vivant. Rien, dans mon isolement, sans relations avec l’Europe, rien, si ce n’est mon imagination, ne me démentira, ne me désenchantera sur le compte de ma Katty. Dans quatre ans, je me dirai : elle en a douze ; dans sept ans, je me dirai : elle en a quinze. — Quinze ! milady ; — ma fille sera sauvée ; je me persuaderai qu’elle est sauvée. Pourquoi cela serait-il un mensonge ? Après tout, quand personne n’est sûr de vivre l’heure qui suit, personne non plus n’est pas sûr de ne pas vivre. Je m’habituerai à cette séparation qui ne sera, au fond, qu’une absence que je pourrai rompre, mais que je ne romprai jamais. Je remettrai toujours à l’année suivante pour aller la voir, et d’année en année, je n’irai pas. Et d’ailleurs, où aller la voir ? Je ne saurai plus où elle est. Après vingt ans d’éloignement chercher un enfant dans le monde, où il en naît, où il en meurt trois cent mille par jour !… Voilà la vie que je veux me créer. Dans mon doute, dans mes rêves, dans ma pensée, Katty sera pour moi toujours un enfant, — toujours belle, puisqu’elle sera toujours enfant ! toujours à sept ans ! et toujours vivante, milady, toujours vivante !

Et ce que je m’impose, je vous l’impose, milady. Auriez-vous le courage que je n’ai pas ? D’ailleurs, ce n’est pas du courage, que d’attendre, par une débilité d’âme, par une soumission à l’habitude, un accident que vos larmes, votre désespoir, vos prières, si elles devaient être impuissantes, n’écarteraient pas plus que votre énergie, supposé que vous en eussiez. Quoi ! se roidir contre la montagne qui tombe, c’est là du courage ? C’est du suicide, mais du courage, non ! Mais songez, — milady, — que l’année que je ne veux pas vous laisser passer auprès de notre fille, serait tout à la fois, par une contradiction où votre raison courrait le risque de se perdre, une année pesante d’un siècle et une année insaisissable d’une minute. Vous souffririez goutte à goutte, sans relâche. Le temps c’est l’activité de la pensée ; la même pensée, car vous n’en auriez qu’une, hachée, pulvérisée par le cœur, meule qui se broie elle-même quand elle n’a plus rien à broyer, vous envahirait tout entière de son inexpugnable obsession ; cette pensée cancéreuse vous dévorerait. Après elle, ce serait encore elle, toujours elle ; vous compteriez plutôt un à un les grains de sable du désert, que vous n’en seriez quitte avec cette infinité d’atomes sur chacun desquels vous liriez sans fin le mot imperceptible et corrosif : mort ! mort ! mort ! Et pourtant cette même année d’un siècle ne sera qu’une minute, je vous l’ai dit, Hanna, parce que jamais votre fille n’aura, illuminé vos regards par plus de charmes. Elle grandira entre vos doigts ; — vous le verrez, — tout comme ses sœurs à cette sinistre période ; — ses cheveux d’or ne seront jamais descendus plus abondants sur ses épaules, — tout comme ses sœurs ; son intelligence, étoile mourante, radieuse à son déclin, ne vous aura jamais plus étonnée, — tout comme ses sœurs. Puis le siècle de la souffrance et le jour d’ivresse auront une même fin. Vous resterez avec un cadavre, — tout comme ses sœurs ! Hanna ! Hanna !

— Vous m’épouvantez, milord, plus que vous ne me persuadez. Moi, sa mère, je l’abandonnerai ! elle m’appellera et je ne répondrai pas ! Mais pour qui vivra-t-elle ? qui l’aimera ? qui en aura soin ? qui m’aimera ?

— Vos soins l’empêcheront-ils de mourir ? n’aimez-vous pas mieux pleurer sur une séparation que de pleurer sur une mort ? Est-ce que vous ne vous donnez pas un doute en échange d’une affreuse certitude en la quittant ; une espérance pour un désespoir ? Si, au lieu d’avoir vu mourir Nelly et Glorvina sous notre souffle, nous les eussions laissées dans quelque pays, lointain, sous la protection d’un parent, dans quelque pays sans communication pendant dix ans avec le nôtre, par suite de la guerre, penserions-nous aujourd’hui qu’elles sont mortes ? Non.

— Non ! milord, répondit, noyée de larmes, l’attentive et désespérée Hanna.

— Toutes deux, milady, existeraient pour nous. Qu’au lieu de la guerre ou de toute autre cause, ce soit l’exil qui nous éloigne de Katty, et Katty vivra pour nous dix ans, vingt ans, toujours, jusqu’à la fin de notre vie. Allons, du courage, milady ! du courage, Hanna !

