Les anciens couvents de Lyon/08. Bon-Pasteur

Emmanuel Vitte (p. 175-180).

LE BON-PASTEUR



L’ANCIENNE communauté du Bon-Pasteur ne se rattache à aucun autre ordre. Celui qui, sous ce nom, fut fondé par le P. Eudes, et qui est devenu important, n’a pas donné naissance au Bon-Pasteur de Lyon ; celui de Paris, fondé par Mme de Combé, et qui ressembla à celui qui va nous occuper, est postérieur au nôtre d’une trentaine d’années ; celui-ci est une œuvre et une fondation toute lyonnaise.

Une lettre de Mgr Camille de Neuville, archevêque de Lyon, datée de 1675, va nous apprendre quelle fut l’origine de cette œuvre : « Il y a environ dix-huit ans, écrit-il, une femme vertueuse et d’honnête qualité de Lyon, ayant considéré que la plupart des filles débauchées qui avaient fait leurs couches dans l’Hôtel-Dieu ne sachant, lorsqu’elles en sortent, où se retirer, pour être dans l’indigence et ne pouvoir être reçues à servir dans des maisons, et moins encore à se marier, étaient comme obligées par une funeste nécessité de reprendre leurs premières habitudes et de continuer les désordres et les dérèglements de leur vie, elle a retiré dans sa propre maison quelques-unes des dites filles sortant de l’ Hôtel-Dieu, ou autres de même qualité, et a travaillé à leur conversion avec succès. Dieu bénit ses soins, etc. » C’est donc vers 1657 qu’il faut faire remonter l’origine de cette œuvre de charité. Au début, elle n’est que le résultat d’une initiative personnelle, mais bientôt d’autres dévouements se groupèrent autour de ce dévouement premier ; quelques Lyonnaises s’y consacrèrent avec zèle, et à des époques fixes et rapprochées, un ecclésiastique, délégué de l’archevêque, venait présider les assemblées de ces pieuses personnes qui s’étaient partagé les emplois. Bientôt il fallut une maison, mais pour avoir une maison, il fallait le consentement de l’archevêque. C’est alors que Mgr Camille de Neuville de Villeroy approuva cette œuvre, destinée à donner asile aux personnes du sexe qui voulaient se retirer du vice et quitter les mauvaises habitudes où elles étaient engagées, et pour lui donner plus de solidité, il enrôla les dames qui s’en occupaient en congrégation, sous l’invocation du Bon-Pasteur. C’était une idée heureuse, ce patronage du Bon-Pasteur était bien choisi ; n’est-ce pas Lui qui court au loin chercher la brebis égarée et souvent blessée des ronces du chemin ? N’est-ce pas Lui qui la charge sur ses épaules et la comble de caresses ? L’archevêque obtint de plus, pour cet établissement, des lettres-patentes du roi, qui furent enregistrées-en 1677, au Parlement de Paris. Cette œuvre, dès le début, marcha d’une telle allure, elle répondait à des besoins si pressants, et faisait tant de bien que plusieurs villes voulurent posséder une œuvre semblable. En 1679, dans une des assemblées habituelles, M. le supérieur présenta une lettre d’Avignon par laquelle il était prié d’envoyer une copie des règlements de la maison, pour qu’on s’en servît dans l’établissement qu’on avait dessein de faire à l’imitation de celui de Lyon.

La communauté du Bon-Pasteur fut d’abord située au sommet de la colline de la-Croix-Rousse, près des portes, et à l’angle de la Grande-Côte et de la place des Bernardines, par conséquent dans le voisinage immédiat de celles-ci. Ce n’est, que plus tard, ainsi que nous le verrons, qu’elles descendirent occuper ce qui est aujourd’hui la caserne du Bon-Pasteur.

Après l’approbation de Mgr Camille, la communauté prit une physionomie religieuse, mais les âmes généreuses qui se vouaient à cette œuvre délicate voulurent quelque chose de plus parfait, et l’obtinrent. Nous lisons, en effet, sur le registre des assemblées : « M. l’official a remontré à l’assemblée l’ordonnance de Mgr l’archevêque du 27 août dernier (1700), par laquelle, sur la requête à lui présentée par M. l’official, tant en son nom que des sœurs de la communauté, il a permis et approuvé que celles qui y seront reçues à l’avenir, lors de leur profession, feront les vœux de chasteté, d’obéissance et de stabilité perpétuelle à la dite maison, laquelle ordonnance a été remise à la mère supérieure pour être enfermée dans les archives et être transcrite dans le grand livre. » C’est de ce moment que la communauté se fit des constitutions et que les nouvelles professes prononcèrent des vœux.

