Les mystères du château Roy/02/07b

RÉCIT DE JACQUES

Jacques — Si vous le voulez bien allons à dix-huit ans en arrière au temps où le docteur Pierre était étudiant en médecine. Nous apprendrons qu’il était en relations intimes avec Madame Roy alors qu’elle se trouvait fille dans ce temps.

Le 31 décembre de cette année chez le notaire de la famille Roy on reçut la visite d’une jeune fille que le notaire connut plus tard lorsqu’elle devint Mme Roy, elle était accompagnée d’un jeune homme qui, disait-elle, était neveu de la défunte Mme Roy fils de l’une ses sœurs.

Ils sont venus dit le notaire le soir que mourut mon petit Jean à l’hôpital. Ils voulaient prendre connaissance des dernières volontés de la défunte. Mais j’ai appris ces derniers jours que le plus âgé des dits-neveux ne pouvait avoir que six ou sept ans au plus, ce qui revient à dire que ce ne pouvait être un des neveux de Mme Roy la connaissance entre M. Roy et Mme Roy (sa seconde femme) se fit le premier jour de l’an, le lendemain de la visite chez le notaire et à partir de ce jour il n’y eut plus de relations publiques entre le Dr Pierre et la jeune fille.

Avant son second mariage, M. Roy permettait volontiers les relations de sa fille avec M. Walter Hines, mais après qu’il eut marié sa seconde femme tout fut changé, pour quelle raison ?

Voyons le testament de Mme Roy. Elle léguait à sa fille unique la somme de cent cinquante mille dollars qui devait lui être remis le jour de son mariage ou à la mort de son père.

Combien de jeunes gens seraient heureux d’épouser une jeune fille avec une dot aussi rondelette. C’est pourquoi elle fut forcée contre son gré d’abandonner M. Walter pour finalement épouser le Dr Pierre. Ce qui laissa entendre qu’il y avait eu complot entre Jeanne et le Dr Pierre, l’un devait épouser la fille et l’autre le père.

— Pourquoi ne se sont-ils pas mariés plus tôt demanda le juge puisque vous prétendez que c’était leur intention ?

— Tout simplement parce qu’ils n’ont pu faire consentir la jeune fille plus tôt.

Comme je l’ai dit, il était étudiant. Il dut donc faire un an d’école après le mariage de sa complice. À peine ses études terminées il dut aller servir dans l’armée durant la guerre qui dura quatre ans.

Après que l’armistice fut signé il dut demeurer deux ans et demi dans un hôpital pour blessure et affectation de gaz. De sa sortie de l’hôpital jusqu’à son retour il me fut impossible de connaître l’emploi de son temps. Mais revenons aux faits les plus intéressants.

La fille de M. Roy eut un enfant qui lui fut enlevé trois jours après sa naissance. Et d’après les rapports de l’enquête la fillette avait été baptisé du nom de Lucille et portait sur l’épaule droite une marque de naissance, une feuille d’érable bien dessinée.

Le juge — Pourquoi a-t-on enlevé cet enfant ?

Pour la bonne raison que M. Roy devait donner dix mille dollars à l’enfant, ce qui enlevait cette somme à Mme Roy après la mort de son époux.

Le juge — Qu’a-t-on fait de l’enfant ?

— Voilà un point très intéressant. Elle fut élevée par la cuisinière du Château qui reçut cinq cents dollars de Mme Roy pour prendre charge de l’enfant et le faire passer pour son propre enfant. Pour sauver l’honneur de la famille disait-elle.

La fillette vécut jusqu’à sa dix-septième année avec eux, c’est-à-dire jusqu’à la mort de la cuisinière. Car le mari qui est un ivrogne voulut lui faire la vie dure. C’est alors qu’elle s’est enfuie et depuis ce jour elle est entre bonnes mains en attendant d’être remise à sa mère.

— Comment se fait-il que personne ne soupçonna l’arrivée étrange de cette fillette ? demanda un avocat.

— Pour la bonne raison qu’un docteur simula avoir assisté la cuisinière dans sa maladie, le même qui a fourni les remèdes qui permirent de faire disparaître la feuille d’érable pour quelque temps. Et ce docteur n’est autre que le Dr Pierre.

— C’est faux dit le docteur Pierre en voulant se lever, mais les deux gardes vigilants qui l’entouraient le forcèrent au silence.

— Voyons à présent ce qui en est du meurtre de M. Roy reprit Jacques après que l’ordre fut établi.

L’arrêt de mort de M. Roy et de sa fille était signé depuis longtemps comme vous avez pu le voir mais les circonstances les forcèrent à retarder jusqu’à la date que vous connaissez. On profita du retour de M. Walter Hines à Montréal pour exécuter le forfait. Prenant tous les moyens possibles pour le faire passer pour le meurtrier. Afin d’être à l’abri de la justice.

