Les mouvements et les habitudes des plantes grimpantes/5

CHAPITRE V.

PLANTES GRIMPANT À L’AIDE DE CROCHETS ET DE RADICELLES OU CRAMPONS.


Plantes grimpant à l’aide de crochets ou rampant seulement sur d’autres plantes. — Plantes grimpant à l’aide de radicelles ; matière adhésive sécrétée par les radicelles. — Conclusions générales relativement aux plantes grimpantes et aux degrés de leur développement.


Plantes grimpant l’aide de crochets.


Dans mes remarques préliminaires, j’ai dit qu’à part les deux premières grandes classes de plantes grimpantes, savoir, celles qui sont volubiles autour d’un support et celles qui sont douées d’une irritabilité qui leur permet de saisir des objets à l’aide de leurs pétioles ou de leurs vrilles, il y a deux autres classes : les végétaux qui grimpent à l’aide de crochets, et ceux qui grimpent à l’aide de racines ou de crampons. Beaucoup de plantes, en outre, comme Fritz Müller l’a remarqué[1], grimpent ou rampent au-dessus des fourrés d’une façon encore plus simple, sans aucun secours spécial, si ce n’est que leurs tiges principales sont généralement longues et flexibles. On peut soupçonner cependant, d’après ce qui suit, que ces tiges ont une tendance, dans quelques cas, à fuir la lumière. Le petit nombre de plantes grimpant à l’aide de crochets que j’ai observées, savoir, le Galium aparine, le Rubus australis et plusieurs Roses grimpantes, ne présentent pas de mouvement révolutif spontané. Si elles avaient possédé cette faculté et si elles avaient été capables de s’enrouler, elles auraient été rangées dans la classe des plantes volubiles, car plusieurs de ces dernières sont pourvues d’épines ou de crochets qui facilitent leur ascension. Par exemple, le houblon, qui est une plante volubile, a des crochets recourbés aussi grands que ceux du Galium ; d’autres plantes volubiles ont des poils rigides et recourbés. Le Dipladenia a un cercle d’épines mousses à la base de ses feuilles.

Parmi les plantes à vrilles, le Smilax aspera est la seule sur laquelle j’aie observé des épines recourbées ; mais c’est le cas de plusieurs plantes grimpant à l’aide de leurs branches dans le Brésil méridional et l’île de Ceylan ; leurs branches passent insensiblement à l’état de véritables vrilles. Un petit nombre de végétaux grimpent uniquement à l’aide de leurs crochets, et cependant ils le font d’une manière efficace, comme certains palmiers du nouveau et de l’ancien continent. De même, des roses grimpantes s’élèveront le long des murs d’une maison élevée si elle est couverte d’un treillis. Je ne sais pas comment cela a lieu, car les jeunes pousses d’un de ces rosiers étant placées dans un vase, sur une croisée, se courbaient irrégulièrement vers la lumière pendant le jour et en sens inverse pendant la nuit, comme les pousses d’une plante ordinaire ; en sorte qu’il n’est pas aisé de comprendre comment elles ont pu s’insinuer entre le treillis et le mur[2].


Plantes grimpant à l’aide de radicelles.


