Les cinq nièces de l’oncle Barbe-Bleue/Chapitre 11

Charavay, Mantoux, Martin (p. 195-210).



CHAPITRE XI


LA CONQUÊTE DE LUIS


C’était fini. Il n’y avait plus de mystères à Rochebrune ; plus d’aile sud condamnée, plus de portes défendues, plus de prisonnier volontaire, et surtout, plus de malheureux isolé au château. Le soleil entrait librement par toutes les fenêtres, jadis hermétiquement closes, et l’affection, soleil de la vie, opérait des miracles dans le cœur si longtemps fermé de Luis.

Parmi les fillettes, c’était à qui gâterait et égayerait ce nouveau cousin si cruellement éprouvé. L’orgueilleux petit garçon acceptait plus volontiers cette sympathie enfantine que la pitié de personnes plus âgées. Il ne fut pas apprivoisé en un jour. Il était ombrageux, susceptible, aigri par la souffrance, parfois envieux, lui, pauvre infirme, de la belle santé de ses cousines.

Souvent, ses tristesses le reprenaient, mais un regard de Valentine, qui avait acquis sur lui une influence extraordinaire, le calmait instantanément. L’ingénieuse sollicitude de son amie découvrait toujours de nouveaux sujets d’intérêt ou d’amusement. Elle avait fini par persuader à Luis qu’il leur était devenu indispensable. Aucun travail ne se faisait plus sans ses conseils, aucun jeu sans sa sanction.

C’est ainsi que Luis avait fini par être de toutes les promenades. La chaise roulante de l’infirme était si commode pour y déposer les châles de ces demoiselles ou leurs bouquets, et on avait un tel besoin de savoir sur l’heure le nom de toutes les fleurs qu’on cueillait en route. Qui mieux que Luis pouvait les renseigner ? Il était si fort en botanique. D’ailleurs, avoir Luis n’impliquait-il pas la présence de l’oncle, un savant en sciences naturelles ? Ces demoiselles s’étaient prises tout à coup de passion pour la minéralogie et l’histoire naturelle. Toutes commencèrent une collection, qui, de papillons, qui, de coléoptères aux élytres brillantes, et nombreux furent les silex rapportés en triomphe comme pierres précieuses.

À ce régime, les joues creuses de Luis se remplirent et ses yeux prirent un éclat moins fiévreux. Chacune de ces demoiselles, voyant son talent pour le dessin, lui demanda en grâce une aquarelle, comme souvenir de leur séjour à Rochebrune. Ce fut un prétexte de plus pour rester au grand air, selon l’ordonnance du médecin.

M. Maranday, heureux de voir enfin son fils sortir de son marasme, était transfiguré ; il se révélait plein d’entrain et de gaîté, c’était à ne pas le reconnaître. Les domestiques mêmes avaient perdu leurs figures mornes, et le château tout entier semblait avoir pris un air de fête.

Bientôt les fillettes apprirent toute la vérité, fort simple dans sa tristesse touchante.

Après de nombreux voyages, M. Maranday, ayant fait fortune, avait épousé une jeune créole, et s’était fixé au Mexique, où sa femme possédait d’immenses propriétés. Entre trois beaux enfants et une femme charmante, la vie n’avait pour lui que des bonheurs, lorsque, pendant une de ses absences, un tremblement de terre, fléau de ce pays enchanteur, ensevelit sous les ruines de sa « casa », sa femme et ses deux fils aînés. Ce fut pur hasard si le plus jeune lui resta. Luis avait insisté pour accompagner son père à Mexico, et ce caprice le sauva. M. Maranday, ne pouvant supporter davantage la vue d’une plantation qui lui rappelait cet épouvantable malheur, avait vendu en toute hâte ses propriétés, et s’était embarqué sur le premier paquebot en partance pour la France. Il ne savait encore où s’établir, mais il songeait à Paris à cause de Luis, qui était d’âge à faire ses études, fort négligées jusque-là, selon l’habitude créole.