La maison du Bon-Pasteur comprenait trois sortes de personnes, 1o des sœurs associées ; 2o quelques sœurs domestiques ; 3o des filles pénitentes. On ne laissait pas d’y recevoir aussi des pensionnaires, mais comme on n’a pas en vue, disait le règlement, dans l’établissement de cette maison, d’en recevoir, et qu’elles n’y sont que pour une ou deux années au plus, on ne les regarde pas comme partie essentielle de cette maison.

En 1715, Mgr François-Paul de Neuville de Villeroy se déclara le protecteur de cette communauté. Approuvée par Mgr Camille, protégée par Mgr François-Paul, elle devenait ainsi pour la suite l’objet des bienveillances de cette puissante famille.

Le service spirituel était assuré par un missionnaire de Saint-Joseph ; nous trouvons, en effet, qu’une convention fut passée en 1719 entre la supérieure du Bon-Pasteur et le supérieur des missionnaires, pour régler cette importante question.

Nous avons déjà vu que les Bernardines n’entretenaient pas avec la maison du Bon-Pasteur les meilleures relations de voisinage. En voici un nouvel exemple : un petit chemin séparait les deux communautés ; ce petit chemin, concédé aux religieuses du Bon-Pasteur, devint entre celles-ci et celles-là un objet de discorde. Voici la réclamation que nous trouvons dans leurs papiers : Les religieuses Bernardines feignent d’ignorer, par leur placet, des vérités qu’elles attaquent depuis quinze ans.

« Ces dames n’ont pu voir sans jalousie que les filles du Bon-Pasteur voulussent étendre leur bâtiment pour faire des lieux réguliers et convenables à la retraite des filles pénitentes ; elles ont eu plus d’une fois communication du titre qui accorde un petit chemin d’onze pieds de largeur à la communauté du Bon-Pasteur, et qui sépare les deux maisons qui lui appartiennent. Elles savent que c’est Mgr le maréchal qui leur a procuré cette grâce ; elles lui ont donné une infinité de placets de même qu’au Consulat, pour laisser subsister ce chemin, elles se sont même pourvues en justice, elles ont été écartées partout et toujours condamnées contradictoirement ; il n’y a même que deux mois que l’on se transporta sur les lieux, et que leur aumônier et leurs gens d’affaires convinrent que la concession de ce chemin ne leur portait aucun préjudice.

« Mais leur inquiétude ou leur jalousie ne dorment point, et, par leur placet à Mgr l’archevêque, elles attaquent la concession par des calomnies contre la maison du Bon-Pasteur, et par des motifs qui intéressent le bien public. »

Suit l’exposé de la situation, où les filles du Bon-Pasteur montrent qu’elles ont fait un sacrifice pour compenser cette concession. Et voici la fin assez curieuse :

En sorte que, de quelque œil qu’on regarde cette affaire, les dames Bernardines ne peuvent avoir aucun droit, puisque la concession ne leur porte aucun préjudice, qu’elle coûte aux filles du Bon-Pasteur un terrain de vingt-cinq pieds carrés et cent pistoles d’argent comptant. Tout est consommé, et il est temps d’imposer silence aux Bernardines. »

Cette réclamation, faite sur un ton au moins étrange, a, en tout cas, le mérite de nous apprendre que la première maison du Bon-Pasteur était insuffisante, et qu’il fallut procéder à un agrandissement. En effet, de 1723 à 1730, on construit une maison plus vaste. Mais ces constructions absorbèrent les ressources, et nous constatons des moments d’embarras financiers dans les années suivantes.

En 1745, le cardinal de Tencin leur donne un secours important pour venir en aide au fâcheux état de la maison. En 1750, elles bénéficièrent d’une décision royale ; Louis XV, ayant autorisé une loterie en faveur des communautés religieuses, les lots non réclamés furent vendus au profit des maisons du Bon-Pasteur de Paris et de Lyon.

