Les périodes végétales de l’époque tertiaire/13

LES PÉRIODES VÉGÉTALES
DE L’ÉPOQUE TERTIAIRE.

(Suite. — Voy. p. 170 et186.)
§V. — Période pliocène.

Le Callitris Brongniartii, que nous avons signalé dans l’éocène, et qui joue un rôle si considérable dans les gypses d’Aix persiste à se montrer, entouré du même cortège de Cinnamomum ou camphriers.

Le Séquoia Langsdorfii, le Carpinus grandis, le Dryandroides lignitum, l’Acer trilobatum, le Sapindus falcifolius, les Podogonium, l’Acacia parschlugiana et bien d’autres espèces que je pourrais citer attestent la permanence des mêmes types, dans un âge déjà postérieur à celui d’Œningen. Il est vrai qu’on ne saurait signaler aucun palmier dans la flore sarmatique, mais nous avons fait voir que ces végétaux étaient déjà fort rares à Œningen. Rien donc ne dénoterait ici de prochains changements, si l’on ne remarquait, auprès de Vienne, la présence répétée de certaines formes, apparemment douées d’une vitalité plus robuste que d’autres et qui, déjà présentes ou abondantes dès le miocène, sont destinées à prolonger leur existence jusqu’au milieu ou même jusqu’à la fin de la période suivante. Ce sont avant tout : Glyptostrobus europœus, Br., Betula prisca, Ett., Planera Ungeri, Ett., Liquidambar europœum, Al. Br., Platamus aceroides, Gœpp., Parrotia pristina, Ett., Grewia crenata, Ung., Acer Ponzianum, Gaud., A. integrilobum, O. Web., etc.… La plupart d’entre eux ont été figurés précédemment ; je donne ici la représentation de celles qui ne l’ont pas été, et le lecteur doit s’attendre à les retrouver toutes, en remontant la série (fig. 2).

La flore qui succède immédiatement à celle de l’étage sarmatique, dans le bassin de Vienne, celle des couches à congéries, permet de constater plusieurs changements : le Callitris et les camphriers ne se montrent plus, les Acacias sont absents ; ces types ont quitté pour toujours notre sol, mais on observe encore celui des Séquoia et, sous le nom de Phragmites, on trouve de vrais bambous ; favorisés sans doute par l’humidité du climat qui tend à s’accroîtra, nous les verrons persister, associés à nos roseaux, et faire un peu plus tard l’ornement des flores certainement pliocènes de Meximieux et du Cantal. Sur l’horizon des couches à congéries, on voit apparaître aussi, plus fréquemment que dans le miocène proprement dit, le hêtre, non pas précisément notre hêtre, Fagus sylvatica, mais un type très-voisin de lui qui s’étend et se propage de toutes parts et qui atteste, par cette extension même, l’influence de l’humidité, si nécessaire à la prospérité de cette essence forestière (fig. 3).