Pendant la traversée, Luis, très turbulent, très colère, d’autant plus gâté qu’il était désormais le seul bien, l’unique consolation de M. Maranday, fort désobéissant d’ailleurs, ayant voulu, malgré la défense, grimper à un mât — les mousses le faisaient bien ! — était tombé si malheureusement, qu’il s’était déboîté la hanche et fracturé les deux jambes. Par fierté, il n’avait avoué que la moitié de son mal, si bien qu’une fois le premier appareil enlevé, après quarante jours d’immobilité complète, et de supplice pour lui et tous ceux qui l’entouraient, on avait dû le soumettre à un traitement beaucoup plus long, et placer la pauvre jambe malade dans un appareil bien plus compliqué. Il fallut compter alors par mois et non par jours, et encore n’était-on pas sûr de la guérison finale. Pour sa part, Luis n’y comptait plus. C’était un désespoir de tous les instants.

« Jamais, jamais je ne serai comme tout le monde » répétait-il sans cesse.

On avait en vain essayé de l’intéresser aux jeux d’autres enfants, cela provoqua de telles explosions de chagrin qu’il fallut bientôt y renoncer.

M. Maranday se fit son esclave. Il ne vivait que pour son fils, et pour lui plaire, ne reculait devant rien, quelque bizarres, coûteux, incompréhensibles, que fussent les fantaisies de Luis. Lorsque l’enfant, prenant en grippe tout le genre humain, avait déclaré que, sauf sa fidèle Chiquita et son père, il ne voulait voir personne, M. Maranday avait ordonné, menacé, supplié… puis s’était soumis. Le pauvre enfant était si malheureux ! Il avait pourtant réussi à lui faire admettre un précepteur dans son intimité, puis, selon ses désirs, cherchant un endroit très différent de celui dans lequel l’enfant avait vécu jusque-là, et pensant que l’air des montagnes lui serait bon, il avait acheté ce château de Rochebrune dans lequel Luis pouvait vivre en liberté, loin des regards indiscrets, grâce aux précautions prises pour assurer sa solitude.

D’abord l’enfant avait paru se plaire dans sa nouvelle demeure ; il avait même fait quelques promenades en voiture, les stores baissés, car le moindre regard lui semblait une raillerie amère. Puis, dans un effrayant accès de mélancolie, il s’était calfeutré dans sa chambre sans plus vouloir en sortir.

C’est alors que M. Maranday s’était décidé, selon l’avis du médecin, à recourir à des auxiliaires inconscients, pour ramener l’enfant à une vie normale. Il ne pouvait appeler auprès de lui des neveux bien portants, dont la vue eût renouvelé le désespoir et accru les jalousies de Luis, des garçons qui d’ailleurs, ou l’auraient vexé sans mauvaise intention, ou dans leurs jeux brutaux, lui auraient fait mal. Mais en amenant à Rochebrune cinq petites filles, toutes disposées à s’amuser, il ne doutait pas qu’avec le temps, son fils ne se laissât distraire par le spectacle de leur gaîté et ne demandât de lui-même à rompre avec sa solitude.

Il comptait sans l’obstination maladive et l’orgueil de Luis. Pendant les premières semaines du séjour des fillettes au château, le petit garçon s’était entêté plus que jamais à vivre dans une chambre obscure. Il en était résulté cette recrudescence de maladie, durant laquelle M. Maranday s’était montré si sombre et si préoccupé. D’un mieux très accentué datait le changement de l’oncle Barbe-Bleue en un Oncle-Gâteau, le jour du pique-nique.

Le jeune garçon s’était intéressé malgré lui à ce qui se passait sous ses yeux. De sa prison, il avait suivi ces allées et venues, s’était fait une opinion sur chacune de ses cousines, avait joui de les voir s’ébattre au jardin comme une nuée d’oiseaux jaseurs, en était arrivé même, nous l’avons vu, à prendre parti pour les unes ou pour les autres. Le petit billet de Valentine lui était allé au cœur, sa visite fît le reste, lorsque M. Maranday, confiant en l’abnégation de la petite fille, n’hésita pas à tenter l’essai que nous savons.

Ainsi se trouvaient expliquées toutes les bizarreries de « l’Oncle cousu d’or » et l’attitude énigmatique des domestiques.

