Les anciens couvents de Lyon/10. Carmes

Emmanuel Vitte (p. 193-214).

LES CARMES



LES Carmes font remonter leur origine à la plus haute antiquité ; ils prétendent que le prophète Élie, qui se retira sur le mont Carmel pour fuir les persécutions de Jézabel et d’Achab, fut leur fondateur. Mais, quand parurent les premiers volumes des Acta sanctorum par les bollandistes, les rédacteurs, dans la vie du bienheureux Berthold, regardé par eux comme le premier général des Carmes, attaquèrent cette prétendue antiquité. Ils le firent cependant avec modération pour ne pas blesser les enfants du Carmel. Cette modération ne servit à rien. Les Carmes en furent offensés et firent paraître de nombreuses et savantes dissertations, soit pour défendre leur légitime descendance du prophète Élie, soit pour attaquer les bollandistes dont ils signalèrent deux mille erreurs, qu’ils dénoncèrent au pape Innocent XII et à l’Inquisition d’Espagne. Cette lutte se termina en 1698, par un décret pontifical qui imposa le silence sur la question de la primitive institution de l’ordre des Carmes par les prophètes Élie et Élisée.

Sans nous arrêter aux exagérations qui se glissent toujours dans les polémiques violentes, voici ce qui se dégage assez vraisemblablement des faits et de l’histoire :

Le prophète Élie se retirait souvent sur la montagne du Carmel pour y vaquer à la contemplation des choses divines. Son disciple Élisée, avec ces hommes que les saintes Écritures appellent les enfants des prophètes, suivit cet exemple. Jusqu’à l’avènement du Sauveur, le Carmel fut peuplé de ces solitaires, qui furent vraiment les prédécesseurs des solitaires chrétiens ; saint Jérôme et saint Basile regardent Élie comme leur chef, et l’ordre des Carmes comme son fondateur ; un des puissants arguments de leurs prétentions, c’est qu’en 1727 ils obtinrent du pape Benoît XIII la permission déplacer dans Saint-Pierre de Rome, où se trouvent les statues de tous les fondateurs d’ordre, celle du saint prophète du Carmel.

Comment les solitaires du Carmel embrassèrent-ils la foi chrétienne ? Il est peut-être difficile de l’établir d’une manière péremptoire. Il n’est pas douteux cependant que, dès les premiers siècles de l’ère chrétienne, le Carmel était peuplé de solitaires chrétiens. Mais comment vivaient-ils ? Formaient-ils des groupes, des communautés, ou bien vivaient-ils isolés les uns des autres ? Avaient-ils une règle uniforme et commune ? Ce sont autant de questions auxquelles on a essayé de répondre, mais jamais d’une manière satisfaisante. Berthold le premier rassembla les solitaires, et son successeur Brocard sollicita de saint Albert, patriarche de Jérusalem, une règle pour ses moines. Cette règle, en seize articles, leur fut donnée en 1209, et elle fut confirmée dans la suite par les papes Honorius III, Grégoire IX et Innocent IV. C’est celle qui s’observe dans tout le Carmel réformé.

Au treizième siècle, des Carmes s’établirent en Sicile, d’autres en Angleterre, où naquit la dévotion au saint scapulaire, révélée par la Sainte Vierge au bienheureux Simon Stock ; quelques autres enfin abordèrent en Provence, en 1244, aux Aigualades, à une lieue de Marseille, et y fondèrent un couvent. À l’époque où Innocent IV séjournait à Lyon, il reçut une délégation de deux religieux Carmes venant solliciter de Sa Sainteté des lettres de recommandation pour tous les princes chrétiens. Saint Louis ramena de l’Orient, au retour de sa première croisade, des religieux de cet ordre, et, en 1259, il leur donna un couvent à Paris. Au second concile de Lyon, les Carmes étaient représentés par des députés, à la suite du patriarche d’Antioche.

carme

La règle de saint Albert, avons-nous dit, avait seize articles. Le premier traite de l’élection du prieur et de l’obéissance qui lui est due ; le second veut que les religieux habitent des cellules séparées ; le troisième leur défend de changer de cellule sans permission ; le quatrième prescrit l’endroit où doit être située la cellule du prieur ; le cinquième prescrit le séjour continu dans les cellules, dans la sainte occupation de la prière ; le sixième règle la récitation des heures canoniales ; le septième défend aux Carmes de posséder rien en propre ; le huitième ordonne qu’un oratoire soit au milieu des cellules, et chaque matin les religieux y doivent entendre la sainte messe ; le neuvième règle les Chapitres locaux et la correction des frères ; le dixième s’occupe de l’observance du jeûne, qui doit s’étendre du 14 septembre jusqu’à Pâques, les dimanches exceptés ; le onzième traite de l’abstinence de la viande ; le douzième exhorte les frères à se revêtir des armes spirituelles qui sont à leur disposition ; le treizième ordonne le travail manuel ; le quatorzième impose un rigoureux silence, de l’office des vêpres jusqu’à celui de tierce ; le quinzième recommande au prieur la vertu d’humilité et le seizième aux frères le respect du prieur. Telle fut la règle fondamentale ; dans la suite bien des fois elle fut modifiée ou complétée par les souverains pontifes.