Un bon nombre de plantes entrent dans cette catégorie et grimpent très-bien. Une des plus remarquables est le Marcgravia umbellata, dont la tige, dans les forêts tropicales de l’Amérique méridionale, comme je l’apprends par M. Spruce, croît d’une manière curieusement aplatie contre les troncs des arbres ; çà et là, elle émet des crampons ou racines qui adhèrent au tronc et l’embrassent complètement s’il est mince. Quand cette plante est arrivée à la lumière, elle produit des branches libres, avec des tiges arrondies, recouvertes de feuilles à pointes aiguës, différant prodigieusement par leur aspect de celles portées par la tige tant qu’elle reste adhérente. J’ai observé aussi cette différence surprenante chez les feuilles du Marcgravia dubia dans ma serre chaude. Les plantes qui grimpent à l’aide de leurs radicelles ou crampons et que j’ai observées, savoir, le lierre (Hedera helix), Ficus repens et F. barbatus, n’ont pas de pouvoir moteur, pas même de la lumière vers l’obscurité. Comme nous l’avons dit précédemment, le Hoya carnosa (Asclepiadacée) est une plante volubile et adhère également par des radicelles même à un mur parfaitement uni. Le Bignonia Tweedyana à vrilles émet des racines qui se courbent semi-circulairement et adhèrent à de minces bâtons. Le Tecoma radicans (Bignoniacée) ; qui est congénère de nombreuses espèces s’enroulant spontanément, grimpe à l’aide de radicelles ; néanmoins, les mouvements de ses jeunes pousses ne s’expliquent pas d’une manière satisfaisante par l’action variable de la lumière.

Je n’ai pas observé minutieusement un grand nombre de plantes grimpant à l’aide de radicelles, mais je peux citer un fait curieux. Le Ficus repens grimpe le long d’un mur exactement comme le lierre, et, si on presse légèrement les jeunes radicelles sur des plaques de verre, elles émettent, au bout d’une semaine environ, comme je l’ai observé plusieurs fois, de petites gouttes d’un liquide clair, nullement laiteux, comme celui qui exsude d’une plaie. Ce liquide est légèrement visqueux, mais ne peut pas être étiré en filaments. Il a la propriété remarquable de ne pas sécher promptement ; une goutte, de la grosseur de la moitié d’une tête d’épingle, fut légèrement étendue sur du verre, et je répandis sur elle quelques petits grains de sable. Le verre fut laissé dans un tiroir pendant un temps chaud et sec, et, si le liquide avait été de l’eau, il aurait certainement séché en quelques minutes ; mais il resta liquide, entourant exactement chaque grain de sable, pendant 128 jours. Je ne saurais dire combien de temps il serait resté encore à l’état liquide. D’autres radicelles furent laissées en contact avec le verre pendant 10 ou 15 jours environ, et les gouttes du liquide sécrété étaient alors un peu plus grosses et si visqueuses, qu’on pouvait les étirer en filaments. Quelques autres radicelles, laissées en contact avec le verre pendant 23 jours, s’unirent solidement à lui. D’où nous pouvons conclure que les radicelles sécrètent d’abord un liquide légèrement visqueux, puis absorbent les parties aqueuses (car nous avons vu que le liquide ne se dessèche pas par lui-même) et en dernier lieu déposent un ciment. Quand les radicelles étaient arrachées du verre, il y restait des atomes de matière jaunâtre qui étaient dissous en partie par une goutte de bisulfure de carbone, et cette solution était bien moins volatile que le bisulfure qui l’est à un aussi haut degré.

Comme le bisulfure de carbone possède à un haut degré la propriété de ramollir le caoutchouc induré, je trempai dans ce liquide, pendant peu de temps, plusieurs radicelles d’une plante qui s’était développée le long d’un mur enduit de plâtre, et je trouvai alors un grand nombre de filaments extrêmement minces, de matière transparente, non visqueuse, très-élastique, comme du caoutchouc, attachés à deux rangées de radicelles sur la même branche. Ces filaments provenaient de l’écorce de la radicelle à une extrémité, et à l’autre extrémité ils étaient solidement attachés aux particules de silex ou de mortier de la muraille. Dans cette observation, une erreur n’était guère possible, car je jouai pendant longtemps avec les filaments sous le microscope, les étirant avec mes aiguilles à dissection et les laissant de nouveau revenir à leur longueur primitive. Cependant j’observai fréquemment d’autres radicelles traitées d’une manière semblable sans pouvoir jamais découvrir ces filaments élastiques. Je conclus, par conséquent, que la branche en question doit avoir été légèrement détachée du mur à une période critique, pendant que la sécrétion était en train de se dessécher, par suite de l’absorption de ses parties aqueuses. Le genre Ficus est riche en caoutchouc, et nous pouvons conclure, d’après les faits précédents, que cette substance, d’abord en solution et en dernier lieu modifiée en un ciment non élastique[3], est utilisée par le Ficus repens pour fixer ses radicelles sur les surfaces contre lesquelles il s’élève. J’ignore si d’autres plantes qui grimpent à l’aide de leurs radicelles émettent un ciment quelconque, mais les crampons du lierre, placés contre le verre, y adhéraient à peine ; cependant ils sécrétaient une petite matière jaunâtre. J’ajouterai que les radicelles du Maregravia dubia peuvent adhérer solidement à du bois poli et peint.

