Les secondes oeuvres de mesdames Des Roches, de Poictiers, mère et fille/Bergerie

Les secondes oeuvres de mesdames Des Roches, de Poictiers, mère et fille
Nicolas Courtois (p. 23-32).

BERGERIE.

Les noms des Bergers Violier, Fleurion.
Les noms des Bergeres, Marguerite
Roſeline, Penſée, Amaranthe.
Violier.


ORES que mes Brebis ſont dedans la prairie,
Repaiſſant a ſouhait la belle herbe fleurie,
Ie me veux retirer deſſoubz cet arbriſſeau,
Pour eſtre vigilant, voiſin de mon troupeau.
Et la i’entretiendray vn penſer agreable,
Un penſer qui m’est plus que le Soleil aimable,
Le Soleil donne iour a nos yeux corporelz,
Ce beau penſer fait voir les eſpritz immortelz,
Il leur fait contempler ſur la voute AEtherée,
Des ſept Globes diuins la dance meſurée :
Tous ceux qui ont des yeux ne la connoiſſent pas.
Mais le diuin penſer est iuge de leurs pas,
Liſant euidemment au ſein de la Nature,
Le paſſé, le preſent, & la cauſe future.
Ce dous penſer attache vne aile a mon deſir,
Pour le faire voler au lieu de mon plaiſir.
Puis il vient r’apporter au profond de mon ame,

Le pourtrait des vertus & beautez de Madame.
O penſer mon mignon combien i’ay de douceurs,
Combien i’ay de plaiſirs, de tes ſaintes faueurs !
O mon cher compagnon, par ta douce preſence
Ie voy les yeux fermez, le diſcours en abſence.
O gracieux penſer tu charmes doucement
Mes ſens qui ſont par toy priuez de ſentiment.

Flevrion.

Le Ciel me rit touſiours ie ſaulte d’alegreſſe,
I’oeillade les beautez de ma chere maiſtreſſe,
Ie nourris mon esprit de ſes propos tant dous,
Ie ſuis favoriſé de la fortune heureuſe,
Et i’ay tant de plaiſir en ma vie amoureuſe,
Que le Bonheur ſeroit de mon bonheur ialous.

L’Ennuy pâle & defait iamais ne ſe rencontre,
Au deuant de mes yeux, le Soupçon ne ſi monſtre,
La Crainte, le Souci, la Peine, & la Douleur
S’écartent loing de moy, voyant ce beau viſage,
Cette vnique beauté, qui me tient en ſeruage,
Brief le Bonheur ſeroit ialous de mon bonheur.

Mais qui eſt ce Berger penſif & ſolitaire,
Qui ſe tire à l’eſcart fuyant le populaire,
Et ſe monstre rauy en un grand penſement ?
Seulet il s’entretient du paiſible silence,

Ie le veux accoſter d’vne humble reuerence
Donnant a mes propos vn tel commancement.

Pan le Dieu des Bergers recompenſe vos peines,
Faiſant multiplier vos Brebis porte-laines,
Rende vos troupeaux gras, voſtre ſerf diligent,
Votre champ fructueux voſtre main dure & forte,
Dans voſtre cors dispos garde voſtre ame accorte,
Vos greniers plains de blé, vos cofres plains d’argent.

Viol.

Ainſi ſoit-il de vous, voyre trop mieux encore,
Mais ne m’eſlongnez point du penſer que i’adore.

Flev.

Chaſſez pluſtoſt de vous ce penſer rauiſſant,
Par l’aymable regard d’vne gaye Bergere,
Ce penſer s’enfuyra comme choſe legere,
Un regard amoureux eſt touſiours plus puiſſant.

Viol.

Vraiment des yeux aimez ont beaucoup de puiſſance :
Ie l’ay veu en preſence & le ſens en abſence.

Flev.

Ce qui eſt loing des yeux s’eſlongne außi du cueur,
Aymez les beaux obietz que l’amour vous preſente.

Viol.

Ha ! ie ſuis tant lié des graces d’Amaranthe
Qu’vn autre œil ne ſera iamais du mien vaincueur.

Flev.

Que vous ſert-il d’aymer vne beauté abſente ?

Viol.