Est-ce l’insuffisance de leur local, est-ce le peu aimable voisinage des Bernardines, est-ce l’occasion tentante d’un couvent devenu libre, qui fut la cause du transfert de la maison du Bon-Pasteur dans la rue Neyret ? Nous ne le savons. Mais, en 1751, selon l’Almanach de Lyon de l’année suivante, elle occupa le couvent ci-devant habité par les religieuses de l’Annonciade, dite de Saint-Amour, qui avaient elles-mêmes été transférées dans le premier monastère des Annonciades célestes, en 1749.

Avec le temps, l’organisation administrative de la maison du Bon-Pasteur s’était améliorée ; un conseil, composé de douze notables de la cité et présidé par Mgr l’archevêque, régissait les biens temporels et imprimait la direction. Cette manière d’être existait aussi pour les maisons des Filles-Pénitentes, des Recluses, de la Providence, et des sœurs de Saint-Vincent-de-Paul ; elle existe encore aujourd’hui pour bien des œuvres, et surtout pour nos hôpitaux et nos bureaux de bienfaisance. Ce système mixte fit que ces maisons de charité ne furent pas entièrement considérées comme des communautés religieuses ; c’est pourquoi, tolérées seulement, elles purent affronter les premiers orages de la Révolution. Elles existèrent jusqu’en 1793, mais, en 1793, le torrent révolutionnaire emporta tout, non seulement les nobles et les prêtres, mais aussi, ce que l’on ignore trop, des foules d’ouvriers, et un grand nombre d’institutions fondées uniquement pour soulager le peuple qui souffre.

Aujourd’hui la maison du Bon-Pasteur est affectée au casernement des troupes de la garnison. Mais le nom du Bon-Pasteur persiste ; il y a une rue du Bon-Pasteur, le quartier est le quartier du Bon-Pasteur, la caserne est la caserne du Bon-Pasteur, et enfin, comme les Bernardines ont donné leur nom à la paroisse de Saint-Bernard, la communauté de la rue Neyret a donné son nom à la paroisse du Bon-Pasteur. Un prêtre de la maison des missionnaires de Lyon, M. l’abbé Callot, en fut le premier curé et le fondateur. Devenu, en 1867, évêque d’Oran, il laissa son œuvre en bonnes mains. M. l’abbé Durand, membre également de la maison des missionnaires, parvint, à force de persévérance et d’énergie, à faire bâtir, sur les dessins de M. Clair Tisseur, une magnifique église. Si l’on parvient un jour à obtenir la démolition de la caserne qui la masque, on aura du bas du coteau, à travers les massifs de verdure, un ravissant coup d’œil. Pourtant, hélas ! ce sera un souvenir de moins.

L’œuvre du Bon-Pasteur, emportée par le vaste naufrage de la Révolution, a été reconstituée vers 1830. Mgr Montault, évêque d’Angers, fit venir de Tours quelques religieuses pour fonder dans sa ville épiscopale une maison de pénitentes. Son but, comme celui de la congrégation nouvelle, était de ramasser dans la boue les victimes du monde, et de réparer, par le repentir, la pureté ternie de ces pauvres âmes égarées. La communauté a grandi, le petit grain de sénevé est devenu un grand arbre, qui, de ses rameaux, couvre aujourd’hui le monde. Elle compte aujourd’hui une centaine de fondations, répandues un peu partout.

Lyon possède une de ces communautés. Après 1830, une réunion de dames charitables fonda une société de patronage pour les jeunes filles, dans l’intention de donner asile aux malheureuses qui se trouvent engagées sur la pente du vice. La direction intérieure de ce refuge fut confiée aux religieuses du Bon-Pasteur d’Angers. Leur costume est blanc, et leur établissement est situé sur le chemin du Pont d’Alaï, dans la maison qui s’appelait autrefois le Château du Diable.

Cet ordre du Bon-Pasteur d’Angers est lui-même issu de Notre Dame de Charité, fondé à Caen en 1641, par le P. Eudes, dont nous avons à Lyon une maison, fondée en 1811, près de Saint-Irénée, et qui s’appelle le refuge Saint-Michel.

SOURCES :

Almanachs de Lyon.

Archives municipales.

Montfalcon, Lyon monumental (avec des erreurs).

Paul Saint-Olive, Voyage à la Croix-Rousse.