Lord Brady tremblait autant que sa femme ; appuyé sur son épaule, il ajouta :

— Après l’hommage que vous allez faire à Dieu de notre enfant, après qu’elle aura pris le signe qui la rendra esclave de vos vœux, nous partirons l’un et l’autre. La moitié de notre fortune sera mise à la disposition d’une personne probe qui en rendra compte à l’enfant à l’époque de sa majorité ; qui n’en rendra compte à personne, si, comme tout nous impose la triste obligation de le croire, Katty n’atteint pas cette époque de salut.

— Milord ! Dieu m’est témoin que je désapprouve votre résolution ; vos raisons m’ont brisée, mais elles ne m’ont pas convaincue que je dusse abandonner ma fille. Vous êtes mon seigneur et maître. Faites parler vos droits et j’y obéirai ; J’ai besoin, milord, que vous me disiez votre volonté à haute voix, pour que jamais ma conscience ne me reproche l’abandon de mon enfant. — Que Dieu vous entende ! Criez, lord Brady : Je veux cela, milady !

Lord Brady se leva et cria :

— Je le veux ! — Amen !

Ici le révérend Anderson quitta sa place et parcourut à grands pas l’appartement.

Il n’est pas bien que les hommes pleurent ; les docteurs en théologie, surtout.

Au bout d’une demi-heure il reprit son récit.

Il avait été décidé que le jour où lord Brady et sa femme se sépareraient de Katty, serait celui qui verrait la jeune miss adopter solennellement le blanc.

La cérémonie eut lieu dans une chapelle du faubourg Montmartre, et l’on y invita tous les enfants qui avaient figuré à la fête de Boulogne. Enfants, on leur demandait des prières pour une enfant de leur âge et de leur pays.

Dans la chapelle il y avait une foule de gens qui avaient suivi les voitures du cortège, de ceux qui suivent toujours, allât-on se noyer.

Marchant entre son père et sa mère, Katty s’avança vers l’autel où l’attendait le prêtre, accompagnée par devoir et par affection de toute la livrée de sa maison. Ces domestiques portaient de gros flambeaux de cire chargés à la poignée d’écussons armoriés, une corbeille de satin blanc en forme d’urne, et trois coussins.

Les enfants s’informaient tout bas, les uns les autres, si cette corbeille contenait des dragées ou des fleurs, des cerceaux ou des cordes.

Un d’entre eux qui laissait pendre un cordon de toupie de sa poche de côté, soutint que la corbeille enfermait tout cela.

Pour que le sacrifice fût plus éclatant, Katty avait été parée pour la dernière fois de sa vie du plus riche et du plus élégant costume de son pays. C’était presque une dérision douloureuse que le soin particulier de cette parure en opposition avec le visage triste des assistants. Il est vrai que tous les assistants ne sachant pas le motif de la cérémonie, ils n’en étaient pas tous également touchés. Parmi ceux qui l’ignoraient, attirés dans la chapelle par une curiosité étourdie, il s’en trouvait qui cherchaient naïvement pourquoi ils y étaient venus. Était-ce pour un baptême ? mais le nouveau-né aurait déjà sept ans ; pour un mariage ? mais la mariée n’aurait donc que sept ans ; pour un enterrement ? mais il n’y avait pas de mort. — Qu’était-ce donc ?

L’intelligence de la chose échappait au Parisien ; et cela se conçoit : le Parisien voue peu d’ordinaire ses enfants au blanc ; il les voue à tout, excepté au blanc ; d’abord parce que le blanchissage serait énorme.

L’autel s’illumina de degré, en degré, et les orgues jouèrent ; l’encens parfuma les paroles des jeûnes filles qui chantaient dans le chœur.

Lord Brady, sa femme et Katty leur fille, étaient tous trois à genoux. Katty était ravie ; elle s’imagina que ces bougies allumées, et cette foule et ces enfants aussi à genoux, en cercle derrière elle, étaient là pour lui faire fête. La corbeille surtout l’intriguait extraordinairement. Elle aurait bien voulu qu’on la mît dedans.

Du même âge que Katty, ou à peu près, les autres enfants étaient envieux de son bonheur.

Mais elle leur souriait familièrement du coin de l’œil, afin de leur inspirer de l’indulgence pour une préférence de hasard, pour un hommage public dont elle n’aurait pas refusé de partager l’honneur. Qu’y faire ? semblait-elle leur dire avec résignation, tout le monde ne saurait être reine à la fois.