Amour inceſſamment à mes yeux la preſente.

Flev.

Ie ne ſuis pas ainſi, j’ayme ce que ie voy,
I’accompagne en tous lieux ma belle Marguerite,
Elle qui reconnoist ma Foy & mon merite,
Me retenant pour ſien ſe donne toute a moy.

I’ay quelque fois esté amoureux d’vne Fille,
Qui eſt en mon pays belle, honneſte & gentille,
Mais ores me voyant eſlongné de ſes yeux,
Dont ie n’ay retenu que de foibles images
Pour donner quelque frain à mes deſirs volages,
Ie ſuis d’un autre amour doucement ſoucieux.

Viol.

Vous n’aimaſtes iamais, ou vous n’eſtes prenable,
Ou l’obiet qui vous prit n’est point aſſez aymable :
Non i’en donne du tout la coulpe a voſtre esprit,
Vostre eſprit reſſemblant aux communes tabletes
Ou lon eſcrit cent fois, cent fois on les rend nettes
Pour y grauer touſiours quelque nouuel écrit.

La playe de l’Amour est du tout incurable,
Si l’aimée ne void d’vn regard pitoyable

Son Amant languiſſant, qui le pourra guerir ?
Si l’Amour luy deſcoche vn beau trait de ſa trouſſe,
Si ſon Amant la treuue humble, courtoiſe & douce,
C’est viure mille-fois & mille-fois mourir.

Flev.

Ie ne mourray iamais aymant de telle ſorte.

Viol.

Vous n’aymerez iamais, ſi voſtre ame en foy morte
N’eſt vive en ſon aymée.

Flev.

Il me plaist d’eſtre ainſi,
D’aymer ſans paßion.

Viol.

Moy bien que ie ſouspire
Enflamé des vertus & beautez que i’admire,
Ie treuue mes plaiſirs au ſein de mon ſouci.

Flev.

Ma Maiſtreſſe s’en vient, ô mon Dieu qu’elle est belle,
La voyez vous Berger ? chantons pour l’amour d’elle.

Viol.

Vous penſez diuertir ce gracieux penſer
Qui retient mes eſpris : la beauté qui me touche
Se lira dans mon cueur, s’entendra de ma bouche,
Ie veus en ſa faueur ma Chanſon commancer.

Flev.

Ie veux chanter auẞi, puis que ma Bergerette

Aẞiſe aupres de moy, d’vne force foiblette
Preſſe mes doitz des ſiens. Car ſes douces faueurs
Me r’alument le cueur de nouuelles ardeurs.
Amy commancez donc, puis ie ſuiuray vos traces,
Chantant ma belle Fleur, & ſes gentilles graces.

CHANSON.

Viol.

Amaranthe dont les beautez
Ne ſe verront iamais ternies,
Ie ne deſire priuautez
Que de vos graces infinies.

Mes ſens l’vn de l’autre jalous
Se bruloyent en vostre lumiere,
Ores mon cors est loing de vous,
Mon ame dans vous priſonniere.

Mon œil reſſembloit vn tiſon
Qui m’eſlançoit au cueur la flame,
Mon cueur eſt plus ſeur en priſon,
En vous la priſon de mon ame.

Comme le celeſte flambeau
Nous offence la foible veüe,
Si fait vostre Soleil iumeau
Qui ne ſe voyle d’une nüe.

L’abſence me ſeruira don’,
De ce fauorable nüage,
Et voſtre celeſte brandon
Luira ſans fin dans mon courage.

Abſent ie voy ce creſpe d’or,
Qui enuironne voſtre teste,
De vos vertus le beau threſor,
Er vostre grace tant honneste.

I’ayme bien vostre teint vermeil,
Et voſtre bouche coraline,
Mais plus cet Eſprit nompareil
Qui vous fait estimer Diuine.

Vos exercices coutumiers
Me font touſiours en la memoire,
Je donne louange au premiers
Et au derniers ie donne gloire.

Allez ma petite Chanſon
Salüer la belle Amaranthe :
Receuez ame par le ſon
De ſa douce voix qui m’enchante,

I’ay dit gentil Pasteur, ſuyuez donc s’il vous plaist,
Et chantez le plaiſir, qui vostre Ame repaist.

