Les mystères du château Roy/02/01

DEUXIÈME PARTIE

CHAPITRE
I
LE DR PIERRE

Nous retrouvons nos personnages dix-sept ans plus tard. Mais que sont-ils devenus depuis ce temps. C’est ce que nous allons voir.

Le docteur Pierre passe les quatre années de la guerre aux champs de bataille. Au mois de novembre de la dernière année on parlait beaucoup ce l’armistice, ce qui fit renaître en Pierre les beaux projets d’avenir qu’il s’était plus d’une fois tracés et qui avaient été renversés depuis quatre ans par cette satanée guerre. Mais aujourd’hui tout était différent, puisqu’on parlait de paix cela voulait dire pour lui, Jeanne… Il se revoyait déjà avec elle dans un avenir très rapproché. Que de baisers et de caresses ils s’échangeraient, et cette fois pour toujours, et pour ne plus jamais se séparer. Mais hélas ! les choses n’allèrent pas comme il les avaient rêvées, il ne devait pas la revoir aussitôt qu’il le croyait car trois jours avant que l’armistice ne fût signé, Pierre fut blessé et affecté par le gaz.

Force lui fut donc de se laisser conduire dans un hôpital où l’on déclara son cas très sérieux, car il avait été sérieusement atteint par le gaz.

Il fut donc forcé de rester à l’hôpital malgré que ses camarades reprenaient le chemin de retour à leur foyer, et ce n’est qu’après deux ans et demi de séjour à l’hôpital qu’il pût à son tour revenir vers Montréal.

Mais de passage à Paris, où il dut faire un séjour de quelques jours en attendant le départ de son bateau. Un autre malheur lui arriva. Il fit la connaissance d’une petite parisienne : Une mondaine, une de ces filles de rue, qui l’entraîna dans un club de Paris dont elle faisait partie au profit de certains joueurs. Elle lui fit tenter fortune et il se laissa entraîner par l’appât du gain.

Mais la chance ne le favorisa pas, car il perdit jusqu’au dernier sous des économies qu’il avait faites. Ce voyant ainsi dénué de tout son argent il tenta alors de le reprendre par la rigueur. À la sortie du club il se blottit dans une entrée de cour attendant la sortie du gros gagnant qui ne se fit pas longtemps attendre. Lorsque ce dernier sortit, et l’abordant le revolver au poing, le sommant de lui remettre tout l’argent qu’il avait en sa possession et tout occupé qu’il était à dévaliser son homme, il ne vit pas venir en arrière de lui un ami de ce dernier.

Il fut alors frappé à la tête et alla rouler sur le pavé et comme on allait pour le charger une seconde fois il déchargea son arme ce qui attira beaucoup de passants et particulièrement la police qui s’en empara aussitôt.

Il fut jugé et condamné, cinq mois plus tard à dix ans de prison ce qui retarda d’autant son retour.

Et tout ce temps que dura son incarcération il ne cessa de penser à sa chère Jeanne et se promettant bien cette fois lorsqu’il serait libre de se rendre immédiatement auprès d’elle.

Depuis le départ de Pierre pour la guerre, chez M. Roy on avait beaucoup parlé de lui et quoique toutes les lettres qu’on reçut de lui annonçaient toujours qu’il était bien et qu’il n’avait pas encore reçu de blessure, on s’attendait toujours d’apprendre sa mort un jour ou l’autre.

Mais les quatre années de la guerre se passèrent sans que l’on reçut de mauvaises nouvelles et depuis le 11 de novembre, le jour que l’armistice fut signé, on attendait avec anxiété encore plus grande le retour de Pierre.

Le jour où devait arriver les soldats l’on se rendit à Montréal afin d’assister à leur arrivée et avec l’intention bien entendu de ramener Pierre avec eux, car ils avaient tous cette même conviction que Pierre devait compter parmi les retours du front. Ils étaient loin de se douter qu’un malencontreux accident survenu au dernier jour pouvait le retenir à l’hôpital.

Ce fut donc avec une grande déception qu’ils retournèrent au Château sans avoir pu obtenir aucune nouvelle de lui…

Après plusieurs années passées sans qu’aucun signe de vie leur parvint de Pierre, on finit par l’oublier, sauf Jeanne qui ne cessait de penser à son amant et si parfois elle venait prête de prendre une décision d’exécuter son projet seule, elle changeait d’idée aussitôt à la pensée du serment qu’elle avait fait, c’est ce qui la faisait retarder.

Elle vécut longtemps dans cette espérance de le voir revenir, car ce ne fut que dix-sept ans après son départ pour la guerre qu’il revint enfin.

Son arrivée fut saluée avec grande joie et couronnée d’un grand festin où parents et amis furent conviés.

Après le repas, M. Roy annonça le renouvellement des fiançailles de sa fille Thérèse avec le Dr Pierre, qui avaient été rompues par le départ subit de ce dernier pour la guerre. Il ajouta qu’il était heureux de voir unir ces deux cœurs qui ne s’étaient pas oubliés depuis dix-sept ans de séparation et entrevoyait beaucoup de bonheur pour eux. Les acclamations retentirent de toutes parts et l’on vida les verres en leur honneur. Le mariage fut célébré au mois d’avril et quoique ce jour soit un jour de bonheur et de joie pour deux cœurs qui s’aiment et qui voient réaliser leurs rêves, Thérèse au contraire fut triste et rêveuse tout le temps que dura la cérémonie. Elle était si rêveuse, qu’il fallut lui répéter la demande de son consentement par deux fois pour avoir une réponse, car elle pensait à un autre qu’à Pierre.

Revenue au Château elle profita d’un instant où elle était seule dans sa chambre pour pleurer encore une fois son amour qu’elle avait éprouvée et qu’elle éprouvait encore pour Walter.

Si elle lui avait demandé de l’oublier et de ne plus la revoir ce n’était certes pas parce que ses sentiments étaient changés. Non, car depuis cette séparation si brusque, toutes ses pensées avaient été pour lui. Et comme elle ne doutait pas de son amour et sentant tout le sacrifice qu’il avait faire pour se rendre à sa demande, elle lui en était reconnaissante en gardant de lui un souvenir qui occupait la première place dans son cœur.