Le costume se composait d’une tunique brune et d’un manteau. Ce manteau fut, pendant un certain temps, blanc avec des bandes noires ou tannées. Plus tard, le manteau et le capuchon furent entièrement blancs.

Les armes de l’ordre, le blason du Carmel, méritent un instant d’attention. Elles se lisent ainsi : Chape arrondi d’argent et de couleur tannée, accompagné de trois étoiles de l’un et l’autre, deux en chef et une en pointe, l’écu timbré d’une couronne ducale, la couronne surmontée de douze étoiles d’or disposées de manière à la fermer. Les Carmes réformés au seizième siècle y firent, quelques modifications ; ils ajoutèrent une croix au sommet de la chape, et issant de la couronne ducale un bras vêtu d’une étoffe tannée, ayant en main une épée flamboyante à laquelle est attachée une banderole portant cette devise : Zelo zelatus sumpro Domino Deo exercituum. Les écrivains de l’ordre donnent sur ce blason de curieux commentaires ; la chape représente le mont Carmel ; les trois étoiles les trois âges de l’ordre ; la main, l’épée et la devise rappellent le souvenir du prophète Élie, et les douze étoiles celui de la Sainte Vierge.

Trente-deux ans après la fondation de leur couvent à Paris, c’est-à-dire en 1291, les Carmes vinrent à Lyon. Cette date est à retenir, parce qu’une foule d’auteurs rejettent jusqu’en 1303 l’installation des Carmes dans notre ville. Bientôt nous comprendrons la cause de cette erreur, mais cette date de 1291 est certaine. Les Carmes formaient à Lyon, bien avant 1303, une communauté religieuse. Nous avons plusieurs preuves indéniables, d’abord la permission qui leur est donnée parle Chapitre, le 30 septembre 1291, de s’établir en notre ville, et ensuite une copie des bulles pontificales, faite en 1296, à la requête du prieur des Carmes de Lyon.

On ignore où fut leur première demeure, mais à coup sûr elle était modeste et insuffisante. En 1303, ils sollicitèrent de l’archevêque de Lyon, Louis de Villars, l’autorisation d’acheter un autre emplacement. Leur requête fut approuvée. L’emplacement définitivement choisi, était situé au faubourg Saint-Vincent, près, mais en dehors des fossés de la Lanterne, qui formaient alors la limite septentrionale de la ville.

Leur établissement ne se fit pas sans peine, car plusieurs fois les moines de l’Ile-Barbe, le commandeur de l’hôpital de Sainte-Catherine et le prieur de la Platière voulurent les expulser de force. Grâce à la protection de Clément V, sacré à Lyon en 1305, grâce aussi à quelques sacrifices pécuniaires, ils parvinrent à triompher de ces difficultés. Mais ils ne tardèrent pas à rendre à d’autres religieux une bonne part des tracasseries qu’ils avaient subies. Nous avons vu déjà quelle formidable opposition rencontrèrent les Augustins ; les Carmes, en effet, ne voulaient pas entendre parler de cet établissement trop voisin de leur monastère ; des procès furent engagés, et ce n’est que par une transaction que les débats prirent fin.

Avec le temps, les Carmes parvinrent à conquérir de l’influence ; aussi voyons-nous un père Carme, Laurent Bureau, devenir, sur la fin du quinzième siècle, évêque de Sisteron et confesseur des rois Charles VIII et Louis XII. C’est sur ses instances que les libéralités de ces deux souverains s’exercèrent en faveur des Carmes. Aussi ces religieux se mirent-ils à bâtir, en 1495, une superbe église. Elle était du style gothique sévère, ressemblait assez à celle de Saint-Bonaventure, et était située à la place de la rue de la Paix ; elle était placée sous le patronage de Notre-Dame du Mont-Carmel ; on y remarquait une chaire en bois d’un beau travail, copié sur celui de Saint-Étienne du Mont, à Paris. Les chapelles étaient nombreuses et parmi elles se faisait remarquer celle de Saint-Laurent, édifiée aux frais de Philibert Vitallis. Les Génois avaient adopté l’église des Carmes comme lieu de leurs assemblées chrétiennes.

Il est impossible de parler des Carmes sans parler de Corneille-Agrippa de Nettesheim, qui logeait chez les Carmes, quand il venait à Lyon. C’était une sorte de prédécesseur de Cagliostro ; il passait pour astrologue et sorcier ; il avait d’illustres amis et de formidables ennemis. Quoiqu’il en soit, sa vie fut des plus étranges ; accusé de magie, emprisonné, rendu à la liberté, courant le monde, il mourut à Grenoble dans la plus grande misère.