Flev.

CHANSON.


MArguerite mon cher ſouci
Voulez vous pas chanter auẞi ?
Sus mon cueur chansons a l’eſpreuue
Le bien qui en l’amour ſe treuue.

Margve.

Dépuis ô gracieux Pasteur,
Que je vous tiens pour ſeruiteur,
I’ay touſiours fait heureuſe eſpreuue
Du bien qui en l’amour ſe treuue.

Flev.

Iamais le Cheureau ſautelant,
Autour de ſa mere belant,
Ne l’aymera d’amour ſi franche
Que moy voſtre belle main blanche.

Margve.

La Bichete qui court au bois
Suiuant de ſa mere la voix,
N’espere pas tant en ſa mere
Qu’en vous mon Fleurion i’eſpere.

Flev.

Roſeline m’auoir predit
Que i’aurois en amour credit,
Lors que ie vy deux tourterelles
Qui ſe mignardoient de leurs ailes.

Margve.

Ie ſongeois me voir l’autre ſoir
Bien belle dedans vn miroir,
Et me fut predit de Penſee
D’eſtre en amour fort auancée.

Flev.

Mignonne voyez vous aller par les campagnes
La Bergere Penſée, honneur de vos compagnes ?

Margve.

Ie la voy mon Berger, ie voy ſes blonds cheueux
Enlaſſez proprement de mille petis neux,
Ie voy de ſes yeux vers les diuines flameches,
De Venus le brandon, de Cupidon les flèches,
Ie voy de ſon beau frond l’iuoire blanchiſſant,
De ſes leures ie voy le coural rougiſſant,
Ie voy ſon col marbrin, ſa rondelette oreille,
L’arc de ſes beaux ſourcis, & la joie vermeille,
Ie voy ſon port gaillard, ſa graue maiesté.
Mais ie voy cheminer d’vn pas mal arreté
La belle Roſeline elle eſt toute ennuyee :
Pensée la ſoustient doucement apuyée,
Sur ſon bras delicat : elles viennent vers nous.

Roseline.

La Déeſſe Pales ait touiours ſoin de vous,
O Bergers mes amys, me direz vous nouuelle,
De ce que i’ay perdu ? d’vne petite Agnelle ?

Sa toiſon crepillonne, & ſemble du coton,
Ell’à le poil folet à l’entour du menton :
La Mere en auoit deux : i’ay donné la plus grande :
Mais cet autre s’enfuit, & ie vous la demande :
A qui me la rendra ie luy donne en pur don,
Un Curedent d’ivoire, auec vn beau cordon
Pour mettre à ſon chapeau, en couleurs il reſſemble
Le Damas, le Soucy & le Lys tout enſemble.

Viol.

Bergere voyez vous ce que vous cherchez tant ?
Vostre Agnelle s’en vient folaſtrement ſautant,
Tenez, ie vous la rends.

Rose.

Prenez la recompance
Que ie doy vous donner pour vostre diligence :
Receuez ce preſent.

Viol.

Bergere ie ne puis :
Mais la belle Pucelle, à qui humble ie ſuis,
Le prendra bien pour moy, s'il luy est agreable,
Au moins ce Curedẽt qui est d’oeuure admirable.
L’Agathe de Pyrrus repreſantant ſi bien
Les neuf ſçauantes ſeurs & le Dieu Delien,
Ne le ſurpaſſoit point. ô le gentil ouurage !
Mais voyez d’vn costé en ce plaiſant nuage
La fille de Thaumant, éclatant ſes couleurs,

Teſmoignage certain que les celestes pleurs
Ne couuriront iamais la face de la Terre,
Comme au tans que les Eaux luy firent tant de guerre :
Voiez du Ciel amy les ſignes plus benins.
Voiez d’autre costé tant de troupeaux marins,
Et Prothé leur paſteur : ſa houlete dorée,
Paroist de bonne grace en la mer azurée.
Vraiment ce Curedent de ſi riche façon,
Vaut l’Agnelle cent fois, dont il paie rançon,
O qu’en vn petit lieu la beauté ſe voit grande !

Rose.

Tel qu’il est Violier, celle qui vous commande,
Le receura de moy.