Quant à la colère de Chiquita en trouvant les petites filles au grenier, elle provenait tout bonnement de son indignation de voir « ces étrangères » manier les jouets favoris de son chérubin, ces jouets rappelant les beaux jours où Luis pouvait courir, où il trônait en uniforme de général sur son cheval mécanique, où il trottait sur son poney, le fameux poney dont Geneviève avait si grande envie, et que nul n’avait monté depuis la maladie de son petit maître.

Mlle Favières même, avait été tenue dans l’ignorance, de peur qu’elle n’instruisît par inadvertance les enfants de ce que celles-ci devaient ignorer, tant qu’il ne plairait pas à Luis de se laisser voir. Toujours méthodique, Mlle Favières fit comprendre à Valentine que, quelque bon qu’eût été le résultat dans ce cas exceptionnel, elle n’en avait pas moins eu tort en principe, les petites filles ne devant jamais écrire de lettres en cachette. Valentine n’avait comme circonstance atténuante que le fait d’avoir été uniquement guidée par son bon cœur, mais cela même eût pu lui jouer de mauvais tours en mainte occasion, car les excellentes intentions ne suffisent pas, il faut encore savoir réfléchir et demander conseil aux grandes personnes, sans quoi on risque de faire bien des sottises.

La petite tête folle de Geneviève n’en voyait pas si long. Elle n’était pas loin de s’attribuer tout le succès de « la cure morale » de Luis.

« Si je n’étais pas venue brusquer le dénouement, vous seriez encore là à parlementer, » disait-elle, « je suis arrivée comme marée en carême. »

Valentine souriait doucement. Peu lui importait que d’autres s’attribuassent la victoire, pourvu que son cher petit cousin fût moins malheureux. Et on le voyait renaître à vue d’œil, le gentil Luis, et le médecin disait qu’il n’était peut-être pas incurable, mais qu’il serait certainement devenu fou s’il avait continué longtemps cette vie de séquestré exaspéré. Fou ! son pauvre Luis qu’elle aimait presque autant que ses frères ! Valentine en pleurait rien que d’y penser.

Luis trônait comme un petit roi au milieu de ces demoiselles. Il n’avait plus le temps de s’ennuyer. On inventait des charades exprès pour lui ; on jouait à tous les jeux assis que connaissent les petites filles, et les langues marchaient, et les rires s’égrenaient : les échos de Rochebrune en étaient tout étonnés.

Cette comédie dont on avait tant parlé devint une source inépuisable d’amusement. L’Oncle Barbe-Bleue, dont personne n’avait plus peur désormais, s’était déclaré prêt à contresigner toutes les volontés de Valentine. Celle-ci s’était décidée en faveur de Jeanne d’Arc. Elle en avait écrit le scénario avec son cousin et Geneviève. Que de folies ne leur avait pas dit cette dernière en cette occasion ! Que d’anachronismes elle commettait pour le faire rire, ou sans même s’en apercevoir ! Ne voulait-elle pas donner à toute force à son amie le rôle d’Odette de Champdivers, sous prétexte que l’Oncle avait appelé plusieurs fois Valentine du nom de la gentille consolatrice de Charles VI.

L’étourdie Geneviève qui s’était fait raconter l’histoire d’Odette, n’avait-elle pas confondu Charles VI avec Charles VII !

La pièce écrite, — à leur façon, — il fallut confectionner les costumes. Cette fois, ces demoiselles avaient toute permission de fourrager au grenier, Mlle Favières et la bonne Chiquita, très habile de ses gros doigts d’ébène, firent des merveilles. M. Wilkins, le docteur-précepteur aux jaunes favoris leur fut d’un grand secours pour dessiner les costumes et brosser des décors avec Luis, enchanté de montrer son talent en peinture.

« Si seulement papa était ici » soupirait Valentine de temps à autre.