Les événements de 1562 eurent aux Carmes les mêmes conséquences qu’ailleurs, la dispersion des religieux et le pillage du couvent. Le prieur, le sous-prieur et cinq autres Carmes étaient restés dans le monastère, pendant tout le temps qu’avait duré le siège de la ville ; ils y étaient encore le 7 mai lorsque Guillaume Gay, marchand de Lyon et colonel de l’Église réformée, vint faire une perquisition. Il voulut voir les reliquaires d’argent, mais les Carmes déclarèrent qu’en prévision des troubles, ils les avaient remis à Messieurs de Saint-Jean, leurs supérieurs. On dressa un inventaire, et Guillaume Gay fut déclaré gardien des objets décrits. Mais treize mois après, lorsque les religieux rentrèrent en possession de leur couvent, ils ne purent jamais, malgré la publication répétée des monitoires de l’official de Lyon, recouvrer les objets volés.

Une fois ces violents troubles apaisés, les Carmes eurent de longues années de prospérité. C’est dans leur couvent que s’assemblait le collège des médecins de la ville ; c’est là que se réunissaient les pharmaciens, quand ils avaient un aspirant à recevoir ; c’est là qu’au mois d’août 1596 se tinrent les Grands Jours, qui se prolongèrent jusqu’aux fêtes de Noël. Les Grands Jours étaient des sessions extraordinaires de justice, ouvertes en exécution de lettres patentes du roi ; ces tribunaux temporaires étaient présidés par un envoyé royal et décidaient des litiges et des affaires d’appel. Les Grands Jours de 1596 virent quinze conseillers au parlement de Paris, présidés par Forget ; ils statuèrent sur les plaintes des bourgeois, mirent fin à des démêlés qui étaient survenus entre les officiers de la ville au sujet de leurs attributions, et prononcèrent sur les règlements des officiers de judicature.

Le couvent des Carmes des Terreaux eut à sa disposition des ressources considérables ; il en fit toujours un noble usage. En tout temps, mais surtout aux jours mauvais des calamités publiques, la population lyonnaise trouva toujours, à la porte du monastère, une généreuse assistance ; les savants étrangers, les prélats de passage trouvaient aux Carmes une large hospitalité. Ils accueillaient fraternellement tous les religieux de l’ordre ; ils ne refusaient jamais quelques pistoles aux étudiants en théologie qui leur dédiaient leur thèse de majeure. Grâce au soin qu’ils avaient d’envoyer chaque religieux passer quelques années à Paris pour suivre les cours de l’Université, le couvent des Carmes des Terreaux devint un véritable séminaire de docteurs de Paris qui, pendant un siècle, fournit à Lyon, des évêques suffragants. Né nous étonnons pas si nos religieux eurent une grande réputation, elle était méritée ; aussi le couvent des Grands-Carmes de Paris choisit-il plusieurs fois son prieur parmi les religieux de Lyon, et même au Chapitre tenu à Rome en 1780, un Lyonnais, le P. André Audras, fut élu supérieur général de l’ordre. Quelquefois aussi les échevins de Lyon choisirent parmi nos religieux des députés en cour, chargés de défendre devant les rois de France les privilèges des habitants de la ville. D’autres durent aller étudier les intentions et les mouvements des troupes étrangères rassemblées aux environs de Lyon, et éclairer, par cette mission diplomatique, les représentants de notre cité. L’un d’eux même fut investi, en 1501, du pouvoir de vérifier et de suspendre les procédures criminelles, ordonnées par le parlement de Grenoble, l’archevêque d’Embrun et l’évêque de Gap, contre les solitaires des vallées des Alpes, où s’étaient réfugiés, dit-on, les disciples de Valdo. Il fit preuve, à cette occasion, d’une intelligence supérieure.

Les Carmes n’échappèrent pas à la nécessité des constructions et des reconstructions. Seuls, parmi les bâtiments de la fondation, le logis des évêques, domus episcopalis, et l’église furent construits sur des plans définitifs. Le logis des évêques dura trois siècles et fut démoli lors de la reconstruction du grand bâtiment claustral, de 1754 à 1758. Il était situé au couchant du couvent et à l’est de l’ancienne rue des Auges. L’église n’eut d’abord qu’une nef et quelques chapelles, toutes élevées du côté du couvent. Mais en partie tombée en 1451, elle fut réparée et agrandie ; on adossa à la grand nef des nefs latérales, et un nouveau clocher fut élevé sur le côté gauche de l’ abside. — Tous les autres bâtiments n’avaient qu’un caractère provisoire. Un jour devait venir où les Carmes seraient forcés de tout reconstruire.

