Les mystères du château Roy/02/02

CHAPITRE
II
WALTER

Nous savons c’est avec regret que Walter avait quitté Montréal pour l’Allemagne où nous n’avons plus entendu parler de lui. Dix-sept ans de cela, dix-sept ans qu’il vécut paisiblement avec sa femme et son enfant ne sortant jamais si ce n’est que pour aller à ses malades. Il passait ses journées à son bureau à recevoir sa nombreuse clientèle, pour laquelle il se dévouait presque jour et nuit. Mais il ne se passa pas une journée où il n’eut pas une pensée pour Thérèse.

Depuis son arrivée dans son pays où il perdit son père quelques années après son arrivée, rien de fâcheux ne survint jusqu’au jour où un accident se produisit.

Mme Hines accompagnée de son fils étaient allés faire une promenade en auto, Walter se trouvant à son bureau reconduisant un client. La sonnerie du téléphone retentit soudain. On le demandait d’urgence pour un accident qui venait d’arriver à la campagne. Une locomotive disait-on venait de frapper une automobile. Il se rendit en toute hâte sur le théâtre de l’accident et arriva juste à temps pour constater la mort de sa femme et recueillir le dernier soupir de son garçon.

Ce fut un rude coup pour Walter qui se demandait si la malédiction ne s’était pas abattue sur lui. Il allait se décourager, quand l’idée lui vint de se tourner vers Thérèse. Il reprit aussitôt courage sans pour cela rejeter de sa pensée les pauvres disparus, qui lui étaient réellement très chers.

Il vendit tout ce qu’il possédait et revint vers Montréal avec l’idée de reconquérir Thérèse se disant que depuis dix-sept ans, les choses pouvaient avoir changé et qu’il serait peut-être plus heureux et qu’il réussirait peut-être cette fois.

Le même soir de son arrivée à Montréal, Walter écrivit une longue lettre à Thérèse qu’il alla déposer immédiatement à la poste. Mais s’il avait su que les idées de M. Roy étaient loin d’être revenues en sa faveur et qu’en plus Thérèse était mariée avec le docteur Pierre, il aurait pris plus de précautions pour lui faire parvenir sa missive.

Après avoir déposé sa lettre à la poste il revint se coucher, mais le désir ardent de la revoir, le tint éveillé durant plusieurs heures. Enfin le sommeil réparateur vint le libérer de ses soucis.

Le courrier vient d’arriver au Château. Thérèse qui est assise dans le salon en compagnie de son mari et de Jeanne vient de recevoir la lettre de Walter.

Elle fut surprise de voir que la lettre était adressée à son nom de fille. Jeanne qui regardait du coin de l’œil, fit la même constatation ce qui la mit en éveil.

Thérèse déplia la lettre et lut ce qui suit :


Thérèse,

J’avais promis de vous oublier, j’ai essayé mais vouloir oublier quelqu’un c’est y penser constamment. Déduisez de là que je n’ai pas essayé bien sincèrement.

Pour posséder entièrement et à jamais votre estime, j’avais promis de ne plus vous écrire et de ne jamais vous revoir afin que nous puissions nous oublier plus facilement.

Ce silence est le don le plus méritoire que puisse vous faire mon amour.

Si à vos yeux je tenais ma promesse, si vous ne saviez plus ce qu’était devenu votre petit ami d’autrefois en revanche tous les soirs, c’était un besoin maladif pour moi d’oublier un peu la triste réalité pour me réfugier en mon souvenir.

Sans que vous le sachiez je vous parlais, sans que vous le sachiez ma pensée vous suivait au loin.

En quelques années la vie m’a enlevé ce que j’avais de plus cher. Mon père, ma femme et mon enfant. Vous surtout, mon amie.

Ma peine à qui la dire, qui me comprendra entièrement. Il me faut la voiler d’un sourire. Mais à la chère photographie qui me rappelle votre bon sourire encourageant, naïvement, je redis mes chagrins. Je raconte combien pour moi la vie fut méchante.

En me plaignant ainsi à votre image, j’ai la douce illusion de me confier à vous-même ; il me semble voir votre regard des jours heureux où vous étiez là près de moi, votre sympathie si chaude et réconfortante, savait me faire oublier que même alors, la vie me rudoyait.

J’avais promis de vous oublier, j’ai essayé pourtant, mais pas très sincèrement, car au fond, tout au fond, je ne veux pas vous oublier.

S’il en est ainsi de vous, si vous avez gardé le même souvenir je vous attendrai dans le petit parc en arrière du Château.

Demain et après demain je serai là de neuf à onze heures du soir. Je vous attendrai et peu importe les empêchements, s’il en existe encore, nous fuirons loin de nos persécuteurs, dans un pays où nous pourrons épancher honnêtement et sincèrement notre amour.

Je demeure, en attendant le bonheur de vous revoir votre sincère et fidèle ami.

Walter.

À peine eut-elle fini de lire qu’elle se sentit le besoin urgent d’être seule pour pouvoir pleurer, elle se retira précipitamment. Il était temps, car à peine était-elle sortie du salon qu’elle éclata en sanglots. Elle courut dans sa chambre.

Pierre qui avait remarqué ce départ précipité de Thérèse fut vite mis au courant par Jeanne de ce qu’elle avait vu, et reçut même des instructions qu’il se mit aussitôt en devoir de remplir.

Il monta à la chambre de Thérèse avec l’idée bien arrêtée de savoir le contenu de cette lettre. Lorsqu’il entra dans la chambre il la surprit à pleurer à chaudes larmes.

— Qu’as-tu ? lui demanda-t-il. Que contient donc cette lettre pour te faire tant de peine ? De qui vient-elle ? Où l’as-tu mise cette lettre ? Laisse-moi la voir. Toutes ces questions furent lancées sans arrêt.

— Je l’ai brûlée, répondit-elle.

Mais s’approchant d’elle il mit la main sur son corsage et il sentit le papier, au toucher.

— Donne-moi cette lettre, ordonna-t-il.

Elle fut donc forcée de la lui remettre. Après l’avoir lue il la mit dans sa poche.

— Ah ! il a l’intention de t’enlever toi aussi. Il ne se contente pas de t’avoir enlevé ton enfant, c’est toi à présent qu’il veut. Eh ! bien, qu’il essaye donc pour voir.

Je te défends de lui répondre et particulièrement de sortir du Château d’ici quelques jours.

Et la laissant toute à son chagrin, il se retira aussi précipitamment qu’il était entré.

Revenu au salon où Jeanne l’attendait. Elle lui demanda.

— As-tu la lettre ?

— Oui, répondit-il en la lui présentant.

Eh bien ! dit-elle, après l’avoir lue attentivement, la chance est pour nous cette fois, il arrive à point ce M. Hines.

— Ce sera bientôt.

— Ce sera demain.