Viol.

Allons donc la chercher :
Ell’est fort loing d’ici, commençons à marcher.

Flev.

Quoy vous retournez donc au lieu de vostre priſe ?

Viol.

Pour en estre élongné ie ne ſuis en franchiſe,
Auẞi ne veus ie point m’afranchir du pouuoir
De celle qui me tient en mon iuste deuoir.

Rose.

Pendant que nous ferons un ſi plaiſant voiage,
Le Loup ſortant du bois prendra ſon aduantage :
Mais laiſſons nos troupeaux à Saugin pour garder,

Il voudra bien touiours ſoigneux y regarder.

Viol.

Ie le veux allons toſt, ſus gentilles Bergeres
Monſtrez vous en marchant diſpoſtement legeres.

Pense.

Roſeline ie veux accompagner vos pas,
Ie reuere Amaranthe, & ne la connois pas,
Mais de fon Violier l’amour ſi vehemente
Me fait auoir en pris les graces d’Amaranthe.

Viol.

Pouvez-vous bien iuger par mes affections
La grandeur d’Amaranthe, & ſes perfections ?

Pense.

Comme le Paintre expert bien ſouuent fauoriſe
Celuy qui n’est pourueu de beauté tant exquiſe,
Et pour le faire voir de grace en vn tableau
Luy racouſtre les traits, luy fait le teint plus beau :
Ainſi l’Amour flateur ſouuent imprime en l’ame
Auec trop de faveur les beautez d’vne Dame.
Et peur-estre qu’ainſi vous estes peu reglé
Par vostre iugement de l’Amour aueuglé.

Viol.

Le Paintre plus exquis n’a iamais ſçeu atteindre
La beauté que Nature a mémes voulu peindre,
Au Prince Demetrie ; außi l’amoureux trait
Ne peut favoriſer le gracieux pourtrait

De la belle Amaranthe, il n’en eſt point de telle.

Pense.

Ie ne m’estonne point ſi vous ſoufrez pour elle.
Mais comment eſtes vous ſi long tans ſans la voir ?

Viol.

Cete abſence ma fait pluſieurs biens receuoir,
Premierement ie rends preuve de ma constance,
Ie nourris mon deſir d’une douce esperance,
I’ẽtretiens ma Maiſtreſſe auec maintz beaux diſcours,
Et n’oſe la voyant parler de mes Amours.
Ie crains estant preſent que mon Ame rauie
Pour loger dans ſes yeux deſrobe außi ma vie :
Loing ie ſuis aſſuré, la guerre de mes ſens
N’eſt pas ſi forte en moy, que le bien que ie ſens.

Pense.

Pourquoy cherchez vous donc l’obiet d’vn tel martire ?

Viol.

Mon œil craĩt de la voir, mais mon cueur la deſire

Pense.

Vous n’auez plus de cueur, il est dedans ſon ſein.

Viol.

Le cors ſi loing du cueur ne peut pas eſtre ſain :
Comme le Gouuerneur qui commande vne ville
Voiant que l’on eſmeut une guerre ciuille
Se monstre vigilant à reprimer l’effort
De cetuy-la qui veut paroistre le plus fort :

Tout ainſi quand ie ſens ma paßion diverſe
Maistriſer mon deuoir, ſoudain ie la renuerſe :
Mais i’ay tant commandé à mon propre deſir,
Qu’il est tans qu’il retourne au lieu de ſon plaiſir.

Ie voy l’heureux païs, que ma belle guerriere,
Ilustre par le feu de ſa viue lumiere.
O païs bien-aimé que le Ciel vous est dous
Pour la diuine fleur, qu’il à produit’ en vous !

Rose.

Penſee mon cher ſouci,
Cependant que l’Amaranthe
Tiendra Violier tranſi
En vn penſer qui l’enchante.

Chantons de la liberté,
Car la liberté des Dames
C’est la plus belle clarté
Qui puiſſe luyre en leurs Ames.

Pense.

Roſeline les eſpris
Ne ſe treuuent tous de mémes,
L’vn ſe plaist bien d’eſtre pris,
L’aultre de viure à ſoy mémes ?