Cependant, au sein de son triomphe, Katty ne comprenait pas trop pourquoi son père et sa mère pleuraient ; pourquoi ses domestiques pleuraient aussi, et beaucoup d’autres encore.

La réflexion ne la chagrina pas davantage. Une petite fille s’était peu à peu détachée du cercle de ses compagnes, et les yeux baissés, et se traînant sur les genoux, elle s’était avancée vers Katty, pour lui dire tout bas :

— Vos petites amies et moi, vous demandons, mademoiselle, si vous ne nous donnerez pas notre part de ce qu’il y a dans la corbeille.

— Vous en aurez votre part, je vous le promets.

— À la bonne heure : ce serait fort mal sans cela, Katty.

Tous ces enfants auraient bientôt un à un envahi les abords de l’autel autour de Katty, si un coup de sonnette n’eût averti que le prêtre, sorti de son oraison, allait commencer la cérémonie attendue.

La prière particulière à ces sortes de cérémonies est fort courte.

Ce qui la suivit ne fut pas long, mais pénible.

On dépouilla l’enfant de son bonnet de velours écarlate brodé d’or ; et ses beaux cheveux coulèrent sur ses épaules. Elle sourit à se voir ainsi.

Du visage de sa mère, une pâleur mortelle passa sur celui de son père. On eût dit un éclair dans un miroir : double lueur.

On enleva à Katty l’écharpe à fleurs jaunes qui couvrait ses épaules ; et ses petites épaules nues parurent.

Sa mère les couvrit de baisers.

Lord Brady prit un flambeau de la main d’un de ses domestiques et regarda fixement à l’écusson de la poignée les armes de sa famille. Ceci lui donna du courage.

Katty était étonnée des objets que contenait la corbeille ; elle avait compté sur mieux que le bonnet de satin blanc et la tunique blanche qu’on en tira et dont elle fut parée. Quand elle eut complètement changé pièce à pièce un vêtement de couleur pour un vêtement blanc, elle ressembla à une pervenche poudrée par la neige, ou plutôt à un beau camélia.

Le prêtre demanda ensuite au père et à la mère s’ils prenaient devant Dieu l’engagement de conserver à leur fille, sous peine de la damnation de leur âme, jusqu’à l’âge de quinze ans, le costume blanc dont elle venait d’être revêtue.

Ils répondirent oui tous les deux.

Alors le prêtre bénit l’enfant qui désormais n’appartenait plus au monde.

Et comme Katty voulut aussitôt courir vers sa mère pour l’embrasser, le prêtre l’en empêcha doucement et l’emmena avec lui jusqu’aux pieds de l’autel de la Vierge.

Lord Brady et sa femme croyaient déjà n’avoir plus de fille. Ils se regardèrent dans la solitude de leur âme, et ce regard ne se peint pas.

La cérémonie étant finie, et l’enfant consacré, ses parents rentrèrent chez eux.

Deux chaises de poste attendaient dans la cour.

Cette nuit fut sombre dans l’hôtel. Aucun domestique ne dormit. Quelques-uns se souvinrent d’une nuit, à quatre ans de distance, au château d’Irlande ; les moins vieux au service de la maison se rappelèrent une autre nuit non moins sinistre, mais plus rapprochée, la nuit de la fête à Boulogne.

En ma qualité de chapelain, à titre d’homme de consolation, j’entrai dans l’appartement, où lord Brady s’était retiré avec sa femme. J’avais hésité pendant huit heures si j’y pénétrerais sans être appelé. Un silence dont je fus effrayé enleva ma résolution.

Lord Brady avait les yeux rouges ; il écrivait.

Debout contre un berceau, sa femme était penchée sur le visage de Katty dont elle semblait vouloir emporter le souffle, l’empreinte et la vie ; il y avait huit heures qu’elle aspirait ainsi son enfant ; elle en prenait le plus qu’elle pouvait.

Quand l’heure de l’éternelle séparation eut sonné, je fus obligé de soulever la bonne lady dans mes bras et de la descendre dans la cour, ainsi ployée. Ses mains crispées paraissaient toujours s’attacher à un berceau, et ses yeux regarder ce qu’il y avait dedans.

Ayant fini d’écrire, lord Brady me serra la main, et d’un accent qui fait mal dans la voix des hommes, il me dit en tirant les rideaux du berceau de sa fille.

— Anderson ! que son convoi soit digne de sa race.

Jamais enfant n’avait été plus beau dans le sommeil.

Voici ce qu’avait écrit lord Brady, la nuit du départ.

