Les atmosphères/Les vieilles rames (deuxième version)

À compte d'auteur (p. 25-26).

Les Vieilles Rames

(DEUXIÈME VERSION)


Quand l’homme cessa d’être le passeur, il devint autre chose. Il devint la seconde vie, celle des vieux à leur retraite qui attendent la mort qui viendra vite, parce qu’ils ne font plus rien. Il fut, somme toute, ce nouveau chapitre qui surgit tout au bout de l’histoire dont on avait cru tourner la dernière page.

Il arriva donc qu’il en prit conscience et qu’il en fut triste.

Alors il découvrit la vraie vie, l’autre vie qu’il n’était plus.

De sa porte, dans l’ombre, il la reconnut dans tout ce qui n’était pas lui, dans tout ce qui était le soleil, dans l’eau qui passait en fripant le sable sur le bord de la grève, dans les coups de reins du passeur sur le fil du bac, dans le cri qui venait de l’autre rive, qui venait des deux mains mises en cornet sur la bouche de l’homme qui signalait, là-bas, tout petit. Enfin, il vit l’action, le gros remuement dans le village d’en face qui apparaissait sur la berge comme une table mise avec ses petites maisons de toutes les formes qui faisaient penser, vues de loin, à des vaisselles, et avec la cheminée d’une usine qui se dressait comme un col de carafe.