En 1648, un incendie éclata à l’hôpital Sainte-Catherine et détruisit le bâtiment qui servait de cloître aux Grands-Carmes. Le Consulat et le Chapitre de Saint-Jean leur vinrent en-aide et, grâce à leurs libéralités, le cloître incendié fut remplacé par une grande sacristie. Vingt ans plus-tard, trois étages furent construits sur ce rez-de-chaussée, qui resta affecté à sa destination première jusqu’en 1789.

Ce ne fut qu’en 1679 qu’on commença la reconstruction d’un nouveau cloître,-dont l’archevêque Camille de Neuville posa la première pierre le 29 mai. Il fut complètement achevé, tandis que le grand bâtiment claustral, comprenant la cuisine et le réfectoire, ne fut terminé que jusqu’au premier étage. Ce n’est que par la suite et à la longue que la partie supérieure fut mise en état de recevoir les religieux.

En 1755, les Carmes cédaient à divers particuliers des terrains pour construire des maisons. Ces maisons devaient n’avoir qu’un étage, et bordaient l’enclos du couvent à l’angle nord-ouest de la place actuelle de la Miséricorde.

Parmi les faits historiques que nous avons le devoir de retracer, se trouve un étrange conflit dont le récit sera plus loin plus logiquement à sa place. Quant au jansénisme et aux luttes qu’il suscita, les Carmes ne semblent pas y avoir pris part. De 1713 à 1718, ils paraissent indifférents aux doctrines diversement soutenues. Leur silence se poursuit même après la lettre apostolique de Clément XI, datée du 28 août 1718, et qui ordonne à tous les fidèles d’accepter la bulle Unigenitus, sous peine d’excommunication. L’adhésion des Grands-Carmes, consignée au livre des Résolutions capitulaires, n’est datée que du 6 janvier 1719. Que signifie ce long silence ?

Au moment de la Révolution, le couvent des Carmes contenait quatorze pères et deux frères. Ils quittèrent tous la vie religieuse, quand fut rendu le décret du 24 novembre 1789, qui mettait tous les biens ecclésiastiques à la disposition de la nation. Quelques-uns entrèrent dans le clergé séculier.
plan des grands carmes au quartier des terreaux

Pendant quelque temps, le couvent des Carmes fut occupé par certains services publics ; il donna asile, à ses divers étages, à la compagnie du guet, au bureau du timbre, aux assemblées primaires, à l’atelier de couture des Suisses. Mais, dès le 1er mai 1792, tous ces services furent dispersés ailleurs, et l’immeuble, partagé en trois lots, fut vendu, le premier, 121.000 francs, à Lecourt, Giraudier et Cie ; le second, 101.000 francs, à Jacques Zeigler, négociant ; le troisième, 83.500 francs, au négociant Condantia, qui fait élection d’ami en faveur de Montanier.

Que reste-t-il de l’ancien couvent des Carmes ? Si vous pénétrez dans la cour de la maison qui, sur la place de la Miséricorde, porte le numéro 5, vous verrez les restes du cloître avec des arcs à plein cintre ; dans la grande maison voisine, séparée de la rue des Auges par une cour, vous trouverez de vastes locaux qui sont un souvenir des salles du couvent.

Mais cette histoire des Grands-Carmes des Terreaux serait incomplète, si nous ne parlions des Pénitents de la Miséricorde, qui possédaient une chapelle sur les terrains occupés par les Carmes, à l’ouest de la place actuelle de la Miséricorde. C’est un corollaire intéressant de l’histoire qui nous occupe.

Un citoyen de Lyon, Milanais d’origine, le charitable César Laure, inspiré par un religieux Célestin, le vénérable Jacques Moricelli, conçut le dessein d’une confrérie destinée au soulagement des prisonniers et au salut des criminels. C’était une sainte œuvre, elle fut bien accueillie des Lyonnais. Les Carmes cédèrent le terrain pour la construction de la chapelle, à certaines conditions que nous verrons plus loin, et les Pénitents de la Miséricordes’y installèrent en 1636. Ils devinrent bientôt très nombreux et appartenaient à la meilleure société de la ville. Comme ils s’occupaient spécialement, dans leur charité, des prisonniers et des condamnés à mort, ils étaient placés sous le patronage de saint Jean-Baptiste, qui eut la tête tranchée. La fête de la Décollation était leur fête patronale.

Il n’est pas sans intérêt de suivre ces Pénitents dans leurs œuvres : les lundis et les jeudis, ils allaient à la prison et distribuaient à chaque prisonnier un demi-litre de vin et un pain d’une livre et demie. Deux visiteurs, plusieurs fois la semaine, délivraient aux prisonniers des souliers, des vêtements, des couvertures, et souvent s’entendaient avec leurs créanciers pour leur procurer la liberté et payer leurs dettes avec l’argent de la compagnie. Ils délivraient ainsi de cent à cent cinquante prisonniers. Ils contribuaient aux distributions de bouillon, donnaient des remèdes, et envoyaient un médecin aux malades. Lors du passage de la chaîne des forçats, on leur distribuait des aumônes. Quand un criminel était condamné au dernier supplice, ils allaient l’exhorter dans sa prison, l’accompagnaient, en priant, jusqu’au dernier moment ; puis, après la mort et après avoir baisé la terre au pied du gibet, ils ensevelissaient le supplicié, le portaient sur leurs épaules jusqu’à la chapelle des Pénitents, où l’on continuait les prières et où on l’inhumait dans un caveau destiné aux criminels. Quelle compatissante charité !