Le Vanilla aromatica émet des racines aériennes de 30 centimètres de long qui se dirigent directement en bas vers le sol. Suivant Mohl (p. 49), elles s’insinuent dans des crevasses, et quand elles rencontrent un support mince, elles s’enroulent autour de lui, comme le font les vrilles. Une jeune plante que je cultivais ne formait pas de longues racines adventives ; en plaçant des bâtons minces en contact avec elles, elles se courbaient certainement un peu de ce côté, au bout d’un jour environ, et adhéraient au bois par des radicelles, mais elles ne se courbaient pas complètement autour des bâtons ; elles reprenaient ensuite leur mouvement descendant. Il est probable que ces légers mouvements des racines sont dûs à la croissance plus rapide du côté exposé à la lumière, en comparaison avec l’autre côté, et non à ce que les racines sont sensibles au contact, comme les véritables vrilles. D’après Mohl, les radicelles de certaines espèces de Lycopodium agissent à la manière des vrilles[4].

  1. Journal of Linn. Soc., vol. ix, p. 348. Le professeur G. Jaeger (In Sachen Darwin’s, insbesondere contra Wigand, 1874, p. 106) fait observer que ce qui caractérise essentiellement les plantes grimpantes, c’est la production des tiges minces, allongées et flexibles. Il remarque en outre que les plantes croissant au-dessous d’autres espèces plus élevées ou d’arbres sont naturellement celles qui se développent en plantes grimpantes, et ces plantes en se dirigeant vers la lumière et en étant peu agitées par le vent tendent à produire des jets longs, minces et flexibles.
  2. Il paraît que le professeur Asa Gray a résolu cette difficulté dans son compte rendu du présent ouvrage (American journal of science, vol. xl, sept, 1865, p. 282). Il a observé que les fortes pousses d’été du rosier de Michigan (Rosa setigera) sont parfaitement disposées pour s’insinuer dans des crevasses obscures et s’éloigner de la lumière, en sorte qu’elles pourraient presqu’à coup sûr se placer derrière un treillis. Il ajoute que les pousses latérales faites au printemps suivant émergeaient du treillis pour chercher la lumière.
  3. M. Spiller a montré récemment (Chemical Society, fév. 16, 1865), dans un mémoire sur l’oxydation de la gomme élastique ou caoutchouc, que cette substance, quand elle est exposée à l’air dans un état de division très-fine, se convertit graduellement en une matière cassante, résineuse, très-semblable à la gomme-laque.
  4. Fritz Müller m’informe qu’il a vu dans les forêts du Brésil méridional de nombreuses ficelles noires ayant depuis quelques lignes jusqu’à près de 2cm,5 de diamètre s’enrouler en spirale autour de troncs d’arbres gigantesques. Tout d’abord il crut que c’étaient les tiges de plantes volubiles qui s’élevaient ainsi le long des arbres ; mais il trouva ensuite que c’étaient les racines aériennes du Philodendron qui croissait sur les branches au-dessus. Ces racines semblent donc être véritablement volubiles, quoiqu’elles descendent au lieu de monter comme les tiges volubiles. Les racines aériennes de plusieurs autres espèces de Philodendron pendent verticalement en bas, parfois sur une longueur de plus de 15 mètres.