Le docteur tira une lettre de sa poche.

« Mon cher monsieur Anderson,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Cette enfant est sous votre protection jusqu’au moment de sa mort. Je lui laisse soixante mille livres de revenu dont vous dirigerez l’emploi aussi longtemps que la Providence le permettra. Élevez-la selon son rang, sa fortune, qui est à l’abri de toutes les vicissitudes possibles à prévoir, et selon sa naissance sans tache. Je crois inutile de vous recommander le plus grand soin à ne nous donner ni à moi ni à sa mère aucune nouvelle directe ou indirecte de Katty. D’ailleurs vous ne pourriez guère violer cet ordre à mon égard, car vous ignorerez toujours la contrée où je vivrai caché. Vous savez que je pars avec la résolution et sous le serment de ne jamais m’informer d’elle. Moins sûr de la fidélité à tenir un semblable engagement de la part de sa mère, je vous impose l’obligation de quitter Paris dans six mois après avoir changé, sans aucune exception, tout le personnel de la maison. Anderson, vous m’avez juré de votre côté de ne jamais divulguer la retraite où, sous un autre nom que celui que vous portez aujourd’hui, vous vous serez retiré avec ma fille. Ainsi, c’en est fait pour la vie et pour l’éternité, mon cher Anderson. Je me renferme dans cet ordre. Vous ne devrez jamais compte à qui que ce soit, songez-y bien, ni de la fortune, ni de la vie, ni de la mort de Katty.

« Adieu !
« Brady.

« P. S. Après la mort de ma fille, les soixante mille livres de revenu dont elle aura joui vous appartiendront. »

Et je restai seul avec miss Katty, monsieur, acheva le révérend Anderson. Voilà trois mois que je lui sers de père. Voilà trois mois, ainsi qu’ils se l’étaient juré, que je n’ai rien appris sur lord ni sur lady Brady. Dans trois mois j’emmènerai miss Katty loin de Paris. Où ? je l’ignore.

— Mais, monsieur, m’écriai-je, ne me contenant plus, vous qui êtes l’homme de l’expérience, le savant dont l’esprit n’est pas offusqué par les terreurs de l’amour paternel, cette enfant vivra-t-elle ?

— Oui ! me répondit le chapelain.

— Est-ce qu’elle ne mourra pas à huit ans comme ses deux sœurs ?

— Non !

— Consolant espoir ! lui dis-je. Ce non vaut un million de contentements inexprimables pour moi, pour moi à qui cette enfant n’est rien. — Rien par le sang. Tout, par ce que vous m’en avez appris.

— N’est-ce pas, me dit-il en se levant, que demain il y aura un couvert de plus à la table de milady Katty ?

J’acceptai.


III

Devenu l’hôte de lady Katty, on me permettra d’être l’historien de son intérieur : curieux intérieur, celui d’un enfant qui n’a pas encore huit ans.

Bien que M. Anderson eût la surveillance de la maison, il apportait une ingénieuse précaution à s’effacer derrière la volonté de Katty, qui, comme ces enfants de roi montés de bonne heure sur le trône, développait à vue d’œil une intelligence des plus merveilleusement précoces. On faisait une grande majesté à son petit règne.

La scène des boulevards qui ouvre cette histoire m’avait assez appris que Katty était convaincue, au même degré que ses parents, de l’extrême probabilité de sa fin prochaine. Seulement on ne lui avait pas révélé que son père et sa mère étaient à jamais perdus pour elle. Quelquefois, dans une préoccupation naïve, elle se surprenait disant : À leur retour, ils vont me trouver bien grandie, n’est-ce pas, monsieur ?

— Bien grandie ! se reprenait-elle ; comme si je devais grandir !

L’époque approchait rapidement où elle quitterait Paris et peut-être la France. Déjà le chapelain Anderson, à force d’argent et de protections, avait changé sa nationalité auprès de quelque chancellerie étrangère. Son nom avait été altéré en un autre nom. Par les mêmes inductions, je savais, mais c’est tout ce que je savais, que Katty passerait en voyage et dans la résidence inconnue où elle allait pour une nièce de M. Anderson. À cinquante lieues de Paris seulement l’homme et l’enfant, par ces précautions calculées, devenaient introuvables. La confusion préméditée du père, de la mère et de leur fille, touchait à un résultat des plus énigmatiques. Auraient-ils chacun vécu séparément à mille ans d’intervalle, qu’ils n’auraient pas eu plus de peine à se rallier. Dieu seul aurait pu les réunir.