Petit à petit, elle échangea mille confidences avec Luis. L’un racontait ses souvenirs exotiques, sa vie parmi les fleurs et les grands arbres des pays chauds ; parlait de sa mère si belle et si indolente, de ses frères si audacieux ; des esclaves empressés autour d’eux, des journées entières passées doucement balancé dans un hamac. Il décrivait la « casa » sinistrement saccagée, l’horreur de ce retour, puis le voyage sur mer, la fatale désobéissance, la punition et les affreux jours « noirs » qui l’avaient suivie…

L’autre, pleine de sympathie, écoutait, attentive, émue, consolatrice. À son tour, elle parlait de son chagrin en arrivant à Rochebrune. Des petites persécutions de ses compagnes, elle ne disait mot, mais Luis les avait devinées. Elle dépeignait


Et brosser des décors avec Luis…

son père si artiste dans les moindres choses, et l’atelier de la

rue de Vaugirard avec ses toiles toujours s’accumulant, et sa mère si dévouée, si bonne.

« Comme vous » murmurait Luis.

Bientôt, elle s’enhardit à mentionner ses frères, les quatre fils Aymon, les quatre hommes dont elle était le petit caporal, selon Geneviève. Le grand Daniel, si studieux, toujours le premier de sa classe… Stanislas, qui aimait tant les voyages… et Jacques, qui était fou de gymnastique et ne rêvait que chevaux… et le petit Lolo aux réparties si drôles.

« Ils vous aimeraient tant s’ils vous connaissaient ! » disait la petite sœur. « Je leur écris des volumes sur vous. Croiriez-vous qu’ils sont jaloux, comme s’il n’y avait pas de place dans mon cœur pour un cinquième frère, sans faire tort aux quatre autres !… »

Et Luis qui, tout en étant un peu plus âgé que Valentine, semblait parfois plus jeune, tant il y avait dans sa nature de créole un côté enfantin, Luis était très fier qu’un pauvre petit infirme comme lui, pût rendre d’autres enfants jaloux de l’amitié qu’il avait inspirée.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Un jour, M. Maranday voulut savoir l’emploi que ses nièces avaient fait de ce billet de cent francs donné à chacune, à leur arrivée à Rochebrune.

« J’ai encore le mien tout entier, déclara fièrement Élisabeth. L’argent, ça ne se dépense pas comme ça, on le garde.

— Pour les mauvais jours ? demanda malicieusement Geneviève. Si tu ne dois jamais toucher à ton billet, autant vaudrait un chiffon de papier ordinaire.

— Et toi qui parles si bien, qu’as-tu fait du tien ?

— Ma foi, je serais bien en peine de le dire. Ce que je sais, c’est qu’il n’en reste guère dans ma bourse. Et moi qui croyais que je n’en verrais jamais la fin. Je voulais rapporter quelque chose à papa, la première fois que nous irions à Uriage, et maintenant il n’y a plus moyen. Qu’est-ce que j’ai donc acheté ?

— Il est des gens qui marquent leurs dépenses, de manière à savoir justement où ils en sont, dit l’Oncle. Mlle Favières fera pas mal de t’apprendre à tenir tes comptes.

— Moi, j’ai tenu les miens, s’écria Charlotte, en sortant de sa poche un agenda sur lequel se trouvaient inscrits tous les menus objets de toilette qu’elle avait dû remplacer faute d’un peu d’ordre en temps opportun.

— Oh ! là ! là ! que de sucreries ! s’écria Geneviève, qui avait jeté un regard par dessus l’épaule de son oncle.

Pastilles de chocolat 
6 fr. 50
Sucres d’orge 
2 »
Nougatines 
2 »
Boules de gomme 
1 »
Réglisse 
1 20
Fruits confits 
5 »
Dragées 
2 »
Pain d’épices 
1 75
Caramels 
3 »

— Et encore des chocolats, et des sucres d’orge, et des berlingots, etc., etc… continua Geneviève au milieu d’un rire général. Tu n’as pas été malade de croquer toute cette cargaison de bonbons ?

— Pas du tout.

— Je n’ignorais pas que Charlotte faisait des stations prolongées chez le confiseur, chaque fois que nous allions à Grenoble ou à Damville, dit Mlle Favières, mais je n’aurais jamais cru que le total fut aussi formidable.