À son arrivée M. Hines écrivit à son ancienne amie ; c’est pour cette raison que les deux complices ont pu savoir qu’il était à Montréal.

Aussitôt le Dr Pierre chercha à localiser l’hôtel où il se retirait afin de pouvoir lui dérober quelque chose, qui, trouvé sur les lieux du crime compromettrait M. Hines comme la chose s’est produite.

Lançant ainsi la justice sur une fausse piste. Je découvris cela lors de la perquisition dans la chambre d’hôtel de M. Hines, le maître de l’hôtel qui nous accompagnait m’apprit qu’un individu qu’il dit pouvoir identifier est venu demander M. Walter Hines quelques minutes après son départ de l’hôtel pour aller au rendez-vous qui avait été fixé.

Le soir de l’arrestation je me fis remettre la clef de la chambre afin de la remettre à son propriétaire. Mais avant de la rapporter je l’ai gardée quelques jours afin de pouvoir la confronter avec une clef que je trouvai, dans le bureau du Dr Pierre, les deux clefs sont identiques. C’est pourquoi il lui fut possible de s’introduire dans la chambre de l’accusé et c’est ce qui explique la présence du couteau de chasse qui portait ses initiales (W. H.) et qui fut trouvé dans la gorge de la victime.

Le juge — À votre dire, la fille de M. Roy devait subir le même sort que son père.

— Oui, Votre Honneur. Elle aurait sûrement subit le même sort s’il nous avait été impossible de mettre sous arrêt M. Walter qui paraissait avoir ces intentions. Mais voyons les faits.

Après la mort de M. Roy dans des circonstances mystérieuses on voulut procéder à celle de sa fille. On fit alors écrire un billet de menaces qui semblait venir de celui-là même qui fut arrêté. Il était donc impossible de tenter le coup pour la bonne raison qu’on aurait par le fait même prouvé son innocence.

Le juge — D’après vous, qui aurait écrit le billet ?

— Le mari de la cuisinière, celui-là même qui éleva la petite Lucille sous réception d’un dix dollars de Mme Roy il traça les lignes qu’on lui dicta. Et comme preuve de ce fait, la même encre qui servit à tracer ces lignes peut être trouvée sur le bureau de Mme Roy.

Le juge — Avez-vous découvert de quelle manière le meurtrier avait pu commettre son crime sans qu’aucun moyen d’entrer ou de sortir fût possible.

— Oui, Votre Honneur,

Le juge — Voudriez-vous, avant de vous retirer, expliquer ce fait à la justice.

— Lors de l’enquête après avoir vérifié la fenêtre qui était pourvue d’un verrou solidement fermé, on chercha partout si dans les murs il n’y avait pas un moyen de communication secret. On ne trouva rien. On sonda alors le plancher ainsi que le plafond sans plus de résultats. Il restait donc la porte qui au dire des serviteurs qui l’avaient enfoncée, se trouvait fermée à clef dans l’appartement et la clef se trouvait dans la serrure. Il me fut donc impossible le soir du crime de trouver une solution à cette énigme. Mais comme la nuit porte conseil, je décidai de me reposer.

Le lendemain en m’éveillant je me mis aussitôt à élaborer un plan pour donner à chacun le rôle qu’il avait tenir. Le meurtrier est dans le bureau du Dr Pierre, il faut qu’il agisse promptement, donc il lui faut absolument passer par la porte.

Comment peut-il entrer ? C’est ce à quoi j’ai réfléchi longuement, j’ai cru enfin avoir trouvé.

Après mon déjeuner je suis allé au Château j’examinai soigneusement la porte sans plus de résultats, je pris alors la clef et je l’examinai avec beaucoup d’attention, je vis que le bout de la clef avait quatre faces. Alors une idée me vint.

Je suis allé immédiatement dans la cuisine où je me suis emparé de la clef de l’horloge que je fixai au bout de la clef de la porte, elle adonnait très bien. Je revins à la bibliothèque j’introduisis la clef dans la serrure de l’appartement et à l’aide de cette clef d’horloge je tentai de faire fonctionner la serrure. Je réussis pour la bonne raison que la clef de l’horloge avait été travaillée à la lime afin qu’elle puisse entrer dans la serrure.

J’avais donc trouvé la clef du mystère. Et si le cœur vous en dit, tentez la même expérience que j’ai faite et vous aurez comme moi la certitude d’avoir découvert le secret de cette énigme.

Le juge — Permettez-moi avant de vous retirer, de vous remercier au nom de la cour pour le témoignage clair et précis que vous avez bien voulu apporter et vous pouvez être assuré que chacun aura ce qu’il mérite.

Jacques se retira accompagné de Thérèse, pour se diriger vers une salle voisine où il lui remit entre les bras sa Lucille chérie qu’elle avait tant pleurée.