Cette chapelle des Pénitents fut le théâtre d’un conflit, qui causa dans la ville une véritable émotion. Dans le contrat de vente passé entre les Pénitents et les Carmes, ceux-ci avaient, selon la coutume des communautés religieuses, stipulé à leur profit certains avantages. Ils s’étaient réservé, outre une redevance annuelle, le droit exclusif de fournir aux Pénitents leurs confesseurs, leurs prédicateurs et leurs officiants, à moins qu’ils ne consentissent parfois à approuver tout autre ecclésiastique. Ce premier traité fut changé en 1642, quand les Pénitents furent obligés d’agrandir leur chapelle ; les Carmes permirent d’employer d’autres prêtres que les religieux, certaines fêtes exceptées. Mais il fut expressément convenu que l’on n’y prêcherait jamais pendant le temps des prédications faites dans l’église des Carmes, et que si les Pénitents pouvaient prendre les ecclésiastiques qui leur plairaient pour des exhortations et messes de dévotion, ces exercices ne pourraient être annuels, et à plus forte raison mensuels ou hebdomadaires.

Or, en 1675, un vicaire général de Lyon, M. Morange, voulant fonder une association à la Passion de Notre-Seigneur, sollicita des Carmes l’autorisation de se servir de la chapelle des Pénitents. Cette concession gracieuse ne devait être que temporaire, et le vicaire général offrait d’en donner la déclaration écrite. Par égard pour la dignité du solliciteur, les Carmes ne l’exigèrent pas ; l’autorisation demandée fut accordée à M. Morange, et dès lors, tous les vendredis, une foule de fidèles fréquenta la chapelle des Pénitents de la Miséricorde.

Deux ans et demi après, ce provisoire n’avait pas changé. Les Carmes, déjà mécontents, perdirent patience quand ils apprirent que le grand-vicaire venait de faire afficher et prôner publiquement qu’il viendrait encore tous les dimanches, et qu’en outre des oraisons mentales, seuls exercices jusqu’alors de l’association, il y aurait désormais chants, prédications, bénédictions, etc. Le Provincial et le Prieur se rendirent chez le vicaire général, et le prièrent humblement de ne pas leur faire ce tort, ils ne purent rien obtenir. Le recteur des Pénitents, M. Bastero, fit une semblable démarche, mais n’obtint aucun succès. C’est alors qu’éclate le conflit.

Le dimanche 7 mars, le P. Provincial, Timothée de Saint-Paul, fit enlever le tableau qui portait pour titre : Association à la Passion de Jésus, et qui annonçait les offices du jour. Il fit, de plus, avec l’agrément du recteur, fermer la porte de l’église. L’abbé Morange ne voulut pas être battu, il vint à la chapelle, et la trouvant fermée, il passa par une ouverture qui donnait sur la Grande-Boucherie ; de l’intérieur il ouvrit la porte et se mit en état de commencer les exercices publics. Ace moment, le P. Provincial, accompagné de trois religieux, pénétra dans cette même chapelle, ferma la porte sur lui, et pria le vicaire général de se retirer. Il fit quérir un notaire qui dressa procès-verbal des faits, et constata le refus de M. Morange d’obtempérer à la sommation qui lui était faite. Puis, le P. Provincial alla s’agenouiller au pied de l’autel ; le vicaire général prit le parti de se retirer.

Mais M. Morange porta immédiatement plainte de l’injure qu’il avait reçue, et dès le lendemain, sur la réquisition du Promoteur de l’officialité, le juge ecclésiastique rendit un décret de prise de corps, tant contre le P. Provincial que contre tous les Carmes. L’effet ne s’en fit pas attendre ; ce même jour, le Procureur du Couvent, le P. Paul de Saint-Antoine, se trouvait en ville. Il fut appréhendé, relâché, repris et finalement écroué dans les prisons de l’archevêché. Ce fut assurément un grand scandale. Le Prieur s’empressa de solliciter l’élargissement du Procureur, qui n’était pas au couvent dans la soirée de la veille ; le Promoteur de l’officialité ne voulut rien entendre. Et ce ne fut pas tout ; le surlendemain 9 mars, l’appariteur vint de la part du grand-vicaire « signifier au couvent et placarder sur la grande porte un interdit contre le P. Provincial, le P. Nicolas Talet, le P. Sylvestre, sacristain, et le F. Albert, laïque ; par cette sentence il était défendu aux trois premiers de célébrer la messe, et de plus, le pouvoir de confesser et de prêcher était retiré à tous les religieux. Menace fut enfin publiquement faite de trompetter dans la quinzaine les quatre personnes susdésignées, si elles ne venaient répondre devant l’official de leur conduite. »

