Avant-Propos



La province de Québec, qu’arrose les eaux du Saint-Laurent, offre aux yeux des voyageurs des aspects variés et pittoresques ; tantôt c’est une falaise escarpée où la vague vient sur le rocher, se frapper en écumant ; plus loin un sable uni que lave la marée dans ses ondulations mouvantes. Ce n’est plus la mer ; mais le fleuve géant, imposant, majestueux. En le remontant, la première ville importante que salue le touriste européen est la vieille cité de Champlain, Québec, superbe et fière sur son haut promontoire. Le panorama dont on jouit sur ces hauteurs peut rivaliser en beauté, en grandeur avec les points de vue les plus renommés de l’ancien continent.

Quittant ces lieux, après avoir admiré le grandiose d’une nature sublimement accidentée, on jouit en se laissant glisser sur les ondes, d’une vue encore agréable quoique paisible, de florissants villages bordant les deux rives, d’agrestes maisonnettes à demi cachées dans des bosquets d’arbres touffus, de larges prairies dont les tons changeants charment et reposent le regard : enfin l’on atteint Montréal, métropole du Canada ; fondée en 1642 par Maisonneuve, centre des affaires, du commerce, possédant une population de quatre cent mille âmes, de beaux édifices, deux universités, deux musées, plusieurs églises et couvents ; place en train de devenir importante.

En 1837 époque où commence cette histoire tout était bien primitif en cet endroit. Les vieilles familles françaises, demeurées au Canada après la conquête, avaient conservé leurs manières policées, leur distinction native ; mais la population en grande partie était sans instruction, de mœurs simples et paisibles. Les Canadiens étaient loyaux et francs, la parole donnée pour eux était sacrée, leur âme était trempée de noblesse, de grandeur, ils étaient de ceux dont on fait les héros, les martyrs. Opprimés par un gouvernement tyrannique, poussés à bout par les vexations des autorités anglaises, ils se révoltèrent, à la voix de citoyens patriotiques, enthousiastes, résolus à affranchir leurs compatriotes, et parvinrent après quelques années de lutte à obtenir les droits qu’ils revendiquaient.

Trois quarts de siècle se sont écoulés depuis lors, tout est bien changé, le petit peloton de Canadiens Français perdus dans le Nouveau-Monde, jouissent aujourd’hui des mêmes privilèges que la nation conquérante, ainsi que les Anglais, occupent les places d’honneur et le premier-ministre de cette province. Sir Lomer Gouin est Canadien français.

Homme de talent et de mérite, depuis qu’il est à la tête du cabinet il a introduit de sages réformes dans le pays, de plus avec sa profonde intuition du résultat futur des choses présen tes, il a compris que jamais sa patrie ne compterait avec les grandes nations si l’on ne s’occupait de l’instruction et des lettres ; secondé par M. Joseph Lemieux, aujourd’hui shérif de Montréal, qui en 1909 faisait au parlement un éloquent appel en faveur des instituteurs, dont la situation était vraiment déplorable, le premier ministre a tendu la main à cette classe de déshérités, en déclarant qu’à l’avenir on leur accorderait une rémunération capable de les encourager dans la noble carrière qu’ils ont embrassée, par conséquent on a droit d’espérer pouvoir trouver dorénavant, des maîtresses et des maîtres compétents sachant donner à la jeunesse une éducation plus profonde, plus solide que celle donnée, actuellement, dans la grande majorité des institutions enseignantes. Sir Lomer Gouin sentant aussi tout le pénible et tout le trop vrai de cette spirituelle parodie du vers de Racine :

« Aux petits des oiseaux Dieu donne la pâture,
Mais sa bonté s’arrête à la littérature. »


a commencé à aider les écrivains sans fortune, sans cesse en butte à tant de revers, à tant de déceptions ; le premier ministre vent changer cet état de choses déplorable, il comprend qu’un pays sans littérature ne peut jamais marcher de pair avec les nations éclairées. On dit qu’il songe à récompenser d’une manière rationnelle les familles où de père en fils on s’est consacré aux lettres ; qu’il est décidé à ne s’occuper nullement des envieux, des mécontents, essaim d’oiseaux de proie lançant continuellement dans l’espace leur cri rauque et lugubre pour retarder l’avancement de leur pays ; toujours opposés aux nobles innovations qui font la gloire des peuples.

Si telle est l’intention de Sir Lomer Gouin on pourra dire de lui qu’il a été le Washington des lettres au Canada, qu’il les a affranchies du joug odieux sous lequel elles périssaient.

Les règnes les plus glorieux ont été ceux où les souverains savaient choisir et protéger les talents qu’ils possédaient dans leur royaume ; Louis XIV pouvait dire à juste titre : « L’État, c’est moi, » parce qu’il avait eu le talent de mettre au grand jour les hommes de génie qui ont fait sa gloire.

Les gouvernements passent, les hommes passent aussi ; mais leurs belles actions se gravent en lettres d’or dans les annales de l’histoire, pour perpétuer d’âge en âge le souvenir de ceux qui les ont accomplies, afin que les nations futures en les admirant cherchent à les imiter. Sir Lomer Gouin a déjà fait beaucoup pour son pays, s’il reste encore longtemps au pouvoir l’avenir prouvera qu’il ne fait pas à demi ce qu’il commence.