J’appris également, car le chapelain irlandais ne me faisait mystère que de certains faits de la discrétion desquels son serment répondait, que tous les employés de la maison avaient reçu leur congé depuis trois semaines.

J’allai plus souvent à l’hôtel du jour où le docteur me fit part de sa résolution de quitter Paris dans un mois. J’avais remarqué, à force d’être témoin du même incident, que le chapelain Anderson, toutes les fois que j’entrais dans l’appartement, se levait, et se dirigeait, en cherchant le plus possible à ne mettre aucune affectation dans ce mouvement, vers la porte vitrée d’un cabinet. Il la fermait et en retirait la clef. Un soir, après le dîner, lady Katty avait été, je me souviens, d’un enjouement extraordinaire. Les porcelaines en avaient souffert beaucoup ; les tapis avaient participé à un sandwich général.

— Monsieur, disait-elle au bon M. Anderson, irons-nous en Prusse ?

— Non, milady, répondait le chapelain.

— En Hollande ?

— Non, milady.

— En Russie ?

— Non, milady.

— Ah ça ! monsieur, vous qui ne mentez jamais, si, dans le beau livre que vous m’avez donné, je vous cite un à un le nom de tous les pays du monde, vous serez bien obligé de me dire une fois : oui ! Alors je saurai bien où nous irons.

— Vous vous trompez, milady. — Je ne vous répondrai plus ; je ne dirai ni oui ni non.

Et je ne sais combien, de saillies encore échappèrent dans la soirée à la petite lady, qui n’était jamais si heureuse que lorsqu’elle tourmentait la patience de M. Anderson.

À dix heures, je le quittai, selon l’usage, une heure après le coucher de Katty.

Il était à peine jour, le lendemain, quand je reçus un billet du chapelain ; trois mots seulement : « Katty a le croup. »


IV

À midi j’étais dans l’appartement où Katty s’était montrée si gaie la veille. Elle était couchée. Sa gouvernante lui souriait ; le docteur lui tenait la main.

La chambre s’emplissait de minute en minute d’enfants qu’elle-même avait fait demander avec instance et une volonté à laquelle son chapelain, par condescendance autant que par devoir, n’avait pu s’opposer. — On l’avait largement contentée. Autour de son lit étaient groupés ses petits compatriotes. Ils n’étaient plus aussi étourdis qu’à la fête de Boulogne. Ils comptaient deux ans de plus.

La petite malade ne souffrait pas encore beaucoup ; mais le mal était fixé. — Toujours là. Elle était divine de résignation, avec ses mains rosées ouvertes sur la couverture, son regard un peu fiévreux d’éclat, sa bouche de corail, sa tête calmé, moulée au milieu de l’oreiller.

Debout près d’elle, le chapelain paraissait, à la profonde consternation de son visage, avoir quatre-vingts ans. La méditation le rongeait. Courageuse et se possédant bien, sa science était en pourparlers violents avec la mort. Dirigés de toute leur puissance vers la porte du cabinet que je lui voyais fermer tous les soirs, ses regards n’auraient pas été détournés de ce but par le passage de la foudre.

Il ne me vit pas entrer.

Katty me salua du bout des paupières comme une reine mourante, — qui s’éteint avec dignité.

Caprice bizarre ! tous ses joujoux, des blocs de joujoux étaient étalés sur des tables au milieu de l’appartement.

Quand elle se fut assurée que ses petites compagnes étaient toutes venues, elle se souleva un peu et leur dit :

— Dans le ciel on n’a pas besoin de joujoux : je vous donne, Édith, tous mes cerceaux. Jouissez-en plus longtemps que moi.

Les petits légataires se regardaient sans mot dire ; ils ne comprenaient pas encore la cause de cette générosité.

— John, vous accepterez mon album : plusieurs fois vous l’avez désiré sans l’obtenir. Il est maintenant à vous.

— Pourquoi cela ? demanda vivement John. Je ne reçois qu’en donnant, Katty. Votre album contre sir Jack, mon singe noir.

— Mon cher John, ne vous fâchez point tant. Quand ma sœur aînée, Nelly, mourut à huit ans de la maladie qu’eut deux ans après ma sœur Glorvina, elle nous laissa à Glorvina et à moi tous ses jouets ; quand Glorvina mourut il y a deux ans de la maladie que j’ai aujourd’hui, John, j’héritai à mon tour ; — ne dois-je pas à mon tour aussi vous donner tout ce que je ne puis léguer à une sœur, puisque je suis la dernière de la famille ? John, acceptez donc cet album.