— Quelle gourmande ! dit sa sœur indignée.

— Pour être juste, reprit M. Maranday, il faut ajouter que si Charlotte est assez portée sur sa bouche, elle a le cœur compatissant. Je vois un peu plus loin.



Aux pauvres 
2 fr. »
AuxIdem 
5 fr. »
AuxIdem 
23 fr. 75

— Sans compter qu’elle nous a donné une partie de ses bonbons, fit observer Valentine.

— Notre petite Charlotte est un peu prodigue, mais elle n’est pas égoïste, conclut M. Maranday.

— Geneviève aussi a dépensé des sommes folles pour les pauvres, dit Charlotte.

Il fallut expliquer à M. Maranday les projets charitables de ces demoiselles. Comme quoi, on avait cousu de nombreux vêtements pour les petits indigents. Et le désir de Valentine de procurer « une journée de bonheur à tous les petits pauvres des environs. »

M. Maranday écoutait, impassible en apparence seulement. Luis était vivement intéressé. Il rit de bon cœur quand Geneviève raconta la désillusion qu’elle avait eue en ne trouvant dans le village personne à qui allassent les vêtements qui avaient coûté tant de travail.

— Voilà ce que c’est que de n’avoir pas écouté Mlle Favières, s’écria-t-elle d’un ton comique.

Marie-Antoinette, interrogée sur ce qu’était devenu le billet qu’elle avait reçu, répondit :

— Je le dois à ma couturière.

— Déjà des dettes de couturière ! s’écria son oncle. Tu commences de bonne heure. Je ne voudrais pas être ton mari plus tard.

On rit. Mais Valentine semblait embarrassée. Elle essaya à deux reprises de détourner la conversation. Il lui fallut pourtant répondre comme les autres, à un interrogatoire direct.

Alors, toute rougissante :

— Mon oncle, permettez-moi de ne pas vous dire ce que j’ai fait de mon billet.

M. Maranday n’insista pas, mais il pensa à part lui :

« Se pourrait-il que ma petite Valentine soit avare, et qu’elle ait honte de l’avouer. »

Luis connaissait mieux sa petite amie :

« Vous avez tout envoyé là-bas ? » lui dit-il à l’oreille.

« Chut ! » répondit Valentine, qui savait aussi bien que lui ce que signifiait ce là-bas.

Et Marie-Antoinette s’empressa d’ajouter :

— Valentine aime bien garder son argent. Quand nous avons voulu acheter des affaires aux petits pauvres, elle n’a presque rien dépensé, Moi, j’ai employé la moitié de ce que maman m’avait donné au départ.

— Nous ne l’ignorons pas, depuis le temps que tu nous le dis, s’écria Charlotte impatientée.

Mlle Favières sentit la nécessité d’intervenir :

— Qui est-ce qui a le plus fait pour les pauvres ? Valentine, qui a terminé tout ce qu’elle avait entrepris, ou les jeunes filles qui n’ont à nous montrer que des choses commencées ou gaspillées ?

Ce fut au tour de ces demoiselles de baisser la tête.

— C’est si ennuyeux de coudre, murmura Geneviève, j’aimerais bien mieux être un garçon, au moins, je ne serais jamais obligée de tenir une aiguille !

— Tu te trompes. Les marins et les voyageurs y sont bien obligés, dit M. Maranday, et pour mon compte, cela m’est arrivé plus d’une fois.

— Vous avez cousu quelque chose, vous, mon oncle !… s’écrièrent les fillettes, tant leur paraissait drôle l’idée de voir le grave M. Maranday muni d’un dé et d’une aiguille.

— J’aurais souvent été bien embarrassé, si je n’avais pas su le faire. Je n’avais pas de valet de chambre avec moi dans les savanes du Brésil où j’ai tant voyagé avant de m’établir au Mexique. »

Et l’Oncle leur conta quelques amusantes anecdotes d’occasions nombreuses où il avait dû, non seulement exercer ses talents de tailleur, mais encore faire lui-même la cuisine, cirer ses bottes et laver son linge.

Ses nièces finirent par conclure qu’il était bon de savoir tout faire en ce monde.