XVII


LA SAINT-CHARLEMAGNE


C’est Louis XI qui fixa la fête du César français au 28 janvier, et c’est l’Université qui choisit, en 1661, le grand empereur pour son patron. C’était de toute justice : le roi du pensum devait, bien, c’est le moins, faire faire au collège un bon dîner, une fois l’an, aux collégiens qui ont été les premiers dans une des compositions.

Ce jour tant souhaité, ce jour, qui paraît venir si lentement, est pourtant arrivé. Aussi tout est en branle dans le collège. Le proviseur attend son tailleur, qui doit lui apporter un habit neuf et qui ne vient pas, et le proviseur frappe du pied d’impatience ; les pions, eux, n’attendent pas leur tailleur, mais sont occupés à battre leurs habits et à les brosser ; le majordome, le Vatel, est plus occupé d’une charlotte russe que Charlemagne ne l’était du renversement de la monarchie des Lombards ; chacun va, vient, ne s’arrête qu’à peine, et pour se dire Hein, c’est aujourd’hui !

Le collège, de la cave au grenier, est parfumé d’une divine odeur de rôti, qui réjouit l’âme et le cœur des conviés. On n’y tient pas. Le temps, ô effet de l’impatience ! semble s’être arrêté dans sa course, et l’aiguille de l’horloge du collége semble glacée et ne parcourir ses douze demeures qu’à pas de tortue.

Enfin l’heure tant souhaitée vient de sonner, et la Saint-Charlemagne est commencée. Le proviseur, le censeur, tous les professeurs, tous les pions, et l’économe ou l’homme-haricots,




et les collégiens jugés dignes, prennent place. Un professeur fait une allocution aux élèves ; un pion y répond. C’est magnifique ; l’effet le disputerait à un bouquet de feu d’artifice un jour de fête. Aussitôt on entend un cliquetis général d’instruments culinaires, et les premiers mets disparaissent comme par enchantement. Mais d’autres vont leur succéder. Beaucoup d’élèves, loin d’oublier les non-conviés, ont d’énormes




cornets, dans lesquels ils empilent pêle-mêle un peu de tout. Déjà le dindon, ce précieux animal, qu’on dit avoir été servi pour la première fois en France aux noces du roi Charles IX, orne vos tables, et lui et les pions sont, dit-on, ce qui fixe le plus votre attention. Viennent ensuite le pâté, le jambon et le veau froid, aliments solides qu’arrose un vin… très-ordinaire. Mais nous voilà au bouquet : échaudés, flanc et charlotte, médités depuis huit jours par le Vatel du lieu ; puis enfin le complément indispensable, le vin de Champagne, fabrique de Paris, et livré par M***, fournisseur ordinaire des collèges, rue de l’Odéon, 38, commence à produire son effet ; les esprits sont illuminés et des étoiles semblent briller dans la salle du festin.