— Katty, fit M. Anderson, vous parlez trop. Je serai forcé de prier vos amies de vous laisser en repos.

Un regard compatissant de la petite lady exprima sa suave résignation ; et, pour apaiser la sévérité du chapelain, elle but la boisson que lui offrait sa gouvernante.

— Puisque M. Anderson ne veut plus que je parle, approchez un peu, dit Katty.

Et, prenant sur la table qu’on avait avancée près d’elle un objet quelconque parmi ses joujoux, elle le remettait à un enfant, et elle l’embrassait.

Anderson avait ses deux mains sur le visage. L’homme de Dieu et de la science pensait et priait.

Aucun des enfants n’avait une idée précise de la cause funeste à laquelle cette munificence était due. Insoucieux comme à leur âge, ils laissaient se dépouiller Katty, sans éprouver d’autre impression que celle d’une joie confuse. Quelques-uns seulement entre les plus âgés devinaient un mystère pénible sous ces dons faits dans un appartement silencieux que le soir remplissait déjà de son ombre mélancolique.

Anderson me fit un signe ; je me glissai dans l’alcôve, tout auprès de lui.

— Voici la nuit, me dit-il, l’heure des crises. Je sens que la fièvre redouble ; touchez la main de l’enfant. Pendant ce temps, il alla à la porte du cabinet vitré, et en revint d’un bond. Il crut que je n’avais rien vu.

— Ce n’est pas votre main, Anderson. Qui donc ?

— Katty, — c’est moi. Je n’ai pas voulu passer devant votre porte sans vous dire bonjour.

— Merci, — me dit-elle ; — mais nous n’aurons pas de thé ce soir.

Et sa parole s’éteignait.

— Elle délire déjà, dit le chapelain.

— Eh bien, que soutenais-je hier ? Je savais fort bien où nous irions.

— Katty ! — vous souffrez, parlez moins.

— J’ai fini ; — voilà, — se tournant vers moi, le seul joujou qui me reste à vous donner.

Les enfants se levaient pour partir.

— Adieu, Bella ! adieu, Bridget ! adieu, Felicia ! adieu, Sibyl ! adieu, Margery ! adieu !… — Sa voix s’épaissit et n’arriva plus à ses lèvres.

Le chapelain plaça avec autorité la main sur la bouche de la petite lady.

Le joujou qu’elle m’offrait était le portrait de sa mère peint sur un médaillon, au revers duquel était le sien, en costume blanc ; celui qu’elle avait encore sur son lit de parade et de mort.

Sa bouche ouverte, sa respiration enflammée, courte et bruyante, son œil languissant, ce portrait, portrait qui pouvait être celui de deux vivantes ou de deux mortes ; ce digne ecclésiastique qui semblait, pour le dernier moment d’une lutte désespérée, réunir tous ses efforts, m’effrayèrent, m’épouvantèrent ; je m’échappai, je descendis, je courus au grand air.

À la porte, j’entendis un cri. — Je l’entends encore.


V

Quelque temps après cette scène, je me présentai à la porte de l’hôtel Brady que je trouvai fermée. L’herbe avait poussé sous la porte des écuries. L’hôtel ayant été loué pour cinq ans, le révérend Anderson en avait emporté les clefs avec lui. Je connaissais les réunions où se rendaient le dimanche les employés de la maison ; j’y allai, dans l’espoir de découvrir, d’information en information, la trace de quelque domestique qui, à son tour, m’aurait appris le dénoûment du drame de famille que je n’avais pas eu le courage d’attendre. Ma course fut inutile ; aucun compatriote de ces domestiques ne les avait vus depuis une date antérieure à la maladie de la petite lady. J’en conclus qu’ils étaient tous partis pour l’Angleterre. Anderson, fidèle à son serment, avait parfaitement pris ses mesures en exilant les derniers témoins de l’événement fatal. Il était même probable qu’ils avaient quitté l’hôtel avant d’en avoir connaissance. Les voisins m’en apprendraient sans doute davantage : Tel jour, telle heure, avez-vous remarqué, demandai-je à une fruitière logée à deux pas de l’hôtel Brady, un beau convoi traîné par des chevaux caparaçonnés d’argent, plumes blanches en tête ?

— Il en passe tant, mon bon monsieur, de morts riches dans ce quartier, que votre mort à plumes a pu m’échapper.

— Vous n’auriez pas vu passer non plus, le même jour, une petite bière d’enfant ?

— C’est si mignon, mon bon monsieur, qu’on ne tient pas compte de ces convois-là.