Sans aucun doute, ce conflit et ce scandale ne se seraient pas produits si l’archevêque de Lyon eût été présent, mais Mgr Camille de Neuville était à Paris, et il devait lui être bien difficile de démêler la vérité au milieu des récits contradictoires que lui envoyèrent les Pères Carmes et les membres de l’administration diocésaine. Mais l’affaire était pressante, il dut juger de loin ; la censure ecclésiastique fut révoquée, et le P. Provincial dut présenter ses excuses au vicaire général. Les Carmes se soumirent pour obtenir la liberté de leur Procureur détenu depuis quinze jours, et encore ils ne l’obtinrent qu’en payant à l’appariteur, outre les droits de la geôle, six louis d’or pour les frais et les dépens de justice. Quand Mgr l’archevêque connut cette exaction, il fit rendre les six louis d’or.

M. l’abbé Morange ne se priva pas de la satisfaction de recommencer les exercices, annoncés et suspendus, dans la chapelle des Pénitents. Mais ce triomphe fut de courte durée. Deux mois après, l’archevêque était de retour, et il défendait à son grand-vicaire de continuer, dans la chapelle des Pénitents, les exercices de l’Association. Celle-ci fut alors transférée dans la chapelle des missionnaires de Saint-Joseph, derrière la maison de ville. Après cet émoi, la chapelle des Pénitents ne connut plus que les saintes prières et les édifiants exemples de ses maîtres. En 1792, elle devint successivement magasin à fourrages et entrepôt de marchandises. Elle fut démolie en 1836.

Lyon possédait un second couvent de Carmes. Cette seconde installation a besoin d’être expliquée par quelques préliminaires.

La ferveur primitive de l’ordre du Carmel ayant diminué, la mitigation fut accordée par Eugène IV, en 1430. Mais, au seizième siècle apparaît Térèse, l’immortelle Térèse de Jésus, la gloire de son ordre, dont elle entreprit la réforme. Elle comprit bientôt que pour assurer la réforme parmi les religieuses, il fallait la commencer par les communautés d’hommes. L’illustre saint Jean de la Croix et le vénérable Père Antoine de Jésus se mirent à l’œuvre sous la direction de sainte
carme-déchaussé sans manteau
Térèse, et le 28 novembre 1588, ils fondèrent le premier couvent des Carmes Déchaussés. Ils formèrent une congrégation particulière, que Clément VIII approuva par une bulle du 20 décembre 1593. Ce même pape, par une autre bulle datée de 1600, érigea en congrégation particulière les couvents des Carmes Déchaussés établis en Italie, de sorte que l’ordre nouveau fut scindé en deux congrégations ayant chacune son général ; celle d’Espagne ne devait pas sortir d’Espagne, celle d’Italie pouvait fonder des couvents dans le monde entier, excepté en Espagne. Cette dernière, sous le nom de Saint-Élie, se multiplia beaucoup ; ce sont les religieux de cet ordre qui vinrent, en 1618, s’établir à Lyon.

Cette réforme était le retour à l’ancienne règle. De plus, les Constitutions prescrivent la nudité des pieds. Le lit se compose d’une planche, de trois couvertures et d’un traversin de laine. S’il y a un nombre suffisant de religieux, on doit se lèvera minuit pour matines. On fait deux heures d’oraison par jour.

Le costume se compose d’une tunique intérieure en laine blanche, d’une tunique extérieure en laine brune, d’une ceinture en cuir avec un chapelet, d’un scapulaire et d’un capuchon de couleur brune, d’un manteau blanc avec un capuchon blanc en laine, et enfin de sandales. Les religieux portent la couronne monastique.

couvent des carmes déchaussés

Où s’établirent à Lyon les Carmes Déchaussés ? Il y avait autrefois, au haut de la montée actuelle des Carmes-Déchaussés et au-dessus des Capucins du Grand-Couvent, une ancienne recluserie qu’on appelait le Grand-Thune. Ceux qui donnent des étymologies prétendent qu’on y soignait jadis des pestiférés qui revenaient des pays barbaresques, de Tunis entre autres. Près de cette recluserie existait un cabaret fameux, qui portait aussi le nom de Thune, et où les Lyonnais d’alors allaient s’amuser de là est passée dans le langage lyonnais cette expression bizarre qui existe encore : faire tune, faire une tune, pour faire une partie de plaisir.