En Italie, on doit rapporter à un niveau à peu près équivalent à celui des couches à congéries, les flores de Stradella, près de Ravie, et de Senigaglia, dans les Marches ; elles dénotent les mêmes combinaisons, en laissant voir plus d’élévation dans la température, à raison de la position plus méridionale de ces deux localités. Les gypses de Stradella montrent l’association du camphrier miocène, Cinnamomum polymorphum, Hr., avec le hêtre, Fagus attenuata, Gœpp., le Charme et divers Érables pliocènes. À Senigaglia, dont la flore est d’une grande richesse, non-seulement les palmiers ont laissé des vestiges certains ; mais on observe de plus, à côté de certains types miocènes, comme les Séquoia Stembergii et Langsdorfii, le Libocedrus salicornioides, le Taxodium dubium, Gœpp., le Sapindus falcifolius, etc., dont la présence ne saurait être douteuse, des formes de chênes, d’érables, d’ormes, de charmes, de hêtres, de noyers, intimement alliées à celles qui peupleront le pliocène et par celles-ci à des espèces encore vivantes. La flore de Senigaglia est riche également en formes végétales communes aux deux périodes et que nous devons citer comme caractérisant aussi bien le pliocène que le miocène ; ce sont principalement les suivantes : Glyplostrobus europœus, Ilr., Salisburia adiantoides, Ung. (fig. 4), Planera Ungeri, Ett., Platanus aceroides, Gœpp., Liquidambar europœum, Al. Br., Sassafras Ferretianum, Massal., Oreodaphne Heerii, Gaud., Liriodendron Procaccinii, Ung., Tilia mastaiana, Massai., Juglans bilinica, Ung., Cercis Virgiliana, Massai., etc. (fig. 5)[1]. Ces espèces et bien d’autres que l’on pourrait citer, non-seulement persistèrent en Europe par delà l’âge miocène où l’on commence à les rencontrer, mais elles présentent encore des correspondants directs au sein de la nature actuelle. Ces correspondants sont presque tous, il est vrai, situés hors de l’Europe et plusieurs très-loin de ce continent, en Amérique, comme le Tulipier et le Sassafras ; en Chine ou au Japon, comme le Ginkgo et le Glyptostrobus ; d’autres aux Canaries, Oreodaphne, ou dans l’Asie occidentale, Platane, Planère, Liquidambar. Le plus petit nombre (Cercis, Acer) est demeuré européen ; mais en dépit de cette dispersion, la parenté est si étroite entre les formes restées si longtemps indigènes, si tardivement éliminée de notre sol, et leurs homologues de la nature vivante, qu’il est impossible de ne pas admettre que les unes et les autres ne soient originairement issues de la même souche.

Fig. 1. — Ficus Colloti, Sap.
1 et 2. Base et terminaison supérieure d’une feuille. Miocène supérieur d’eau douce de Provence.
Fig. 2. — Espèces mio-pliocènes caractéristiques.
1. Grewia crenata, Ung. — 2. Acer Ponzianum, Gaud. — 3. Acer integrilobum, O. Web.
Fig. 3. — Hêtre mio-pliocènc d’Italie ; formes diverses.
1. Senigaglia. — 2. Stradella. — 3. Guarene.
Fig. 4. — Espèces mio-pliocènes caractéristiques de Senigaglia.
1-2. Salisburia adiantoides, Ung. — 3 Sassafras Ferretianum, Mass. — 4. Acer Cornaliæ, Massail.

La présence répétée du Hêtre et du Platane, et leur association presque inévitable dans ce premier âge, à l’aurore même des temps pliocènes, constituent des indices qui ne sauraient être trompeurs de la douceur et de l’humidité du climat. Un climat extrême ne saurait convenir au Hêtre, auquel il faut des précipitations aqueuses dans toutes les saisons ; et des étés sans chaleur n’auraient pu favoriser l’extension du Platane, auquel la chaleur et l’eau sont à la fois nécessaires pour lui faire obtenir tout son développement. Remarquons encore la présence du Tilleul, auparavant inconnu ou très-rare en Europe, relégué plutôt vers les régions arctiques et que nous allons maintenant retrouver partout, remarquons aussi le Tulipier, le Sassafras, le Platane, le Liquidambar, le Ginkgo, auxquels la fraîcheur est absolument nécessaire, et qui tous avaient eu, dans un âge antérieur, les alentours du pôle pour première demeure, avant que l’Europe devenue moins chaude et plus humide, sans cesser encore d’être tempérée, leur eût ouvert des terres, où ces types purent se propager en toute liberté.

Fig. 5. — Espèces mio-pliocènes caractéristiques de Senigaglia.
1. Quercus Fallopiana, Massal. — 2. Quercus Cornaliæ, Massal. 3. Liriodendron Procaccinii, Ung. — 4-5. Tilia Mastaiana, Massal. (feuille et fruit). — 6-7. Cercis Virgiliana, Massal, (feuille et fruit).