— Attendez, pourtant. N’y avait-il pas à votre convoi des petites demoiselles vêtues de blanc avec des roses blanches, des souliers de satin blanc, que c’était pitié par la crotte qu’il y avait ?

— Katty est morte ! ce convoi était le sien.

Me voyant pâlir, la fruitière me dit : — C’était donc votre parente, cette colombe ? Dame ! chacun son tour. J’en ai perdu une aussi de quarante-sept ans. Si vous tenez, du reste, à savoir les détails de la cérémonie, demandez à madame Dupré, la maîtresse de pension. L’enfant y était élevée et très-bien élevée encore ; il faut voir comme on les fait courir sur des poutres à se casser les reins ; il est vrai de dire que ça ne les empêche pas de mourir.

Il y avait longtemps que je n’écoutais plus la fruitière. Le convoi était celui de quelque jeune pensionnaire d’une maison d’éducation de la Chaussée-d’Antin : que m’importait ? Fragilité de notre âme ! du moment où j’étais convaincu que mon effroi avait été une erreur, j’étais moins certain de la mort de Katty ; c’est à ce prix que je me consolais ; je comprenais mieux maintenant lord Brady, nourrissant volontairement sa vie d’un doute perpétuel.

Nos propres douleurs ne sont pas éternelles ; celles qui nous viennent de causes étrangères doivent s’affaiblir ; la nature, la raison le veut ainsi. Après un an, deux ans de souvenirs pénibles, l’image de Katty s’envola de ma mémoire comme une fleur qu’on a placée entre les deux feuillets d’un livre. La fleur pâlit, se dessèche, se détache du livre, et un beau jour le vent l’emporte en poussière. Vous souvenez-vous de tous les papillons qui vous ont charmé, par une douce matinée de printemps, à travers les hautes herbes, de toutes les ondulations du blé dans la plaine ? Nous ne gardons rien du trésor de nos joies et de nos douleurs. Nous sommes des tombes.

Depuis cinq ans, bien d’autres pesantes histoires d’hommes avaient pris la place de cet épisode ailé d’un enfant dans le recueil de mon passé. Je n’avais plus que de vagues réminiscences de l’enfant, de sa figure, du docteur Anderson, de lady, de lord Brady ; personne ne m’en parlait, je n’en parlais à personne.


VI

Une soirée d’hiver, — de l’hiver dernier, — j’écoutais, assis auprès d’un bon feu, le récit familier d’un voyage en Suisse, que me faisait le voyageur lui-même, un ami, en posant tantôt son cigare sur le bord de la cheminée pour gravir le mont Rigi, buvant tantôt une goutte de kirsch pour reprendre des forces à la chapelle de Malchus. Comme c’est un homme d’esprit, il racontait sans chercher à faire de l’esprit. Je puis dire que je connais la Suisse depuis que je l’ai entendu et après avoir oublié cette contrée, à force d’en lire des descriptions.

— Qu’avez-vous enfin remarqué de plus extraordinaire dans ce pays, après le mont Blanc, le Montenverd et les représentants de la république helvétique ?

— Les Anglais, me répondit-il ; le seul peuple qui, par sa langue, ne puisse se faire comprendre à aucun des treize cantons. Cette calamité exceptionnelle les force à recourir à une dépense ruineuse de gestes ; ils usent leurs doigts ; s’ils veulent seulement exprimer le désir de manger un poulet rôti, il faut, dans leur douloureuse mimique, qu’ils imitent le bruit du poulet qu’on égorge et le bruit de la broche mise en branle. Après ces méritoires efforts, le cuisinier suisse leur sert souvent un lièvre en civet.

Et beaucoup d’autres esquisses des mœurs anglaises me furent présentées par mon ami.

La moins originale n’était pas celle-ci :

Fatigué de la vie, un riche lord avait eu recours à la distraction des voyages. Telle était, du moins, la version avec laquelle on expliquait plus généralement son long pèlerinage hors de l’Angleterre ; mais il était à bout de supporter la torture de l’ennui intérieur dont il était dévoré. De fait, la tristesse de son visage l’affirmait. Les mers et les continents avaient porté tour à tour sa goëlette allant de côte en côte, ses lourdes voitures broyant le pavé des villes.

— Et le nom de cet Anglais ? demandai-je à mon ami.

— Mac Ferlus.

— Un lord écossais. Un instant j’avais eu l’idée que ce pouvait être…

— Quoi donc ?

— Rien. — Un vieux souvenir.

— Or, cet Anglais avait parcouru l’Égypte, la Syrie, l’Arabie, la Perse, l’Inde, le Japon.

— Et il s’y était ennuyé ?