En 1618, le marquis Philibert de Nérestang, grand-maître des chevaliers du Mont-Carmel, acheta la recluserie et des terrains avoisinants, et les donna aux Carmes de la nouvelle congrégation, avec une rente pour l’entretien de huit religieux. Les Déchaussés s’y établirent donc, et leur église fut placée sous le patronage de Notre-Dame du Mont-Carmel.

L’histoire de cette communauté a dû être calme, les Archives départementales sont pauvres en fait de documents qui la regardent. Je ne vois à signaler qu’une grande fête religieuse célébrée en 1675, à propos de la béatification de Jean de la Croix, déclaré bienheureux le 26 avril de cette année. Huit panégyriques y furent prononcés.

Pourquoi ne pas signaler aussi l’eau de mélisse des Carmes, spécifique merveilleux qui s’y fabriquait, et qui guérissait toutes les maladies ? Quand la Révolution eut chassé les religieux de leur couvent, les frères Serre emportèrent avec eux le secret de la fabrication de l’eau des Carmes. Ils s’établirent à l’angle méridional de l’escalier du Change et de la montée Saint-Barthélémy. Les frères Serre sont morts, mais ils ont eu, dans le même local, un successeur qui prétend posséder seul le vrai secret de la fabrication.

Le couvent des Carmes-Déchaussés n’échappa pas aux mesures révolutionnaires. Le 28 octobre 1789, Palerne de Savy s’y présenta et procéda aux formalités voulues par la loi. La communauté comptait alors huit pères et six frères convers. Les registres de la municipalité nous apprennent que, de tous les Carmes que contenaient les deux couvents de Lyon, deux seulement restèrent fidèles à leur passé. Ils se rendirent dans la maison des Récollets, qui fut choisie pour recevoir tous les membres des anciennes communautés de moines mendiants. Un décret du 18 août 1792 supprima même ces établissements dont le décret précédent avait autorisé le maintien.

Depuis lors le couvent des Carmes-Déchaussés a subi des fortunes bien diverses. En 1789, il devint une caserne ; dans les dernières années du règne de Louis-Philippe et sous l’administration de M. Terme, maire de Lyon, il devint une caserne de passagers. En 1860, il fut rendu à sa destination première : il y avait déjà une vingtaine d’années que, par les efforts du P. Dominique de Saint-Joseph, les Carmes-Déchaussés étaient rentrés en France, quand leur ancien couvent de Lyon les reçut à nouveau. En 1870, ils furent une seconde fois chassés, et le couvent, au milieu du désarroi général, devint une caserne de garibaldiens, qui ne négligèrent rien pour y faire le plus de dégâts possibles. Après la Commune, les religieux rentrèrent dans leur couvent, mais l’expulsion les en fit sortir de nouveau, et aujourd’hui l’ancien couvent des Carmes-Déchaussés est une école d’enseignement secondaire.

SOURCES :

Le P. Hélyot et l’abbé Maillaguet : Dictionnaire historique des ordres religieux et Miroir des ordres religieux.

Grisard : Notre-Dame de Compassion.

Archives du Rhône, tome IX, page 13 et suiv.

Archives départementales, pas riches.

Brouchoud : Histoire du couvent des Grands-Carmes de Lyon, quatre articles dans la Revue du Lyonnais, 5e série, vie volume, année 1888. Documents puisés aux archives de l’ordre des Grands-Carmes, conservées à Rome au couvent de Sainte Marie-Transpontine.

Léon Boitel : Les Pénitents de la Miséricorde.




LES CARMÉLITES



ON a eu pour les filles du Carmel la même prétention que pour les Carmes : on a écrit qu’elles existaient neuf cents ans avant Jésus-Christ. Mais le P. Louis de Sainte-Térèse, dans son livre qui a pour titre : La Succession d’Élie, fut plus modéré dans ses appréciations, je n’ose pas dire plus sincère : il dit que la fondation de monastères pour les religieuses carmélites est due au bienheureux P. Joseph Soreth. Ce Père, homme de mérite et d’intelligence, naquit en Normandie et entra au couvent de Caen, chez les Carmes. Tout jeune encore il fut élevé aux dignités de son ordre, et devint supérieur général. Il estimait, dit le P. Louis, que c’était une chose indigne que les autres ordres mendiants eussent des filles qui observassent leurs règles, et que le seul Carmel, institué pour honorer la sainte Vierge, Mère des vierges, n’ait pas des filles de son ordre. Ainsi, sans remonter au déluge, il est certain qu’elles n’ont été instituées que vers l’an 1452, en vertu d’une bulle de Nicolas V, obtenue par le P. Soreth, qui fonda cinq couvents de religieuses Carmélites. Marie-Magdeleine de Pazzi appartient à ce premier Carmel.

carmélite avant la réforme

Mais voici qu’en 1515 naquit celle qui devait être sainte Térèse, une femme de génie et une grande sainte. Son âme ardente tressaillait d’amour pour ce Jésus dont elle portait le nom. Elle voulut donner à son Carmel bien-aimé toute sa splendeur ; elle entreprit donc non seulement de restituer la règle de saint Albert dans son intégrité, mais elle y ajouta même des austérités nouvelles, et le 24 août 1562, elle inaugurait le premier couvent de sa réforme, celui de Saint-Joseph d’Avila. Après ce premier succès, elle fonda un grand nombre de couvents ; à sa mort, survenue en 1582, c’est-à-dire vingt ans après sa première fondation, on comptait en Espagne seize couvents de Carmélites, sans parler des Carmes, et la réforme de sainte Térèse ne tarda pas à être très florissante en ce pays.