Dans la vallée du Rhône, à la même époque, la mollasse marine de Saint-Fons (Isère) comprend le Platane ; les lignites de la Tour-du-Pin montrent ce même Platane associé au Hêtre pliocène (Fagus sylvatica pliocenica) à feuilles déjà entières et ondulées sur les bords et à une Juglandée voisine de notre Noyer indigène. Par ces lignites, par celles de Hauterives, par les sables de Trévoux, nous entrons dans le pliocène et nous rencontrons partout le Hêtre, que les cinérites du Cantal vont nous offrir en grande abondance. Cet arbre doit être pour nous l’indice le plus précieux du climat que possédait l’Europe d’alors et qui lui permit de conserver dans une association harmonieuse les éléments qui constituent les plus riches forêts du nord, combinés avec ceux qui entrent dans la composition des massifs boisés des îles Canaries et des confins de la région caucasienne.

Fig. 6. — Plantes pliocènes de Vaquières (Gard).
1-2. Arundo ægyptia antiqua, Sap. et Mar. 1. Tige adulte. 2. Feuille. — 3-5. Alnus Stenophylla, Sap. et Mar. 3-4. Feuilles. 5. Fruit. — 6. Viburnum palæomorphum, Sap. et Mar. — 7. Viburnum assimile, Sap. et Mar.

Avant de pénétrer au sein de ces forêts primitives encore à l’abri des atteintes de l’homme, trop faible ou trop isolé, trop peu intelligent peut-être pour avoir la pensée de les détruire, imitons ces voyageurs qui abordent par mer une contrée inexplorée, qu’ils viennent visiter : des fouilles opérées par M. le professeur Marion et par moi, près de Vaquières, dans le Gard, donnent la facilité de reconstituer intégralement la végétation qui accompagnait les rives d’un petit fleuve, vers son embouchure. La mer au sein de laquelle venait se perdre ce cours d’eau qui se confondait peut-être avec le Gardon actuel appartient aux premiers temps de la période pliocène, puisque ses dépôts sont immédiatement postérieurs à ceux des couches à congéries. Les eaux probablement limpides du Gardon pliocène étaient ombragées d’un rideau touffu d’Aunes, appartenant à une élégante espèce qui tient le milieu entre un Aune syrien, Alnus orientalis Dne, et l’Alnus maritima Leg., du Japon. À cet Aune aux feuilles élancées, finement denticulées sur les bords (Alnus sténophylla Sap. et Mur.) (fig. 6), se mêlaient des Viornes, dont l’une rappelle notre Laurier tin, taudis que l’autre a son analogue actuel en Chine. Plus loin, des Lauriers, des Érables, de la section de notre Érable à feuilles d’obier, un célastre épineux d’affinité africaine formaient des fourrés, qu’un Smilax sarmenteux rendait inextricables. À l’écart, non loin des eaux, dans le sable humide, croissait le Glyptostrobus europæus, dont l’homologue chinois sert d’encadrement aux rizières de la province de Canton ; mais de plus, à Vaquières, un grand roseau, assimilable à une race, qui de nos jours couvre les bords du Nil ou encore à l’Arunda mauritanica, Desf., d’Algérie, multipliait ses colonies au contact même de l’eau qui baignait en même temps les touffes d’une élégante fougère, Osmundo bilinica (Ett.), Sap. Cette osmonde offre cette particularité de dénoter la présence d’une section devenue étrangère à l’Europe, où l’O. regalis L. est de nos jours l’unique représentant du groupe. Les empreintes de ces espèces, quelques-unes, comme celles du roseau (Arundo œgyptia antigua, Sap. et Mar.), accumulées en masse, ont été recueillies dans la vase sableuse que l’ancien fleuve entraînait jusqu’à la mer, au moment des crues ; elles nous découvrent l’aspect que présentait un petit coin du littoral pliocène. Cte  G. de Saporta

La suite prochainement. —

  1. Parmi les espèces mio-pliocènes de Senigaglia, que représentent nos figures 4 et 5, il faut remarquer les deux chênes, Quercus Fallopiana et Cornaliœ (fig. 5, 1-2) et l’Acer Cornaliœ (fig. 4, 4). Le Q. Fallopiana reproduit le type de nos robur : le Q. Cornaliœ, au contraire, se rattache de très-près au type infectoria. Quant à l’Acer Cornaliœ il appartient évidemment au groupe de l’Acer opulifolium, Vill.