— Et d’un ennui dont il s’attribuait la cause. Folie, se dit-il, d’aller toujours où l’on veut aller et où tout le monde est allé ; car on ne va jamais que là. Quelle routine de revêtir toujours l’habit de voyage des autres, et de marcher dans leurs souliers !

— John ! dit-il à son intendant, vous me conduirez désormais où il vous plaira ; je vous laisse le choix entre les quatre parties du monde. Seulement ne m’apprenez jamais où nous serons ; peu m’importent, vous le savez, les villes et leurs habitants. Je ne parle à personne, je ne m’intéresse à rien. Roulez-moi, c’est tout ce que je vous demande.

Depuis deux ans, l’intendant de Mac Ferluûs obéissait avec la plus aveugle exactitude aux ordres donnés par son maître, qui avait pu se croire en Perse, lorsqu’il avait une seconde fois traversé la Turquie, et qui s’imaginait se trouver peut-être en Allemagne ou en France, quand je le rencontrai en Suisse.

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La barrière de l’Étoile est, par sa situation, la plus magnifique de toutes celles qui cernent Paris. On dirait une écluse à pic d’où s’écoulent, dans Paris, qu’elle domine, des vagues incessantes de voitures de toutes formes, de chevaux hennissants et emportés par la pente du terrain, de diligences chargées de voyageurs, qu’effraye la splendeur étalée sous leurs regards. Au moment où on le découvre de ce point, Paris entier part, pour ainsi dire, comme une détonation ; c’est un lever du soleil vu du haut de la montagne. Une ville se lève ; et quelle ville ! dix lieues d’arbres, dix lieues de monuments ; dix lieues de rivières ! Les Tuileries, le Louvre, Notre-Dame ! le Panthéon, les Invalides ! la Seine. Le soleil semble trop petit pour éclairer tout ça ! Sur vous, levez les yeux, l’arc de triomphe !

L’effet est colossal et unique.

Eh bien, une petite mauvaise grille d’égout, large de dix pieds, peut-être en fer, vous sépare de ces merveilles. Il faut presque demander le cordon pour s’introduire dans la capitale de l’univers. L’octroi le veut ainsi.

Un jour j’étais là, adossé à cette grille, regardant Paris.

Un cheval s’était rangé contre la barrière, du côté intérieur de Paris, pour laisser le passage libre à une voiture de voyage, suivie d’autres voitures toutes massives de cuir noir et de roues de cuivre. Un équipage anglais.

Le cheval de la grille était monté par une jeune personne vêtue d’une amazone bleue.

La voiture passe.

J’entends une glace qui se brise. Deux mains et deux cris sortent.

Le cheval de la jeune personne recule de trois pas :

— Katty ! Katty !

— Qui m’appelle ?

— Katty ! Katty ! — fille d’Hanna ! ma fille !

Je crois que si dans ce moment le roi de France était venu à passer, lui et toute sa cour, j’aurais oublié de me découvrir.

Prenant sa fille dans ses bras comme lorsqu’elle n’était que la petite Katty, lord Brady la souleva de terre, et il marcha quelques pas en l’embrassant ainsi.

Mais quand il la posa à terre, ce fut au tour de sa fille à le soutenir. Ils descendirent ainsi à pied les Champs-Élysées, le père appuyé sur l’enfant.

Et moi ! je les suivais du regard.

Je compris alors que le spectacle de tous les monuments du monde, des capitales et des populations d’un million d’âmes, ne valait pas, pour remuer le cœur, ce père et cette fille qui se rencontraient par hasard à la porte d’une ville, après huit ans d’une séparation qu’ils croyaient éternelle. Et je les vis décroître dans le prolongement des Champs-Élysées.

Le père ne me connaissait pas ; l’enfant m’avait oublié.

Je ne les vis plus. — À quoi bon les revoir ?

J’appris seulement que lorsque le père et l’enfant arrivèrent à l’hôtel, prévenue par le domestique de lady Katty une femme était au milieu de la rue, qui attendait.

— Milady ! vous ici ! par le Dieu tout-puissant Hanna, dites-moi, comment vous aussi avez retrouvé notre fille !

— Milord ! Dieu me pardonne mon parjure ! je ne l’ai jamais quittée.

Il est superflu de dire que le révérend Anderson avait laissé Katty à Paris, comme l’endroit de la terre où l’on cache le plus facilement sa vie ; et aussi inutile d’ajouter que l’intendant de lord Brady, libre de conduire son maître où cela lui plairait, l’avait mené à Paris.

C’est tout ce que je sais.