Ce ne fut pas sans difficulté qu’on parvint à obtenir, pour la France, des filles de la grande réformatrice du Carmel. Des démarches furent faites, à ce sujet, en 1585, par M. de Brétigny, mais elles n’aboutirent pas. C’est à Mme  Acarie, née Barbe Avrillot, fille d’un maître à la Cour des comptes, à Paris, que doit revenir l’honneur de l’introduction des Carmélites en France. Après deux années de négociations, M. de Bérulle, qui devint plus tard le fondateur de l’Oratoire et cardinal, parvint, en 1604, à ramener d’Espagne six religieuses de la réforme de sainte Térèse. Parmi elles se trouvait Anne de Saint-Barthélémy, qui avait été la compagne inséparable de la grande réformatrice. La princesse Catherine d’Orléans de Longueville fut leur protectrice, et le prieuré de Notre-Dame des Champs, au faubourg Saint-Jacques, fut leur premier monastère.

carmélite déchaussée

Les vocations furent nombreuses, et, dans ce premier Carmel de France, on retrouve les plus grands noms de notre histoire, les Marillac, les Séguier, les Larochefoucauld, les Cossé-Brissac, etc. Il y eut aussi Mlle  de Boys de Fontaine-Marans, en religion sœur Madeleine de Saint-Joseph, que nous retrouverons plus loin, et qui fut la première prieure du monastère de Lyon. Quant à Mme  Acarie, après avoir procuré l’établissement des monastères de Paris, de Pontoise, d’Amiens et de Rouen, elle prit l’habit du Carmel au couvent d’Amiens. Elle ne voulut jamais être que sœur converse, édifia ses sœurs tout le reste de sa vie, et mourut au couvent de Pontoise, en 1618. Elle s’appelait en religion Marie de l’ Incarnation ; elle fut béatifiée par l’Église, et le Carmel célèbre sa fête le 18 avril.

Cet ordre se répandit beaucoup en France ; au moment de la Révolution, on en comptait soixante-cinq, c’est assez dire de quelle estime il jouissait. C’est là que se réfugia sœur Louise de la Miséricorde, qui s’appelle dans l’histoire la duchesse de la Vallière ; c’est là aussi qu’alla se cacher, sous le regard de Dieu, abandonnant les marches du trône où elle était née, Marie-Louise de Bourbon, qui avouait n’avoir jamais trouvé, sous les lambris dorés, autant de bonheur que dans sa pauvre cellule.

La règle y est très sévère : la Carmélite est une victime qui meurt chaque jour. Le costume se compose d’un habit de couleur brune ou tannée, d’un scapulaire, de bas de toile, de sandales, d’une guimpe blanche sur laquelle est adapté un voile noir. Les religieuses portent au chœur, pour les fêtes et les cérémonies, un manteau blanc et un second voile noir.

Quatorze ans après la fondation du couvent de Paris, en 1616, fut fondé le couvent de Lyon, le quatorzième dans la liste des fondations. Il y avait à Lyon, comme gouverneur de la ville et de la province, Charles de Neuville de Villeroy, marquis d’Halincourt. Sa femme était Jacqueline de Harlay, fille de ce Harlay de Sancy qui alla en Suisse chercher seize mille hommes, qu’il amena à Henri IV guerroyant encore pour conquérir son trône. Cette Jacqueline de Harlay avait, au monastère de l’Incarnation à Paris, une sœur, Mère Marie de Jésus, veuve de M. le marquis de Bréauté, qu’elle visitait souvent. Celle-ci lui procura la connaissance de la Mère Magdeleine de Saint-Joseph, religieuse Carmélite du même couvent, qui, dès la première entrevue, lui dit plusieurs choses pour l’utilité de son âme. Elle en demeura extrêmement satisfaite, et noua avec elle une si étroite amitié qu’elle a duré jusqu’à la mort. Par cette connaissance, l’amour des Carmélites s’alluma dans son cœur, et elle en fut si éprise qu’elle résolut de fonder à Lyon un couvent de cet ordre. Approuvée dans son projet par son mari, Charles de Neuville, elle acheta, au-dessous des vignes des Chartreux et au-dessus du couvent de l’Annonciade, un