Mais vne ſainte amitié

Ne fait perdre la franchiſe :
Le Ciel est d’amour lié
Quand la Terre il favoriſe.

Rose.

I’apris d vn petit Garſon
Chez la Bergere Clytie,
Vne amoureuse Chanson,
Qui me ſemble fort jolie.

Pense.

Roſeline mon ſouci,
Cependant que l’Amaranthe
Tiendra Violier tranſi,
Ie te pri’ que tu la chante.

Rose.

CHANSON.

Pourquoy vais tu nu Amour ?
Am. Pour-autãt que la Nature
A fait ainſi naiſtre au iour
Toute humaine Creature.

Pourquoy portes tu ces Traitz
Que son petit arc deſſerre !
Am. C’eſt pour maintenir la Paix
Par la crainte de la Guerre.

Qui ſont tes guerriers Soudars ?

Am. Sans me donner tant de paine,
Ie porte mes Estandars
Soubz moy-méſmes Capitaine.

Tu nes qu’vn petit Enfant.
Am. Que vous chaut il de ma taille,
Si i’aporte Triomphant
Tout l’honneur de la bataille ?

Ie croy que tu ne voy point.
Am. Ie ne bleſſe à l’impourueüt,
Les fleches dont l’Amour point
Touſiours entrent par la veüe.

Pourquoy es tu emplumé ?
Am. Pour voler en toute place,
Et ce brandon alumé
Fond la pareſſeuſe glace.

Pourquoy donnes tu la mort ?
Am. C eſt l’inique ialouſie,
Qui la traine auec ſon fort,
Mais moy ie cauſe la vie.

Ma Penſée, voila, ce que l’Enfant diſoit :
Ie retins la Chanſon : car elle me plaiſoit.

Pense.

Roſeline ie voy, aupres d’vne Fontaine
Une Nymphe qui eſt de beauté plus qu’humaine.
Elle apuie ſon bras encontre vn Olivier,
Et met dedans ſon ſein des feuilles de Laurier,
Son ſein ou i’entrevoi deux pommetes iumelles,
Mes yeux n’en virent onc, ce croi-ie, de ſi belles.
Ce n’eſt que neige & lait : ſon viſage riant
Reſſemble proprement vn Soleil d’Oriant.
Ha ! c’eſt une Déeſſe, ô beauté nompareille,
Que vous rempliſſez l’œil d’vne douce merueille.

Rose.

Penſée vous voiez celle que tient eſpris
Le gentil Violier, qu’en iugent vos eſpris ?

Pense.

C’est donques Amaranthe ; ô Dieu qu’elle eſt gentille.

Rose.

Vous ne veiſtes iamais vne plus ſage fille,
Son Eſprit de vertus & letres curieux
Surpaſſe de beaucoup la grace de ſes yeux.

Pense.

Elle va prendre vn Lut, éſcoutez, ell’acorde
Sa gracieuſe voix, & le ſon de la corde.

CHANSON.

Amaranthe.

Mon Dieu ſi l’Amour est amer,

Qui rend ſa priſon ſi plaiſante ?
S’il est Dous qui fait pour aimer
Sentir douleur ſi violente ?

Si c’est vn Roy ſage & benin,
Qui luy fait bourreler la vie ?
S’il eſt Tyran, pourquoy ſans fin
Vent ont ſuiure ſa Tyrannie ?

S’il est Liberal, & faut-il
Le ſoubçonner d’ingratitude ?
S’il eſt Ingrat & Inutil,
Que ne fuit-on ſa ſeruitude ?

S’il obſerue touſiours la Foy,
Qui le fait nommer Infidelle ?
S’il est Menteur, qui rend ſa loy,
Entre les Mortelz immortelle ?

Si ſon brandon luit ſaintement,
Comment peut-il bruler vne ame ?
Et s’il la brule außi, comment
Peur elle viure en telle flame ?

O feu amoureuſement dous,
O douces flames amoureuſes,

En viuant & mourant pour vous,
La vie & la mort ſont heureuſes.

Rose.

Voila de Cupidon les effetz tant diuers,
Qu’Amaranthe fait voir dedans ces petis vers :
Et cete affection naïuement decrite
Fut chantée autre-fois par Sincere & Charite.


FIN.